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1. Contexte

La période de rédaction du mémoire ou de la thèse est une étape importante dans le parcours des étudiants et étudiantes aux études supérieures. Leur persévérance est particulièrement mise à l’épreuve lors de cette étape (Sowell et al., 2015). Le sentiment de solitude et le manque d’interactions sociales propres à cette phase sont liés à des problèmes de santé et d’abandon (Haque et al., 2017). Dans le contexte de la pandémie de la COVID‑19, il est pertinent de se questionner sur l’incidence des mesures de confinement imposées par les instances gouvernementales sur les efforts de rédaction des étudiants et étudiantes aux cycles supérieurs, mais également sur leur persévérance et leur bien-être en période d’incertitude. Bien qu’il paraisse logique de penser que plusieurs sont peu touché.e.s par la fermeture des campus puisque leur présence sur place n’est plus requise, cet avis est trompeur. En fait, ils et elles sont nombreux et nombreuses à faire usage des services des universités, notamment d’un bureau comprenant leurs équipements de recherche, des bibliothèques et des services-conseils, des environnements maintenant fermés en raison des mesures sanitaires. Ces interruptions des services les privent de ressources essentielles à l’avancement de leurs projets de rédaction, sans compter ceux et celles qui faisaient partie d’équipes de recherche et qui n’ont plus d’interactions régulières avec leur direction et leurs pairs. Les universités, préoccupées par la continuité de l’enseignement afin d’assurer l’achèvement de la session d’hiver 2020, semblent avoir investi moins d’énergie pour répondre aux besoins des étudiants et étudiantes aux cycles supérieurs. La situation s’assombrit davantage pour les étudiantes et étudiants internationaux en raison de l’annulation ou de la réduction de leurs périodes de mobilité à la suite de la fermeture des résidences étudiantes sur les campus universitaires (Gabriels et Benke-Åberg, 2020).

Pendant cette période de crise sanitaire, plusieurs étudiants et étudiantes éprouvent de la peur, de l’anxiété, un manque de motivation et des difficultés de concentration, ce qui affecte les processus cognitifs et émotionnels nécessaires à la poursuite des études (Pudelko, 2020). En période de rédaction, ils se tournent alors vers des méthodes alternatives pouvant les aider à renouer avec la rédaction, telles que des groupes de soutien composés de leurs pairs (Wang et DeLaquil, 2020). C’est à cet égard que l’organisme à but non lucratif (OBNL) Thèsez‑vous a rapidement implanté des stratégies numériques innovantes pour répondre à leurs besoins. La mission de cet organisme est la mise en place d’environnements physiques et sociaux réfléchis pour faciliter la rédaction universitaire, notamment par l’organisation de retraites de rédaction selon un modèle de retraite de rédaction structurée qui repose sur une intégration de données de recherche théoriques, empiriques et expérientielles (Tremblay-Wragg et al., 2020). Malgré des services diversifiés, la crise a poussé le développement d’activités de soutien et de formation à distance. C’est pourquoi l’OBNL a proposé des stratégies virtuelles pour leur permettre de poursuivre leurs activités de rédaction, « seul(e)s, mais ensemble ». Selon Schcolnik (2018), l’utilisation d’outils numériques pour soutenir la rédaction académique contribue à optimiser le processus de rédaction et la qualité des produits qui en découlent, au niveau tant de la forme que du contenu. Néanmoins, si la compatibilité entre les méthodes de soutien à la rédaction et la pédagogie en ligne a été soulignée par plusieurs chercheurs et chercheuses, ce sujet est encore peu étudié (Kirkpatrick, 2019).

2. Des modalités virtuelles utilisées de façon innovante en période de rédaction

L’OBNL Thèsez-vous compte plus de 3 000 membres francophones et francophiles qui étudient majoritairement aux cycles supérieurs dans des universités canadiennes. L’échange de ressources et le partage de pratiques communes sont au coeur de cette communauté d’apprentissage. Dans l’ensemble de ses services, l’OBNL met notamment de l’avant une méthode de fixation d’objectifs SMART(ER) (adaptée de Doran, 1981) et une technique de gestion du temps inspirée de la technique Pomodoro (adaptée de Cirillo, 2006). Le sentiment d’appartenance est tel qu’au fil du temps, les membres de la communauté ont développé un langage qui leur est propre, entre autres en nommant chaque période de 50 minutes de travail « une tomate ». En 2016, un groupe Facebook privé nommé « Thèsez‑vous Ensemble » est établi pour faciliter leurs échanges, celui-ci ayant servi de tremplin au cours de la pandémie pour faire connaître de nouveaux services à distance répertoriés sous le thème #QuaranThèse.

2.1 Outil de collaboration (Facebook)

Pendant la période de pandémie, Facebook est demeuré le réseau social en ligne privilégié par la communauté et c’est au moyen de la page déjà établie que les premières initiatives numériques sont organisées. À ce titre, des périodes de rédaction collective quotidiennes par blocs de quatre heures sont animées par des étudiants et étudiantes bénévoles de la communauté, sous l’identité d’un avatar nommé Thomas Te. Afin de se joindre à ces périodes de rédaction, les étudiants et étudiantes utilisent la fonctionnalité de séance vidéo en direct (watch party en anglais). Ce qui fait l’originalité de cette formule est que l’avatar reproduit les conditions favorables habituellement instaurées en présentiel, même si les participants et participantes ne se voient pas. Par exemple, lors de retraites de rédaction, un animateur ou une animatrice veille à maintenir le temps, à encourager la rédaction et à détendre l’atmosphère. Ces séances virtuelles alternent les périodes de rédaction intensives et les pauses, pendant lesquelles il est possible de clavarder. Également, l’avatar offre des conseils de bien-être, notamment des étirements ou des activités de ressourcement en marge des périodes de productivité.

2.2 Outil de vidéoconférence (Zoom)

La plateforme de vidéoconférence Zoom permet d’offrir des retraites virtuelles hebdomadaires aux membres de la communauté. Au cours de ces retraites qui se déroulent de 8 h à 16 h, ceux.celles‑ci ont accès à de l’animation comme lors des périodes de rédaction susmentionnées, afin de faciliter la rédaction sur une plus longue période et de façon intensive. Cependant, dans ce cas-ci, ils ou elles ont la chance de se voir en activant leur caméra ou de se parler à l’aide de leur microphone. À cela s’ajoutent un atelier de formation pour soutenir la fixation d’objectifs de rédaction, une pause-midi permettant la socialisation, une séance de yoga en direct menée par un instructeur ou une instructrice et une période de retour sur les objectifs atteints en fin de journée pour faciliter les efforts de planification de la semaine suivante. Pour prendre part à cette journée de rédaction, un montant forfaitaire sous forme de don à l’OBNL est suggéré au moyen de la plateforme Internet opérée par Simplyk, une entreprise canadienne à impact social, pour gérer le bénévolat d’entreprise. De plus, la plateforme Zoom a aussi été utilisée pour le soutien des parents-étudiants/étudiantes durant cette période qui requiert plus que jamais une conciliation rédaction-famille, au moyen de séances d’une heure d’activités variées et ludiques nommées Pomodorini et proposées aux enfants d’âge scolaire. Par exemple, des tabatas, des jeux-questionnaires et des recettes sont l’occasion de divertir les enfants pour que les parents puissent rédiger sans interruption.

2.3 Outil de planification (Framemo et Google Forms)

Le babillard numérique Framemo, faisant partie du logiciel libre établi par l’association française Framasoft, est utilisé par les étudiants et étudiantes pour colliger leurs objectifs personnels. Ceux.celles-ci peuvent discuter des fonctionnalités et de la pertinence de cet outil lors de séances de planification de rédaction nommées Jeudis QuaranThèse. Chaque jeudi, ils et elles ont la possibilité de se retrouver en ligne pour partager des stratégies afin d’ajuster leur planification, leurs attentes et leur rythme de rédaction au contexte de pandémie. Framemo leur offre également des retraites de rédaction virtuelle où ils et elles peuvent partager leurs objectifs et apprécier leur progression individuelle et collective au fil de la journée. Pour ce faire, la méthode de gestion organisationnelle nommée Kanban est privilégiée, alors que les étudiants et étudiantes apposent leurs objectifs à l’aide de notes virtuelles dans les colonnes à en‑têtes « À faire, En cours et Complétés » (Anderson, 2010).

Les séances de planification du jeudi se déroulent en utilisant les services de vidéoconférence Zoom, bien que d’autres applications libres aient été testées, dont la mutliplateforme française Jitsi. Durant ces séances, l’animateur ou l’animatrice suggère des pratiques élaborées par Thèsez‑vous au fil du temps ainsi que des stratégies reconnues dans la littérature que les étudiants et étudiantes peuvent adopter pour faciliter l’atteinte de leurs objectifs pour la semaine à venir. Ainsi, les membres de la communauté désirant dénombrer toutes les heures de rédaction complétée peuvent aussi le faire au moyen de l’application d’administration de sondages Google Forms qui enregistre les données dans un nuage informatique.

2.4 Outils de formation (YouTube et Creative Cloud Adobe)

Des vidéos enregistrées à l’aide de YouTube ou des images graphiques développées au moyen de la suite Creative Cloud Adobe sont présentées en guise de conseils d’experts sur différents sujets (p. ex. : espace de travail, ergonomie, étirements, exercices, etc.). Les membres de la communauté peuvent s’y référer selon leurs intérêts et leurs disponibilités.

2.5 Outils de concentration (Spotify)

Des suggestions de trames sonores pro-rédaction sont regroupées au moyen de Spotify, un service suédois de diffusion musicale en continu. Les étudiants et étudiantes écoutant ce genre de musique cherchent habituellement à augmenter leur niveau de concentration et à se détacher des bruits ambiants pendant les activités de rédaction.

L’ensemble de tous ces outils numériques, illustré à la figure 1, a été mis en oeuvre dans le but de créer un environnement de formation virtuelle répondant aux besoins des étudiants et étudiantes aux cycles supérieurs en rédaction pendant la pandémie. La rédaction académique est un processus itératif nécessitant des allers-retours constants pour s’approprier la matière et développer de nouvelles connaissances. La diversité des modalités mises à la disposition des membres de l’OBNL vise à faciliter chacune des tâches nécessaires à cette rédaction. L’environnement virtuel permet ainsi le soutien entre pairs pour optimiser le niveau de production rédactionnelle à distance.

Figure 1

L’environnement de formation numérique de Thèsez-vous

L’environnement de formation numérique de Thèsez-vous

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Dans un esprit d’amélioration continue, Thèsez-vous déploie des efforts considérables pour rester à l’affût des besoins des membres de sa communauté par des sondages d’appréciation développés, entre autres, à l’aide du logiciel de la compagnie espagnole Typeform qui offre une gamme de formulaires interactifs.

3. Considérations méthodologiques

Cette démarche s’inscrit dans une recherche de plus grande envergure impliquant des chercheurs et chercheuses universitaires, des étudiants et étudiantes et des chercheuses communautaires suivant une approche de recherche partenariale/collaborative (Tremblay et Demers, 2018). À l’image des principes qui guident les communautés de pratique, cette approche est adoptée afin de favoriser une collaboration continue et engagée de partenaires de la recherche et du « terrain » dans une perspective de co-construction de connaissances et d’innovation sociale (Tremblay et Psyché, 2014).

Les données présentées dans cet article ont été collectées dans le cadre d’une recherche partenariale évaluative visant à documenter l’impact des retraites de rédaction Thèsez-vous à partir d’un devis mixte quasi-expérimental avec groupe témoin. Le présent article a pour objectif de rendre compte des effets de la pandémie sur le rapport à la rédaction chez des étudiants et étudiantes au doctorat, ainsi que leur recours à des activités de soutien à distance proposées par l’OBNL.

3.1 Échantillon

Le volet qualitatif d’une recherche évaluative quasi expérimentale à devis mixte dénombre un sous-échantillon de 33 doctorants et doctorantes provenant de trois groupes. Premièrement, le groupe expérimental (GE) comprend 13 doctorants et doctorantes (hommes, = 4; femmes, = 10; non‑binaire, = 1) recrutés de six universités à travers la province de Québec au Canada et réalisant leur programme dans cinq domaines différents. Les membres du groupe ont participé à une retraite de rédaction Thèsez‑vous au courant des deux dernières années. Deuxièmement, le groupe contrôle (GC) comprend 15 doctorants et doctorantes (hommes, = 6; femmes, = 9) recrutés de sept universités à travers le Québec et réalisant leur programme dans quatre domaines. Les membres de ce groupe n’ont pas participé à une retraite de rédaction. Troisièmement, le groupe de discussion (GD) est composé de cinq doctorants et doctorantes (homme, = 1; femmes, = 4) provenant de quatre universités québécoises et ayant participé à au moins une des stratégies numériques innovantes proposées par Thèsez-vous lors de la période de #QuaranThèse (mars à mai 2020).

3.2 Outils de collecte de données

Le GE et le GC ont pris part à trois entretiens semi-dirigés d’une durée moyenne de 45 minutes entre janvier 2019 et mai 2020, pour un total de 90 entretiens. Pour la tenue des troisièmes entretiens (avril-mai 2020) et étant donné la pandémie, le guide d’entretien a été adapté pour s’ajuster à cette nouvelle réalité de rédaction en période de crise. Des questions spécifiques ont été ajoutées pour recueillir la perception de la rédaction des doctorants et doctorantes pendant le confinement et des informations quant aux apports de la participation à des activités de rédaction virtuelles collectives. Une des questions posées lors de l’entretien était : « En quoi la crise sanitaire a-t-elle modulé vos habitudes de rédaction? » Afin de recueillir des données supplémentaires en contexte de pandémie, le guide d’entretien semi-dirigé du GD s’est centré sur les expériences virtuelles liées à la motivation et les habitudes de rédaction, à titre d’exemple : « Parlez-nous de votre expérience quant aux services de rédaction virtuels proposés par Thèsez-vous. » Étant donné les mesures de distanciation physique imposées en période de pandémie, une méthode alternative de collecte de données a été privilégiée en mode virtuel (Zoom) pour mener les entretiens et le GD en avril-mai 2020, comme proposé par Adom et al. (2020).

3.3 Analyse des données

La posture adoptée pour l’analyse de données est qualitative/interprétative (Savoie-Zajc, 2011). À la suite de la collecte de données, une fiche thématique a été bâtie et a servi à coder l’ensemble du corpus selon l’approche d’analyse du contenu manifeste (Van der Maren, 2003), au moyen du logiciel NVivo 12. Un codage inverse a permis de s’assurer que chaque extrait codé appartenait bien à son thème. Afin d’identifier les participants et participantes aux entretiens cités dans cet article, un pseudonyme alphanumérique leur a été attribué, dans lequel les deux premières lettres indiquent leur groupe d’appartenance (GC, GE ou GD) suivi d’un chiffre entre 1 et 15 désignant son identité.

4. Résultats : les avantages et les revers du numérique pour soutenir la rédaction académique

Les sections qui suivent présentent les résultats issus du GD et des troisièmes entretiens avec les GE et les GC, plus particulièrement en ce qui concerne leurs représentations des avantages et des revers de l’utilisation d’outils numériques pour soutenir la rédaction académique. Avant même de décrire l’expérience virtuelle des doctorants et doctorantes, il est pertinent de s’attarder brièvement à leur état d’esprit en cette période de crise sanitaire.

4.1 L’état d’esprit des doctorants et doctorantes pendant le confinement : entre impuissance et productivité

Il semble que deux profils distincts de doctorants et doctorantes émergent : ceux et celles qui ont un fort sentiment d’impuissance et d’inaction quant à leur rédaction et d’autres chez qui la pandémie n’a pas nécessairement affecté la productivité rédactionnelle.

4.1.1 Les doctorants et doctorantes ayant diminué leur productivité rédactionnelle

D’une part, on retrouve une grande majorité de doctorants et doctorantes dont la rédaction est paralysée par le contexte actuel (25). Lorsque questionné sur l’impact de l’arrêt des services de Thèsez-vous en présentiel, un participant, adepte des retraites et de l’espace de rédaction, explique :

J’ai l’impression d’avoir perdu mes outils [...] et de revenir au point de devoir me trouver une méthode pour fonctionner.

GE1

Ce même participant, tout comme les membres du GD, explique combien la tâche de rédiger, assez difficile en elle-même, est d’autant plus ardue en cette période :

La rédaction en soi est déjà un problème continu dans lequel on est dans le flou, mais là, ça me semble pire par le climat général.

GE1

Le syndrome de la page blanche, caractérisé par un sentiment de doute constant quant à la pertinence de leurs idées, est fortement ressenti, de telle sorte qu’il devient impossible de commencer ou de compléter la rédaction d’une section. D’autres doctorants et doctorantes voient dans leur paralysie rédactionnelle l’explication d’un changement social qui va au-delà de la simple rupture de leur routine quotidienne. Six autres, toutes des femmes, vont jusqu’à remettre complètement leur doctorat en question :

Je me questionne : Qu’est-ce que [ma thèse] vaut? Pourquoi [continuer]? Est-ce que ça a du sens de continuer un doctorat même si notre futur sera peut-être différent? Qu’est-ce que les universités vont avoir l’air? [Puis], est-ce que dans ce contexte, où il y a tellement d’incertitude, ça a du sens de continuer mon doctorat? Est-ce que c’est la chose, tu sais, valorisante et utile pour la société que je peux faire?

GE3

À leur propre façon, les doctorantes et doctorants qui sont parents trouvent la rédaction à distance très ardue, en raison non seulement de l’absence d’un espace efficacement conçu pour le travail, mais en plus, de la présence des enfants pendant la tâche. Un père nous explique :

Dans mon cas, travailler à la maison, ça n’a jamais été idéal parce qu’il y a toujours plusieurs sources de distraction. Puis là, c’est encore pire, parce que quand je travaillais à la maison avant, les enfants étaient à l’école, j’avais comme juste le chien à gérer. Alors que là, on est toute la famille au grand complet dans un espace plus restreint, ça devient plus compliqué et beaucoup plus difficile.

GC2

De surcroît, les doctorantes mères rapportent une hausse de leur charge mentale due à l’attention et aux soins qu’elles doivent offrir à leurs enfants. Une d’entre elles raconte non seulement que la concentration s’avère un défi, mais que le temps lui échappe fortement :

J’ai moins de contrôle de quand, comment et pour combien de temps je peux travailler et, même quand j’ai du temps, ce n’est pas toujours évident de trouver le focus.

GE4

4.1.2 Les doctorants et doctorantes ayant maintenu ou augmenté leur productivité rédactionnelle

D’autre part et dans une moindre mesure, un autre profil émerge. Huit participants et participantes présentent un état d’esprit plus positif en rapportant le fait qu’ils et elles apprécient le ralentissement de leur rythme de vie imposé par le confinement. L’arrêt de leur routine leur permettrait de décanter, ce qui leur procure une meilleure humeur. Cela dit, dans deux de ces cas, le souhait de rédiger davantage n’est pas forcément présent. Une doctorante rapporte l’importance pour elle de ne plus se surmener :

J’aurais pu peut-être mettre plus de temps à la rédaction qu’avant, mais je m’en tiens à cet horaire-là [une journée de rédaction par semaine]. Moi j’ai trouvé là [dans le confinement] une sorte de détente. Ça me fait du bien aussi d’être moins sous pression. Je prends ce temps-là pour prendre soin de moi et de mes proches.

GC10

Un autre participant raconte qu’il saisit l’occasion de consacrer plus de temps à la rédaction, sans quoi il serait pris d’ennui, étant donné que ses heures de travail sont suspendues :

Dans mon contexte, je n’ai rien d’autre à faire. Ma blonde est là, mais elle est prise par le télétravail. Elle a un horaire fixe à faire de 8 h le matin à 4 h 30‑5 h le soir. Je n’ai pas le choix de rédiger, puis d’avancer mes affaires. Alors, pour moi en tout cas, on peut dire [que] cette période-là est favorable à la rédaction.

GC5

Ainsi, pour les doctorants et doctorantes, la crise sanitaire est source soit de stress et de questionnements qui paralysent la rédaction, soit, pour une minorité, d’un lâcher-prise ressourçant et favorable à la rédaction.

4.2 Trois avantages du numérique pour soutenir la rédaction des doctorants et doctorantes

Étant donné la situation difficile dans laquelle la majorité des doctorants et doctorantes en rédaction se trouvent, il est d’autant plus pertinent d’exposer les stratégies et les outils numériques qui ont su les soutenir dans cette période. Les participants et participantes du GE et du GD mettent en lumière le fait que les activités virtuelles permettent de briser l’isolement, d’augmenter la productivité et d’explorer des méthodes de rédaction efficaces.

4.2.1 Développement d’une communauté de doctorants et doctorantes engagé.e.s et connecté.e.s

Les modalités virtuelles permettent le regroupement de personnes qui par ailleurs ne se connaissent pas et qui peuvent être géographiquement distancées les unes des autres, ce qui a le potentiel d’enrichir les échanges. À propos des périodes de rédaction collective quotidiennes sur Facebook, une étudiante indique :

Je pense que les tomates virtuelles, même sans voir les internautes, c’est quand même bien. Ça m’a aidée à structurer et à avoir le sentiment qu’il y a d’autres personnes dans le même bateau, même si je ne les vois pas.

GE3

Dans le même sens, les doctorants et doctorantes ayant participé au GD ont mentionné que la retraite virtuelle favorise l’engagement dans la rédaction grâce à l’émergence d’une communauté. En comparaison aux périodes de rédaction collective quotidiennes sur Facebook qui n’indiquent qu’un compteur et permettent un clavardage lors des pauses, une participante explique que l’avantage des retraites virtuelles sur Zoom est l’« effet de surveillance » (GD1) produit, puisque la caméra est ouverte en tout temps. « Voir rédiger les gens chez soi avec toutes les difficultés que ça peut avoir » (GD5) entraîne un « effet de groupe » qui est fortement porteur de motivation. Il en résulte également un sentiment d’« engagement » auprès des autres personnes qui rédigent. En outre, le sentiment de communauté virtuelle semble aussi très présent sur la page Facebook Thèsez‑vous Ensemble, ce qui permet aux doctorants et doctorantes « d’être connectés avec les personnes en rédaction et [de] partager [leur]s difficultés » (GD4). Enfin, les participants et participantes au GD s’entendent pour dire que l’ensemble des services virtuels brisent l’isolement.

4.2.2 Accroissement de la productivité par la légitimation de la rédaction

Les résultats de la recherche font encore écho aux deux profils énoncés précédemment. En effet, les doctorants et doctorantes dont la rédaction est paralysée dernièrement bénéficient de la retraite virtuelle pour augmenter leur productivité, alors que ceux et celles qui sont déjà productifs et productives en bénéficient parce qu’elle leur apporte un sain équilibre de travail. Pour le premier groupe, la retraite virtuelle contribue à bloquer du temps à son horaire et à la « voir comme un rendez-vous » avec sa thèse. À partir de là, les sources de distraction sont volontairement limitées et la rédaction est légitimée pour cette journée. En opposition, ceux et celles pour qui la procrastination n’est pas un problème rencontrent toutefois le défi de se surmener lorsque laissé.e.s à eux.elles-mêmes. Ainsi, ils et elles bénéficient de la retraite virtuelle pour sa structure :

J’aime beaucoup les retraites aussi parce que c’est guidé. Entre autres, on est forcé de prendre des pauses. Moi, sinon, je ne prends pas de pauses [...] Pour moi, les retraites virtuelles sont bien pour développer une nouvelle routine de rédaction, notamment plus saine.

GD3

4.2.3 Exploration de méthodes de rédaction variées pour rédiger efficacement à distance

Trois activités virtuelles contribuent à aider les étudiants et étudiantes à explorer de nouvelles méthodes de rédaction en période de confinement. Premièrement, les Jeudis QuaranThèse leur permettent de bien planifier leurs objectifs, mais surtout de prendre le temps de le faire. L’extrait suivant relate bien l’apport de ces rencontres à l’appropriation de méthodes de rédaction :

Ça m’aide vraiment en fait de prendre le temps de définir des objectifs, de planifier des choses, de faire un bilan sur ce que j’ai accompli, ce qu’il me reste à faire et ça je trouve que ça joue aussi sur la motivation.

GD5

Le partage d’objectifs de rédaction avec leurs pairs représente un engagement collectif qui les motive à s’autoréguler pour y parvenir. Il ressort aussi de cela que l’accompagnement fourni par l’animatrice de cette activité leur est utile puisqu’elle explique des stratégies de fixation d’objectifs pour optimiser les périodes de rédaction. Ils et elles reconnaissent l’utilité de lier les trucs et astuces de la rédaction à ce qui est documenté dans la littérature scientifique :

J’aime beaucoup ce service-là pour reconstruire une relation positive avec l’écriture en fait.

GD1

Ainsi, ils et elles apprécient le fait d’en « apprendre » sur les méthodes de rédaction académique.

4.3 Trois revers du numérique chez les étudiants et étudiantes en période de rédaction

Bien que les participants et participantes rapportent unanimement l’efficacité des services virtuels Thèsez-vous, ils précisent bien que les modalités en ligne n’égalent pas celles du présentiel.

4.3.1 Insuffisance de contacts humains

L’effet de groupe en présentiel qui motive les doctorants et doctorantes à rédiger ne se ressent pas nécessairement de la même façon en mode virtuel. À ce sujet, ce doctorant résume bien l’idée de plusieurs :

Je ne sais pas comment dire là, mais l’espèce d’énergie qu’il y avait dans la salle [lors de la participation à une retraite Thèsez-vous en présentiel], cet effet-là vraiment de relation spatiale avec d’autres humains, c’est ce qui faisait que ça fonctionnait bien. Ce n’était pas du tout le cas en ligne, au niveau virtuel.

GC13

4.3.2 Impossibilité de varier les espaces de travail

En outre, certains doctorants et doctorantes ont besoin de varier les lieux dans lesquels ils rédigent, ce qui n’est plus possible en confinement et qui n’est pas comblé par les options numériques :

C’est comme si on m’enlevait ma meilleure stratégie. Là en ce moment, tout ce que je peux faire comme variation, c’est ma table de cuisine ou mon bureau, qui sont à deux mètres d’écart.

GE1

De plus, la désactivation du réseau Internet pour éviter les distractions électroniques leur apparaît comme étant une stratégie bien efficace. Cette « déconnexion » n’est pas réalisable lorsque l’utilisation d’Internet est essentielle pour se joindre aux groupes de rédaction virtuels. De plus, si les activités de rédaction en ligne passent par une application telle que Facebook et que celle-ci est perçue comme une application de procrastination, l’activité de rédaction risque de ne pas être un succès, comme en témoigne ce participant :

J’ai essayé les tomates sur Facebook avec Thomas Te, puis je me suis rendu compte que, comme Facebook est un outil de procrastination intense, j’étais interpellé par des [notifications] qui concerne[nt] mon job ou par des niaiseries. Je trouvais difficile d’avoir l’effet de concentration que j’ai à une retraite ou à l’espace [de rédaction].

GD4

4.3.3 Incapacité d’offrir une prise en charge aussi complète qu’une retraite en présence

Enfin, les participants et participantes concluent que Zoom est une meilleure plateforme pour participer à une activité de rédaction virtuelle que ne l’est Facebook, non seulement grâce à la présence continue en vidéo, mais également parce que cette application est synonyme de travail en conférence. Toutefois, selon eux et elles, même les retraites de rédaction sur Zoom n’égalent pas les retraites de rédaction en présentiel qui impliquent une formule tout inclus (prise en charge, animation, hébergement et repas) et une présence physique manifeste dans un espace réservé au travail, loin de toutes distractions.

5. Discussion

Devant la crise sanitaire de la COVID-19, des stratégies numériques ont été rapidement mises en place pour offrir des occasions de rédaction collective virtuelles aux étudiants et étudiantes de cycles supérieurs. À cet égard, l’OBNL Thèsez-vous a réagi de façon innovante dès mars 2020, cherchant à reproduire et à adapter ses services de soutien à la rédaction sous une forme numérique. Le présent article visait à rendre compte des modalités numériques utilisées pour favoriser la rédaction à distance et de l’expérience des participants et participantes qui en découle. Les résultats ont mis en lumière la réaction dichotomique des doctorants et doctorantes face à l’incidence des mesures de confinement sur leur rédaction académique. Certains et certaines ont été grandement affecté.e.s par la crise sanitaire. Les données collectées laissent croire que ce sont particulièrement les parents-étudiants/étudiantes et les femmes qui ont vu leur rédaction affectée négativement, alors que d’autres ont profité d’une routine simplifiée pour s’investir dans leur rédaction. En ce sens, nos résultats concordent avec la littérature rapportant que la pandémie a forcé les parents à prendre davantage de responsabilités liées aux soins à promulguer aux enfants, ce qui a nui à la productivité au travail des mères principalement (Alon et al., 2020). Également, la plus grande réactivité des femmes à des situations perturbantes est soulevée par plusieurs études, dont celle de Davis et al. (2011).

5.1 Les activités offertes ne répondent pas en tout point aux besoins des doctorants et doctorantes

Les résultats ont ensuite exposé les avantages et les revers des modalités virtuelles utilisées par Thèsez‑vous pour soutenir les étudiants et étudiantes à distance. D’une part, l’utilisation de la page Facebook Thèsez‑vous Ensemble et la participation aux retraites de rédaction virtuelles ainsi que les séances de planification sur Zoom permettent aux doctorants et doctorantes de briser l’isolement de leur quotidien, de sentir qu’ils prennent part à une communauté qui leur est propre et, enfin, d’être sainement productifs. Si les séances de planification sur Zoom s’avèrent particulièrement efficaces pour découvrir et instaurer des méthodes d’écriture telles que la fixation d’objectifs, les retraites virtuelles, elles, permettent de mettre en pratique ces apprentissages. D’autre part, les revers de ces méthodes concernent surtout le fait qu’utiliser Facebook ne s’avère pas aussi efficace pour rédiger que Zoom ou toute autre application qui permet une connexion vidéo et n’est pas liée à la procrastination. En effet, pendant la rédaction de cet article, l’OBNL, qui poursuit l’amélioration de ses services, nous a fait part d’une diminution du taux de participation aux séances de rédaction collaborative quotidiennes sur Facebook. De même, les séances pour appuyer les parents-étudiants/étudiantes ont été interrompues, bien que l’OBNL ait reçu des commentaires positifs à l’égard de ce service. Malgré les résultats énoncés plus hauts qui révèlent que les femmes, surtout les mères, font face à des défis supplémentaires en période de confinement, il semble que ces dernières n’aient pas été rejointes par ce service, ce qui a mené à son interruption. Cette situation laisse croire qu’il y a encore beaucoup à faire pour comprendre les besoins des parents aux cycles supérieurs et y répondre, et que les enjeux d’inégalités sociales et universitaires liés à la parentalité et au genre exigent des stratégies structurelles. Rappelons enfin que les participants et participantes persistent à croire que les activités de rédaction en présentiel sont la meilleure des options, mais considèrent que les services en ligne leur sont complémentaires et qu’ils ne devraient pas disparaître après le confinement. L’ensemble de ces résultats laissent entendre que la mise en oeuvre de modalités de soutien numériques destinées spécifiquement aux étudiants et étudiantes en période de rédaction est possible et favorable au-delà de la période de crise liée à la COVID‑19.

5.2 La rédaction en mode virtuel : quelques activités gagnantes à poursuivre au‑delà du confinement

Au regard de l’environnement de formation numérique de Thèsez-vous présenté à la figure 1, il appert que l’organisme s’est concentré sur les activités de partage de ressources, de planification d’objectifs et de collaboration entre les pairs. Ces trois éléments de la rédaction académique virtuelle apportent des échanges dynamiques entre les membres de la communauté, favorisant ainsi l’apprentissage et l’enseignement entre les pairs. En effet, les groupes de rédaction universitaire offrent des occasions de développement, aussi bien formelles qu’informelles, favorisant le cheminement universitaire des étudiantes et étudiants et leur intégration au monde de la recherche (Rickard et al., 2009). De plus, l’appartenance à une communauté est définie comme étant un facteur qui favorise la persévérance dans la rédaction en ayant des effets sur la motivation et la productivité (Girardeau et al., 2014), tout en fournissant un environnement soutenant au plan du bien-être (Murray et Newton, 2009). Ce n’est donc pas surprenant que les participants et participantes expriment un élan de productivité lors de leur participation à des activités de rédaction collective en mode virtuel, étant donné que la présence des autres les motive.

5.3 Et si la rédaction en mode virtuel pouvait être optimisée! Quelques pistes d’activités numériques pour s’y attaquer

La rédaction académique étant une des tâches les plus complexes à maîtriser dans le métier d’étudiant et étudiante, chacune de ses étapes doit être comprise et soutenue afin d’assurer le succès aux études supérieures (Coulon, 2017). Dans l’environnement numérique à l’étude, certaines des phases de rédaction demeurent exemptes de soutien, notamment la lecture et la révision. Étant donné que la page Facebook Thèsez‑vous Ensemble connaît une recrudescence des messages d’étudiants et étudiantes à la recherche de ressources disciplinaires en raison de la fermeture physique des bibliothèques et que la lecture de textes scientifiques peut représenter un défi en soi (Kapp, 2015), les bibliothèques auraient intérêt à accélérer la mise en ligne de l’ensemble de leurs catalogues et de leurs ressources. L’organisation de clubs de lecture pourrait aussi être envisagée en s’inspirant des cercles de discussion TED (technology, entertainment, design) qui se déroulent actuellement en mode virtuel.

Quant à la révision des sections de thèse, elle est l’occasion de souligner que la distance physique rend encore plus difficile l’accès au soutien du comité de direction de recherche. Ainsi, il ne faudrait pas croire que des outils numériques ont le potentiel de remplacer l’encadrement d’un directeur ou d’une directrice de mémoire ou de thèse. Par contre, la révision par les pairs est reconnue comme étant bénéfique dans la formation des étudiants et étudiantes aux études supérieures (Bozalek, 2017), une raison de plus pour ouvrir la voie à d’autres recherches qui documenteraient ce service en mode virtuel.

Conclusion

À la lumière des résultats de cette étude, il convient de souligner que malgré sa préoccupation sincère pour la réussite et le bien-être des étudiants et étudiantes membres de Thèsez‑vous, l’OBNL ne peut répondre à l’ensemble de leurs besoins, ni compenser pour l’exacerbation d’inégalités sociales et leurs effets sur la persévérance. Pendant la pandémie, l’organisme a tenté de leur offrir des ressources pour les sortir de l’isolement et a pris position quant à la précarité qu’ils vivent en situation de parentalité notamment. Il semble toutefois préférable que Thèsez-vous, dans la poursuite de son développement numérique, reste centré sur sa mission qui est de mettre en place des environnements favorables à la rédaction, dans une perspective collective, interdisciplinaire, interuniversitaire et non compétitive. Cette mission pourrait s’inscrire en complémentarité avec des services d’encadrement et de soutien financier et psychologique essentiels, offerts par les universités, les associations étudiantes ainsi que les instances gouvernementales.