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Introduction

Depuis longtemps, le système éducatif supérieur au Maroc se base sur la formation en présence. Les étudiants doivent être présents à toutes les séances de cours. Ils n’ont pas la possibilité de suivre différemment leur formation, de se procurer des séances de cours ou d’accéder facilement aux documents associés aux cours. Actuellement, en cette période de pandémie, si les activités de formation en présence sont interrompues depuis le 16 mars 2020, l’ensemble de la communauté universitaire s’est fortement mobilisée pour assurer une continuité pédagogique à distance. L’enjeu n’est pas de reproduire ce qui est fait en présence, mais de maintenir le lien pédagogique avec les étudiants et de faire en sorte qu’ils restent dans un état d’esprit d’études, de favoriser leur autonomie et de les aider à développer les connaissances et les compétences nécessaires pour réussir leur apprentissage.

Les cours en présence étant annulés à la suite de la décision de fermer les établissements scolaires et universitaires, d’autres méthodes d’enseignement s’imposent. Des cours numériques ont été immédiatement publiés sur des plateformes conçues pour ce genre d’opérations, d’autres diffusés à la télévision pour permettre aux élèves et étudiants de poursuivre leurs études dans ces circonstances difficiles et sans précédent. Il est à signaler que c’est en 2005 qu’a été lancé au Maroc le programme GENIE (Généralisation des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement) qui est venu traduire la volonté nationale d’intégrer les TIC dans l’éducation.

Pourtant, les enseignants des universités marocaines continuent, dans leur majorité, à se représenter l’université comme un espace réservé exclusivement à la transmission des savoirs. Comme le souligne Bouchard (2007), le cours magistral :

Reste à coup sûr une pratique, d’enseignement sinon de formation, économique dans la mesure où elle permet de placer un seul enseignant, détenteur d’un savoir institutionnel, face à un groupe important d’étudiants, destinés à « recevoir » ce savoir. D’un point de vue pédagogique, elle consiste en une pratique d’« hétéro-structuration », sinon d’« imposition » de ces savoirs : un ensemble massif d’informations est transmis à des récepteurs mis en demeure de l’enregistrer sans négociation possible, du fait d’une situation de communication très dissymétrique.

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Cette situation règne dans une université qui accuse un retard important par rapport aux modes de communication quotidienne marqués par l’usage à grande échelle des technologies de l’information et de la communication (TIC). Ce retard ne concerne pas le niveau des équipements ou de l’encadrement technique, mais se rapporte essentiellement à l’appropriation pédagogique de ces technologies et à leur utilisation comme vecteur de formation et d’accès aux savoirs.

Ainsi, cette crise sanitaire a accéléré l’implantation du processus de l’enseignement à distance et c’est en faveur de notre pays. Il va sans dire que toute innovation entraîne des changements. Aujourd’hui, nous assistons à un changement de comportement de la part des enseignants et des étudiants. C’est une nouvelle culture qui est entrain de naître. Le Royaume, longtemps resté en retard, a réussi l’intégration des TIC dans son système éducatif.

En effet, en cette période de crise, l’utilisation d’Internet et des TIC crée une profonde transformation dans les modes d’accès aux connaissances et aux savoirs. Faire appel à de nouvelles pédagogies d’apprentissage se traduit par un changement fondamental du rôle de l’enseignant et de l’étudiant, de la structuration de l’enseignement et de la conception de l’apprentissage.

1. Cadre théorique

La formation à distance (FAD) est devenue un mode d’enseignement incontournable dans les établissements universitaires depuis le début du XXe siècle. Elle joue un rôle primordial dans l’évolution des pratiques pédagogiques de l’université. Selon Glikman (2002) : « L’appellation “formation à distance” s’applique à tout type de formation organisée, quelle qu’en soit la finalité, dans laquelle l’essentiel des activités de transmission des connaissances ou d’apprentissage se situe hors de la relation directe, face à face ou “présentielle”, entre enseignant et enseigné » (p. 19). Ce type de formation prospère un peu partout dans le monde, c’est un des secteurs universitaires le plus en croissance : « L’enseignement à distance vit donc de nos jours un grand essor dans les projets stratégiques universitaires. Sa mise en oeuvre constitue parfois une grande partie du chiffre d’affaires des centres de formation ou instituts associés à l’université » (Caron et al., 2010, p. 11). Il permet d’acquérir des connaissances et de développer des compétences sans avoir à fréquenter un établissement d’enseignement et sans la présence physique d’un enseignant. Ce mode d’enseignement se développe aujourd’hui dans un contexte qui requiert l’utilisation d’outils techniques de plus en plus sophistiqués.

La plateforme pédagogique Moodle, largement diffusée dans l’espace universitaire marocain, est un dispositif technique utilisé dans les enseignements à distance ou hybrides. Quintin (2008) désigne par la plateforme « les fonctionnalités techniques (outils de connexion, d’inscription, de collaboration, de communication, de suivi des étudiants, de conception de cours) qui, intégrées et accessibles à partir d’un même site Internet (ou intranet), sont mobilisées par les différents intervenants - selon le rôle de chacun - pour administrer, concevoir, gérer ou suivre la formation » (p. 21). Selon Ernst (2008), la plateforme pédagogique offre « un ensemble de fonctionnalités permettant aux acteurs du dispositif d’échanger des informations et de gérer ou consulter des contenus pédagogiques. La fonction fondamentale d’une plate-forme pédagogique est de créer les conditions de fonctionnement d’une classe virtuelle, fondée sur un accompagnement pédagogique à distance des apprenants et la mise en oeuvre de travaux collaboratifs » (p. 215). Néanmoins, les plateformes pédagogiques sont plutôt approchées à partir de l’étude des usages qui en sont faits par les étudiants (Paivandi et Espinosa, 2013; Raby et al., 2011) et moins à partir de la plus-value pédagogique en matière de consolidation des savoirs.

L’usage des TIC en pédagogie universitaire a connu un accroissement exponentiel (Buckley et al., 2010). Basque (2005) donne une définition synthèse des TIC : « Les technologies de l’information et de la communication renvoient à un ensemble de technologies fondées sur l’informatique, la microélectronique, les télécommunications (notamment les réseaux), le multimédia et l’audiovisuel, qui, lorsqu’elles sont combinées et interconnectées, permettent de rechercher, de stocker, de traiter et de transmettre des informations, sous forme de données de divers types (textes, sons, images fixes, images vidéo, etc.), et permettent l’interactivité entre des personnes, et entre des personnes et des machines » (p. 34). Comme le démontrent Szabo et Schwartz (2009), l’usage des TIC et des interactions en ligne favorise les apprentissages et développe l’esprit critique chez les étudiants. Rogers (2004) affirme que l’intégration des TIC a un impact positif sur l’apprentissage et la métacognition. Cependant, les TIC suscitent des changements importants dans les pratiques pédagogiques en transformant les modalités de communication, d’enseignement et d’apprentissage : « Les technologies numériques, dans leurs usages pédagogiques, sont des outils à part entière d’apprentissage, modifiant profondément les stratégies des élèves pour apprendre, et des professeurs pour faire apprendre » (Klein, 2013, p. 8). Plusieurs auteurs (Charlier et Peraya, 2003; Karsenti et al., 2001) soulignent que l’intégration des TIC dans l’enseignement modifie les pratiques des enseignants et influe sur leurs représentations de l’apprentissage et leurs modalités de collaboration et d’évaluation. Les TIC transforment la relation pédagogique enseignant/élève et changent le rapport au savoir (Devauchelle, 2012). Ainsi, nous pouvons avancer que l’intégration des TIC à l’université est un processus complexe qui engendre des changements difficiles à réaliser si les acteurs de changement résistent à une telle intervention. Bouzidi (2005) avance que « mener une innovation dans une institution comme l’université est une tâche difficile. Elle l’est encore plus lorsqu’elle touche à des pratiques et des fonctions bien maîtrisées et bien ancrées dans le quotidien des enseignants et des étudiants » (p. 92). L’intégration des TIC est un processus difficile, souvent source d’inquiétude et d’anxiété. Cette inquiétude est beaucoup plus accentuée pour ceux qui sont incapables de se servir des équipements et de l’outil informatique à des fins pédagogiques (Carugati et Tomasetto, 2002). De ce fait, demander à un professeur éminent de modifier ses pratiques pédagogiques n’est pas chose facile, surtout s’il est satisfait de sa façon de structurer et de dispenser son enseignement. La dynamique de changement que requiert l’intégration des TIC est un processus que Poellhuber et Boulanger (2001) décrivent comme « un processus très lent et graduel, dans lequel entrent en jeu tout le champ des conceptions des professeurs sur l’enseignement, l’apprentissage, la connaissance, leur rôle comme enseignants » (p. 46).

2. Méthodologie

Cette recherche, qui s’inscrit dans une approche inductive, est motivée par la nécessité de comprendre les nouveaux rôles assumés par les deux acteurs impliqués dans une formation universitaire à distance, à savoir l’enseignant et l’étudiant. Les deux caractéristiques qui fondent notre problématique sont la transformation de l’acte aussi bien d’enseigner que d’apprendre. Cet intérêt surgit des questionnements nés de notre expérience en tant que praticienne.

Ainsi, une recherche qualitative a été menée dans ce sens. Des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès des enseignants-chercheurs et des étudiants de l’Université Ibn Tofail, toutes filières confondues, issus de la Faculté des lettres et des sciences humaines, de la Faculté des sciences et de la Faculté des sciences économiques, juridiques et sociales ayant pris part à l’expérimentation des cours implémentés sur la plateforme Moodle (modular object-oriented dynamic learning environment).

Le choix du terrain de recherche est en lien étroit avec notre expérience en tant que praticienne. De ce fait, l’expérience professionnelle et la recherche se conjuguent dans une démarche issue de la confrontation avec le terrain et centrée sur les acteurs impliqués dans le dispositif d’enseignement à distance.

Les échantillons étudiés ici comportent un premier groupe formé de 10 enseignants-chercheurs ainsi répartis : 4 femmes (2 professeurs de l’enseignement supérieur assistants [PESA] et 2 professeurs habilités [PH]) et 6 hommes (2 PESA, 2 PH et 2 PES) qui se sont montrés très coopératifs. Leur tranche d’âge varie de 39 à 55 ans.

Le second groupe est formé de 16 étudiants (12 femmes et 4 hommes) inscrits en licence fondamentale. La tranche d’âge des étudiants est de 20 à 34 ans. Il est à noter que ces étudiants accèdent à l’enseignement supérieur avec une formation arabisée et poursuivent leurs études universitaires en français. Cette langue mal maîtrisée par la majorité d’entre eux est ressentie comme une entrave à leurs études.

Le guide des entretiens comporte des questions concernant le rôle de l’enseignant et de l’étudiant au sein de cette formation, des informations générales sur le statut de l’enseignant, des informations générales sur le profil de l’étudiant, des informations sur le lieu et la fréquence de connexion sur la plateforme, les outils de communication et de collaboration utilisés dans cette formation, les utilisations de la plateforme et les activités réalisées, les avantages et les inconvénients d’une FAD selon les enseignants et les étudiants ainsi que les avis et les suggestions des étudiants pour l’amélioration de l’accompagnement de cette formation.

Nous avons procédé à une analyse thématique des témoignages afin d’en faire ressortir les similitudes et les divergences. Cette analyse a été effectuée sur un tableur Excel. Les groupes de mots ou de phrases exprimant la même idée ont été regroupés en codes (unités de sens). Les codes ont ensuite été regroupés en fonction de leurs caractéristiques communes en catégories (recherche des analogies). Les catégories ont ensuite été regroupées en thèmes permettant de mettre en relation les différents phénomènes observés (par ressemblance, par hiérarchie, etc.). Les différents thèmes qui ont ainsi émergé permettent de dégager les grands axes de nos résultats en rapport avec la question de recherche. À partir de ce codage, les thèmes ont été regroupés et réorganisés afin de faire ressortir les avis.

Notons toutefois qu’il n’est pas possible de traiter toutes les données recueillies dans cette enquête. Nous nous limiterons donc aux seuls aspects qui se rapportent à l’appropriation de la plateforme pédagogique Moodle par les enseignants et les étudiants dans un contexte universitaire marocain.

3. Résultats

3.1 Changement de l’espace d’apprentissage

L’enquête fait tout d’abord ressortir que la majorité des étudiants participants accèdent aux cours implémentés sur la plateforme depuis leur domicile et que seulement le quart des répondants y accèdent à partir des cybercafés.

E3/FS[2] : J’accède à la plateforme à partir de la maison.

E8/FSJ : Je n’ai pas d’ordinateur chez moi, donc je vais au cyber.

E12/FL : Je préfère rester à la maison, j’ai du mal à me concentrer dans un cyber.

Auparavant, les étudiants devaient se regrouper dans des salles de cours ou des amphithéâtres pour écouter un enseignant dans la perspective d’acquérir des connaissances. Donc, les activités d’enseignement et d’apprentissage étaient, en grande partie, simultanées.

Dans la formation universitaire à distance, l’étudiant utilise, souvent seul, des ressources éducatives sur différents supports dans un lieu qui n’est pas une salle de cours et qui n’est pas le même pour tous les apprenants. Ce lieu peut être le domicile, l’entreprise où il travaille, un cybercafé, etc. Les ressources éducatives ont été produites antérieurement par des enseignants qui sont alors généralement absents de ce lieu. L’enseignement à distance implique donc une séparation dans l’espace des activités d’enseignement et d’apprentissage.

3.2 Plateforme d’enseignement à distance

L’Université Ibn Tofail de Kénitra met à la disposition de ses étudiants la plateforme pédagogique Moodle. Cette plateforme propose un vaste choix d’activités allant du simple dépôt de documents (PDF, PPT...) aux forums, en passant par des exercices en ligne, du clavardage, des visioconférences en temps réel, etc.

D’après les résultats obtenus, les principaux usages de la plateforme par les étudiants sont les suivants :

  • Téléchargement des cours

  • Consultation des ressources complémentaires aux cours

  • Clavardage avec le professeur

  • Réalisation des exercices

Par ailleurs, à la question relative à leur connaissance des différentes plateformes d’enseignement à distance, les enseignants interrogés ont tous évoqué Moodle.

L’ensemble des enseignants estiment que la plateforme d’enseignement à distance qu’ils ont pu utiliser dans le cadre de l’enseignement à distance est un bon outil. Globalement, les répondants expriment une satisfaction par rapport aux différents services offerts par cette plateforme. Ils la conçoivent comme un prolongement de la classe dans l’espace et le temps.

Pr/FL[3] : C’est un bon dispositif.

Pr/FSE : C’est un dispositif fort intéressant, mais malheureusement sous-exploité et sous-utilisé à l’université, parce que mal connu.

Nous avons également interrogé les enseignants sur ce qu’ils considèrent comme la plus importante valeur ajoutée des plateformes en enseignement. Ces enseignants ont répondu en fonction de leurs expériences propres. Certains estiment que la plateforme leur permet de mettre à la disposition des étudiants, sous divers formats, tout le contenu nécessaire pour leur apprentissage. D’autres jugent que la plateforme permet aux apprenants et aux enseignants d’interagir, d’humaniser les rapports et d’apporter plus de convivialité à l’environnement froid et isolé qu’impose l’enseignement à distance.

En revanche, leur difficulté se rapporte à l’aspect technique et à la question de l’accessibilité de l’outil technologique. Les enseignants interrogés ont mis, dans leur majorité, l’accent sur les difficultés à s’approprier efficacement les outils de la plateforme. S’ajoute à cette difficulté technique le problème de l’accessibilité de l’outil informatique pour les étudiants.

En plus des difficultés techniques, les enseignants participants soulèvent également des problèmes sur le plan de la scénarisation pédagogique, de la création d’exercices interactifs et du temps important que nécessitent la conception et l’encadrement d’un cours en ligne.

3.3 Enseignement par médiation technologique : TIC

L’absence physique d’un enseignant marque la formation à distance. En revanche, les connaissances de ce dernier sont bien présentes sous des formes variées et multiples (imprimé, vidéo, audio, textes, présentations, galeries de photos, références bibliographiques, etc.). Ce matériel didactique doit être conçu de façon à optimiser un apprentissage autonome.

Dans la formation à distance, les consignes et les contenus de la formation ne sont pas véhiculés par la parole d’un enseignant présent. Ils sont « médiatisés » par des supports pédagogiques. Les TIC jouent un rôle primordial dans ce cadre.

Il nous paraît impossible dans le contexte actuel de parler de la FAD sans faire référence aux TIC, présentes dans ce type de dispositifs et supports essentiels à la gestion de la distance.

3.3.1 Les enseignants et les TIC

Notre enquête exploratoire menée auprès des enseignants-chercheurs montre que la quasi-totalité de ces enseignants disposent à domicile d’un équipement informatique connecté, et ce, depuis des années. Notre enquête révèle également que les enseignants semblent réticents à recourir à ce type de dispositifs, alors que l’offre institutionnelle en ligne est en pleine croissance.

Ce phénomène de désaffection pour la FAD semble être en contradiction avec l’attitude favorable des enseignants à l’égard de la formation en présence. En dehors de l’usage très rudimentaire et très linéaire de PowerPoint, la majorité des enseignants universitaires semblent déserter les dispositifs en FAD. Nous remarquons un phénomène de désaffection, voire de rejet.

Pr/FSE : À l’Université, la distance est une modalité qui a du mal à trouver sa place du point de vue des statuts juridique, financier et logistique.

Pr/FS : Moi, je préfère le présentiel, j’aime ce face-à-face direct avec mes étudiants, sans médiation, rien ne peut remplacer ça.

Pr/FSJ : J’ai des connaissances très rudimentaires de l’outil informatique.

Pr/FL : En présentiel, j’utilise le PowerPoint, c’est tout!

Il va sans dire que l’intégration d’un objet technologique dans une situation d’enseignement/ apprentissage crée un certain nombre de défis dans un contexte professionnel marqué par l’importance des relations humaines.

Ainsi, avant le confinement, l’utilisation des TIC ne faisait pas partie du paysage éducatif des répondants, en dépit des efforts fournis par les pouvoirs publics sur le plan des équipements. À la question de savoir s’ils avaient utilisé la plateforme d’enseignement à distance avant la pandémie, la majorité des enseignants interrogés dans le cadre de cette enquête ont répondu négativement. Si beaucoup d’enseignants se sont déjà familiarisés avec ces outils, ils ne sont pas forcément préparés à des usages qui correspondent à un changement de paradigme (le passage du tout en présence au tout à distance).

Pr/FSJ : Avant le confinement, je n’ai jamais utilisé Moodle.

Pr/FL : Avant le confinement, j’utilisais Moodle pour mettre à la disposition des étudiants le support pédagogique dont ils avaient besoin, c’est tout.

Notre enquête montre que la majorité des enseignants interviewés utilisent les TIC à des fins professionnelles. En effet, ces enseignants affirment avoir utilisé les TIC dans leur quotidien pour produire et communiquer leurs travaux de recherche. Mais l’appropriation pédagogique de ces outils est très récente, et elle est menée à titre expérimental.

Pr/FSJ : Bien sûr que j’utilise l’outil informatique, mais pas dans le domaine de l’enseignement, je l’utilise plutôt pour répondre à des mails ou produire des travaux de recherche.

Afin d’aider ces enseignants à structurer et implémenter leurs cours sur la plateforme Moodle, des tutoriels ont été développés et envoyés aux enseignants par la « Cellule TICE » de l’Université Ibn Tofail. Ce service d’accompagnement a dû répondre à plusieurs sollicitations relatives à la création de comptes institutionnels et aux questions techniques depuis le début du confinement.

Face à cette méconnaissance des différents usages des TIC, il est, à notre avis, primordial de mettre en place un dispositif de formation à l’utilisation des TIC en faveur de ces enseignants-chercheurs. En plus d’un accompagnement individuel, des ateliers en ligne devraient être également proposés par notre faculté.

L’analyse qualitative des commentaires formulés nous permet d’avancer que la moitié des enseignants estiment leur maîtrise des TIC insuffisante. L’effet âge se confirme : les moins de 40 ans se déclarent bien plus à l’aise avec les TIC que les plus de 50 ans.

Pr/FSE : J’estime que ma maîtrise des TIC est pas mal, la conception de ces outils est faite pour être accessible, je pense qu’avec un peu d’effort et quelques connaissances dans ce domaine, on peut s’en sortir.

3.3.2 Les étudiants et les TIC

Les résultats de notre enquête révèlent que la plupart des étudiants possèdent des téléphones intelligents et que presque la moitié d’entre eux disposent d’ordinateurs portables. Ces étudiants utilisent une panoplie d’outils de communication pour rester en contact avec leurs pairs. Près des trois quarts des répondants déclarent utiliser le réseautage social et plus de la moitié utilisent la messagerie instantanée. Par ailleurs, le tiers des répondants utilisent l’application WhatsApp et la messagerie électronique et seulement deux étudiants affirment utiliser le forum dans le processus d’apprentissage.

Ainsi, nous pouvons avancer que si la plupart des étudiants interrogés ont déjà fait usage de ces technologies à des fins de divertissement et/ou de communication interpersonnelle, ils les utilisent rarement comme outil d’apprentissage.

3.4 Interactivité : synchrone/asynchrone

Pour un apprentissage optimal et efficace, l’interactivité est considérée comme un facteur-clé dans l’enseignement en présence et même incontournable en FAD. Ceci se traduit dans cette dernière par la possibilité d’échanger entre apprenants, ou entre enseignants et enseignés, à travers différents outils de communication afin de lutter contre le sentiment d’isolement qui conduit à la démotivation.

Les TIC, sous des formes diverses et variées, permettent l’individualisation des formations, les activités collectives et les échanges. Ces supports de formation offrent des possibilités pour communiquer et échanger, en mode synchrone ou asynchrone, entre les acteurs. Ils facilitent ainsi un meilleur suivi des apprenants et leur donnent les moyens d’être plus actifs dans leur apprentissage.

Les outils de communication asynchrone permettent des échanges en mode différé, non en temps réel, au moyen des forums de discussion, des blogues, des wikis et du courrier électronique. Dans ce mode, nous constatons que l’apprenant est seul face au support d’apprentissage, qui peut être très simple ou très élaboré. À cet effet, l’enseignant-chercheur devrait, d’une part, penser à toutes les situations de blocage possibles et, d’autre part, prendre en considération la diversité du public auquel le cours est destiné.

Quant aux outils de communication synchrone, ils sont nombreux et sophistiqués : classe virtuelle, visioconférence ou clavardage. Ils permettent une interaction simultanée entre l’enseignant et l’apprenant comme dans une réelle salle de classe. L’enseignant explique le cours, répond aux questions des apprenants, guide et aide ces derniers à dépasser tout conflit cognitif; de son côté, l’étudiant pose des questions ou présente son travail.

La quasi-totalité des enseignants interviewés estiment que l’approche synchrone favorise les interactions dans un esprit communautaire; en revanche, l’approche asynchrone crée de l’autonomie et de l’organisation dans le processus d’acquisition d’informations.

Les résultats de nos entretiens avec les étudiants indiquent que trois répondants utilisent le mode synchrone pour demander de l’aide ou des renseignements, ou encore dans le cadre des projets de fin d’études. Cependant, la grande majorité des enquêtés n’utilisent pas le mode synchrone. En effet, certains affirment avoir peur de faire des fautes. Ils semblent être concernés par le souci de ménager leur image. Commettre une erreur met en jeu des émotions qui peuvent avoir un effet sur l’estime de soi. En effet, quand une personne communique dans une langue qu’elle maîtrise peu, elle a souvent le sentiment d’être jugée par les autres. Elle ressent alors la peur de perdre la face. Cela semble être le cas avec les enquêtés : faire des fautes revient, selon eux, à donner une image négative d’eux-mêmes.

E4/FSJ : Le travail asynchrone représente vraiment un gros pourcentage de la formation.

E6/FL : Je n’arrive pas à travailler en synchrone avec les professeurs, j’ai peur de commettre des fautes en français.

E9/FSE : Moi je préfère le mode asynchrone parce que je travaille à mon rythme et à l’heure qui me convient.

3.5 Rôle de l’enseignant dans la formation universitaire à distance

Les TIC modifient les modalités d’accès aux connaissances et aux savoirs ainsi que leur diffusion. Elles amènent les enseignants à réfléchir sur leurs pratiques et stratégies d’enseignement. La majorité des enseignants impliqués dans cette enquête considèrent que le rôle de l’enseignant dans une formation à distance est amené à se transformer et à se modifier profondément. La presque totalité des répondants avancent que l’enseignant n’a plus seulement à élaborer le contenu du cours et à l’implémenter dans la plateforme, mais que son activité s’oriente aussi vers l’accompagnement. Par ailleurs, ils estiment presque à l’unanimité que l’enseignement à distance implique inévitablement une augmentation de la charge de travail.

Pr/FL : Pour préparer un cours à distance il ya d’abord la conception du cours qui fait l’objet d’un temps de travail assez important, ensuite, il ya la conception d’un scénario d’apprentissage, il ya la création d’exercices interactifs, etc.

Pr/FS : Le temps pour préparer un cours est très variable d’un professeur à l’autre. Si on fait bien son travail, c’est très consommateur de temps, parce qu’il ya énormément de choses à faire.

Les TIC engendrent de nouveaux comportements, de nouvelles attentes et de nouvelles pratiques, transformant ainsi la profession de l’enseignant. Néanmoins, l’utilisation des technologies ne remplace en aucun cas l’enseignant; elle peut enrichir et compléter son rôle.

Force est de constater que l’enseignant n’est plus le seul détenteur ni le seul transmetteur des connaissances. Son rôle évolue, il est amené à adopter une attitude d’accompagnement à différents niveaux : accompagnement méthodologique, suivi de l’apprentissage, soutien sur le contenu, animation des discussions, etc. Ce rôle de « tuteur » n’est pas radicalement nouveau, il existe déjà dans le cadre des formations en présence, mais il est plus indispensable au sein de la FAD.

Dans l’enseignement à distance, l’enseignant devient aussi concepteur de tâches d’apprentissage. Ce travail de conception est plus consommateur de temps que la préparation d’un cours en présence.

Dans ce contexte, nous pouvons diviser le rôle de l’enseignant engagé dans une formation à distance en deux rôles distincts : celui de concepteur pédagogique qui crée les supports pédagogiques, les contenus de la formation ainsi que le scénario pédagogique, et celui de tuteur qui a la responsabilité d’accompagner l’apprenant dans ses apprentissages, de lui faire acquérir un maximum d’autonomie, de lutter contre le sentiment d’isolement qu’il pourrait ressentir, et qui interagit avec lui durant la formation dans le but de l’aider à construire ses connaissances et ses compétences. À cet effet, l’enseignant-chercheur doit développer des compétences techniques et apprendre à utiliser les technologies actuelles afin de pouvoir communiquer et interagir avec ses étudiants.

3.6 Rôle de l’étudiant

La majorité des enseignants participants à cette enquête s’accordent à dire que la formation à distance se fonde sur la capacité de l’apprenant à construire une démarche personnelle et autonome. Ce dernier est censé savoir déterminer ses besoins et choisir les moyens de les satisfaire.

Le passage à la formation à distance oblige davantage l’apprenant à développer une réflexion critique en fonction du contexte d’apprentissage afin d’éviter l’échec. Il est contraint à l’autonomie du fait de son isolement et de l’absence de relation en face-à-face avec les enseignants. L’autonomie de l’étudiant à distance s’inscrit dans sa capacité d’organiser le contenu de sa formation en fonction de ses besoins et de ses motivations. Celui-ci est appelé également à prendre en charge certaines dimensions de son apprentissage, par exemple l’organisation de ses horaires d’étude et de son rythme de travail.

L’enseignement à distance fonctionne donc en faisant appel à une grande autonomie de l’apprenant. La présence virtuelle d’un tuteur diminue le risque de solitude qui conduit souvent l’étudiant à l’abandon. En effet, le sentiment d’isolement est considéré comme une des causes principales de l’échec de la formation à distance.

Les résultats de notre enquête montrent que presque la moitié des étudiants participants ont mis l’accent sur le besoin d’un accompagnement pédagogique dans l’appropriation des cours implémentés sur la plateforme. En ce qui concerne leurs attentes sur le tutorat, ils escomptent une présence accrue de l’enseignant. Ils souhaitent qu’il réponde à toutes leurs questions, les aide à comprendre le cours et les guide dans leur apprentissage. Les attentes des étudiants sont davantage d’ordre pédagogique.

E13/FS : Des fois on lit le cours et on ne comprend pas des parties, on a besoin des explications du professeur.

E15/FL : Quand je ne comprends pas le cours, je fais des recherches sur Internet, mais ce n’est pas pareil, je préfère les explications du professeur.

À cet égard, les interactions s’avèrent, à notre avis, indispensables pour lutter contre le sentiment d’isolement qui entraîne la démotivation chez nos étudiants. Ces derniers expérimentent pour la première fois ce nouveau mode d’enseignement. Comme nous l’avons précédemment souligné, une des difficultés majeures de la FAD est l’isolement des apprenants. Il est primordial pour l’apprenant à distance d’avoir un accompagnement de la part de l’enseignant.

Discussion et conclusion

La formation à distance est l’ensemble des démarches réalisées en dehors du face-à-face pédagogique entre enseignant et enseigné. Il s’agit d’un enseignement qui vient compléter l’enseignement en présence et ne saurait le remplacer.

L’objectif principal de la présente recherche est de comprendre les nouveaux rôles assumés par les enseignants-chercheurs et les étudiants ayant expérimenté des cours intégrant la plateforme Moodle à l’Université Ibn Tofail.

Les résultats soulignent que l’ensemble des enseignants interviewés estiment que la plateforme Moodle qu’ils ont pu expérimenter dans le cadre de l’enseignement à distance est un bon outil. Certains enseignants estiment que la plateforme leur permet de mettre à la disposition des étudiants des supports audios, vidéos et scripturaux dont ils ont besoin pour leur formation. Elle offre à l’étudiant les clés de sa propre formation et permet de développer chez lui une grande autonomie. La majorité des enseignants optent pour la méthode transmissive en continuité avec les pratiques adoptées en présence. L’enseignement à distance apparaît alors comme un moyen d’accès aux contenus mis au profit de l’étudiant. Pourtant, la plateforme permet également d’instaurer un échange et de valoriser les relations entre les intervenants. Ce qui distingue ce mode d’enseignement, c’est cette possibilité de combiner à la fois la transmission du contenu pédagogique et l’interaction qui permet aux apprenants d’avoir un lien constant avec les enseignants et les pairs.

Si la plateforme facilite certaines tâches pédagogiques, elle met cependant l’accent sur plusieurs lacunes. La question de la scénarisation des cours revient souvent dans le discours des enseignants. La majorité d’entre eux affirment que la mise en ligne des cours nécessite de grands investissements de temps et d’efforts.

Lors des entretiens, les étudiants avaient exprimé le souhait d’être accompagnée régulièrement sur la plateforme. L’encadrement des étudiants est la condition sine qua non de la réussite des formations à distance. Étant isolés spatialement, les étudiants ont besoin d’un accompagnement adéquat pour vaincre la distance et l’isolement. À cet effet, le tuteur est présenté ainsi : « Accompagnateur essentiel au bon fonctionnement de l’apprentissage à distance, le tuteur est une personne ressource aux multiples compétences qui doit faire preuve d’une grande disponibilité » (Celik, 2008, paragr. 4). Dans l’expérience que ce travail analyse, le tutorat est marginalisé dans le dispositif de formation mis en place. En effet, interrogés sur ce point, la majorité des étudiants ont mis l’accent sur l’absence d’un encadrement qui aurait pu les aider dans la compréhension de leur cours et la réalisation de leurs travaux.

Dans ce mode d’enseignement, les TIC constituent à la fois des outils d’enseignement et d’apprentissage. Elles sont utilisées aussi bien par l’apprenant que par l’enseignant. L’intérêt de leur intégration dans les pratiques pédagogiques est d’améliorer l’apprentissage et de remédier à l’échec universitaire. Pour ce faire, l’enseignant devrait développer une série de compétences indispensables à ce type d’enseignement. Pour faciliter l’intégration des TIC dans les activités pédagogiques de l’enseignant, la formation s’avère nécessaire. L’analyse des données recueillies montre que la plupart des enseignants enquêtés estiment que leurs compétences en matière de TIC restent en deçà du niveau requis. Ceci engendre, selon Ait Kaikai (2014), une « réticence […] de la part des enseignants, qui se montrent peu engagés dans le processus d’intégration des TIC » (p. 48) puisque leur formation de base ne comprend pas l’intégration des TIC pour l’éducation (Bezzari, 2013; Kaddouri et al., 2012). Ainsi, le développement des compétences technologiques et transversales joue un rôle crucial dans la réussite de l’intégration des TIC.

Les étudiants ayant participé à cette enquête ont évoqué la nécessité d’utiliser les TIC pour garder le contact avec les pairs. Pour cela, ils utilisent de manière fréquente la messagerie instantanée et les réseaux sociaux. Ce constat a été confirmé et abordé par plusieurs travaux de recherche qui montrent que les étudiants utilisent les réseaux sociaux pour rester en contact et interagir avec les amis (Hart, 2010; Thivierge, 2011). En effet, « les étudiants font un usage régulier des TIC dans leur vie quotidienne, mais rarement dans leur vie universitaire pour apprendre » (Kaddouri et al., 2012).

Si l’enseignement à distance donne à l’étudiant une certaine liberté dans la gestion et le développement de son apprentissage moyennant le travail collaboratif et l’interaction (Paquette, 2002; Deschryver et Peraya, 2003), il exige en revanche une grande autonomie de sa part (Balancier et al., 2006). En vue de réussir sa formation à distance, l’étudiant doit consacrer le temps nécessaire pour ses études et organiser son processus d’apprentissage, il doit également développer et améliorer ses compétences dans le domaine de l’informatique et des nouvelles technologies.

En somme, on peut déduire, d’après les entretiens menés, que l’expérience d’enseignement à distance à l’Université Ibn Tofail en est à ses débuts et mérite d’être développée et améliorée pour mieux répondre aux besoins et aux attentes des enseignants et des étudiants. Ce mode d’enseignement, qui accompagnera désormais le mode d’enseignement traditionnel à l’université marocaine, se caractérise par des principes pédagogiques bien spécifiques qui ne se limitent pas seulement à la reproduction de la classe.

Bien que les résultats de cette recherche mettent en lumière un sujet qui se trouve au coeur des débats en recherche en éducation, la présente étude, comme toute recherche, comprend des limites puisque seuls les établissements à accès ouvert attachés à l’Université Ibn Tofail ont été retenus pour la collecte des données.

En conclusion, les résultats de cette recherche ont permis de soulever de nouvelles interrogations ouvrant la voie à de nouvelles pistes au chapitre de l’ingénierie pédagogique de la formation à distance. Villiot-Leclercq (2020) nous annonce qu’« une prise de conscience a eu lieu à tous les niveaux (individuel, collectif, institutionnel) du rôle de l’ingénierie de la formation à distance pour ouvrir des nouvelles voies sur des dimensions fondamentales comme la scénarisation et la place des parties prenantes dont les étudiants dans le design, mais aussi sur l’accompagnement des acteurs et de leur formation à une culture numérique et de l’apprentissage distanciel » (paragr. 39).