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Les changements climatiques et l’agriculture sont étroitement liés. Les principaux impacts dus à l’augmentation des températures, l’altération du régime des précipitations ainsi que l’accroissement de l’intensité et de la fréquence des évènements météorologiques extrêmes, comme les cyclones, les ouragans et les inondations, causent depuis un certain temps une réduction substantielle de la production agricole[1]. La sécheresse, la forte demande en eau, le changement de location des cultures de même que la disparition de certaines cultures en raison du dépassement d’un seuil de température acceptable sont autant de conséquences déplorables du phénomène[2]. Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) expose dans son rapport spécial de 2019 sur les terres et les changements climatiques que ces derniers exacerbent le processus de dégradation des sols. Le rapport pointe aussi une intensification de l’érosion côtière qui touche davantage de régions et une pression accrue sur l’utilisation des sols à cause de la hausse du niveau moyen de la mer[3]. En réalité, toute l’infrastructure de production et l’existence même des travailleurs agricoles sont menacées[4]. Par conséquent, l’agriculture doit s’adapter aux changements climatiques. C’est un moyen de protéger les écosystèmes agraires, une condition de survie des populations les plus vulnérables et une façon de lutter contre l’insécurité alimentaire que lesdits changements aggravent[5]. Le secteur agricole doit en outre participer à l’objectif global d’atténuation de gaz à effet de serre, car ses émissions participent également à l’ampleur du phénomène. Le GIEC relève dans son rapport spécial que l’agriculture, la foresterie et les autres utilisations des terres sont responsables d’environ 13 p. 100 des émissions de dioxyde de carbone (CO2), de 44 p. 100 des émissions de méthane (CH4) et de 81 p. 100 des émissions totales de protoxyde d’azote (N20) pendant la période 2007-2016[6]. Cette situation s’explique par le maintien de certaines pratiques de production agricole fortement émettrices comme l’agriculture intensive et l’élevage industriel.

L’atténuation, l’adaptation et la sécurité alimentaire sont donc les défis majeurs de l’agriculture devant les changements climatiques. Malheureusement, le régime juridique du climat n’a pas su répondre jusqu’à présent à ces grands défis. Les premiers instruments juridiques contraignants du régime ont accordé une importance marginale à la problématique agricole. Son financement, la place qu’elle a eue par exemple dans les projets du Mécanisme pour un développement propre (MDP), voilà qui montre qu’on lui a accordé peu d’intérêt. Après la 17e session de la Conférence des Parties (COP 17) et les cinq ateliers du Subsidiary Body for Scientific and Technological Advice (SBSTA) (organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique) qui ont suivi, l’Action commune de Koronivia pour l’agriculture[7], initiative post-Accord de Paris, est la plus grande action pour l’agriculture accomplie dans le contexte de la Convention-cadre des Nations unies pour les changements climatiques (CCNUCC)[8]. L’Action commune de Koronivia n’est cependant qu’à un premier stade de mise en oeuvre. Elle devrait déboucher sur un vrai plan d’action pour l’agriculture. Pour entrer en vigueur et produire les résultats escomptés, celui-ci devra inclure un ensemble de mesures telles qu’un meilleur financement de l’agriculture ou la mise en oeuvre réelle de certains mécanismes du régime du climat comme le Mécanisme international de Varsovie sur les pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques[9].

1 La place de l’agriculture dans le régime juridique international du climat

Dans le présent texte, nous examinerons la manière dont le régime juridique international du climat a traité le problème de l’agriculture en considérant les dispositions des grands instruments contraignants de ce régime. Nous analyserons aussi certaines décisions de la COP qui ont marqué un progrès dans la reconnaissance des impacts des changements climatiques sur le secteur et les moyens d’y faire face. Nous verrons comment cette reconnaissance s’est concrétisée avant l’Accord de Paris[10], puis nous nous pencherons sur les faits nouveaux constatés après l’entrée en vigueur de ce dernier traité, notamment l’Action commune de Koronivia. Nous remettrons bien sûr en question la portée de toutes ces initiatives, notre objectif n’étant pas de mener une étude factuelle de la place de l’agriculture dans le régime juridique du climat. Nous préférons adopter une approche critique dans laquelle nous nous proposons de relever la faiblesse de l’engagement pour l’agriculture dans ce régime. L’Action commune de Koronivia a certes créé une nouvelle dynamique. Ce n’est cependant pas un aboutissement. Il faudra aller plus loin dans les réflexions et les actions pour une meilleure prise en considération des problématiques liées à l’agriculture.

1.1 De l’adoption de la Convention-cadre des Nations unies pour les changements climatiques à l’Accord de Paris : une reconnaissance sans effets notables

Dès le départ, le régime international du climat a reconnu le lien entre l’agriculture et les changements climatiques[11]. L’article 2 de la CCNUCC, qui fixe l’objectif fondamental de cet outil juridique, prescrit qu’il faudra atteindre un niveau de stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère dans un délai suffisant pour que « la production alimentaire ne soit pas menacée », ce qui a ainsi mis la sécurité alimentaire au coeur des préoccupations des États parties :

L’objectif ultime de la présente Convention et de tous instruments juridiques connexes que la Conférence des Parties pourrait adopter est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d’atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable[12].

La reconnaissance de l’importance de l’agriculture et des forêts, des sources et des puits des gaz à effet de serre apparaît également dans l’article 4 de la CCNUCC. Il y est prescrit que les États parties doivent établir, mettre périodiquement à jour, publier et mettre à la disposition de la COP « des inventaires nationaux des émissions anthropiques par leurs sources et de l’absorption par leurs puits de tous les gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal[13] ». Les États parties établiront, publieront et mettront aussi régulièrement à jour des programmes nationaux et régionaux « contenant des mesures visant à atténuer les changements climatiques en tenant compte des émissions anthropiques par leurs sources et de l’absorption par leurs puits de tous les gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal[14] ». L’agriculture est l’un des secteurs ciblés dans la CCNUCC pour le développement et le transfert de technologies devant favoriser la maîtrise, la réduction et la prévention des émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Il est effectivement prescrit dans le même article ce qui suit au sujet des engagements des États parties :

Encouragent et soutiennent par leur coopération la mise au point, l’application et la diffusion − notamment par voie de transfert − de technologies, pratiques et procédés qui permettent de maîtriser, de réduire ou de prévenir les émissions anthropiques des gaz à effet de serre non réglementés par le Protocole de Montréal dans tous les secteurs pertinents, en particulier compris ceux de l’énergie, des transports, de l’industrie, de l’agriculture, des forêts et de la gestion des déchets[15].

L’agriculture se trouve en outre au centre des efforts demandés d’adaptation. Les États parties comprennent que si l’agriculture est aussi responsable d’émissions considérables de gaz à effet de serre, ce qui participe ainsi à l’aggravation de l’effet de serre, le secteur souffre également des impacts négatifs des changements climatiques. Il leur est ainsi demandé de préparer l’adaptation de l’agriculture parmi les secteurs vulnérables. Selon l’article 4, les États parties « [p]réparent, en coopération, l’adaptation à l’impact des changements climatiques et conçoivent et mettent au point des plans appropriés et intégrés pour la gestion des zones côtières, pour les ressources en eau et l’agriculture, et pour la protection et la remise en état des zones frappées par la sécheresse et la désertification, notamment en Afrique, et par les inondations[16] ».

Nous avons là une reconnaissance des impacts négatifs des changements climatiques sur le secteur agricole avec des effets désastreux tels que la sécheresse, la désertification, les inondations côtières et la rareté des ressources en eau. Des efforts d’adaptation sont donc nécessaires dans ce secteur.

Le Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques[17] fait aussi référence à l’agriculture et aux forêts en prévoyant que certaines activités agricoles, comme le changement d’affectation des terres et la foresterie, peuvent constituer des sources d’émission de gaz à effet de serre. Il classe les activités ayant un rapport « avec les variations des émissions par les sources et de l’absorption par les puits des gaz à effet de serre dans les catégories constituées par les terres agricoles et le changement d’affectation des terres et la foresterie » parmi les activités anthropiques supplémentaires à ajouter aux quantités attribuées aux États parties visés à l’annexe I[18]. Néanmoins, le Protocole de Kyoto ne s’est pas penché sur des aspects importants concernant l’agriculture et la foresterie, notamment dans le calcul de la réduction des émissions et sur le développement de projets dans ces domaines à l’intérieur des projets du MDP[19].

Cependant, cette reconnaissance formelle n’a pas conduit à établir dans le régime du climat des politiques concrètes en vue de la réduction des émissions dues aux activités du secteur agricole et pour son adaptation[20]. En réalité, l’agriculture n’a jamais pu avoir une place importante dans le régime international du climat depuis l’adoption des premiers instruments juridiques contraignants. Cette frilosité tient à ce que l’agriculture est un sujet économiquement sensible. Il y a une défiance des pays industrialisés qui ne sont pas pressés de changer un modèle de production qui fait leur richesse et qui est mis en cause dans l’augmentation des émissions des gaz à effet de serre. Le capitalisme a produit un mode de production intensive, le productivisme, qui allie la modernisation et l’industrialisation de l’agriculture et de forts investissements publics pour une production agricole intensive. Ce modèle a conduit, paradoxalement, tant à une surproduction qu’à une grande hausse des coûts et à une grave dégradation de l’environnement[21]. Ce productivisme caractérisé par des méthodes intensives de production créera des effets négatifs sur l’environnement, lesquels engendreront ce que Lummina G. Horlings et Terry K. Marsden appellent un « effet boomerang » pour la future production agricole, une agriculture moderne ne pouvant prospérer dans un environnement détruit[22]. Le néoproductivisme qui veut remplacer le productivisme n’en est qu’une adaptation, un « productivisme écologisant » par opposition au « productivisme artificialisant » pur du productivisme axé sur la modernisation de l’agriculture[23]. S’attachant à de tels modèles qui ont une empreinte environnementale négative, les pays industrialisés ne pouvaient pas laisser le champ libre aux grandes et profondes transformations qu’exigent l’atténuation et l’adaptation du secteur agricole aux changements climatiques. De leur côté, les pays du Sud, qui dépendent beaucoup de l’agriculture, se sont toujours accrochés, au nom du principe des responsabilités communes mais différenciées, à l’obligation de soutien financier et d’assistance technique des pays industrialisés et ont voulu centrer le débat uniquement sur l’adaptation[24]. Par ailleurs, ils font face à d’autres défis qui se rattachent davantage aux questions de la sécurité alimentaire. Cet état de fait rendait donc difficile un accord sur la question agraire dans les politiques climatiques.

Il a fallu attendre la COP 17 de la CCNUCC en 2011 pour commencer véritablement à parler de l’agriculture[25]. Effectivement, à Durban, à la COP 17, les États parties ont demandé au SBSTA d’inclure l’agriculture dans l’adoption future d’un cadre sectoriel de travail : « Demande à l’Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique d’examiner les questions relatives à l’agriculture à sa trente-sixième session, afin que des points de vue soient échangés et que la Conférence des Parties adopte une décision sur cette question à sa dix-huitième session[26] ». Les États parties et les organisations ayant la qualité d’observateurs sont alors invités à présenter au secrétariat leurs observations sur ces questions qui entourent la date de l’adoption de la décision au 5 mars 2012[27]. Le secrétariat devra rassembler ces observations dans un document qui sera transmis pour examen au SBSTA à sa 36e session[28].

C’est alors la première fois que l’agriculture figure dans une décision de la COP, la première fois qu’elle est intégrée dans l’ordre du jour du SBSTA, ce qui est considéré comme une victoire par certains experts[29]. Son importance sera reconnue, et les enjeux qui y sont liés seront discutés au cours des négociations qui suivront.

L’Accord de Paris, dernier grand traité du régime du climat, n’a pas manifesté d’intérêt particulier à l’égard de l’agriculture. Le sujet n’apparaît pas précisément dans cet accord ni dans la décision qui le précède. L’Accord de Paris ne fait pas mention formellement de l’agriculture, de sa place dans la problématique climatique avec les émissions qu’elle peut provoquer et surtout de la nécessité d’adaptation dans ce secteur, adaptation obligée pour les pays dont l’économie en dépend, particulièrement les pays du Sud les plus pauvres. À vrai dire, cet accord fait plutôt allusion dans ses considérants à la sécurité alimentaire et à la vulnérabilité des systèmes de production alimentaire de même qu’aux effets néfastes des changements climatiques. La riposte mondiale, objectif de cet accord, devra aussi se réaliser par le renforcement des capacités d’adaptation et la résilience pour un développement à faible émission de gaz à effet de serre qui ne menacera pas pour autant la production alimentaire[30]. Bien que l’allusion à la sécurité alimentaire soit sans nul doute une reconnaissance indirecte de la question agricole, Patrick Caron parle cependant d’un « tabou non exorcisé », l’agriculture paraissant toujours un sujet difficile pour les États parties qui semblent peu enclins à trouver un quelconque accord pour l’aborder[31].

1.2 L’action du Subsidiary Body for Scientific and Technological Advice après les 9e et 17e sessions de la Conférence des Parties

La CCNUCC a assigné un rôle important au SBSTA sur toutes les questions liées à l’atténuation des changements climatiques et à l’adaptation à ces derniers[32]. En ce qui concerne l’agriculture, le SBSTA a réalisé un ensemble d’activités, notamment des ateliers, afin de remplir son mandat.

Pour faire suite à la COP 9 qui a recommandé au secrétariat de la CCNUCC de lancer des travaux sur les aspects scientifiques, techniques et socioéconomiques des impacts des changements climatiques en prenant en considération l’atténuation et l’adaptation ainsi que le paramètre de vulnérabilité, le SBSTA a demandé, à sa 23e session, au secrétariat de la CCNUCC d’organiser des ateliers sur des thématiques spécifiques[33]. La 24e session réalisée le 23 mai 2006 a été consacrée à la foresterie et à l’agriculture.

Notre examen du résumé du président de la session nous permet de dégager les considérations suivantes sur le rôle de l’agriculture et de la foresterie dans la lutte contre les effets négatifs des changements climatiques. Ainsi, on a reconnu l’importance de la foresterie et de l’agriculture pour le développement durable des communautés et les économies nationales de tous les pays. On a pointé le potentiel de réduction des gaz à effet de serre qu’offrent ces deux secteurs, notamment par « l’utilisation accrue de la biomasse, les activités de boisement et/ou de reboisement dans le cadre du MDP, la réduction de la déforestation, la conservation des forêts, la gestion durable des forêts et la gestion durable des terre[34] ». L’importance de la coopération internationale a également été mise en exergue. On a particulièrement souligné les besoins des pays du Sud en matière d’innovation technique et de transfert de technologies, objectifs devant être atteints avec le soutien des pays développés. Les États parties ont aussi mis l’accent sur la disponibilité de ressources financières appropriées pour l’innovation technologique et la sensibilisation du public à l’utilisation des nouvelles technologies.

Diverses autres thématiques ont été traitées dans cette session, comme le rôle des marchés, des partenariats et des cadres politiques, la prise en considération des réalités régionales ou locales dans la recherche de solutions, les retombées économiques des activités agricoles et forestières[35]. Cette session a posé les grands défis d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation du secteur agricole à cet effet. Elle constitue un point de départ, une initiative concrète qui propose une réflexion utile sur le sujet, celle-ci devant cependant être complétée et approfondie.

À la suite de la COP 17, le SBSTA organisera des ateliers sur l’agriculture qui déboucheront sur une approche plus proactive après l’Accord de Paris. Cinq ateliers portant sur des questions spécifiques seront réalisés durant trois sessions du SBSTA.

À la 39e session du SBSTA, un atelier sur l’agriculture a eu lieu le 12 novembre 2013. Les réflexions ont porté principalement sur les impacts des changements climatiques sur l’agriculture, les pratiques et les approches pour permettre l’adaptation du secteur agricole et les expériences d’application des connaissances scientifiques afin d’améliorer cette adaptation, tout en augmentant la productivité. D’autres questions ont aussi été abordées, comme les capacités d’adaptation, la vulnérabilité à la sécheresse, aux parasites, aux variations de température et aux évènements atmosphériques extrêmes, les aspects scientifiques et technologiques, le partage des expériences, les pertes et les préjudices dans le contexte de l’agriculture et de l’adaptation[36].

Deux ateliers sur l’agriculture ont été organisés en juin 2015 à Bonn en Allemagne à la 42e session du SBSTA. Dans le premier atelier, qui s’est déroulé le 2 juin, les discussions ont porté sur l’impact des changements climatiques et les évènements météorologiques extrêmes sur l’agriculture, les systèmes d’alerte précoce et les plans d’urgence pour les systèmes agricoles touchés par les changements climatiques et les évènements météorologiques extrêmes ainsi que la coopération internationale sous forme de synergie et de collaboration, cette façon de faire visant principalement à renforcer les capacités des pays du Sud[37]. Le second atelier s’est tenu le 3 juin 2015 : on y a traité la question de l’impact des changements climatiques sur l’agriculture, l’aspect des risques et de la vulnérabilité des systèmes agricoles touchés par le changement climatique et la nécessité de synergie et de collaboration, notamment eu égard aux évaluations des risques et de la vulnérabilité[38].

Deux autres ateliers ont été conduits à la 44e session du SBSTA en mai 2016 à Bonn, en Allemagne. L’atelier du 20 mai 2016 a été consacré aux mesures d’adaptation aux impacts des changements climatiques sur l’agriculture, à la mise en évidence des mesures d’adaptation pour les systèmes agricoles touchés par le changement climatique ainsi qu’à la synergie et à la collaboration sur ces questions[39]. L’atelier du 23 mai a concerné l’impact des changements climatiques sur la productivité agricole, l’amélioration de la productivité des systèmes agricoles affectés touchés par le changement climatique, la synergie et la collaboration pour le partage des meilleures pratiques en vue de l’amélioration de la productivité[40].

À la suite de ces ateliers sera prise une grande initiative, la plus importante jusqu’à présent pour l’agriculture dans le régime juridique du climat : l’Action commune de Koronivia.

1.3 L’Action commune de Koronivia pour l’agriculture : une évolution marquante

C’est lors de la COP 23 tenue à Bonn en novembre 2017 que l’Action commune de Koronivia a été retenue[41] ; elle est aussi appelée « décision 4/CP.23 ». À noter que c’est la première décision sur l’agriculture prise par la COP dans toute son histoire[42]. Cette action commune se situe dans le sillage des cinq ateliers sur les questions relatives à l’agriculture réalisés par la SBSTA de 2013 à 2016. La COP, en reconnaissant les vulnérabilités de l’agriculture, recommande au SBSTA et au Subsidiary Body Implementation (SBI) (organe subsidiaire de mise en oeuvre) d’examiner conjointement les questions relatives à l’agriculture, notamment par des ateliers et des réunions d’experts, tout en préconisant une coopération avec les autres organes de la CCNUCC[43]. Les États parties et les observateurs sont invités à présenter des avis sur les questions suivantes :

  • a) Modalités de mise en oeuvre des résultats des cinq ateliers de session tenus sur les questions relatives à l’agriculture et d’autres thèmes futurs qui pourront être dégagés de ces travaux ;

  • b) Méthodes et démarches pour l’évaluation de l’adaptation, des retombées positives de l’adaptation et de la résilience ;

  • c) Amélioration du carbone du sol, de la santé des sols et de la fertilité des sols dans les systèmes applicables aux pâturages et aux terres cultivables ainsi que dans les systèmes intégrés, y compris la gestion des ressources en eau ;

  • d) Amélioration de l’utilisation des nutriments et de la gestion des effluents d’élevage dans l’optique de systèmes agricoles durables et résilients ;

  • e) Amélioration des systèmes d’élevage ;

  • f) Dimension socioéconomique et dimension liée à la sécurité alimentaire des changements climatiques dans le secteur agricole[44].

On a demandé au SBSTA et au SBI de rendre compte des progrès accomplis dans les travaux mentionnés au paragraphe premier, notamment les ateliers et les réunions d’experts, et des résultats issus de ces travaux, à la COP 26 en novembre 2020[45].

En application des premier et quatrième paragraphes de la décision, le SBSTA et le SBI agiront pour sa mise en oeuvre. À la 48e session des organes subsidiaires de la CCNUCC, le 31 mars 2018, à Bonn en Allemagne, on a adopté une feuille de route officialisant la date et le contenu des ateliers à réaliser autour des principaux objectifs de l’Action commune de Koronivia[46].

Cette feuille de route comprend aussi des activités intersessions. Elles consistent en l’établissement des rapports des ateliers par le secrétariat et les communications des soumissions des États parties et des observateurs. À ce jour, trois ateliers ont été réalisés, soit en décembre 2018, en mai 2019 et en novembre 2019. Ont participé aux débats et apporté leur contribution des organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food Alimentation Organization ou FAO), la Coopérative pour l’assistance et le secours partout au monde (Cooperative for Assistance and Relief Everywhere ou CARE), le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale, connu sous l’acronyme CGIAR (anciennement employé pour désigner le Consultative Group on International Agricultural Research), la Banque mondiale, des mécanismes institutionnels et juridiques du régime du climat comme le Comité de l’adaptation, le Groupe d’experts des pays les moins avancés, le Mécanisme financier avec ses différentes entités et des organisations de la société civile[47].

L’Action commune de Koronivia fixe les grands défis que font peser les changements climatiques sur l’agriculture. Cette action soulève les questions primordiales d’adaptation et de résilience[48]. Elle présente la question importante de la qualité et de la fertilité de même que de la gestion des ressources en eau. Elle réclame de plus un avis sur la dimension socioéconomique des changements climatiques, ce qui montre que la COP a à coeur de mener une réflexion sur la sécurité alimentaire, l’un des principaux défis auxquels font face les pays du Sud. Si nous tenons compte des thématiques pertinentes comme l’amélioration du carbone du sol, la santé des sols, l’utilisation des nutriments, la gestion des effluents d’élevage et l’amélioration des systèmes d’élevage, ce seront pratiquement tous les sujets les plus essentiels qui devront faire l’objet d’un examen approfondi.

Les ateliers déjà réalisés ont permis d’approfondir les thématiques 2a, 2b, 2c et 2d. Le rapport de l’atelier 2a montre que les États parties privilégient une approche à long terme pour la transformation du secteur agricole qui doit être un segment non négligeable de la solution à apporter au défi climatique[49]. Pour le thème 2b concernant l’adaptation, le SBSTA et le SBI ont fait ressortir en conclusion, dans les perspectives d’avenir, qu’il faut un « cadre méthodologique mondial comportant des critères et des indicateurs destinés à la mesure de l’adaptation, des retombées positives de l’adaptation et de la résilience dans le secteur de l’agriculture », et ce, après avoir constaté les difficultés de tous les États parties à se conformer à la mesure[50]. Les animateurs ont remarqué, en lien avec le thème 2c, que les États parties estiment que la priorité devrait être accordée au carbone du sol, à la santé des sols et à la fertilité des sols dans l’action climatique qui devrait être mise en oeuvre dans le secteur agricole. Ils insistent sur la coopération, le soutien financier, le transfert de technologies et le renforcement des capacités pour permettre à une telle action de se concrétiser et d’être efficace[51]. Ces recommandations et ces réflexions sont des indications claires sur ce que devrait être une action pour l’agriculture dans le régime du climat[52].

Buddhi Marambe considère l’adoption de l’Action commune de Koronivia comme une avancée significative dans le processus des négociations sur l’agriculture dans le régime du climat. Il croit que cette initiative des États parties est la plateforme idéale pour pousser plus loin les politiques liées au climat en se focalisant prioritairement sur l’agriculture[53]. Antonio Bombelli et ses coauteurs déclarent que ce programme spécifique sur l’agriculture, considéré dans le contexte de la CCNUCC, offre un espace et des occasions aux États parties pour s’engager dans de vraies discussions autour des grands défis posés à l’agriculture par les changements climatiques : l’objectif sera de privilégier les actions conséquentes pour les efforts d’atténuation et pour l’adaptation du secteur eu égard à ses vulnérabilités[54]. Ces auteurs s’attendent que l’Action commune de Koronivia joue un rôle déterminant en ce qui concerne la cohérence et la coordination des politiques agricoles sur le climat. Elle permettra éventuellement de préciser les besoins réels en matière de savoir, de développement technologique, de capacités et de financement du secteur dans la lutte contre les changements climatiques[55].

L’Action commune de Koronivia constitue un pas majeur pour la prise en considération de l’agriculture dans le régime juridique du climat. Cependant, comme les avancées notées à Durban et à Bonn, elle ne suffira pas à faire de l’agriculture un élément essentiel du régime juridique international du climat. Ce n’est encore que le début d’un processus. Il faudra attendre la tenue de tous les ateliers prévus dans la feuille de route. À l’issue de ces derniers, il importera alors de s’engager dans l’élaboration d’un vrai plan d’action pour l’agriculture dans le régime juridique international du climat.

2 Quelques réflexions pour un vrai plan d’action destiné à l’agriculture

Le régime juridique du climat devra évoluer vers une meilleure prise en charge de l’agriculture. Il est absolument nécessaire de prendre des décisions courageuses sur ce sujet qui demeure un grand défi pour la planète et une question particulièrement essentielle pour les pays du Sud. Selon nous, il faut continuer à mettre en oeuvre l’Action commune de Koronivia. Cependant, le calendrier d’exécution de la feuille de route a pris du retard. La reprise des ateliers permettra de mieux circonscrire les différents aspects de la problématique en vue de la formulation de propositions concrètes de solution. Idéalement, ce processus devrait conduire à l’élaboration d’un véritable plan d’action pour l’agriculture. Ce sont la rédaction et la mise en oeuvre d’un tel plan que nous proposons dans la seconde partie de notre étude. À notre avis, ce plan devrait inclure une amélioration des conditions et des voies de financement pour permettre aux pays du Sud de respecter leurs obligations et d’avoir les moyens de s’adapter. D’autres mesures devraient aussi être considérées pour le rendre viable. Il conviendra particulièrement, croyons-nous, de garantir la pleine entrée en vigueur du Mécanisme international de Varsovie et d’accorder une plus grande place à l’agriculture dans les projets du Mécanisme pour un développement durable (MDD) et de la Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts (REDD+).

2.1 Assurer la continuité de la mise en oeuvre de l’Action commune de Koronivia pour l’agriculture

Il est important de continuer la mise en oeuvre de l’Action commune de Koronivia. C’est la voie la plus pertinente, concrète et solide pour relever les défis liés aux questions climatiques dans l’agriculture, toujours dans un contexte global. Nous estimons possible de concilier les intérêts divergents sur la question. L’agriculture a le défi de contribuer aux réductions d’émissions de gaz à effet de serre et de s’adapter, tout en augmentant sa production. Elle peut être performante sans pour autant menacer l’environnement ni aggraver l’effet de serre. Leslie Lipper et ses coauteurs croient qu’une transition peut être faite vers des modèles de production agricole en mesure de répondre aux besoins essentiels de l’être humain en matière d’alimentation, mais en réduisant l’empreinte carbone du secteur agricole[56]. C’est une transition de l’agriculture traditionnelle vers une agriculture écologique en mesure de garantir la sécurité alimentaire, et ce, en contribuant aux efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre[57]. Le GIEC indique qu’un changement de comportement des consommateurs devrait aussi aider à atteindre cet objectif[58]. À nos yeux, l’Action commune de Koronivia est un catalyseur des décisions plus importantes en matière d’agriculture : elle permettra de relever le défi d’une agriculture qui s’adapte, réduit ses émissions et assure ainsi un meilleur rendement pour faire face au problème de la sécurité alimentaire.

Pour continuer concrètement la mise en oeuvre de l’Action commune de Koronivia, les États parties devraient établir un plan d’action pour l’agriculture qui se baserait sur trois objectifs majeurs : la sécurité alimentaire, l’atténuation et l’adaptation. Elles pourraient principalement s’appuyer sur les rapports des ateliers faits par le SBSTA et le SBI dans la mise en oeuvre de l’Action commune de Koronivia. Les travaux réalisés autour des premières thématiques révèlent un engagement des États parties et des observateurs pour une vraie action climatique dans l’agriculture. C’est à partir de ces ateliers qui apportent les connaissances scientifiques et proposent les techniques appropriées et les mesures d’accompagnement qu’il sera possible d’élaborer un vrai plan d’action pour l’agriculture qui pourrait prendre la forme d’une décision de la COP à la CCNUCC.

Ce plan d’action devra répondre aux défis du secteur. Il pourrait contenir notamment des directives, des recommandations et des propositions pour l’adaptation du secteur aux changements climatiques dans un objectif de résilience des systèmes sociaux et écologiques ; il devrait également mobiliser l’ensemble des mécanismes de facilitation de la mise en oeuvre du régime du climat, y compris le Mécanisme international de Varsovie, pour sa réalisation. L’approche de l’agriculture intelligente par rapport au climat, qui veut répondre aux objectifs de sécurité alimentaire, d’adaptation et d’atténuation, devrait servir de référence pour un tel plan d’action, mais sans exclure pour autant toute autre stratégie concourant aux mêmes objectifs. Ce sera seulement ainsi que le régime juridique du climat disposera enfin d’une politique claire et définie pour l’agriculture.

En ce qui concerne l’atténuation, il faudrait intégrer dans les objectifs globaux de réduction des gaz à effet de serre la proportion calculée du secteur agricole en fonction du niveau de développement et d’émissions des pays. On devrait proposer un ensemble complet de mesures pour une agriculture plus durable et écologiquement viable en prenant en considération toutes les composantes du secteur agricole : agriculture, élevage, pêche et sylviculture. Le plan d’action pourrait établir des normes précises pour l’exploitation des forêts, l’utilisation des terres et l’élevage. Des mesures concrètes devraient être adoptées pour la réduction des émissions.

En matière d’adaptation et de renforcement de la sécurité alimentaire, le plan d’action devrait mettre en évidence les sources de financement et les voies pour le développement et le transfert de technologies ainsi que le renforcement des capacités dans l’agriculture. L’adaptation des pays du Sud ne pourra pas se faire sans le soutien financier des pays développés et le renforcement des capacités locales. Il ne serait pas question de créer des mécanismes de mise en oeuvre et de facilitation du régime du climat, mais plutôt de prévoir l’établissement de lignes directrices formelles pour l’agriculture dans les projets et les programmes liés à ces mécanismes. Cela aura le mérite de placer l’agriculture dans un meilleur ordre de priorités avec des actions ciblées mais non diffuses comme auparavant. Le financement de l’agriculture, le transfert de technologies et le renforcement des capacités pourront dès lors se faire en fonction de lignes directrices intégrées dans les règles des mécanismes de facilitation et de mise en oeuvre du régime juridique du climat.

Il faudra demander aux États parties d’entreprendre les réformes administratives et législatives axées notamment sur des réformes du régime foncier et du système agraire pour une meilleure résilience des communautés paysannes qui font de l’agriculture leur principale activité génératrice de revenus. L’occupation et l’utilisation des sols de même que l’accès à la terre sont autant de défis à relever qui, s’ils ne font pas l’objet d’une attention particulière, réduiront les capacités d’adaptation des populations locales.

Le plan d’action devrait prévoir enfin une structure institutionnelle formelle pour veiller à l’application de ses mesures et à l’orientation de ses politiques. Elle pourrait prendre la forme d’un comité pour l’agriculture dont la structure, la composition, les fonctions et le mode de recrutement de ses membres seraient établis et fixés dans la décision de la COP qui la créera.

2.2 Améliorer le financement de l’agriculture dans le régime juridique du climat

Un plan d’action pour l’agriculture ne sera jamais une réussite sans un juste financement. L’augmentation de la production agricole pour le renforcement de la sécurité alimentaire devra se faire avec l’introduction de nouvelles normes et de techniques novatrices. En effet, l’adaptation de l’agriculture exige des changements dans les cultures et l’utilisation des sols, une meilleure gestion de l’environnement, la modernisation des systèmes d’irrigation et l’emploi de techniques de pointe pour contrer les parasites et les maladies des plantes[59]. Ces objectifs d’atténuation, d’adaptation et de renforcement de la sécurité alimentaire ne pourront être atteints qu’avec des moyens financiers importants. E. Lisa F. Schipper et Ian Burton exposent qu’il faut des investissements et un financement de l’ordre de 14 milliards de dollars dans ce secteur à l’horizon 2030 pour atteindre de tels objectifs[60].

L’adaptation et le renforcement de la sécurité alimentaire sont particulièrement vitaux pour les pays du Sud, surtout les plus pauvres et les plus vulnérables aux changements climatiques. Malheureusement, les moyens manquent à ces pays pour faire face au phénomène. Leurs stratégies d’adaptation dans tous les secteurs, particulièrement dans l’agriculture, souffrent de cet état de fait[61]. Ils ne peuvent pas se charger de tous les coûts de l’adaptation[62]. C’est pourquoi ils ont besoin d’être appuyés dans leurs démarches et leurs projets. Il leur faut une aide financière sans laquelle ils ne pourront pas atteindre leurs objectifs d’atténuation et d’adaptation. Ce souci répond à une certaine justice climatique. Les premiers responsables du phénomène devront aider à réduire les impacts observés sur des territoires plus pauvres et vulnérables qui, par rapport à leur niveau de développement, n’ont que marginalement contribué au réchauffement général de la planète[63]. L’aide financière s’avère donc un impératif pour permettre aux pays du Sud d’atteindre leurs objectifs, pour bénéficier d’un vrai développement et du transfert de technologies, pour renforcer leurs capacités. Elle répond au principe des responsabilités commune mais différenciées consacré dans le régime du climat, dans tous ses instruments contraignants[64].

Dans les faits, les ressources financières sont des « outils de gestion active » du processus de mise en oeuvre des conventions multilatérales du climat qui aident les pays du Sud à remplir leurs obligations conventionnelles en renforçant leurs capacités et en améliorant la réalisation de leurs projets et initiatives[65]. Le régime juridique du climat, dans ses instruments contraignants et les décisions prises par la COP, a fait des prévisions relativement à cette aide financière. Il a institué un mécanisme financier qui a pour mission de mobiliser des fonds et de faciliter le soutien de cet ordre aux pays du Sud. Ce mécanisme est composé de plusieurs entités dont le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), les trois fonds établis dans les accords de Bonn et de Marrakech, le Fonds spécial pour les changements climatiques, le Fonds pour les pays les moins avancés, le Fonds d’adaptation au changement climatique et, enfin, le Fonds vert pour le climat, créé lors des accords de Cancún en 2011[66].

Cependant, le mécanisme financier du régime juridique du climat est remis en question quant à sa capacité réelle à répondre aux besoins des pays du Sud. Le FEM a surtout priorisé des projets pouvant avoir un impact global direct et immédiat sur l’atténuation des gaz à effet de serre, et n’a accordé que peu d’attention à des projets susceptibles de répondre à des besoins locaux d’adaptation[67]. Dans la conception des projets et le financement accordé, l’intérêt des pays développés qui sont les principaux contributeurs au FEM a été considéré prioritairement. Ces pays privilégient des initiatives allant dans le sens de l’atténuation. Ils visent surtout des résultats portant sur les effets globaux des changements climatiques par la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ils tiennent peu compte de l’adaptation, qui est la principale priorité des pays du Sud, car celle-ci ne bénéficie qu’aux populations locales avec un effet limité à une région ou à un pays[68]. La création du Fonds vert pour le climat n’a pas non plus tenu toutes les promesses espérées. L’objectif chiffré des 100 milliards de dollars prévu dans les accords de Cancún et repris à Paris est un engagement qui demeure vague[69]. La première période de mobilisation des ressources du Fonds vert pour le climat, de janvier 2015 jusqu’en 2019, montre une valeur totale de 18,7 milliards de dollars américains pour les projets mis en oeuvre[70]. Ce résultat est très loin de l’objectif ambitieux des 100 milliards de dollars annuels. La gestion elle-même de toutes les entités du mécanisme financier se révèle problématique en raison de démarches administratives complexes qui découragent les pays du Sud.

Ainsi, il faut améliorer le financement de l’agriculture dans le régime juridique du climat. Les fonds internationaux sont la seule véritable source prévisible de financement de l’adaptation pour les pays du Sud[71]. Quant aux pays développés, ils doivent remplir leurs obligations d’assistance de bonne foi en fournissant un financement suffisant[72]. Pour ce faire, ils peuvent mobiliser les ressources nécessaires et accorder des ressources additionnelles[73]. Ce financement doit se dérouler dans le respect des réalités et des priorités locales[74]. Les pays recevant de l’aide devraient aussi avoir un accès direct aux ressources financières[75]. Ce sont là des conditions essentielles pour aider les pays du Sud dans leurs objectifs d’adaptation de leur agriculture, de renforcement de leur production et de participation aux efforts globaux d’atténuation.

2.3 Garantir l’entrée en vigueur du Mécanisme international de Varsovie sur les pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques

Les changements climatiques entraînent une augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes atmosphériques extrêmes tels que les ouragans, les cyclones ou la sécheresse, sans compter les phénomènes aux effets plus lents comme l’érosion côtière et la salinisation des sols qui causent des dommages parfois irréversibles aux écosystèmes[76]. Les pays du Sud sont les premiers à souffrir des conséquences de ces phénomènes, celles-ci nuisant à tous les secteurs de leur économie, particulièrement l’agriculture avec la dévastation de champs et la destruction de récoltes, sans compter les phénomènes les plus lents qui influent sur le rendement agricole.

Les pays du Sud, dans la recherche d’une justice climatique, ont lutté pour l’adoption d’un mécanisme qui prendra en considération les pertes et les préjudices subis à cause des changements climatiques. L’idée d’un tel mécanisme a divisé les pays du Sud, qui cherchaient une compensation active à ces pertes, et les pays développés, qui refusaient toute idée de responsabilité et de réparation de dommages liés à leurs activités. L’idée de ce mécanisme a pris naissance à la COP 19 à Varsovie[77]. Menés surtout par l’Alliance des petits États insulaires en développement, les pays du Sud ont réussi à imposer la reconnaissance du Mécanisme international de Varsovie dans la décision de la COP 21 et à assurer son insertion dans un accord contraignant, soit l’Accord de Paris, en 2015[78]. Cela constitue une avancée majeure dans la reconnaissance des préjudices subis par les pays du Sud. L’Accord de Paris fait désormais des pertes et des préjudices une thématique à part, distincte de l’adaptation :

Les Parties reconnaissent la nécessité d’éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques, notamment les phénomènes météorologiques extrêmes et les phénomènes qui se manifestent lentement, de les réduire au minimum et d’y remédier, ainsi que le rôle joué par le développement durable dans la réduction du risque de pertes et préjudices[79].

Le Mécanisme international de Varsovie devient ainsi le troisième pilier de l’action climatique, après l’atténuation et l’adaptation, et peut être un outil intéressant en matière de résilience des communautés et des écosystèmes par rapport aux changements climatiques. En raison de la compensation des pertes causées par les phénomènes climatiques extrêmes ou lents, il pourra permettre à ces communautés de se relever plus facilement. Dans l’agriculture, des mesures de compensation ou de réparation seraient déterminantes pour le relèvement de l’économie rurale après les catastrophes. La compensation effective des pertes et des préjudices aidera à l’adaptation dans le secteur de l’agriculture et à la résilience socioécologique.

Cependant, le Mécanisme international de Varsovie, dans l’état actuel de la législation internationale, ne peut pas jouer un grand rôle dans cette résilience. Sandrine Maljean-Dubois précise que ce n’est pas « un mécanisme international de compensation des dommages climatiques basé sur le principe du pollueur-payeur[80] ». En effet, il exclut toute idée de responsabilité et doit plutôt servir à la coopération, à l’alerte et au partage d’informations. Dans la décision qui précède l’Accord de Paris, il est clairement convenu que l’article 8 dudit accord « ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation[81] ». Aucune obligation légale n’est créée pour la compensation des pertes et des préjudices[82].

Pour sa part, Laurence Boisson de Chazournes comprend le Mécanisme international de Varsovie dans ce qu’il joue réellement le rôle d’un « mécanisme de solidarité orienté vers le futur[83] ». Il ne pourra pas servir à compenser les pertes et à réparer les préjudices déjà causés[84]. Aux yeux de Boisson de Chazournes, « les actions de justice climatique en lien avec le Mécanisme de Varsovie se traduisent en grande partie par des activités de gestion de risques, de prévention et de préparation pour pallier d’éventuels dommages[85] ». De son côté, Maljean-Dubois conclut que ce mécanisme, placé dans le contexte de l’adaptation, a essentiellement pour objet « la coopération, l’échange d’information et d’expérience[86] ».

Effectivement, l’Accord de Paris place le Mécanisme international de Varsovie « dans le cadre de la coopération et de la facilitation[87] ». Il a d’ailleurs fixé ces domaines de coopération et de facilitation :

  • En conséquence, les domaines de coopération et de facilitation visant à améliorer la compréhension, l’action et l’appui sont notamment les suivants :

  • a) Les systèmes d’alerte précoce ;

  • b) La préparation aux situations d’urgence ;

  • c) Les phénomènes qui se manifestent lentement ;

  • d) Les phénomènes susceptibles de causer des pertes et préjudices irréversibles et permanents ;

  • e) L’évaluation et la gestion complètes des risques ;

  • f) Les dispositifs d’assurance dommages, la mutualisation des risques climatiques et les autres solutions en matière d’assurance ;

  • g) Les pertes autres qu’économiques ;

  • h) La résilience des communautés, des moyens de subsistance et des écosystèmes[88].

À noter que l’expression « pertes et préjudices » a ainsi été officiellement reconnue pour la première fois dans un accord contraignant[89].

Plusieurs facteurs empêchent le Mécanisme international de Varsovie de jouer un rôle dans l’adaptation et la résilience. Premièrement, aucune structure de financement ne lui est attachée[90]. Deuxièmement, ce mécanisme n’a aucune autonomie. La décision qui l’a créé a prévu un comité pour le piloter, et ce dernier est directement attaché à la COP : « Dote le mécanisme international de Varsovie d’un comité exécutif, relevant de la Conférence des Parties et agissant sous sa direction[91]. » L’Accord de Paris confirmera cette subordination en réaffirmant que le Mécanisme international de Varsovie est placé « sous l’autorité de la Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Accord, dont il suit les directives[92] ». Ainsi conçu, ce mécanisme « n’a aucune autonomie pour contracter, recevoir ou allouer des financements[93] ».

La COP a bien continué à statuer sur le Mécanisme international de Varsovie après la COP 21. Cependant, à la COP 22 et à la COP 23, les décisions prises ne concernent que le fonctionnement et les travaux du comité exécutif du Mécanisme, surtout en ce qui a trait à la mise en oeuvre de son premier plan de travail biennal et de son plan de travail quinquennal glissant[94]. La COP 23 y a seulement inséré le document intitulé Recommandations du rapport du Comité exécutif du Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques, concernant des démarches intégrées propres à prévenir et réduire les déplacements de population liés aux effets néfastes des changements climatiques et à y faire face dans sa décision[95]. Il n’y a pas eu d’avancées majeures permettant de voir que le Mécanisme international de Varsovie deviendrait à moyen terme un vrai mécanisme de compensation pour les pertes et les préjudices liés aux changements climatiques.

Il existe pourtant plusieurs moyens pour assurer l’entrée en vigueur du Mécanisme international de Varsovie. Dans les négociations futures sur le climat, il faudra chercher à lui donner plus d’autonomie dans ses actions et ses décisions. À vrai dire, il devra se transformer en une structure comparable aux entités du mécanisme financier ou des autres mécanismes de facilitation. Cependant, cette autonomie n’adviendra qu’avec l’octroi de moyens financiers pour lui permettre de remplir une mission qui ne sera pas de compenser les pertes et les préjudices, mais plutôt d’assister les pays du Sud après les catastrophes nées des évènements climatiques. Le Mécanisme international de Varsovie pourra mettre au point un ensemble d’outils comme l’assurance agricole, l’assurance indicielle ou la microassurance pour les pertes matérielles et financières. Il jouera à ce moment-là un vrai rôle dans la résilience socioécologique par rapport aux changements climatiques par l’adaptation, notamment dans le secteur de l’agriculture. Enfin, il faudra y intégrer une structure de financement pour qu’il apporte effectivement un soutien aux pays du Sud victimes de pertes et de préjudices, même si ce financement n’est encore considéré à l’heure actuelle que comme une forme additionnelle d’assistance à l’égard des dommages créés par les évènements liés aux changements climatiques[96].

L’entrée en vigueur du Mécanisme international de Varsovie aiderait beaucoup les pays du Sud en ce qui concerne la résilience socioécologique par l’adaptation dans le secteur de l’agriculture. Celle-ci est sans nul doute l’un des secteurs les plus vulnérables aux phénomènes extrêmes causés par les changements climatiques. Un mécanisme destiné à assister les pays du Sud lorsque se produisent ces désastres permettrait audit secteur et aux populations locales de se relever plus aisément après les catastrophes. Ces pays bénéficieraient encore des activités du comité exécutif du Mécanisme international de Varsovie en ce qui a trait à l’accompagnement dans la prévention des risques et le renforcement des capacités de même qu’à l’intégration des risques climatiques dans les projets et les programmes du secteur agricole.

2.4 Accorder une plus grande place à l’agriculture dans les projets liés au Mécanisme pour un développement durable

De son côté, le MDD peut jouer un plus grand rôle dans un plan d’action pour l’agriculture, notamment dans l’adaptation, en révisant ses méthodes, en établissant une distinction selon les projets et les pays visés, surtout en accordant une importance égale aux projets d’atténuation et d’adaptation du secteur. Institué dans l’Accord de Paris, le MDD est une nouvelle mouture du MDP, l’un des trois mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto pouvant vraiment aider les pays du Sud dans l’atteinte de leurs objectifs et l’adoption de stratégies d’adaptation. À noter que le MDD a pratiquement les mêmes objectifs que le MDP. Placé sous l’autorité de la COP, agissant comme réunion des États parties de l’Accord de Paris, le MDD doit « contribuer à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et promouvoir le développement durable[97] ». Concernant précisément l’adaptation dans le contexte de la mise en oeuvre du MDD, l’Accord de Paris reproduit textuellement les dispositions de l’article 12.8 du Protocole de Kyoto. Il demande à la COP qui agit comme réunion des États parties de veiller à ce « qu’une part des fonds provenant d’activités menées au titre du mécanisme » soit utilisée « pour couvrir les dépenses administratives ainsi que pour aider les pays en développement Parties qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques à financer le coût de l’adaptation[98] ».

Le MDD devrait prévoir un financement suffisant pour des projets liés à l’agriculture, ce qui correspond aussi à une façon, dans le cas du régime juridique du climat, d’aider à l’adaptation. Pour cela, il faudrait aller plus loin que l’expérience menée par le MDP. Effectivement, en matière d’agriculture, beaucoup de projets ont été mis en oeuvre dans le contexte du MDP. Cependant, une étude de la Banque mondiale rappelle que ce mécanisme sert surtout à permettre aux pays du Sud d’obtenir un financement pour une atténuation à bas coût[99]. Le secteur agricole n’a donc bénéficié que d’un financement marginal[100]. À l’heure actuelle, les projets du MDP sur l’agriculture sont peu nombreux et se concentrent surtout sur l’atténuation. La Banque mondiale décrit en outre une structure institutionnelle et des règles complexes de mise en oeuvre qui ne favorisent pas les projets agricoles. Ainsi forgée, cette structure s’opposerait même à l’élaboration de projets liés aux modes d’utilisation des terres[101].

Tout en reconnaissant que les secteurs les plus attractifs pour les MDP restent celui de l’énergie et le secteur industriel, Stefan Bakker et ses coauteurs expliquent qu’il est possible de répartir des projets MDP vers d’autres secteurs sous-représentés comme le transport, la construction, l’agriculture et la foresterie. Une partie des allocations pourra leur être accordée[102]. John R. Beddington et ses coauteurs, qui font des projections sur la place de l’agriculture après Durban, disent en outre qu’il faut des processus pour assurer plus d’investissements en vue de l’atténuation et de l’adaptation dans le secteur agricole[103]. Robert W. Adler, pour sa part, prône la mise en oeuvre de projets concourant à l’atteinte des deux objectifs d’atténuation et d’adaptation et il réclame davantage d’efforts des pays développés en ce qui a trait à l’assistance aux pays les plus vulnérables dans leurs efforts d’adaptation[104]. À travers le MDD, il faudra améliorer le financement des projets pour l’agriculture et les orienter plus souvent vers l’adaptation. Le MDD pourra efficacement aider à cet égard. Ses projets pourront toujours permettre aux pays du Sud d’obtenir le financement et de développer les capacités techniques pour une agriculture intelligente par rapport au climat, soit le modèle proposé par le système des Nations Unies, qui contient à la fois les objectifs d’atténuation et d’adaptation avec un focus sur la résilience des systèmes écologiques et humains.

Prônant une meilleure intégration de l’agriculture dans les projets MDP, pour son adaptation et pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, Clothilde Tronquet et Claudine Foucherot souhaitent la prise en considération de l’agriculture dans la REDD+. Se penchant sur les perspectives de l’agriculture dans les négociations climatiques internationales, elles justifient une telle proposition par la similitude des questions agricoles et des questions forestières. Les deux secteurs relèvent de l’usage des sols, participent à l’effet de serre et sont des puits et des réservoirs de carbone[105]. Ces auteures vont encore plus loin en préconisant la création d’un programme comme la REDD+ consacré à l’agriculture. Ce nouveau programme s’en inspirerait, notamment « en valorisant les travaux réalisés dans les programmes de travail consacrés au financement sur résultats ou encore en reprenant le cadre méthodologique et MRV utilisé par la REDD+[106] ».

Selon nous, les propositions d’intégration de projets liés à l’agriculture dans la REDD+ et la mise au point d’un mécanisme similaire pour l’agriculture sont pertinentes. Un tel mécanisme faciliterait des projets de lutte contre l’érosion, la dégradation des terres et la désertification. Il devrait permettre au secteur agricole de recevoir une considération particulière avec un financement, une coopération technique et un renforcement des capacités des pays du Sud qui accueillent de tels projets. Ces pays pourraient alors s’appuyer, pour l’adaptation de leur agriculture, sur un mécanisme spécialement prévu à cet effet.

Conclusion

Secteur d’activité responsable d’émissions de gaz à effet de serre et surtout très vulnérable aux changements climatiques, l’agriculture est un moteur de la croissance des pays du Sud et l’une des principales activités économiques de leurs populations rurales. Les initiatives pour l’agriculture ne sont pas nombreuses dans le régime juridique du climat, et les négociations sur le climat ont été des plus difficiles. Avant l’Accord de Paris, on compte peu d’initiatives qui touchent l’agriculture, bien que son rôle dans les émissions de gaz à effet de serre et surtout la nécessité de son adaptation aient été reconnus. Le régime a certes évolué vers une meilleure prise en considération de cette problématique. Il y a eu notamment un grand pas fait à Durban qui a vu pour la première fois l’agriculture inscrite dans une décision de la COP[107]. Il aura fallu néanmoins attendre l’Action commune de Koronivia pour que se profile une initiative majeure en faveur de l’agriculture. C’est en réalité la première grande décision sur l’agriculture prise par la COP à la CCNUCC et elle demande un examen approfondi de la question avec des paramètres et des sujets pertinents allant des questions économiques à la sécurité alimentaire, en passant par l’adaptation et la résilience. Cette décision ne peut cependant pas se suffire à elle-même sans un plan d’action bien défini avec des mesures concrètes d’application. Beaucoup reste donc à faire. Des actions portant par exemple sur le financement, l’orientation d’un plus grand nombre de projets MDD vers le secteur agricole et l’entrée en vigueur du Mécanisme international de Varsovie sont à favoriser pour accompagner la mise en oeuvre de l’Action commune de Koronivia afin que le régime juridique international du climat apporte une réponse appropriée aux grands défis que les changements climatiques posent à l’agriculture.