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La dernière réforme de l’organisation judiciaire et juridictionnelle initiée par la Loi no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice[1] constitue une nouvelle étape dans la modélisation du procès civil français. Se situant après la réforme de l’appel[2] mais bien avant celle de la Cour de cassation[3], la loi du 23 mars 2019 réorganise la répartition des contentieux en première instance en créant, tout d’abord, une nouvelle juridiction : le Tribunal judiciaire. Issu d’une fusion entre le Tribunal d’instance (ancienne juridiction compétente pour traiter des contentieux civils dont les montants sont inférieurs à 10 000 euros[4]) et le Tribunal de grande instance (ancienne juridiction de droit commun en première instance[5]), le Tribunal judiciaire français désigne donc la juridiction de première instance de droit commun, compétente en matière civile, pénale et commerciale — sans équivalent en droit canadien ni en droit québécois[6]. Les procédures propres aux anciennes juridictions ont dû être harmonisées en respectant l’objectif affiché de la réforme : simplifier et moderniser la procédure[7]. À cette fin, une trentaine de propositions plus ou moins innovantes ont été faites parmi lesquelles l’accélération du traitement dématérialisé des litiges, la mise en place d’un mode de saisine unique de la juridiction ou encore l’incitation accrue à privilégier les modes amiables de résolution des litiges. Quant aux conséquences procédurales de la création du Tribunal judiciaire, l’harmonisation nécessaire des anciennes procédures a été conçue dans une optique d’« unicité des circuits procéduraux » qui vise, officiellement, à dépasser le « clivage traditionnel » entre procédure écrite et procédure orale… en érigeant la première en procédure de droit commun et en reléguant la seconde au rang de procédure optionnelle[8].

Jamais encore la procédure orale en matière civile n’avait été aussi réduite à peau de chagrin. En France, la procédure orale est en principe la procédure applicable lorsque les parties sont dispensées de constituer avocat, c’est-à-dire en l’absence de représentation obligatoire[9] justifiant de fait un formalisme allégé. Il convient de préciser à ce stade que, en l’absence de phase de contre-interrogatoire (cross examination) dans le système français (qui constitue pourtant le coeur de l’oralité des systèmes accusatoires), la discussion des preuves lors d’une audience civile ne constitue pas le centre du débat[10] ni celui de la procédure orale. Originairement conçue dans son rapport à l’accès à la justice, son régime a été institutionnalisé dans l’Hexagone il y a à peine dix ans avec la création des articles 446-1 à 446-4 du Code de procédure civile français[11] par le Décret no 2010-1165 du 1er oct. 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale[12]. La littérature de l’époque[13] témoigne de l’aspect novateur de la codification des règles propres à la procédure orale mais également des difficultés rencontrées dans leur application. Le régime de base de la procédure orale revêt les caractéristiques suivantes : on ne peut saisir le juge de ses prétentions et des moyens à leur soutien qu’en les présentant oralement [article 446-1 du Code de procédure civile], ce qui impose une présence physique des parties [ou de leur représentant habilité] à l’audience, et interdit de prendre en compte un écrit auquel une partie ne fait pas référence orale à l’audience[14].

Au niveau jurisprudentiel, un certain nombre d’arrêts de la plus haute juridiction française rappellent — ou précisent encore — aux juges du fond le régime de l’oralité du procès civil[15]. Il en ressort que les principales difficultés d’application résident dans les conséquences de l’absence d’une partie à l’audience et, a fortiori, dans la prise en compte des écrits dans une procédure où seule la parole lie, en principe, le juge[16].

Au niveau doctrinal, parmi les difficultés relatives à l’oralité du procès civil se retrouve le débat, récurrent, des avantages et des inconvénients de la procédure orale[17]. Source d’insécurité en raison de son caractère « versatile et volatile[18] », l’oralité serait difficilement articulable avec les principes fondamentaux que sont le respect du contradictoire (en raison, notamment, de la présomption, simple[19], du respect du contradictoire des prétentions[20], des moyens et des pièces débattus à l’oral dès lors qu’ils sont consignés dans le procès-verbal d’audience), le principe d’égalité des armes (en cas de défaut d’assistance ou de représentation de l’une des parties), voire l’exigence d’impartialité[21]. Contrairement à son voisin anglais où le caractère oral du procès en fait sa particularité[22], en France, le déclin de l’oralité du procès — au moins en matière civile — est devenu un constat trop banal[23] pour être rappelé. À l’instar de l’évolution du système judiciaire espagnol qui, en 2003, a réaffirmé son attachement au procès oral en ouvrant la porte de ses prétoires aux vidéos de surveillance[24], seule l’introduction des modes numériques semble redonner un nouveau souffle au débat français[25]. La crise sanitaire a surtout accéléré le déploiement de la technologie au sein des tribunaux[26] avec, par exemple, la normalisation des audiences tenues en visioconférence par décision non susceptible de recours et la possibilité, en cas d’empêchement technique ou matériel, d’entendre les parties et leurs avocats par « tout moyen de communication électronique, y compris téléphonique[27] ». Pourtant, malgré l’admission d’une possibilité de présence virtuelle des parties, une autre réforme intervenue dans la lignée de la publication de la loi du 23 mars 2019 — et donc initiée avant la pandémie de COVID-19 — interpelle : il s’agit de la suppression, pure et simple, des audiences civiles[28]. L’oralité en procédure civile semble, dès lors, vouée à disparaître… ou à se transformer ? Plusieurs fois déjà, les prédictions françaises de sa disparition se sont révélées infondées. En réalité, la description du régime posé aux articles 446-1 et suivants du Code de procédure civile ne concerne que la procédure orale. Or, la procédure orale se distingue de l’oralité : celle-ci transcende le procès civil en général, et ne saurait relever exclusivement d’une procédure particulière[29]. Même dans une procédure écrite, les débats oraux sont un droit reconnu aux parties[30]. Et, quand bien même on s’en tiendrait à une conception strictement technique de la procédure orale, la disparition des audiences implique-t-elle, nécessairement, la fin de sa mise en oeuvre ? La réponse apportée par le législateur français tend vers la négative : en dépit de la possibilité de traiter un contentieux sans audience, les dispositions des articles 446-1 à 446-4 du Code de procédure civile sont, pour l’instant, maintenues.

Quoi qu’il en soit, l’oralité ne doit surtout pas être réduite à la seule parole ni à la seule présence du justiciable. Les trois éléments identifiés ci-dessus par la professeure Natalie Fricero (parole, présence, irrecevabilité de l’écrit) forment sans doute des critères de mise en application du régime procédural français (concentré dans les articles 446-1 et suivants du Code de procédure civile), mais ne suffisent pas à en donner une définition. D’un point de vue technique, les technologies modernes offrent en effet de nouveaux moyens de communication, mélangeant écrit, parole et image, participant à ce que certains dénomment « la troisième voie procédurale de nature hybride[31] » ; la parole est enregistrée, captée pour durer, alors que l’écrit devient spontané, reflétant, jusqu’à une certaine mesure, la tonalité employée, l’émotion partagée de son auteur. Concevoir la procédure orale dans son seul rapport avec l’écrit est donc devenu désuet. Mais, surtout, d’un point de vue fonctionnel, la justification ontologique de l’oralité — et plus particulièrement de la procédure orale — dans son rapport au procès a évolué. Rappelons qu’à l’origine la procédure orale française se conçoit comme un mode d’accès au juge qui ne nécessite pas de représentation[32]. Or, ce dernier a perdu son monopole en matière de résolution des litiges : la diversification des modes de résolution, amiables, juridictionnels, judiciaires ou privés, conduit à offrir davantage de choix aux parties-justiciables désireuses d’obtenir justice. Associée à l’implication grandissante de ces dernières dans le déroulement de leur procédure judiciaire, la diversification des modes d’accès à la justice constitue, selon nous, les deux manifestations contemporaines d’une oralité que nous qualifierons de processuelle : débordant du strict cadre du procès civil, l’oralité ne désigne plus seulement le moment du débat (du procès), mais inclut également les manifestations de volonté des parties qui ont un impact dans le processus devant mettre fin au litige.

En effet, si le justiciable n’a jamais le dernier mot sur l’issue de son procès, il dispose d’un pouvoir, accru, d’en aménager la procédure : c’est ce que nous entendons dans le présent article par « oralité processuelle », notion élaborée à partir de l’analyse de la procédure civile orale[33]. À la traditionnelle dialectique, qui représente supposément l’art oratoire devant les prétoires français — et, plus largement, dans les pays dotés d’un système un minimum accusatoire —, se substitue ainsi l’idée d’une coopération entre l’institution judiciaire et les parties qui disposent d’un choix dans la procédure applicable. À travers ce prisme, le maintien de la traditionnelle procédure orale ne doit pas étonner en ce qu’elle diversifie, au sein même de l’institution judiciaire, les modes de résolution des litiges — quitte à dénaturer ce qui constitue, selon nous, sa principale particularité : la présence des parties (partie 1). De la même manière, la réduction des contentieux soumis à la procédure orale du fait de la généralisation de la représentation obligatoire n’induit pas, nécessairement, une diminution du domaine de l’oralité : celle-ci semble être au contraire renouvelée par la diversification des modes de résolution des conflits. Ce faisant, la fonction primaire de la procédure orale qui est de permettre l’accès à la justice est assurée au travers de l’oralité processuelle (partie 2).

1 Procédure orale et présence des parties

En France, la caractéristique essentielle de la procédure orale « classique[34] » (c’est-à-dire sans dispense de présentation des parties ni recours à l’écrit) reste la présence des parties au jour de l’audience. Depuis le décret no 2010-1165 du 1er octobre 2010 visant à consolider les échanges entre les parties, ces derniers peuvent aussi être écrits : c’est ce que certains auteurs dénomment d’ailleurs l’oralité « moderne[35] ». Cette hybridation entre la parole et l’écriture a toutefois souffert de son succès, entraînant l’affaiblissement de l’exigence de présence des parties (1.1). De surcroît, et comme tout principe, la présence des parties souffre d’exception(s) tenant au(x) pouvoir(s) offert(s) aux justiciables dans l’aménagement des modalités de comparution personnelle (1.2).

1.1 L’exigence de présence des parties à l’audience

L’introduction de l’écrit en procédure orale impose encore de réfléchir au rôle accordé à la présence des parties au jour de l’audience. En effet, cette obligation légale intrinsèque à la procédure orale classique, qui impose aux parties d’énoncer verbalement leur requête au juge, est relativisée par la possibilité de recourir, sous certaines conditions, aux écrits. Non seulement le contenu et la forme de l’obligation présentielle des parties s’en trouvent transformés (1.1.2), mais sa raison d’être également : de modalité processuelle, la présence des parties semble être réduite progressivement à une condition de recevabilité des écritures (1.1.1).

1.1.1 Une condition de recevabilité des écritures.

Dans son acception processuelle générale, la présence des parties peut se définir comme « le fait de se trouver personnellement et physiquement dans le lieu où se déroule l’opération procédurale entendue comme le processus de réalisation d’une action de nature procédurale[36] ». En dépit de leur lien, la présence se distingue de l’oralité[37] en ce que la première n’est qu’une modalité d’organisation de la seconde : l’oralité des débats peut être assurée sans présence physique — avec le recours, par exemple, à la visioconférence. En réalité, le droit français ne mentionne pas la présence des parties ; il exige, en revanche, que ces dernières « présentent oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien » ou se référent « aux prétentions et [aux] moyens qu’elles auraient formulés par écrit[38] ». Ainsi, à défaut d’exigence légale de présence physique ou personnelle des parties requise en droit français, l’oralité de la procédure soumise aux exigences des articles 446-1 et suivants du Code de procédure civile peut aussi être assurée par la représentation, alternative à la présence en personne des parties. Il ressort donc de ces textes que les modalités de présence des parties au jour de l’audience importent peu du moment où ces dernières formulent oralement leur demande en justice.

A priori évidente, l’affirmation selon laquelle seule la prise en compte de la parole caractérise la procédure orale ne l’est pas tant que ça. En droit français, plusieurs exceptions peuvent être recensées en ce sens.

Tout d’abord, si la présence assure un lien processuel et que le juge civil est lié uniquement par la parole des parties en procédure orale, il n’en reste pas moins saisi par une demande écrite, puisque les demandes en justice sont formées soit par assignation, soit par requête[39]. La demande en justice française est définie en matière civile comme l’acte par lequel le plaideur prend l’initiative d’un procès en soumettant sa prétention au juge[40], nonobstant la nature, écrite ou orale, de la procédure suivie. Les avantages d’un acte de saisine écrit sont évidents : même dans les États qui permettent une saisine verbale de la juridiction, la demande faite à l’oral est consignée par écrit par le fonctionnaire de justice[41]. Pourtant, comment expliquer, en procédure orale française, que la demande initiale doive être adressée par écrit par le demandeur, alors que les prétentions et les moyens qu’elle contient devront nécessairement être formulés oralement sous peine de caducité[42] ?

Pour rappel, l’acte introductif d’instance illustre la première étape d’accès au juge, puisqu’il permet la saisine de la juridiction. En France, cet acte dispose de conditions de validité autonomes et, a fortiori, d’une existence autonome. Il permet de fixer le point de départ des délais suspensifs, voire interruptifs de prescription au jour de l’enregistrement de la demande au greffe[43], de fixer le point de départ des intérêts moratoires[44], et ses règles de forme sont indépendantes du caractère oral ou écrit de la procédure[45]. En d’autres termes, l’acte introductif d’instance crée le lien d’instance, mais ne saisit pas, en procédure orale française, le juge des demandes qu’il contient : la construction jurisprudentielle du régime de la procédure orale implique que seule la parole lie le juge[46]. Selon le professeur Yves Strickler[47], il faudrait distinguer la nature procédurale ou matérielle (au sens de droit substantiel) de l’acte judiciaire que doit effectuer le justiciable : l’oralité de la procédure instituée à l’article 446-1 du Code de procédure civile ne concerne en effet que les actes permettant « d’alléguer une prétention » (acte matériel), c’est-à-dire permettant de défendre son action en justice[48]. Ainsi, en tant que modalité d’expression de l’action en justice, et finalité de l’exigence de présence des parties, l’obligation de formuler oralement sa prétention conduit à interroger le rôle procédural de la parole en procédure orale.

C’est au niveau des sanctions attachées au défaut de présence des parties à l’audience que se dessine le mieux le rôle procédural assigné à la parole du justiciable. Plusieurs cas de figure sont à distinguer selon la personne défaillante — dans le cadre d’une procédure orale classique. En premier lieu, si seul le demandeur ne comparaît pas sans motif légitime, l’article 468 du Code de procédure civile énonce trois possibilités : le juge peut trancher au fond si le défendeur le demande[49] ou encore il peut renvoyer l’affaire ou d’office déclarer la situation caduque. S’il décide de trancher, les éventuelles écritures du demandeur sont déclarées irrecevables, à condition que ce dernier ait été informé du caractère obligatoire de sa présence à l’audience[50]. En deuxième lieu, si seul le défendeur ne se présente pas à l’audience alors qu’il a été régulièrement convoqué, les éventuelles demandes et les moyens formulés dans ses écritures ne saisissent pas non plus le juge[51]. La formule est devenue classique : en procédure orale, le dépôt des conclusions par une partie qui, dûment convoquée, n’a pas comparu ni ne s’est fait représenter, ne peut suppléer un défaut de comparution[52]. Le magistrat doit donc statuer uniquement sur la demande déposée par le demandeur et n’y faire droit que dans la mesure où celle-ci est régulière, recevable et bien fondée[53]. La logique inhérente à la sanction du défaut de présence des parties ne se complique que lorsqu’aucune des parties ne se présente devant le juge. Ce dernier ne peut statuer au fond, puisqu’il n’est en principe saisi d’aucun moyen ni d’aucune prétention. Si, en principe, la sanction de la caducité s’impose pour défaut de comparution[54], on trouve parfois quelques décisions des juridictions du fond qui privilégient la radiation pour défaut de diligence des parties qui ne se seraient pas présentées devant le juge[55]. En appel, cette configuration empêche le juge de statuer au fond, sous peine de violation de l’article 468 (relatif à la caducité) du Code de procédure civile[56].

Quant aux écritures envoyées au juge aux fins de suppléer l’absence du requérant au jour de l’audience, elles sont formellement déclarées « irrecevables[57] ». Ce terme constitue, selon nous, un abus de langage au même titre que l’usage des termes « conclusions » et « comparution » pour désigner les actes propres à la procédure orale[58]. En effet, en France, la notion d’irrecevabilité en procédure civile a trait à l’action en justice ; or, le défaut de présence des parties en procédure orale n’influence pas le bien-fondé du droit d’agir et n’est pas sanctionné par une fin de non-recevoir. Le vocabulaire utilisé est pourtant trompeur : lorsqu’il est dit que la « demande » ou le « moyen » ne « saisit » pas le juge en raison du défaut de présence de la partie à l’audience[59], le risque est d’assimiler la présence comme condition de recevabilité de la demande en justice (au même titre que la prescription ou la qualité à agir), et ce, d’autant plus que l’absence de saisine de la juridiction peut être sanctionnée par une fin de non-recevoir[60]. À notre sens, il serait préférable de parler d’« opposabilité » des écritures dans la procédure orale conditionnée à leur réitération verbale au jour de l’audience.

Ce dernier aspect conduit à envisager le contenu de l’obligation de présence des parties en procédure orale : que signifie, concrètement, présenter oralement une demande ?

1.1.2 Contenu et forme de l’obligation de présence : la présentation de la prétention

Très logiquement, l’obligation de présence des parties provient de la nature orale de la procédure, et non l’inverse. Afin de faciliter l’accès à la justice, la procédure orale permet aux justiciables de se rendre soit en personne, soit assistés ou représentés par un tiers, professionnel ou non (par exemple, en matière prud’homale) devant un juge. La présence personnelle des parties doit permettre un échange verbal avec le tiers arbitre : elles peuvent lui faire part de leur requête et présenter les arguments en leur faveur. Elles doivent répondre aux questions du juge et peuvent formuler leurs observations[61]. Du côté du magistrat, celui-ci peut leur poser des questions pour éclairer les faits de l’affaire. En théorie, la forme des échanges que suppose l’oralité privilégie donc le dialogue entre chaque protagoniste du procès.

En procédure orale, ce dialogue est d’autant plus important qu’il fixe le contenu du litige, lequel peut évoluer jusqu’à la clôture des débats[62]. En procédure orale classique, aucune limite, formelle ou substantielle, n’est posée à ces échanges, si ce n’est le respect du contradictoire[63]. Sans nous attarder sur les bienfaits, bien connus, du dialogue entre les parties et le juge dans la découverte de la vérité factuelle, nous tenons à souligner que la présence de ces dernières au jour de l’audience s’apprécie également au niveau de l’office du juge. Bien qu’il soit identique dans les textes en procédure orale et en procédure écrite, l’office du juge peut, en pratique, légèrement différer. À condition, bien évidemment, que les magistrats aient connaissance du dossier à traiter en amont de l’entrevue, il n’est pas rare qu’à l’audience ils « incitent » les justiciables non représentés ni assistés à formuler correctement leur demande — sans pour autant faire preuve de partialité[64] : « Plus largement, les parties sont admises à exposer leur affaire oralement, en toutes ses composantes, sous l’oreille attentive du juge qui devra, le cas échéant, guider, aider, réorienter le plaideur d’un jour afin de rendre les débats utiles[65] ». En langage populaire, il revient au plaideur de « saisir la perche » qui lui a été tendue. Concernant le droit, ce dialogue, qui n’est d’ailleurs pas exclusif de la procédure orale en ce qu’il concerne la phase d’audience (les fameux débats (hearings) des pays de common law), éclaire le juge sur la volonté réelle du plaideur qui n’est dès lors plus lié par la langue juridique : il permet, en d’autres mots, d’investir pleinement le juge de son devoir de (re)qualification qu’il tire de l’article 12 du Code de procédure civile. Ainsi, contrairement aux obligations imposées au justiciable non représenté en droit québécois, aucune obligation n’est faite au justiciable français de connaître des notions de droit substantiel[66]. Enfin, concernant l’établissement des faits, la présence des parties à l’audience complète leur récit écrit ; dans les contentieux plus simples et/ou avec beaucoup d’affects, leur attitude peut emporter la conviction du juge sur les points les plus ambigus.

Or, dans la pratique, le justiciable est bien souvent représenté ou assisté par son conseil et, dans ce cas, l’exigence de présenter oralement sa demande ou sa défense n’équivaut pas à une obligation de plaider[67]. Lorsque les parties sont représentées par avocat, ces derniers peuvent se contenter de viser les écritures déposées au greffe ou au jour de l’audience[68] : « Le débat oral constituerait ainsi non une obligation, mais une facilité offerte aux parties, dont elles pourraient, à leur guise, profiter ou non ; et si elles préféraient s’en remettre à leurs conclusions écrites, il suffirait alors qu’elles comparaissent pour que le principe d’oralité de la procédure soit respecté[69] ».

Lorsque chacune des parties est représentée par son conseil, leurs écritures déposées — l’utilisation du terme « conclusions » au sein de l’article L. 446-2 du Code de procédure civile, en principe propre à la procédure écrite, témoigne d’ailleurs du transfert de régime de la procédure écrite en procédure orale — sont soumises à des règles de forme comparables à celles imposées pour les conclusions récapitulatives[70], et le juge ne peut statuer que sur les prétentions contenues dans le dispositif, c’est-à-dire dans la dernière partie de l’écrit contenant les prétentions sur lesquelles le juge doit se prononcer[71]. Lorsque les parties ne sont pas représentées, aucune exigence ne s’impose dans la forme de leurs écritures, et elles peuvent décider de recourir aux conclusions récapitulatives si elles le souhaitent.

En réalité, l’image romancée d’un dialogue entre les parties sous l’oreille attentive du juge cède bien souvent la place à la lecture expresse des écritures respectives des parties (déposées préalablement au jour de l’audience) accompagnée parfois de quelques questions posées par le juge[72]. Parfois réduite à une simple obligation de référence[73], l’obligation de présence implique de moins en moins un échange et consiste plutôt en une présentation des situations respectives des parties, lesquelles n’ont plus qu’une obligation de viser leurs écritures.

Dans ces conditions, plusieurs auteurs français ont appelé à la suppression de la « comparution obligatoire » des parties au regard de l’« incohérence du système […] qui se satisfait d’une présence quasi muette[74] ». L’utilité même des débats oraux a été remise en cause, cantonnée dans le rapport très pragmatique budget de la justice / défense du justiciable[75]. Ce déclin de la parole se constate tout autant en procédure orale qu’en procédure écrite[76] en dépit de la reconnaissance, par la Cour de cassation, du droit des parties à un débat oral[77]. Si certains pointent du doigt l’inadéquation du régime induit par la représentation des parties avec la raison d’être de la procédure orale[78], c’est-à-dire une procédure flexible et proche du justiciable, d’autres appellent plus généralement à la suppression de la plaidoirie en matière civile[79], peu importe la nature de la procédure suivie. En France, l’oralité des débats semble passée de mode, allant jusqu’à provoquer de vives polémiques entre praticiens : lorsque les avocats accusent les juges d’avoir programmé la disparition de la plaidoirie en leur imposant des temps de parole de plus en plus restreints[80], les juges leur reprochent de s’écouter parler[81], pendant que certains universitaires ménagent la chèvre et le chou, déployant les arguments circonstanciels — bien souvent les contraintes matérielles — pour expliquer qu’en ce qui concerne la disparition des débats oraux, il en va de l’intérêt des justiciables[82].

Ces débats illustrent le glissement de terrain, du juridique au politique, de la problématique de l’oralité dans le procès civil. Dans le paradigme contemporain, l’oralité classique n’en sort pas gagnante. Mais, face à l’impossibilité de supprimer le débat oral[83], seul rempart encore existant contre la déshumanisation de la justice, la seule solution est de le rendre facultatif : en proposant des alternatives, le législateur perpétue l’illusion du choix offert au justiciable, ce qui rend la disparition de ce type de débat d’autant plus légitime.

1.2 Les alternatives à la présence des parties.

Profitant des failles de l’institution et prétextant son échec à fonctionner dans les délais impartis, le législateur français a offert aux parties la possibilité, avec leur accord, d’être dispensées d’audience. On notera que cette nouveauté a été complétée un an plus tard, presque jour pour jour, par l’Ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété[84] qui, pour répondre à l’aménagement nécessaire du procès civil en raison de la pandémie de COVID-19, a étendu, temporairement, la dispense d’audience à l’initiative du juge (1.2.2). Rétrospectivement, la dispense d’audience en procédure orale était déjà en germe depuis 2010, date à laquelle a été généralisée la dispense de présentation des parties à l’audience (1.2.1).

1.2.1 De la dispense de présence…

En France, l’officialisation du recours à l’écrit en procédure orale telle qu’issue du décret no 2010-1165 du 1er octobre 2010 était novatrice à l’époque et avait réussi, selon certains auteurs, à instaurer « un équilibre subtil entre l’écrit et l’oral[85] » dans les procédures soumises au régime des articles 446-1 à 446-4 du Code de procédure civile. Sous couvert d’une sécurisation des échanges[86], le recours à l’écrit a permis, en contrepartie, d’instaurer une dispense de présentation à l’audience[87]. L’actuel article 446-1 al. 2 du Code de procédure civile énonce ce qui suit : « Lorsqu’une disposition particulière le prévoit, les parties peuvent être autorisées à formuler leurs prétentions et leurs moyens par écrit sans se présenter à l’audience. Le jugement rendu dans ces conditions est contradictoire. Néanmoins, le juge a toujours la faculté d’ordonner que les parties se présentent devant lui. » Cette première dispense, dite judiciaire en ce qu’elle doit être autorisée par le juge, nécessite toutefois qu’une disposition particulière la prévoit, ce qui a d’ailleurs justifié, jusqu’en 2017, son inapplicabilité en matière prud’homale[88]. Illustration de ce que certains nomment l’« oralité moderne[89] » par opposition à l’« oralité classique[90] » (procédure orale dans laquelle l’écrit ne joue qu’un rôle conditionné à sa réitération orale) et à l’« oralité post-moderne[91] » (procédure orale dans laquelle les écrits sont automatiquement pris en compte à la date de leur échange à partir du moment où le juge les a organisés ; dans cette hypothèse, toutefois, l’organisation des échanges n’entraîne pas, a priori, de dispense de présence[92]), la dispense de présentation implique de reconnaître une valeur juridique aux écrits déposés par les parties et qui deviennent, par l’effet d’une fiction judiciaire, des instruments de l’oralité.

Trois cas de dispense légale de présentation existent dans la procédure civile orale française[93]. La dispense judiciaire, quant à elle, a pour domaine de prédilection la mise en l’état de l’affaire — la phase de disclosure du procès civil anglais[94]. En effet, l’article 446-2 du Code de procédure civile prévoit que lorsque les débats sont renvoyés à une audience ultérieure, le juge peut organiser les échanges entre les parties et fixer les modalités de communication des pièces après avoir recueilli leur avis et leur accord. Pour autoriser les parties à procéder à la mise en état écrite de leur affaire, il est donc nécessaire que les parties aient comparu au moins une première fois devant le tribunal. De manière cohérente, cet aménagement de la mise en état par écrit en procédure orale reste soumis au principe du contradictoire entre les parties : ainsi, le juge qui constate qu’une des parties a tardé à soulever un moyen nouveau — en l’espèce, la veille de l’audience — ne doit pas l’écarter du débat, mais renvoyer l’affaire à une prochaine audience en application de l’article 16 du Code de procédure civile (principe du contradictoire)[95].

La mise en état de l’article 446-2 du Code de procédure civile, en permettant une organisation des échanges entre les parties sous le contrôle du juge et avec leur accord — la mise en état dite « matérielle[96] » de l’affaire —, illustre un premier degré d’implication, de collaboration, entre le magistrat et les parties. Cet équilibre entre le traditionnel aspect inquisitorial de la procédure civile française (en comparaison des pays appliquant la common law, du fait du poids accordé au juge dans la conduite de l’instance) et l’implication grandissante des parties dans la modélisation de leur procédure illustre, à notre sens, un des aspects de la gestion des affaires civiles (civil case management[97]) à la française. À ce titre, il importe de relever que la tendance outre-Manche est, au contraire, au transfert de la responsabilité de la gestion de l’instance civile des justiciables et de leurs conseils vers les juridictions[98]. À l’inverse, la procédure civile française tend plutôt à impliquer davantage les parties dans l’acheminement et la préparation de leur dossier. En effet, la parole du justiciable, essentielle à la découverte des faits, a évolué en amont de l’audience : si elle n’est plus systématiquement requise au moment des débats, elle connaît un regain d’intérêt dans la préparation de la confrontation. Un degré supérieur de prise en compte de la volonté de ce dernier dans l’agencement de son procès a encore été franchi par le renforcement du dispositif conventionnel qu’est la convention de procédure participative[99]. Conclue pour une durée déterminée, elle se définit comme « une convention par laquelle les parties à un différend s’engagent à oeuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ou à la mise en état de leur litige[100] ». Encore peu utilisé en pratique, l’aménagement conventionnel de la mise en état peut conduire, selon la décision des parties, à l’affranchissement du magistrat dans la gestion de l’instruction, laquelle devient dès lors la « chose des parties ». La convention de procédure participative peut être conclue quelle que soit la nature de la procédure[101], du moment que les parties sont, a minima, assistées par avocat[102]. L’article 1546-1 — créé par le décret no 2017-892 du 6 mai 2017[103] précité et modifié par le décret no 2019-1333 du 11 décembre 2019[104] — du Code de procédure civile dispose ainsi :

Les parties peuvent conclure une convention de procédure participative aux fins de mise en état à tout moment de l’instance.

Lorsque les parties et leurs avocats justifient avoir conclu une convention de procédure participative aux fins de mise en état, le juge peut, à leur demande, fixer la date de l’audience de clôture de l’instruction et la date de l’audience de plaidoiries. Il renvoie l’examen de l’affaire à la première audience précitée. À défaut de demande en ce sens, le juge ordonne le retrait du rôle.

La signature d’une convention de procédure participative aux fins de mise en état vaut renonciation de chaque partie à se prévaloir d’une fin de non-recevoir, de toute exception de procédure et des dispositions de l’article 47 du présent code, à l’exception de celles qui surviennent ou sont révélées postérieurement à la signature de la convention de procédure participative.

Si l’expression « clôture d’instruction » est malaisée en procédure orale (l’« instruction » étant, en droit français, propre aux procédures écrites) et résulte sans doute d’une confusion du législateur[105], la convention de procédure participative de mise en état peut bien être conclue devant toute juridiction, nonobstant la nature de la procédure suivie[106], y compris dans les procédures avec dispense d’audience[107]. Toutefois, plusieurs divergences sont à relever dans les modalités de la mise en état des affaires relevant respectivement des articles 446-2 et 1546-1 du Code de procédure civile. Tout d’abord, l’hypothèse légale de la mise en état écrite de la procédure orale n’empêche pas les parties de soulever une fin de non-recevoir ou une exception de procédure[108] — contrairement au mécanisme conventionnel. Ce dernier point mérite une attention particulière en ce qu’il est garanti par l’obligation faite au juge de ne statuer que sur les dernières prétentions qui lui sont soumises à l’oral (à condition évidemment qu’elles aient été intégrées dans les échanges entre parties) ; ce n’est qu’une fois soutenues oralement que, par effet rétroactif, leur date devient celle de leur communication entre parties[109]. Ensuite, et ainsi que le fait remarquer le professeur Loïc Cadiet[110], le renforcement du recours à la convention de procédure participative aux fins de mise en état s’inscrit dans une logique libérale, traduisant presque exclusivement la volonté des parties. Dès lors, la prochaine date d’audience sera fixée sur demande des parties, alors que la fixation d’une audience ultérieure est, selon l’article 446-2 du Code de procédure civile, une condition de recours à une mise en état écrite de l’affaire. De surcroît, l’organisation des échanges entre les parties en procédure orale reste le fait du juge après avis des parties ; il conserve une certaine mainmise sur les échanges contrairement à la procédure participative — ce qui justifie, par ailleurs, la nécessité pour les deux parties d’être assistées ou représentées par un avocat.

La possibilité de recourir à la convention de procédure participative aux fins de mise en état est donc une option de plus offerte aux parties dans la modélisation, l’organisation, la structuration de leur procès… option à laquelle s’ajoute dorénavant celle de la dispense d’audience.

1.2.2 À la dispense d’audience

La transformation de la procédure orale française en particulier et de l’oralité du procès civil en général a atteint son paroxysme le 1er janvier 2020, date de l’entrée en vigueur de l’article L. 212-5-1 du Code de l’organisation judiciaire[111] :

Devant le tribunal judiciaire, la procédure peut, à l’initiative des parties lorsqu’elles en sont expressément d’accord, se dérouler sans audience. En ce cas, elle est exclusivement écrite.

Toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande.

Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la mise en place de ces dispenses d’audience a été accélérée et leur recours privilégié à cause de la période de confinement imposée par la crise sanitaire[112]. L’article 8 de l’ordonnance no 2020-304 du 25 mars 2020 adoptée pour adapter le fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire à la période de confinement national prévoyait, lorsque les parties étaient assistées ou représentées par un avocat, la possibilité de les dispenser d’audience à la seule initiative du juge, étant précisé que les parties ne pouvaient s’y opposer si leur litige relevait d’une procédure urgente[113]. Le principe était dès lors renversé, puisque la dispense d’audience sur initiative du juge devenait la norme et la tenue d’audience l’exception. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dont cet article a fait l’objet n’a donc pas surpris : imposer une dispense d’audience aux parties n’est-il pas contraire aux droits de la défense et, plus généralement, au droit au procès équitable ? Non. En substance, le Conseil constitutionnel français considère que :

  1. ces dispositions poursuivent l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé (proportionnalité au regard du but recherché) ;

  2. la procédure sans audience imposée évite le renvoi (exigence de célérité) ;

  3. la représentation des parties est une garantie suffisante qui supplée à l’absence de juge[114].

Toutefois, lors de la deuxième déclaration d’état d’urgence sanitaire datant du 14 octobre 2020, le gouvernement français a assoupli la dispense d’audience à l’initiative du juge en admettant un possible délai d’opposition des parties dans les procédures d’urgence.

Si ce « droit de crise[115] » n’a pas vocation, en principe, à perdurer, certains auteurs manifestent leur inquiétude quant à ce nouvel aménagement procédural en droit commun : il est vrai que la rapidité avec laquelle la dispense d’audience sur initiative des parties s’est généralisée ne manque pas d’étonner. En procédure civile de droit commun, la dispense d’audience mise en place à compter du 1er janvier 2020 en France est présentée comme une possibilité offerte aux parties dans l’aménagement de leur procès civil. Elle se retrouvait, originairement, dans sept hypothèses prévues par le Code de procédure civile, ce qui témoignait déjà, à notre sens, de la vive promotion de ce mécanisme de la part du législateur. Or, à peine un an après sa mise en place, le décret no 2020-1452 du 27 novembre 2020 précité a étendu les possibilités de son recours aux procédures urgentes[116] et à la procédure devant le juge aux affaires familiales[117]. Ce décret a également procédé à l’harmonisation des dispositions légales permettant, en procédure orale, la dispense de présentation : la dispense d’audience a été intégrée dans l’article 446-3 du Code de procédure civile afin que le juge français conserve son pouvoir d’inviter les parties à s’expliquer même dans une procédure sans audience, et l’article 831 relatif à l’organisation des débats dans la procédure orale a été réécrit, distinguant plus précisément la procédure sans audience (à la seule initiative des parties) de la procédure avec dispense de présentation (à l’initiative d’une partie avec l’autorisation du juge). Mais, plus que d’harmonisation, certains auteurs parlent d’une véritable « concurrence » entre ces deux régimes de dispense et manifestent leur perplexité face à la complexité, accrue, des règles de procédure[118].

Quant à son domaine d’application, la dispense d’audience irrigue le procès civil français : la procédure sans audience est possible, que les parties soient représentées obligatoirement ou non par avocat, selon les articles 752 et 753 du Code de procédure civile ; elles doivent indiquer leur accord dès la saisine de la juridiction sur requête (art. 757) ou, le cas échéant, sur l’acte de constitution d’avocat communiqué à la partie adverse (art. 764). En cas d’omission de leur part, elles peuvent toujours formuler leur accord : à l’issue de l’orientation de l’affaire (art. 778) et à l’issue de la mise en état de l’affaire (art. 799) pour les procédures écrites ou à tout moment de la procédure (art. 828) en cas de procédure orale. Et, dans ce cas, la procédure orale se déroule… selon la procédure écrite. La tenue d’une audience est possible, à l’initiative du juge s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des faits présentés dans le dossier ou à l’initiative d’une des parties.

D’un point de vue tendanciel, si la dispense d’audience est supposée accompagner le mouvement européen de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a déjà la faculté de statuer sans audience depuis 1991[119], elle n’en reste pas moins révélatrice d’une nouvelle gestion du procès plus flexible, mais non moins complexe. Seule sa mise en oeuvre apparaît facilitée puisqu’il suffit de l’accord des parties pour que leur dossier soit traité (et éventuellement tranché) par l’administration judiciaire (avec laquelle se confond progressivement le juge). Au niveau théorique, en revanche, une telle « innovation » suscite quelques interrogations. Cette dispense d’audience peut-elle être considérée comme une alternative viable, processuelle ou procédurale, à la présence devant le juge ? La récurrence de ses possibilités de mise en oeuvre dans le Code de procédure civile interdit d’y voir une simple exception à la tenue d’audience : rendre la présence des justiciable optionnelle et réserver l’audience aux litiges difficiles font d’ailleurs partie des propositions formulées dans le cadre de la réforme numérique de la justice française[120]. Comment, dès lors, considérer l’absence à l’audience — et, dans ce cas présent, l’absence même d’audience — comme un mode d’organisation du procès et non comme la première étape de sa disparition par amputation ? « [I]l convient d’inciter les parties à renoncer à l’audience civile dès lors que cette dernière ne constituera pas un apport avéré[121]. » Une future justice déshumanisée, dématérialisée, qui permettrait d’obtenir une décision judiciaire 2.0 aussi simplement que de se faire délivrer un permis de conduire à la préfecture. Au pays des Lumières, l’heure n’est plus à imposer la présence des parties mais, au contraire, à l’excuser, voire, depuis la crise sanitaire, à l’éviter. Dans ces conditions, la question de l’accès à la justice doit nécessairement être renouvelée.

2 Oralité processuelle et accès à la justice

En France, l’oralité en procédure civile fait traditionnellement référence, de manière positive, à l’accès à la justice et, de manière négative, à l’absence de représentation obligatoire. Les dernières réformes organiques généralisant l’obligation de constituer avocat entérinent à première vue la réduction du domaine de l’oralité classique (2.1). Mais, moins qu’une « réduction », il s’agit plutôt d’une transformation de l’oralité induite par la contractualisation progressive des processus judiciaires et, surtout, de l’accès au juge (2.2).

2.1 La disparition quantitative de la procédure orale par la généralisation de la représentation obligatoire ?

Suivant la mouvance européenne[122], l’extension de la représentation obligatoire en France initiée par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 s’accompagne d’une réorganisation des règles de répartition des contentieux au sein du Tribunal judiciaire. Ces modifications dans le fonctionnement organique et procédural des juridictions conduisent à redélimiter, dans un premier temps, les contentieux relevant de la procédure orale (2.1.1) et, dans un second temps, à interroger leur lien avec la représentation obligatoire (2.1.2).

2.1.1 La nouvelle répartition des contentieux soumis à la procédure orale

Afin d’établir l’évolution des contentieux relevant de la procédure orale, il convient de les distinguer en quatre groupes. Le premier groupe fait référence aux matières classiquement soumises à la procédure orale, c’est-à-dire aux matières relevant de l’ancien Tribunal d’instance (procédure généralement applicable pour les petits litiges dont le montant est inférieur à 10 000 euros avec un préalable obligatoire de conciliation). Celles-ci sont dorénavant confiées au nouveau juge des contentieux de la protection français[123] et incluent, entre autres, les contentieux en matière de baux d’habitation et d’occupation sans droit ni titre[124], les mesures de protection des majeurs vulnérables[125], les contentieux en matière de crédit à la consommation[126], y compris le traitement des situations de surendettement des particuliers[127] — la liste n’étant pas exhaustive. Les demandes relevant de la compétence du Tribunal judiciaire dont le montant est inférieur ou égal à 10 000 euros[128], ainsi que les contentieux électoraux, ne nécessitent pas de représentation obligatoire[129] et sont traitées, toujours, dans le cadre d’une procédure orale[130].

Le deuxième groupe de contentieux concerne les anciennes matières qui, bien que relevant de l’ancien Tribunal de grande instance, étaient soumises à une procédure orale sans représentation obligatoire[131]. C’est dans ces matières que la diminution du domaine de l’oralité est sans doute le plus visible. En matière d’autorité parentale (délégation, retrait, délaissement parental), le nouvel article 1203 du Code de procédure civile restreint le recours à la procédure orale aux seules demandes de délégation de l’autorité parentale. Les procédures devant le juge aux affaires familiales restent en principe orales[132] et dépourvues de représentation obligatoire[133] en dehors des procédures de divorce[134] et des demandes de révision de prestation compensatoire[135]. En matière de baux commerciaux, le nouvel article R. 145-29 du Code du commerce prévoit dorénavant la constitution d’avocat obligatoire et restreint le débat à l’audience aux seuls « moyens et conclusions de leurs mémoires ». En matière douanière, la suppression de l’article 367 du Code des douanes conduit à se référer aux règles de droit commun applicables devant le Tribunal judiciaire et à faire prévaloir, dès lors, la procédure écrite[136]. Le principe de l’oralité de la procédure sans représentation obligatoire demeure dans les contentieux avec l’administration chargée des domaines, en première instance[137] et en appel[138], contrairement aux contentieux fiscaux[139] et aux expropriations pour utilité publique[140].

Le troisième groupe se réfère aux procédures particulières que constituent la procédure de référé, la nouvelle procédure accélérée au fond[141] et la procédure devant le juge de l’exécution et qui conservent, chacune et en principe, leur caractère oral[142]. S’y ajoutent, depuis leur intégration à l’ancien Tribunal de grande instance en 2019, les principales procédures relevant de l’ancien Tribunal des affaires de sécurité sociale et du Tribunal du contentieux de l’incapacité[143]. En matière de référé, une particularité existe lorsque le juge saisi d’une procédure d’urgence ordonne le renvoi de l’affaire devant une juridiction qui requiert la représentation par avocat[144].

In fine, le quatrième groupe correspond aux juridictions spécialisées. Le Tribunal paritaire des baux ruraux conserve le principe de présence physique des parties et le caractère oral de la procédure, à l’instar du Conseil de prud’hommes, dont la procédure orale et l’absence de représentation obligatoire restent caractéristiques[145]. Devant le Tribunal de commerce, si la représentation obligatoire est étendue sur le modèle du Tribunal judiciaire[146], la procédure reste, en principe, orale[147].

La réduction du champ d’application de la procédure orale procède de l’érection de la procédure écrite en procédure de droit commun devant le nouveau Tribunal judicaire, à la suite de l’harmonisation des anciennes procédures relevant du Tribunal d’instance ou du Tribunal de grande instance. En effet, le nouvel article 817 du Code de procédure civile conditionne le recours à la procédure orale et implique, de ce fait, que la procédure écrite constitue la norme, ce que confirme d’ailleurs l’article 775 : « La procédure est écrite sauf disposition contraire. » Fondamentalement, ces nouvelles règles de répartition des contentieux n’appellent pas plus de commentaires, sauf à relever l’affaiblissement du lien entre l’oralité de la procédure et l’absence de représentation obligatoire.

2.1.2 L’atténuation du lien entre absence de représentation obligatoire et procédure orale

La suppression de l’oralité, entendue comme le moyen de permettre au justiciable d’accéder immédiatement au juge, n’aurait pu se faire sans rendre la représentation obligatoire ou nécessaire. Même si l’on est convaincu que c’est aujourd’hui une réalité, reconnaissons que le consacrer eût été politiquement incorrect[148] !

Classiquement, la procédure civile orale française renvoie à l’absence de représentation obligatoire[149], puisque les matières dans lesquelles la représentation est exigée relèvent de la procédure écrite[150]. Cette assimilation n’est pourtant pas irréfutable et la corrélation entre oralité de la procédure et absence de représentation obligatoire disparaît « lorsqu’une considération particulière commande de faire prévaloir un autre aspect de l’instance[151] ».

Ainsi, l’évolution du domaine de l’oralité au cours de ces dernières années en France tend à affaiblir le lien entre la nature orale de la procédure d’un côté et l’obligation de constituer avocat, de l’autre. Ainsi en était-il déjà de la procédure sans représentation obligatoire devant la Cour de cassation[152] pourtant écrite, via la communication des mémoires des parties ou de la procédure à jour fixe qui, en dépit de l’exigence de représentation[153], permet au défendeur de plaider oralement sans dépôt de conclusions écrites[154]. À cela s’ajoutent la procédure devant le Tribunal de commerce qui, bien que nécessitant constitution d’avocat, conserve son caractère oral[155], à l’instar de la procédure de référé dans l’hypothèse où le défendeur doit constituer avocat[156] ainsi que de la procédure devant le juge de l’exécution pour les litiges supérieurs à 10 000 euros[157].

Plus largement, une des principales innovations de la loi du 23 mars 2019 en la matière est d’avoir entériné la dissociation entre absence de représentation obligatoire et procédure orale[158]. Dans le cadre de la procédure ordinaire devant le Tribunal judiciaire, la constitution d’avocat est érigée en principe[159] et ce, nonobstant le caractère écrit ou oral de la procédure à suivre. Dans les procédures sans représentation obligatoire[160], l’oralité demeure la norme, sans pour autant exclure les possibilités de représentation (et d’assistance)[161]. En outre, la procédure écrite, érigée au rang de procédure ordinaire[162], n’exclut pas totalement toute forme d’oralité[163]. La dissociation constatée entre absence de représentation obligatoire et procédure orale n’est pas surprenante. Tout d’abord, les exceptions listées ci-dessus montrent que l’association entre ces deux notions est une commodité de langage mais non un principe constant. Ensuite, chacune des notions défend un principe du procès différent : si l’oralité du procès fait référence au principe d’accès à la justice grâce à son formalisme allégé[164], les exigences de représentation font écho à celui de la liberté de défense des parties[165]. Dès lors, associer exclusivement la procédure orale à l’absence de représentation obligatoire — et inversement — conduit à opposer ces deux garanties que sont l’accès à la justice et la liberté de défense, alors que le renforcement de cette dernière ne peut qu’améliorer la première.

Compte tenu des développements qui précèdent, la procédure orale n’apparaît plus, a priori, comme un vecteur principal de l’accès à la justice : ses possibilités de recours sont amoindries, son régime favorise le recours à l’écrit sans présence des parties et la tenue d’audience, lieu supposé privilégié du dialogue entre le juge et les justiciables, est rendue facultative. Pourtant, ces modalités d’organisation processuelle, plus ou moins novatrices, incarnent, à notre sens, le renouvellement de la notion d’oralité judiciaire française : il ne s’agit plus d’accéder simplement au juge mais de choisir la manière dont la justice doit traiter l’affaire. Et, dans cette optique, les aménagements de la procédure orale française — plus généralement de la procédure applicable devant le Tribunal judiciaire — sont autant de possibilités offertes au justiciable en vue d’un traitement efficace de son litige : c’est ce que nous dénommons l’« oralité processuelle ». Il ne s’agit plus, dès lors, de recueillir sa parole, mais bien son consentement. Cette diversification des modes juridictionnels de traitement des litiges complète, en ce sens, la diversification plus globale des modes de résolution des conflits et offre aux parties-justiciables une modélisation sur mesure de leur traitement des conflits.

2.2 Le renouvellement de l’oralité par la diversification des modes de résolution des conflits

Considérer que l’oralité processuelle se réfère à la volonté des parties revient, plus simplement, à transposer en droit procédural le concept de consentement existant en droit civil (substantiel) :

Envisager une théorie générale de l’oralité supposerait comme postulat de départ une uniformisation et une acception unique de la notion d’oralité. Or, la présentation l’effleure, mais l’oralité contractuelle n’est pas l’oralité processuelle, il se révélera délicat d’envisager l’oralité comme une notion unitaire correspondant à une seule dimension. L’oralité en matière de droit des obligations est un mode d’expression de la volonté, c’est aussi un mode de formalisation de la volonté contractuelle […] En procédure, l’oralité se révèle tout autre. L’oralité n’est pas un vecteur d’engagement ou de volonté dans le cadre processuel, c’est un moyen permettant l’accès au juge, permettant la discussion des preuves et, plus généralement, permettant la discussion de sa vérité dans le cadre du procès pénal[166].

Sans prétendre à poser ne serait-ce que les bases d’une théorie renouvelée de l’oralité procédurale en droit français, nous défendons l’idée que la conception moderne du procès civil français doit intégrer les différentes manifestations de volonté du justiciable, en personne ou par l’intermédiaire de son conseil, qui impactent son déroulement, depuis sa saisine jusqu’au délibéré.

Pour rappel, l’accès à la justice est consacré en droit français dans le Code de l’organisation judiciaire : « Le service public de la justice concourt à l’accès au droit et assure un égal accès à la justice. Sa gratuité est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement » (art. L. 111-2). Il ne se confond ni avec l’accès au tribunal — qui est un droit fondamental, à la base du droit au procès équitable garanti par l’article 6 (1) de la Convention européenne des droits de l’homme — ni avec le droit au recours, lequel s’entend également du droit au juge — consacré par l’article 13 de ladite Convention[167]. L’accès à l’institution judiciaire peut être conditionné, depuis la Loi no 2016-1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle, à un préalable obligatoire de conciliation sous peine d’irrecevabilité de la demande[168]. Certes, il est tentant de dire qu’en obligeant les parties à recourir à un mode amiable, le législateur méconnaît leur liberté contractuelle et, par là, leur consentement. Ce n’est toutefois pas de l’avis du Conseil constitutionnel qui considère, sous réserve de préciser davantage les causes d’exonération de cette obligation, que « les parties peuvent librement choisir entre les différents modes de règlement amiable que constituent la médiation, la procédure participative et la conciliation par un conciliateur de justice, laquelle est gratuite[169] ». Il réfute ainsi l’atteinte au libre accès au juge et au recours effectif à la juridiction en raison de la diversité des modes proposés de traitement du conflit.

De surcroît, l’existence des préalables amiables obligatoires avant la saisine des juridictions est conditionnée au choix qu’ont les parties de pouvoir refuser l’accord trouvé[170] et l’aide juridictionnelle peut être octroyée aux personnes sollicitant un mode amiable de règlement de leur litige[171]. Cette précision est révélatrice du choix du modèle de justice civile adopté par la France ; elle confirme, également, le constat précédent : le renforcement des droits de la défense (permis par l’extension du bénéfice de l’aide juridictionnelle aux modes alterjuridictionnels) renforce nécessairement l’accès à la justice[172].

Ainsi que l’a démontré le magistrat Havaron, dans les sociétés occidentales modernes, il s’agit moins de défendre la garantie théorique de l’accès à la justice — après sa consécration dans l’ordre interne, la notion de procès équitable a « pris le relais » — que sa réalisation : la justice coûte cher, autant pour l’État que pour le justiciable[173]. Or, là où l’État échoue à accompagner le justiciable aux portes des prétoires, le taux de recours au tribunal s’effondre : la rareté avérée des procès civils américain et anglais[174] s’explique en partie par une prise en charge défaillante des honoraires liés à la représentation et aux frais judiciaires. En revanche, l’absence de procès n’étant pas synonyme d’absence de conflit, les justiciables des pays de la common law ont plus tendance à se tourner vers des modes de résolution privés[175].

La France n’échappe pas non plus à la tendance à la déjudiciarisation, le législateur ayant décidé d’octroyer l’aide juridictionnelle, dès 1998, aux parties « en vue de parvenir à une transaction avant l’introduction de l’instance », puis à partir de 2011, lorsque les parties cherchent un accord dans le cadre d’une procédure participative[176]. Depuis 2015, les justiciables désireux de recourir à la médiation peuvent solliciter l’aide juridictionnelle qui sera étendue, l’année suivante, pour les divorces par consentement mutuel[177]. Pourtant, en dépit de ces incitations financières ou institutionnelles, les résultats ne sont pas ceux espérés : transiger ne serait-il pas le fort du justiciable français ? « [S]i les statistiques montrent qu’il semble aisé et relativement peu coûteux de frapper à la porte d’un juge en France, pourquoi solliciter la médiation[178] ? » Face à ce constat, la politique judiciaire française serait d’inciter à recourir aux modes amiables et/ou conventionnels au sein du tribunal : il s’agit moins, dans ce cas, de déjudiciarisation que de déjuridictionnalisation — corrélativement, rappelons-le, à la disparition progressive des audiences civiles. L’office du juge et le temps qu’il consacre au dossier ne seront évidemment pas les mêmes selon la nature juridictionnelle ou « gracieuse » de la procédure — la procédure gracieuse et/ou d’homologation ne nécessitant pas forcément de débat[179] et, a fortiori, encore moins d’audience. Ainsi, en matière de mode amiable[180], outre le développement des régimes de médiation et conciliation judiciaires et/ou conventionnels[181], la Loi no 2020-1721 du 29 déc. 2020 de finances pour 2021 prévoit dorénavant un droit à rétribution pour l’avocat qui assiste une partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle dans le cadre d’une procédure de médiation judiciaire ou lorsque le juge est saisi d’une demande d’homologation d’un accord extrajudiciaire[182]. Cette incitation à user de modes de règlement conventionnels des litiges redéfinit nécessairement l’accès au juge dans le rôle qu’on attend de lui : plus passif (la responsabilité de la solution incombant davantage aux parties), il ne doit intervenir qu’en dernier recours. Et, si les parties échouent à transiger, elles peuvent encore s’accorder sur la procédure à suivre.

En effet, ainsi qu’il a été vu précédemment, les parties disposent de davantage de choix dans la procédure juridictionnelle à laquelle elles sont soumises. Au niveau de l’aménagement de la procédure, elles sont incitées, progressivement, à recourir à des mécanismes conventionnels de mise en état : elles peuvent opter pour une convention de procédure participative (en procédure orale ou écrite) ou choisir d’aménager entre elles l’« instruction » du litige civil (en procédure orale sous la supervision du juge). Dans ce dernier cas, le juge fixe, avec leur accord, le calendrier des échanges et les conditions de communication de leurs moyens, pièces et prétentions ; le magistrat en est réduit à s’assurer du respect du contradictoire. En dépit des différences constatées entre le mécanisme exclusivement conventionnel et l’organisation des échanges sous contrôle du juge en procédure orale, dans chacun des deux cas, les parties consentent à choisir les modalités de mise en état, ne serait-ce que pour s’accorder sur la date de clôture des échanges. Ce consentement s’efface, bien entendu, lorsque le juge l’estime nécessaire : il conserve, en ce sens, la possibilité d’inviter les parties à fournir des explications supplémentaires à tout moment et de les mettre en demeure de produire les documents propres à l’éclairer.

Cette implication des parties dans le déroulement de leur procédure, en amont ou en cours, en présentiel ou en distantiel, traduit le renforcement de la prise en compte de leur volonté. Ce faisant, elles endossent moins la casquette du justiciable que du négociateur ; le débat laisse place à la discussion ; l’accès au juge s’entend plutôt de l’accès à une forme de justice. Dans ces conditions, la parole du justiciable est renouvelée ; certes, elle ne s’adresse plus au juge spécifiquement, mais elle produit de nouveaux effets de droit, des effets qui impactent tant la procédure que son issue, des effets que l’on peut qualifier de processuels. Et c’est sans doute sous cet angle-là que la notion d’oralité du procès civil français doit être reconsidérée.

Conclusion

Si l’oralité en procédure civile française ne peut être réduite à la procédure orale, la procédure orale n’est pas réduite à la présence obligatoire du justiciable. Caractérisée initialement par son accessibilité et sa proximité avec les justiciables[183], la procédure orale serait plutôt définie, au regard de la dernière réforme judiciaire française en matière civile, par sa flexibilité, voire son « adaptabilité ». En dépit d’un domaine d’application amoindri, son existence perdure : elle reste, bien entendu, la procédure par excellence pour traiter des « petits litiges » qui ne requièrent pas de représentation obligatoire. Mais, si l’exigence de présence des parties ne peut plus être caractéristique de la procédure orale, par quoi se définit-elle ? L’absence consentie a remplacé la présence obligatoire ; l’aménagement de la procédure devient le fait des parties, qui sont incitées à s’accorder sur les modalités de leur procès — dans l’hypothèse où elles ne s’accordent pas sur la solution amiable de leur différend.

Dès lors, cette transformation de la procédure orale française n’est qu’une manifestation de l’évolution de la place, accrue, accordée au justiciable dans la conduite de son procès. Il faudra attendre encore un peu pour apprécier exactement les conséquences des aménagements procéduraux sur la place du juge au sein du « procès » : peut-on d’ailleurs encore parler de procès en l’absence de justiciable et de magistrat ?

La parole du justiciable a peut-être perdu en tonalité verbale, mais elle semble gagner en performativité procédurale. D’un ensemble de règles rigides et contraignantes — en tout cas, pour celui qui ne daignait pas se présenter à sa propre audience —, l’oralité est devenue progressivement une modalité d’organisation du procès civil initiée non plus par le seul magistrat mais également par les parties elles-mêmes. La prise en compte de leur volonté dans l’aménagement de leur procédure leur permettra, sans doute à terme, de façonner leur procès « à la carte ». Paradoxalement, en offrant aux parties la possibilité d’être dispensées de juge, d’être dispensées de leur présence et, ainsi, d’être dispensées de leur propre parole, elles ont davantage leur mot à dire dans la conduite de leur « procès ».