Corps de l’article

Contexte

La pandémie et l’enseignement à distance d’urgence

La pandémie mondiale de COVID-19 a ébranlé les systèmes d’éducation qui ont été propulsés, du jour au lendemain, dans l’enseignement à distance (Hodges et al., 2020). Nombre d’enseignants[1], peu préparés pour faire face à ce défi, ont dû s’approprier rapidement des outils technologiques pour produire et rendre accessibles des contenus en ligne, ainsi que donner leur enseignement en mode synchrone ou asynchrone (Hartshorne et al., 2020). Ils ont également dû rapidement repenser les modalités d’évaluation prévues au plan de cours (Papi et al., 2020). Comme il est prévu que le semestre d’hiver 2021 soit également offert presque exclusivement à distance, il semble essentiel de progresser au-delà de cette phase de survie (Hartshorne, et al., 2020). Il faut remettre à l’avant-plan la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage, mais également de l’évaluation à distance des apprentissages. Dans le cas des formations professionnalisantes, comme c’est le cas pour la formation des futurs enseignants, le défi posé par le contexte de la pandémie est d’autant plus grand pour les enseignants, qui doivent non seulement aider les étudiants à acquérir des savoirs, mais également à développer progressivement leurs compétences professionnelles.

Les enjeux de l’évaluation des compétences professionnelles dans un contexte de pandémie et d’enseignement à distance

Le contexte de pandémie et d’enseignement à distance soulève une problématique importante en ce qui a trait à l’évaluation des compétences, d’autant plus que « les compétences liées à des gestes professionnels s’évaluent en contexte » (Charroud et al., 2020, p. 55). Rappelons que selon le ministère de l’Éducation du Québec (2001, p. 45), une compétence « se situe sur un continuum qui va du simple au complexe, se fonde sur un ensemble de ressources, s’inscrit dans l’ordre du savoir-mobiliser en contexte d’action professionnelle [et] se manifeste par un savoir-agir réussi, efficace, efficient et récurrent ». Ainsi, il importe pour l’enseignant de répertorier et de choisir des outils de qualité qui permettront d’évaluer avec rigueur des tâches complexes et authentiques (Leroux, 2015). Il est également important pour l’enseignant de mettre en place une évaluation formative afin de soutenir l’engagement de l’étudiant (Poumay, 2017) dans la réalisation de ces tâches complexes, en lui offrant des rétroactions fréquentes et en régulant ses apprentissages. Dès lors, le contexte d’enseignement à distance nécessite la mise en place de ressources pédagogiques et technologiques pour répondre aux besoins des étudiants (Tomas et al., 2015).

Or, accompagner et évaluer le développement de compétences demande l’utilisation d’approches et d’outils particuliers qui ne sont pas toujours faciles à mettre en place en contexte d’enseignement à distance. Pour ajouter au défi, dans le contexte de la pandémie, plusieurs enseignants sont contraints d’évaluer à distance pour la première fois de leur vie (Detroz, Malay et Crahay, 2020). C’est en ce sens et dans ce contexte de pandémie que Detroz, Tessaro et Younès (2020, p. 2) soulignent « le désarroi de la communauté éducative face aux nouvelles formes d’évaluation qui restent à construire et l’urgente nécessité de proposer des jalons pour les y aider ».

Pour leur part, Detroz, Malay et Crahay (2020, p. 102) nous proposent de transformer positivement cet immense défi : « Peut-être est-il envisageable de transformer une menace [la pandémie] en opportunité, en modifiant nos évaluations de manière à renforcer leur caractère authentique, situé et contextualisé qui sont des caractéristiques connues pour renforcer la qualité en évaluation? » Cette proposition nous amène à nous intéresser au portfolio comme outil authentique et contextualisé d’évaluation formative des compétences professionnelles.

Le portfolio comme outil authentique et contextualisé d’évaluation formative des compétences professionnelles

Depuis quelques années, plusieurs établissements d’enseignement supérieur ont intégré le portfolio numérique dans la formation de leurs étudiants (Bolliger et Shepherd, 2010). À l’instar d’autres auteurs, Broadfoot (2007) et Scallon (2004) définissent le portfolio comme un recueil ou une collection de travaux de l’étudiant présentant ses réalisations et la progression de ses apprentissages. Dans le contexte d’un programme universitaire qui vise la professionnalisation des futurs enseignants, il est souvent question d’un portfolio numérique dit « professionnel ». Selon Karsenti et Collin (2012), en plus de ses fonctions sociales et de présentation, le portfolio utilisé en formation initiale à l’enseignement en remplit deux autres, qui sont particulièrement pertinentes pour cet article, soit :

  • une fonction réflexive, qui permet de soutenir la pratique réflexive des futurs enseignants et qui « repose […] sur une ‘triangulation réflexive’ à construire entre une compréhension fine des compétences professionnelles visées, une prise de conscience du niveau de développement de ces compétences à un moment donné et le choix des documents les plus pertinents et les plus représentatifs » (p. 84);

  • une fonction évaluative, qui permet de tenir compte « du produit et du processus de développement professionnel » des futurs enseignants et de l’évaluer dans « un processus continu, dynamique et personnalisé » (p. 95).

Selon Broadfoot (2007) et Scallon (2004), l’étudiant doit être impliqué dès le départ dans la construction de son portfolio ainsi que dans la démarche d’analyse et de réflexion en y faisant des choix éclairés et en y ajoutant des réflexions qui l’amèneront à prendre conscience de ses apprentissages. Dans ce contexte, le portfolio permet notamment à l’étudiant de mettre en relation la théorie et la pratique (Lévesque et Boisvert, 2001) et de documenter son cheminement à l’égard du développement de ses compétences professionnelles à l’aide de traces (artéfacts) (Karsenti et Collin, 2012). De plus, le portfolio facilite l’implication de l’étudiant dans la démarche d’évaluation de ses apprentissages (Meunier, 2016). Comme le précise Derycke (2000), le portfolio doit être considéré comme une démarche, un processus continu et dynamique pour le suivi et l’évaluation des apprentissages. Ainsi, le portfolio peut être considéré comme un outil d’évaluation authentique (Bélair et Van Nieuwenhoven, 2010), « puisqu’il offre, tant à l’enseignant qu’à l’étudiant, une vision globale et contextualisée du développement professionnel réalisé » (Bloom et Bacon, 1995, cité dans Karsenti et Collin, 2012, p. 95).

Or, peut-il constituer une modalité d’évaluation formative pertinente en contexte de pandémie et d’enseignement à distance?

Le portfolio professionnel numérique en contexte de pandémie et d’enseignement à distance : une modalité d’évaluation formative pertinente?

Dans un contexte d’apprentissage et d’évaluation à distance, Poumay (2017) confirme la pertinence du portfolio pour soutenir l’engagement de l’étudiant dans ses apprentissages et son évaluation. L’élaboration et la mise en place d’un portfolio dans un contexte d’évaluation numérique représentent un potentiel qui permet à la fois de diversifier les supports et les modalités d’évaluation et de favoriser l’autonomie (Ghriss, 2018) des étudiants, ce qui apparaît particulièrement pertinent en contexte de pandémie et d’enseignement à distance.

De plus, le portfolio numérique représente une très bonne manière de conserver des traces des apprentissages réalisés (Barrett, 2000). Il facilite l’évaluation des apprentissages (Jan, 2019) pour l’enseignant qui « dispose de nombreux éléments multimédias […] lui permettant de dresser un portrait fidèle du niveau des compétences [des étudiants] » (Durand et al., 2015, p. 114).

Autre avantage indéniable dans un contexte d’enseignement à distance, les travaux réalisés par les étudiants sont effectués à domicile. Ces modalités d’évaluation, telles que le portfolio, seront donc peu « impactée[s] par la pandémie que nous connaissons » (Detroz, Malay et Crahay, 2020, p. 106).

Pour toutes ces raisons, selon les écrits scientifiques, il appert que le portfolio professionnel numérique peut constituer une modalité d’évaluation formative pertinente en contexte de pandémie et d’enseignement à distance. Mais, à quelles conditions? Examinons maintenant l’expérience d’implantation du portfolio professionnel numérique au baccalauréat en éducation préscolaire et en enseignement primaire (ÉPEP) à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) depuis 2009-2010 pour en tirer quelques propositions d’utilisation en contexte de pandémie et d’enseignement à distance.

L’expérience de l’implantation du portfolio professionnel numérique en ÉPEP à l’UQAM

Dans le cadre de leur formation initiale en ÉPEP à l’UQAM, les étudiants doivent élaborer un portfolio professionnel à l’aide de l’éditeur de site Internet Jimdo. L’intégration du portfolio dans la formation initiale des étudiants vise à susciter chez eux un processus réflexif continu, à les amener à définir leur identité professionnelle et à leur permettre de rendre compte du développement de leurs compétences professionnelles. Lors de leur première année de baccalauréat, les étudiants suivent un cours obligatoire d’un crédit où ils créent leur portfolio numérique et posent les premiers jalons de chacune des sections (pages accueil, présentation, littérature jeunesse, culture, stages et blogue sur le développement des compétences professionnelles). Durant leur deuxième et leur troisième année de formation, ils alimentent leur portfolio de manière autonome, sollicitant au besoin l’aide des enseignants responsables des cours de portfolio ou de leurs pairs. Ils terminent leur formation avec un deuxième cours d’un crédit en quatrième année où ils sont notamment amenés, à l’aide de leur portfolio, à faire le bilan du développement de leurs compétences et à présenter leur identité professionnelle.

Dès l’implantation du portfolio numérique en 2009-2010, un questionnaire a été élaboré et des données ont été collectées chaque année auprès des quatre cohortes. Cette démarche visait plusieurs objectifs, dont les trois suivants que nous avons retenus dans le cadre de cet article :

  • comprendre la perception des étudiants des aspects positifs du portfolio numérique dans leur formation initiale à l’enseignement;

  • comprendre leur perception des difficultés rencontrées et des freins à la réalisation de leur portfolio;

  • comprendre leurs besoins relatifs à l’élaboration de leur portfolio.

Dans cet article, après avoir explicité la méthodologie de recherche, nous présenterons des résultats qui ont émergé du questionnaire rempli par les étudiants en 2018-2019. Nous formulerons ensuite quelques propositions pour guider l’utilisation du portfolio professionnel numérique comme outil d’évaluation formative des compétences professionnelles des futurs enseignants, en contexte de pandémie et d’enseignement à distance.

Méthodologie

Les participants

En 2018-2019, 719 étudiants (647 femmes, 68 hommes et 4 personnes non identifiées) au baccalauréat en ÉPEP de l’UQAM ont rempli, en début de session, un questionnaire portant sur leur perception du portfolio professionnel numérique.

L’instrument et la méthode de collecte des données

Le questionnaire maison, d’une durée de passation d’environ 15 minutes, comportait 22 questions, dont 17 questions fermées à choix multiples et cinq questions ouvertes. Les deux premières questions ont permis de recueillir des données sociodémographiques (sexe et année de formation). Les questions à court développement abordaient des thématiques comme les aspects les plus positifs de la démarche, les difficultés rencontrées, les freins les plus importants et les besoins nécessaires à la poursuite de l’élaboration du portfolio. Dans le cadre de cet article, seules les données issues de ces quatre questions à court développement ont été considérées à des fins d’analyse.

La méthode d’analyse des données

Dans un premier temps, le canevas du questionnaire a permis la création d’un arbre thématique comprenant des thèmes prédéfinis. Ensuite, les données qualitatives ont fait l’objet d’un encodage automatique dans NVivo 12, afin que chacune des réponses corresponde à une référence (ou extrait) codée automatiquement. Une requête de mots fréquents a permis de repérer les réponses les plus souvent mentionnées pour chacune des questions. Les mots ou les expressions issus de cette requête constituent les thèmes-parents. Le tableau 1 présente le nombre d’extraits codés pour chacun d’eux. Il est important de noter que les répondants de la cohorte de première année n’ont pas répondu aux questions relatives aux aspects positifs, aux difficultés et aux freins rencontrés, puisqu’ils n’avaient pas commencé leur portfolio au moment de répondre au questionnaire.

Tableau 1

Nombre d’extraits codés par thème-parent

Nombre d’extraits codés par thème-parent

* Certains étudiants n’ont fourni aucune réponse à une ou des questions.

-> Voir la liste des tableaux

Selon une méthode d’analyse catégorielle, les références codées dans les thèmes-parents ont ensuite été reprises une à une pour être comparées, affinées puis finalement regroupées en thèmes-enfants pour préciser les analyses. La section qui suit expose les résultats obtenus pour chacun des thèmes-parents.

Résultats

Dans la section des résultats, il sera d’abord question de la perception des étudiants quant aux aspects positifs du portfolio. Les difficultés rencontrées et les freins qu’ils en perçoivent seront ensuite abordés. Cette section se terminera avec les besoins qu’ils ont exprimés au regard de l’élaboration de leur portfolio professionnel numérique.

La perception des étudiants quant aux aspects positifs du portfolio dans leur formation initiale à l’enseignement

Globalement, deux caractéristiques principales du portfolio ressortent des réponses des étudiants à l’égard des aspects les plus positifs de l’exigence d’élaborer un portfolio professionnel dans le cadre de leur formation initiale. D’abord, l’aspect positif le plus fréquemment mentionné est la dimension réflexive de l’outil (88 extraits). Comme d’autres collègues, une étudiante explique : « [le portfolio] est surtout utile pour réfléchir à ma pratique enseignante » (C15‑131). D’autres mentionnent être amenés à faire des liens entre la théorie et la pratique : « Je suis obligée de prendre le temps de m’arrêter pour réfléchir sur mes apprentissages et faire des liens entre théorie et pratique » (C15‑004). Aussi, plusieurs étudiants estiment que le portfolio les amène à réfléchir sur le développement de leurs compétences professionnelles : « [Il] nous incite à réfléchir sur notre développement professionnel » (C16‑049) ou encore il permet de « réfléchir sur les différentes compétences » (C17‑098). De plus, selon certains, la rédaction des billets du blogue « permet de réfléchir sur des sujets en lien avec l’éducation » (C15‑006).

Par ailleurs, le portfolio est un bon outil pour garder des traces (56 extraits) et se constituer une banque de ressources (69 extraits). Premièrement, il constitue une place de choix pour conserver des traces des apprentissages réalisés par l’ajout d’artéfacts. « Avoir des traces de mes stages » (C16‑006) est l’aspect le plus positif du portfolio », selon une étudiante. Dans cette perspective, les étudiants apprécient le fait de pouvoir garder un souvenir (26 extraits) de leurs différents stages ainsi que de leurs cours universitaires. Deuxièmement, les étudiants perçoivent que le portfolio permet de rassembler « plusieurs ressources au même endroit » (C15‑135). Qu’il s’agisse de littérature jeunesse (62 extraits), de ressources culturelles (9 extraits), pédagogiques et didactiques ou même de travaux universitaires et de sites intéressants pour leur future pratique (60 extraits), ils estiment que le portfolio est une bonne façon de conserver des ressources pertinentes et d’y revenir au moment opportun.

Or, malgré ces deux avantages importants rapportés par plusieurs, certains étudiants mentionnent ne percevoir aucun aspect positif au portfolio professionnel. En effet, 75 extraits sur 480 contiennent une réponse de ce type.

La perception des étudiants quant aux difficultés rencontrées et aux freins à l’élaboration de leur portfolio

Les résultats montrent que l’appropriation du support numérique constitue la difficulté la plus importante (223 extraits) à la réalisation du portfolio, étant donné les multiples embûches technologiques relatives à la plateforme utilisée (157 extraits) et au blogue (66 extraits). Par exemple, une étudiante souligne : « Je ne suis pas habile avec ce type de plateforme. J’ai donc dû faire beaucoup de tentatives. Mais Jimdo s’apprend facilement sans être pour autant convivial » (C16‑125).

Selon certains étudiants, une autre difficulté importante à l’élaboration du portfolio concerne les travaux qui sont non signifiants ou difficiles à réaliser. Les extraits ont principalement trait à la rédaction des billets sur les compétences professionnelles exigés dans la section blogue du portfolio (170 extraits), sur le plan tant de la recherche des idées que de la manière de les rédiger. De plus, certains étudiants soutiennent que l’écriture de billets n’est pas motivante et que l’inspiration n’y est pas. Une étudiante mentionne avoir « parfois eu de la difficulté à trouver des idées en lien avec certaines compétences » (C15‑118).

Lorsqu’ils sont questionnés par rapport aux principaux freins à l’élaboration de leur portfolio professionnel, les étudiants nomment le manque de temps (378 extraits), notamment pour les cohortes de deuxième et troisième année, et de motivation (157 extraits). La dimension temporelle se traduit entre autres par : 1) un temps trop important à consacrer au portfolio compte tenu du nombre de crédits qui y est accordé; 2) un manque de temps consacré au portfolio en classe et 3) la charge de travail exigée dans les autres cours.

Le manque de motivation de certains étudiants envers l’élaboration de leur portfolio (157 extraits) est un autre frein important. Plusieurs ne mentionnent que le mot « motivation » pour répondre à la question des freins, alors que d’autres lient leur manque de motivation à leur difficulté à percevoir l’utilité du portfolio. Les exigences imposées, trop nombreuses et vagues, comme les consignes qui manquent de clarté et qui changent d’un enseignant à l’autre (68 extraits) constituent aussi des freins importants. De plus, un étudiant affirme : « Les exigences contraignantes […] ne me permettent pas de m’exprimer librement » (C15‑031).

Les besoins exprimés par les étudiants au regard de la démarche d’élaboration du portfolio professionnel

L’analyse des réponses au questionnaire a révélé des différences notables entre les besoins des étudiants de la cohorte de première année et ceux des trois autres cohortes. En ce qui a trait aux étudiants de première année, ils ressentent le besoin d’acquérir de l’expérience dans diverses sphères pour mener à bien leur projet de portfolio (44 extraits) et ils se demandent, en début de formation, comment ils y parviendront. Ils croient qu’une expérience de stage ou de travail leur permettrait de mieux comprendre les visées du portfolio (19 extraits). Pour la majorité d’entre eux, il semble important d’acquérir préalablement « des expériences concrètes dans un milieu scolaire » (C18‑063). Certains d’entre eux pensent qu’il est nécessaire « d’avoir de l’expérience tant pratique que théorique » (C18‑074).

Aussi, les étudiants de première année ressentent le besoin de disposer de modèles (41 extraits). Des exemples concrets de portfolio d’anciens étudiants ou des modèles à suivre devraient leur être proposés étant donné que leur représentation d’un portfolio professionnel est encore abstraite. Une étudiante explique qu’« avoir des exemples va beaucoup aider pour débuter son propre portfolio » (C18‑024).

De plus, ces étudiants en début de formation soutiennent qu’ils ont besoin d’acquérir des connaissances (40 extraits). Ils ressentent le besoin de mieux connaître l’éditeur de site Internet Jimdo qu’ils auront à utiliser (23 extraits). D’autres étudiants expriment leur besoin de connaissances par rapport au contenu théorique en éducation, au contenu à inclure dans le portfolio et aux « comment faire » associés à l’élaboration de leur portfolio (10 extraits). À titre d’exemple, une étudiante mentionne qu’elle a besoin « de connaissances reliées au matériel pédagogique et de modèles de planification » (C18‑001).

Finalement, plusieurs étudiants de première année souhaitent recevoir du soutien (29 extraits). Ils suggèrent que celui-ci prenne la forme d’un guide et d’explications additionnelles au besoin. Un étudiant explique : « [J’ai besoin] d’aide pour me guider lorsque j’ai des questions » (C18‑003).

Quant aux étudiants des cohortes suivantes, ils affirment avoir besoin de « plus de temps alloué en cours » (C15‑039) pour la mise à jour des rubriques de leur portfolio (207 extraits). À cet effet, les étudiants souhaiteraient qu’il y ait « une diminution des exigences » (C16-027) et qu’elles soient clarifiées (65 extraits). En ce sens, un étudiant précise avoir besoin d’« un document indiquant clairement les attentes reliées au portfolio en fin de bac » (C17-136), ce qui leur est d’ailleurs fourni à la fin du premier cours de portfolio.

Plusieurs étudiants soulignent leur besoin de motivation pour élaborer leur portfolio (100 extraits). Comme ce fut le cas pour la question portant sur les freins, plusieurs étudiants ont répondu uniquement par le mot « motivation » à celle qui concerne les besoins. Une étudiante précise qu’elle souhaiterait trouver « une motivation plus grande que l’exigence universitaire » (C15‑132). Une autre étudiante parle de son besoin de « motivation externe » (C17‑042).

Les étudiants rapportent leur besoin de suivi plus fréquent, d’accompagnement et d’encadrement (87 extraits). Il est notamment question d’avoir : « un suivi constant » (C15‑023), « un suivi des exigences demandées en 2e et 3e année » (C16‑162) et « avoir un échéancier à chaque session ou année » (C17‑040). Ainsi, il apparaît clairement que les étudiants trouvent difficile d’être laissés à eux-mêmes entre les deux cours de portfolio. Ils ont besoin de plus d’encadrement et de suivi.

Par ailleurs, les étudiants suggèrent plusieurs options de réorganisation de la démarche d’implantation du portfolio qui répondraient à leurs besoins (65 extraits). En effet, ils souhaitent ardemment que davantage de crédits soient associés au portfolio puisqu’ils jugent qu’ils travaillent beaucoup plus que pour une charge habituelle associée à deux crédits universitaires. En fait, certains estiment qu’il devrait y avoir un cours de portfolio par année ou que le portfolio soit intégré « directement [aux autres] cours » (C16‑100). Une étudiante souhaiterait plutôt : « [qu’il y ait] des exigences d’ajouts [au portfolio] pour chaque cours » (C17‑006). Une autre explique même qu’elle aurait besoin de « l’intégration [du portfolio dans les cours] et [de] la motivation réelle des enseignants du bac » (C15‑136).

Discussion

Cette étude souhaitait comprendre la perception des étudiants quant aux aspects positifs, aux difficultés rencontrées, de même qu’aux freins et aux besoins liés à l’élaboration d’un portfolio numérique dans le cadre d’une formation professionnalisante. Plusieurs études en pédagogie de l’enseignement supérieur ont soulevé les avantages du portfolio dans une formation initiale, du point de vue des bénéfices pour l’enseignement et l’apprentissage. L’intérêt de cette étude réside dans le fait qu’elle s’appuie sur une expérience d’une dizaine d’années d’implantation du portfolio numérique en formation des enseignants et sur des résultats recueillis auprès de plus de 700 étudiants des quatre cohortes du baccalauréat en ÉPEP, lors d’une même année de collecte. Les résultats tendent à illustrer que les avantages du portfolio, notamment en ce qui concerne sa fonction réflexive et la possibilité qu’il offre de garder des traces, sont importants et qu’ils pourraient être optimisés s’il était implanté de manière transversale et en accompagnant les étudiants sur une base continue. En effet, les avantages évoqués par les étudiants sont en lien étroit avec les visées de l’implantation du portfolio au baccalauréat en ÉPEP et celles du ministère quant à la formation des enseignants. Comme le souligne Josephsen (2012), les nombreux avantages du portfolio numérique dépassent largement ses inconvénients. Aborder ces avantages apparaît donc crucial pour justifier la pertinence de contrer les freins et les difficultés rencontrés par les étudiants et proposer des pistes pour optimiser l’utilisation du portfolio comme outil d’évaluation en contexte d’enseignement à distance et de pandémie.

Le potentiel du portfolio pour garder des traces de ses apprentissages

Rappelons qu’un des avantages du portfolio réside dans la possibilité de visualiser les apprentissages réalisés de façon continue et dynamique. Le fait que le portfolio permet de garder des traces tangibles du parcours universitaire est l’un des aspects qui ressortent de notre étude. Nos résultats rejoignent ceux de Morreale et al. (2017) quant à la capacité du portfolio de dresser un portrait de tout le travail accompli et du cheminement réalisé depuis le début de la formation. Dans le même sens, dans le cadre d’une formation hybride en Suisse, l’utilisation du portfolio en ligne a été choisie pour témoigner du processus de développement des compétences, puisqu’il permettait l’accessibilité à distance aux différentes productions des étudiants qui étaient en situation d’emploi (Baeriswyl et al., 2019). Cette stratégie mise en place par la Suisse s’applique particulièrement bien en contexte de pandémie.

Dans notre recherche, les étudiants rapportent également qu’ils apprécient le fait de pouvoir se référer à leur portfolio, notamment parce qu’il contient une banque de ressources utiles à leur formation. C’est entre autres pour ces avantages perçus par les étudiants de notre étude, quant à la possibilité de garder des traces et d’agir comme une banque de ressources intéressante, que le portfolio pourrait servir d’outil de formation et d’évaluation en contexte de pandémie et d’enseignement à distance. Dans ces contextes où les enseignants universitaires ont peu de contact avec les étudiants, ces traces et ressources colligées dans le portfolio constituent donc des artéfacts indispensables pour attester du développement des compétences professionnelles de leurs étudiants.

Le potentiel du portfolio pour porter un regard réflexif sur sa formation professionnalisante

Les étudiants rapportent que le portfolio est un outil qui les amène à réfléchir sur leurs apprentissages (Josephsen, 2012). Plus particulièrement, selon cet auteur et dans un contexte de formation à distance, il s’avère que le portfolio numérique offre une occasion unique aux étudiants de réfléchir sur des travaux qu’ils ont eux-mêmes colligés et les engage dans une démarche de réflexion et de révision sur leur propre processus d’apprentissage. Étant donné la nature et les visées de leur formation professionnalisante, il est d’autant plus important d’amener les étudiants à réfléchir, notamment sur leur pratique professionnelle et sur le développement de leurs compétences. Bien que notre étude rapporte un nombre plutôt limité d’extraits en lien avec la fonction réflexive, nos résultats vont dans le même sens que ceux obtenus par Elango et al. (2005) qui démontrent que le portfolio contribue à l’autoréflexion et qu’il facilite la création de liens entre la théorie et la pratique. Ce dernier aspect a aussi été rapporté par plusieurs chercheurs, dont Morreale et al. (2017), qui soutiennent que la réflexion amène les étudiants à développer leur pensée métacognitive pour ensuite être transposée en interventions pédagogiques efficaces.

Le potentiel du portfolio comme outil transversal en formation à l’enseignement

L’un des principaux avantages de l’utilisation du portfolio numérique en enseignement à distance est la possibilité qu’il offre de considérer, de documenter et de réfléchir sur les expériences d’apprentissage tout au long du programme de formation (Shepherd et Bolliger, 2014). Or, dans notre étude, les étudiants déplorent le temps important passé à travailler sur leur portfolio, comme ceux ayant participé à l’étude d’Elango et al. (2005). Ils souhaiteraient que tous les enseignants du programme demandent d’intégrer des travaux dans le portfolio. Le travail demandé serait ainsi mieux réparti au cours de la formation et l’ampleur de la tâche serait amoindrie. Selon les étudiants, cette implication de tous leurs enseignants aurait également des impacts positifs sur leur motivation et leur engagement, principalement au cours de la deuxième et de la troisième année alors qu’ils n’ont pas de cours de portfolio. Dans le même sens, les étudiants ayant participé à l’étude de Yang et al. (2016) soulignent que le portfolio numérique n’était pas suffisamment intégré dans les modalités d’évaluation des cours pour réellement soutenir leurs apprentissages. Ainsi, si plusieurs enseignants d’un même programme prévoyaient dès l’élaboration de leurs cours que certains travaux seraient réellement intégrés au portfolio, les impacts positifs de cet outil seraient optimisés. De plus, les étudiants seraient moins sujets au stress associé à la pandémie, dont parle notamment Barras (2020), et à la réorganisation conséquente des modalités d’évaluation de leurs cours.

L’implantation de manière transversale du portfolio dans une majorité de cours et de stages exigerait toutefois des enseignants qu’ils adhèrent aux exigences relatives au portfolio posées par le programme. Les enseignants devraient aussi donner des consignes claires et constantes relativement aux travaux exigés dans leurs cours, comme le rapportent Detroz, Malay et Crahay (2020). En effet, ces auteurs expliquent qu’en contexte de pandémie, il est plus difficile pour les étudiants d’obtenir des clarifications auprès de leurs enseignants ou de leurs pairs.

Le potentiel du portfolio comme outil d’accompagnement des étudiants

Les étudiants de notre étude réclament du soutien, notamment technologique et rédactionnel, dans l’élaboration de leur portfolio numérique. Cette demande de soutien pour s’approprier le support numérique rejoint les travaux d’Hébert et al. (2010) qui rapportent que les étudiants les plus réfractaires de leur étude s’étaient éloignés des visées réflexives du portfolio à cause des nombreuses difficultés techniques rencontrées. Ils affirment, en ce sens, à l’instar de Josephsen (2012), que le soutien technologique aux étudiants est indispensable. De plus, les étudiants souhaiteraient un accompagnement plus soutenu sur le plan rédactionnel pour les tâches plus complexes comme la rédaction de billets. En lien avec l’évaluation formative, cet accompagnement serait plus efficace s’il était réparti sur un ensemble d’enseignants du programme, ce qui offrirait aux étudiants une diversité et une plus grande quantité de rétroactions. D’ailleurs, les travaux de Steen-Utheim et Hopfenbeck (2019) démontrent que les étudiants bénéficient grandement de la rétroaction pour apprendre, à condition toutefois qu’ils y participent activement.

Afin de clore cette discussion, il convient de formuler quelques propositions. Ainsi, à la lumière des écrits scientifiques recensés et des résultats de notre étude, il appert souhaitable, pour optimiser l’utilisation du portfolio professionnel comme outil d’évaluation formative en temps de pandémie et en enseignement à distance :

  • de favoriser une intégration transversale et réelle du portfolio à travers les modalités d’évaluation d’un nombre important de cours et de stages du programme;

  • d’encourager une implication et un engagement de tous les intervenants du programme;

  • d’accorder beaucoup de rigueur à la précision et au rappel régulier des exigences du portfolio et des consignes associées aux travaux;

  • de rendre accessibles en ligne des exemples, des modèles et des guides pour aider les étudiants à élaborer leur portfolio à distance;

  • de soutenir l’appropriation du support numérique par les étudiants et de mettre en place un dispositif en ligne pour répondre à leurs questions tout au long de leur formation;

  • d’offrir un accompagnement soutenu sur le plan rédactionnel pour la réalisation de tâches plus complexes associées au portfolio;

  • de fournir une rétroaction régulière, positive et encourageante afin de favoriser la persévérance des étudiants.

Limites, pistes de recherches futures et retombées sur la pratique en enseignement à distance

L’étude que nous avons menée contient certaines limites qu’il convient de reconnaître pour guider les recherches futures dans le domaine de l’enseignement supérieur. Une de ces limites relève du fait que le questionnaire a été rempli par les étudiants en début de session. Leur perception porte donc plus sur l’année précédente et ne tient pas compte des expériences vécues durant la session en cours.

Une autre limite concerne le fait que cette étude s’intéresse uniquement aux perceptions des étudiants. En effet, l’éclairage qu’auraient pu fournir les perceptions des enseignants du cours de portfolio, ainsi que des autres enseignants du programme, aurait été bénéfique pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de l’implantation du portfolio numérique en formation des enseignants. Toutefois, le nombre élevé de répondants au questionnaire permet d’avoir une idée assez claire de l’ensemble des perceptions des étudiants, lesquelles amènent un éclairage important pour guider certains choix entourant l’utilisation du portfolio en formation à distance.

Une dernière limite est liée à la méthode d’analyse des données par encodage et requête automatiques, qui ne permet pas de saisir toutes les nuances contenues dans les données recueillies. Toutefois, cette méthode permet de faire ressortir des données émergentes et d’obtenir de grandes tendances rapidement, ce qui est intéressant dans une étude qualitative comme la nôtre ayant un nombre de participants substantiel. L’utilisation d’une méthode d’analyse de contenu plus précise pour traiter les données pourrait éventuellement permettre de faire émerger d’autres résultats.

Des recherches complémentaires réalisées à l’aide d’entrevues ou de groupes de discussion auprès d’étudiants et d’enseignants engagés dans une démarche de portfolio dans des programmes professionnalisants pourraient permettre d’approfondir les résultats obtenus. De plus, s’intéresser aux enseignants qui n’utilisent pas le portfolio dans leurs cours, alors qu’il est implanté dans leur programme, apporterait sans doute des nuances permettant de faire émerger de nouvelles propositions pour guider l’implantation transversale du portfolio en contexte d’enseignement à distance.

Comme le grand défi en période de pandémie est d’offrir un enseignement à distance qui n’est pas simplement de l’enseignement en présence mis en ligne, le portfolio numérique serait un bon moyen de faire face à de nouvelles mesures de confinement, sans avoir à modifier en urgence toutes les modalités d’évaluation prévues dans les cours. Or, si le portfolio n’est pas déjà mis en place, il s’avère difficile de bénéficier de ses avantages en contexte de pandémie puisqu’il est complexe à implanter en urgence, surtout dans une logique de cohésion et de transversalité. Il faut alors plutôt l’envisager comme une option pertinente lors de la mise en place d’une formation initiale professionnalisante offerte à distance.