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Situation initiale

Ce compte-rendu d’expérience envisage d’expliquer comment les enseignantes et enseignantes-chercheuses titulaires et vacataires de l’Inspé de l’académie de Limoges ont modifié leurs pratiques pédagogiques de manière radicale pendant le confinement lié à la crise sanitaire de mars 2020. Leur objectif était de répondre aux besoins impératifs de continuité pédagogique dans une situation de fermeture des locaux. Pour pallier la suppression du contrôle continu mis en place depuis la mastérisation de la formation en 2013, l’équipe du parcours anglais de la composante universitaire a organisé un système d’épreuves à distance selon un calendrier serré.

Notre pratique se situe au sein de l’un des 32 instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (désormais Inspé) de France. Il s’agit d’une composante universitaire préparant aux concours de l’enseignement primaire et secondaire puis à l’entrée dans le métier d’enseignants en école ou en collège et lycée. Cette formation correspond au master Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (désormais MEEF) et dure deux ans. Notre témoignage s’inscrit dans le parcours anglais de l’académie de Limoges et vise les fonctionnaires-stagiaires (ou FSTG) lauréats du certificat d’aptitude professionnelle au professorat de l’enseignement secondaire (CAPES) inscrits en deuxième année de cursus. Il est le témoignage de l’autrice de ces lignes, enseignante-chercheuse, directrice du Département des langues vivantes de la composante, mais également référente-Inspé de fonctionnaires-stagiaires. Plus largement, il s’intègre à notre travail de recherche-action, voire de recherche-développement dans le domaine de la formation des enseignants en France (voir Dufossé, 2017) et à la mise en place de dispositifs et modules (voir Dufossé et Muller, 2018) à même d’optimiser les compétences des futurs professeurs d’anglais des collèges et lycées. Il répond aux critères de l’axe 2 de notre laboratoire de recherche CeReS intitulé Linguistique appliquée : psycholinguistique, didactique, traductologie.

Devenir professeur d’anglais avant le confinement

Pour devenir enseignant d’anglais en France, il faut s’inscrire en première année de master MEEF. Cela signifie suivre conjointement une formation disciplinaire et une préparation au concours du CAPES. Les cours universitaires dispensés vont de la communication en anglais à la civilisation en passant par la traduction, la préparation aux stages d’observation dans les établissements de l’académie et la méthodologie de la recherche. En effet, les apprenants doivent préparer et rédiger un mémoire d’une cinquantaine de pages avec des problématiques liées à l’éducation, mais aussi participer à deux périodes en immersion dans des établissements de l’enseignement secondaire afin de finaliser leur projet et de préparer leur entrée dans le métier. L’académie de Limoges compte cette année 20 inscrits en première année de master (ou M1) désireux de passer le concours. Ils ont un statut d’étudiant.

Le CAPES d’anglais se déroule en deux parties avec des écrits d’admissibilité fin mars et des oraux d’admission fin juin. Seuls les lauréats du concours passent en deuxième année de master MEEF et continuent leur formation à l’Inspé à mi-temps tout en prenant en charge un demi-service d’enseignant en établissement. Ils ont alors un statut de fonctionnaire-stagiaire. Ils sont payés à temps plein par l’État-employeur mais doivent venir parfaire ou finaliser leur apprentissage et leur recherche à l’Université. L’assiduité aux cours est obligatoire et l’émargement en début de séance est impératif. Pour devenir fonctionnaires à part entière, les lauréats du CAPES d’anglais doivent être titularisés. Ils sont 13 cette année à être inscrits dans le parcours anglais de l’académie de Limoges. À ce petit groupe viennent s’ajouter les redoublants ayant validé la première année de master mais raté le CAPES. Le processus de formation en alternance relève d’un calendrier déplié sur l’année universitaire complète et fait intervenir plusieurs acteurs. Dès la prérentrée scolaire, le fonctionnaire-stagiaire rejoint son établissement de rattachement et rencontre son « tuteur-terrain ». Il s’agit d’un enseignant d’anglais aguerri et sélectionné par l’inspectrice de la discipline. Il va encadrer son jeune collègue dans ses préparations de cours et dans la prise en charge de ses classes. Il va lui faire rencontrer les équipes pédagogiques sur place et lui présenter la direction du collège ou du lycée. Enfin, il va l’inviter à venir dans ses propres cours pour assister à de nombreuses séances afin de développer des gestes-métiers professionnels pertinents et personnels. Selon le calendrier établi par l’Inspé, le tuteur-terrain va rédiger plusieurs rapports d’évaluation formative concernant le stagiaire. Les rubriques à remplir relèvent des compétences telles qu’elles sont décrites dans le Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation (Ministère de l’Éducation nationale, 2013). Elles sont classées des plus génériques aux plus spécifiques allant, par exemple, de « connaître les droits et obligations des fonctionnaires » à « savoir préparer les séquences de classe ». L’évaluation se fait en cochant les items acquis, en cours d’acquisition ou non acquis.

Dès la rentrée universitaire, le fonctionnaire-stagiaire va être également accompagné par un « référent-Inspé » qui est un enseignant de la composante. Ce dernier intervient en cours dans la formation initiale et se déplace dans les classes du futur collègue deux fois l’an. Il établit alors un rapport de visite concernant le jeune enseignant. L’objectif de ces visites est de constater que la formation initiale dispensée à l’Université est adéquate et utilisée à des fins pédagogiques en situation d’enseignement-apprentissage. Il s’agit également de guider le fonctionnaire-stagiaire dans ses progressions et de répondre à ses questions. En cas de difficultés, il est possible d’envisager d’autres visites formatives. La première évaluation de la part de l’Université a lieu en novembre et la seconde en avril selon un calendrier établi très tôt dans l’année universitaire en accord avec la direction des établissements d’accueil des fonctionnaires‑stagiaires.

La titularisation des futurs enseignants dépend de la visite de l’inspectrice de la discipline en mai et du rapport rédigé par la Direction des lieux de stages professionnels. Elle repose également sur leur validation du master et des résultats liés à leur recherche. Chaque année, le mois de mai est destiné aux soutenances des mémoires de recherche. Le jury de soutenance est composé d’au moins deux personnes, le directeur de recherche et un autre membre. Il doit être composé d’au moins un enseignant-chercheur ou docteur. La soutenance est publique et individuelle; elle dure, selon les disciplines et le type de production, de 30 à 50 minutes. Pour une soutenance de 30 minutes, il y aura 10 minutes de présentation avec PowerPoint ou Prezi et 20 minutes d’échanges avec le jury (questions/réponses et discussions). Les modalités de soutenance sont communiquées par le responsable de formation. À la suite de cette épreuve, une note pour l’écrit et l’oral avec un gros coefficient est attribuée à chaque FSTG. Elle entre en ligne de compte dans la titularisation des jeunes collègues.

Gérer les changements liés à la pandémie de COVID‑19

Le confinement lié à la pandémie de COVID‑19 a bouleversé le calendrier initial décrit plus haut quant à l’évaluation des fonctionnaires-stagiaires d’anglais. Les visites en établissement des référents-Inspé n’ont pu avoir lieu. Elles avaient déjà été repoussées en raison de grèves. Les jeunes collègues n’ont pu mettre en oeuvre les séquences envisagées et décrites dans leur mémoire de recherche faute de temps passé en classe au trimestre 3. Se pose la question de la titularisation : Comment valider la formation sur deux ans et l’entrée dans le métier de stagiaires sans outils institutionnels spécialisés?

La direction de l’Inspé, avec la collaboration des responsables de parcours, a mis au point un système de soutenances de mémoire par visioconférence afin de pallier le manque d’épreuve orale en mai liée à la recherche. Notre rôle, en tant que directrice de département, a été de correspondre avec les différents acteurs de la formation afin d’élaborer le calendrier des soutenances en accord avec la scolarité, puis de le diffuser aux différents intéressés. L’objectif était de reprendre toutes les étapes et l’échéancier de la soutenance classique, mais de présenter celle-ci par le biais d’un outil numérique destiné aux membres du jury restés chez eux. Les FSTG ont préparé des diaporamas reprenant la genèse de leur mémoire, une bibliographie détaillée et commentée, puis un déroulé de séquence fictive. Ils les ont présentés à l’oral et à distance à des jurys dont la composition répondait aux mêmes normes qu’en présentiel. L’outil numérique qui a été utilisé est BigBlueButton (bigbluebutton-pp.unilim.fr/). Il permet de télécharger le diaporama et de le proposer aux enseignants assistant à la soutenance depuis leur domicile. Ceux-ci ont d’abord reçu une courte formation à distance et des tutoriels sur la plateforme de l’établissement, soit Moodle, puis un essai en direct a été réalisé avec les ingénieurs pédagogiques de l’Inspé. L’outil numérique est facile à utiliser dans le cadre d’interactions simples et la prise en main par les utilisateurs n’a pas posé de problèmes particuliers lorsque tous les serveurs de l’Université étaient ouverts. Par contre, la surutilisation de l’application a engendré des problèmes de connexion, des coupures de son et une dégradation de la qualité de travail nous obligeant à nous tourner vers des outils différents tels que Skype ou Zoom, peu recommandés par l’Université. Certains oraux ont dû être reportés, désorganisant ainsi tout le calendrier prévu. Lors des soutenances à distance, les jurys ont rempli les dossiers d’évaluation. Les critères à renseigner étaient les mêmes qu’en présentiel. Il fallait remplir deux volets d’un document portant sur le mémoire (production écrite) et la soutenance (production orale). Aucun critère n’a été ajouté ou supprimé à cause du confinement et de la pandémie. La situation était seulement « déplacée » dans une classe virtuelle recomposée au moyen de BigBlueButton.

Plus innovant encore, il a été décidé de remplacer la visite numéro deux du référent-Inspé par un entretien supplémentaire en visioconférence placé à la suite de la soutenance du mémoire de recherche. Le jury restait le même que pour la recherche, mais les candidats à la titularisation devaient préparer un autre diaporama obéissant à des critères précis. En effet, ils avaient pour obligation de présenter à leurs enseignants et formateurs les critères officiels du contexte du métier (environnement d’enseignement et climat de classe). Ils devaient également décrire les gestes professionnels développés en fonction des classes visées. Il leur était demandé de justifier les attitudes relevant des valeurs de la République et ils devaient fournir des exemples précis de mise en oeuvre pédagogique par le biais de séquences didactiques. Les évaluateurs ont pris en compte la faculté de synthèse des futurs collègues ainsi que leur réactivité face aux éventuelles difficultés relevées dans les rapports de visite du premier semestre de leur année de stage. L’analyse de pratique effectuée lors de l’entretien qui a suivi le diaporama a représenté l’essentiel de la note finale. Chaque jury avait une grille nominative à renseigner. Comme le montre la figure 1, celle-ci était composée de la liste des compétences d’un niveau minimum exigible en fin de master et de celles qui sont listées dans le référentiel des compétences liées au métier d’enseignant de 2013.

Figure 1

Avis du Directeur de la composante universitaire entrant dans le processus de titularisation des fonctionnaires-stagiaires : grille à compléter par le responsable de formation

Avis du Directeur de la composante universitaire entrant dans le processus de titularisation des fonctionnaires-stagiaires : grille à compléter par le responsable de formation

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Limites du dispositif et retours

Les enseignants de l’Inspé concernés par ces épreuves à distance ont apprécié le confort d’un travail à domicile dans un lieu aménagé pour le travail universitaire et la formation apportée par leurs collègues. Cependant, les différents acteurs impliqués dans le processus de remplacement mis en place ont rapidement relevé les limites de l’outil numérique utilisé malgré le travail remarquable des ingénieurs pédagogiques de la composante. Des coupures et des dysfonctionnements nombreux liés aux forfaits des opérateurs Internet et aux machines ont été constatés. Certains collègues ou fonctionnaires-stagiaires confinés à la campagne ont eu de grandes difficultés à travailler et à communiquer sereinement. Les soutenances et les entretiens de titularisation ont duré de une heure trente à deux heures. Plusieurs étaient prévus par jour afin d’évaluer les parcours et secteurs le plus rapidement possible et de respecter ainsi les délais imposés par l’Université. La situation a engendré une fatigue physique et intellectuelle beaucoup plus importante que des séances prévues en présentiel. Enfin, les FSTG ont fait part de leur angoisse face à l’utilisation de l’outil numérique — ou plutôt à la gestion de ses pannes éventuelles. Beaucoup ont ressenti un stress important au moment de gérer la prise en main de BigBlueButton et d’effectuer leur prestation orale. Quelques candidats ont eu peur d’être sanctionnés en cas de problèmes de connexion à l’application ou de production de mauvaise qualité (coupures, son haché ou dénaturé). Enfin, le sentiment d’isolement de certains leur a rendu la vie difficile pendant ces deux mois. Cependant, les épreuves visio-orales leur ont permis de reprendre contact avec la composante et d’avoir des conversations personnelles salutaires.

La situation de confinement total a empêché, faute de temps, les mises en oeuvre pédagogiques décrites dans les mémoires de master. Le travail de recherche proposé à ce jour dans les documents relève de situations fictives privées de l’analyse de pratique que comporte la deuxième partie de la soutenance en présentiel bien utile à l’évaluation du futur fonctionnaire. Les félicitations, encouragements, paroles de réconfort que nous échangeons avec nos anciens étudiants n’ont pu bénéficier de l’authenticité des conversations en classe. Un geste amical de la main pour clore une réunion virtuelle n’a rien à voir avec l’accompagnement de notre stagiaire jusqu’à la porte de la salle de cours. Cette réunion n’a sûrement pas « renforcé l’apprentissage » dans le sens où l’entendent Musial et al. (2012, p. 148). La dimension humaine a du mal à passer par le biais de l’outil numérique. Les interactions pédagogiques en « face à face spécifiques à l’enseignement » (Dejean et Sarré, cité dans Guichon et Tellier, 2017, p. 152) ont fait défaut dans cet enseignement synchrone. Le dispositif mis en place n’a pas donné lieu à une formation ou à la transformation de nos pratiques (voir Lebrun et al., 2011).

En ce qui nous concerne, nous regrettons le recours excessif aux diaporamas pendant ces soutenances et oraux de titularisation pour pallier un certain manque d’interactions enseignants-stagiaires. Les productions n’ont pas toujours été qualitatives et n’ont pas eu le pouvoir de persuasion que leurs auteurs voulaient bien leur conférer. En tant que directrice de département, nous avons suppléé la scolarité de l’Inspé par l’établissement des listes des FSTG concernés par les oraux à distance, puis par la diffusion des fiches et grilles à remplir par les enseignants. Nous avons ensuite centralisé les résultats, vérifié les absences et tenu la direction au courant de l’avancée du dispositif tout au long de son processus avec l’aide du responsable de formation. La surcharge de travail a été considérable.

Ce plan d’action met en évidence la priorité donnée à la tâche complexe ou « activité définie par un objectif, un dispositif et des modes d’évaluation » (Bourguignon, 2015, p. 184) puis au résultat. Enseignants et étudiants ont développé un savoir-faire certain en matière d’enseignement-apprentissage à distance à l’aide d’un outil numérique, mais il n’est pas apte à la systématisation. Il y a bien eu « contrat implicite à toute action de formation » (Gillet, 1991, p. 45) exprimé par la composante universitaire. Il s’agissait alors d’évaluer les fonctionnaires-stagiaires en vue de leur titularisation. Les moyens techniques ont été déployés dans ce but, mais la démarche à adopter a été déléguée à la seule responsabilité des enseignantes. Gillet le rappelle, « le projet pédagogique » s’inscrit dans l’action plus que dans la construction d’un outil de formation (1991, p. 46). L’équipe d’anglais de l’Inspé de Limoges a mobilisé ses aptitudes afin de résoudre une situation‑problème. Elles n’ont cependant pas valeur d’engagement dans l’avenir et encore moins de compétence ou de « système de connaissances, conceptuelles et procédurales, organisées en schémas opératoires » (Gillet, 1991, p. 69). Nous avons pu constater une certaine « adéquation entre finalités, objectifs, thèmes et contenus » (De Ketele et al., 1989, p. 38), mais elle a été motivée par des soucis d’organisation et de calendrier, même si la motivation des formatrices était totale.

Conclusion

Dans ce compte-rendu d’expérience, nous avons voulu montrer comment une composante universitaire a pu faire face aux aléas engendrés par la crise sanitaire imposée par la pandémie de COVID-19 en France. L’équipe pédagogique en place à l’Inspé de Limoges a su mettre en place tout un processus de remplacement à distance afin d’évaluer la recherche des fonctionnaires-stagiaires en anglais et leur année de stage en alternance dans les établissements de l’académie, relevant ainsi un défi inédit pour les différents acteurs de la composante et les futurs collègues de la discipline. Pourtant, nous n’avons pas établi de compétence comme définie par Gillet (1991, 68‑70), mais nous nous sommes adaptés à la situation de crise, ce qui ne permet pas de modéliser le dispositif mis en oeuvre.

La mobilisation générale de toutes les équipes enseignantes a eu un coût humain très élevé en matière de stress et de travail qu’aucun d’entre nous ne souhaite revivre. Les enseignants et enseignants-chercheurs investis de responsabilités particulières, comme l’autrice de ces lignes, ont vu leur charge de travail augmenter considérablement pour répondre aux besoins urgents de résultats.

Le manque de formation à l’enseignement à distance et hybride est devenu criant dans notre composante pendant la pandémie. Cette constatation va de pair avec le manque de ressources humaines et de recherche dans le domaine de la pédagogie universitaire. Des offres de stage très limitées ont été proposées en juillet afin de parfaire notre formation aux différents outils numériques, mais elles ne peuvent se substituer à une réflexion globale et à une politique volontariste dirigées vers une réorganisation de l’enseignement supérieur en France.