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Introduction

Le contexte particulier de ce retour d’expérience est celui de la mise en place de la continuité pédagogique pendant le confinement de la COVID‑19 pour des étudiants en 3e année de licence Lettres et sciences à l’Université de Toulon (enseignement dispensé par des enseignants de l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspé) de l’Université de Nice Côte d’Azur, se déplaçant à l’Université de Toulon). Les étudiants concernés sont inscrits dans un module préparatoire aux métiers de l’enseignement dans le premier degré, au cours du 6e semestre de leur licence. L’intitulé du module est : Savoirs à enseigner en histoire, géographie et enseignement moral et civique et ce retour d’expérience s’inscrit dans la période de confinement s’échelonnant du 17 mars au 11 mai 2020.

Le cours initialement prévu représente 12 heures de TD par groupe en présentiel; la cohorte qui fait l’objet de ce retour d’expérience est répartie dans deux groupes. Avec le contexte de crise sanitaire, le cours s’est transformé en un cours hybride : premiers cours en présentiel puis, avec le confinement, classe virtuelle pour des travaux dirigés menés à distance et restitutions partielles à l’oral en visioconférences. La visioconférence est aujourd’hui un dispositif éprouvé dont une typologie en dresse les usages les plus fréquents dans l’enseignement (Macedo-Rouet, 2009). Des recherches récentes ont étudié les formes de l’hybridation de la formation à distance (Peraya et al., 2012; Peraya, 2019). En France, dans l’enseignement supérieur, la visioconférence est utilisée de façon plutôt ponctuelle depuis les années 1990 et c’est encore le cas à l’Université Côte d’Azur où la majorité des enseignements sont dispensés sur site en présence des étudiants.

La problématique étudiée ici concerne à la fois l’adaptabilité du duo formé par l’enseignant et ses étudiants en situation disruptive, les avantages, les écueils et la créativité qui a pu en émerger. Une comparaison de situations « avant » et « pendant » constitue un corpus de données permettant d’établir des constats exploitables pour une transformation des pratiques. Je suis partie d’une situation qui a perturbé une fonction, je me suis saisie d’un contexte dans lequel il y a eu légitimité à se poser des questions, ce qui m’a ensuite portée vers une problématisation. J’ai déterminé quelles questions méritaient d’être retenues et j’ai ainsi instruit une observation du processus qui s’est instauré dans la forme qu’a prise mon enseignement dans ce contexte et les interactions avec les étudiants dont j’avais la charge. J’ai établi ensuite une discussion autour des questions sélectionnées. Parmi celles-ci figure la question des nouvelles formes d’enseignement et d’interactions avec les étudiants créées lors de la situation COVID‑19, et des pistes d’évolution de notre enseignement après la crise sanitaire.

Contexte de l’expérience menée

Il faut commencer par préciser que nous sortons du cadre déjà existant de la FAD, formation à distance qui cible une catégorie d’étudiants ayant des profils majoritairement plus âgés, salariés et en charge de famille (Bonin, 2018). Dans cette étude, la cohorte d’étudiants concernée s’est inscrite spécifiquement à des cours en présentiel et présente généralement un profil de moins de 25 ans.

La fermeture des établissements ayant été assez soudaine, les étudiants ont été informés que les cours pouvaient être dispensés à distance sur la plateforme désignée de l’établissement (Moodle doublé d’un espace Google Drive). Les enseignants universitaires ont eu pour consignes de conserver les créneaux attribués dans les emplois du temps et de se connecter à la plateforme habituelle d’échanges et de communication de l’Université.

Les années précédentes, 12 heures de cours étaient dispensées en présentiel combinant à la fois la transmission de notionnel (rappel des notions fondamentales) et les démarches didactiques des enseignements en question. Par exemple, ce qu’est la géographie dans sa dimension de spatialisation des phénomènes, d’enseignement sur les démarches dans la discipline… Il en était de même en histoire et en enseignement moral et civique (EMC). Ensuite, des séquences et des séances étaient présentées, notamment par l’intermédiaire de ressources vidéos (en l’occurrence pour l’Université de Nice Côte d’Azur, des curriQvidéos sur différents thèmes devant être enseignés[2]). Ces capsules vidéos décrivent l’enquête menée par des enseignants stagiaires[3] de séquences ou projets pédagogiques menés dans leurs classes dans les règles de la démarche inductive telle qu’elle est préconisée en primaire dans ces disciplines.

Vient enfin une mise en travaux dirigés (TD) sur un corpus documentaire que les étudiants transforment en exercices pour des élèves de primaire, ce cours devant ensuite être évalué par un examen de fin de semestre.

Lors de la fermeture de l’établissement universitaire accueillant les étudiants, seuls deux à trois cours en présentiel avaient été menés.

Trois suppositions à examiner

Le corpus dont je dispose est constitué à la fois par l’ensemble des cours dispensés l’année dernière en situation ordinaire, des échanges des étudiants (courriels et forum) ainsi que des évaluations menées pour la validation de cet enseignement. Ces données sont comparées à celles qui ont été recueillies pendant le confinement, à savoir les cours adaptés, les enregistrements de ces cours, les échanges avec et entre les étudiants (courriels et forum) et les évaluations faites durant l’année 2020.

Ce corpus me permet de vérifier trois suppositions :

  • Première supposition. En tant qu’enseignante universitaire, je disposais des compétences et outils nécessaires pour adapter mon enseignement en temps de crise (sans en prendre conscience).

  • Deuxième supposition. Les étudiants de cette licence en module de préprofessionnalisation sont en mesure de s’adapter pour réaliser de véritables apprentissages et se former aux compétences attendues avec ce qui a été mis en place, en urgence.

  • Troisième supposition. La pratique enseignante/apprentissage lors du confinement peut être source de créativité chez l’enseignant comme chez l’étudiant.

Vérification de la première supposition

En tant qu’enseignante universitaire, je dispose des compétences et outils nécessaires pour adapter mon enseignement en temps de crise.

Ce sont les outils mis à disposition des enseignants et des étudiants, le taux de fréquentation et les types d’utilisations qui m’ont permis d’apporter des éléments de réponse.

Avant le confinement

La formation à distance dans mon service d’enseignement ne concernait que 8 % de mon temps d’enseignement. Les universités de Nice Côte d’Azur et de Toulon avaient mis à notre disposition une plateforme d’échanges et d’enregistrement des cours pour les étudiants salariés ou éloignés (Adobe Connect et Moodle). Sur les plateformes de dépôts à disposition de tous les étudiants se trouvaient des diaporamas, des articles scientifiques et des vidéos ou liens de ressources en ligne. Seules les ressources de statut « non libre de droits » ne sont pas mises à la libre disposition des étudiants.

Pendant le confinement

Tous les étudiants ont été concernés par l’enseignement à distance et ont découvert cette forme d’enseignement. Ils ont été confrontés à des difficultés qui n’existaient pas dans la formation à distance lorsqu’elle concernait le groupe restreint des étudiants de FAD. À la suite d’une utilisation de masse de l’interface numérique universitaire, les enseignants ainsi que leurs étudiants ont été confrontés à des dysfonctionnements des dispositifs de visioconférences, à des difficultés d’accès à leur plateforme et/ou à des coupures intempestives. Comme d’autres enseignants, j’ai été contrainte de me reporter sur d’autres supports de communication comme Discord, Zoom, Skype... Parfois, deux supports différents ont été sollicités pour une même séance.

Ce que cela a révélé (avantages et limites)

Le manque d’anticipation de la part des structures universitaires de l’éventualité du « tout à distance pour tous » a généré une perte de temps considérable pour remplir la mission assignée à ce cours. Ces aspects de difficultés techniques de connexion sont pourtant des problèmes connus et récurrents relevés au tout début de la visioconférence (Gerbaix, 1993). Face à ces difficultés, ce sont parfois les étudiants eux-mêmes qui ont pris la main et ouvert une session en invitant l’enseignant et leurs pairs. In fine et très rapidement, en relation téléphonique ou par courriel avec les étudiants, une solution de support fiable a été exploitée pour nous retrouver dans un cours virtuel. En revanche, il a été plus difficile pour l’enseignant universitaire de faire le lien entre l’apport de notionnel et les mises en oeuvre didactiques dans ce contexte technique. J’ai parfois découvert les fonctionnalités des nouveaux supports au moment du cours et il ne m’a pas été possible de partager autant de ressources que lors des cours en présentiel, notamment des curriQvidéos (ESPE Polynésie française, 2018; Faller, 2020; Heiser et Faller, 2018). Les élèves présentés dans ces supports sont protégés par leur droit à l’image.

Vérification de la deuxième supposition

Les étudiants de cette licence en module de préprofessionnalisation sont en mesure de s’adapter aux cours à distance pour réaliser des apprentissages et se former aux compétences attendues avec ce qui a été mis en place, en urgence.

Avant le confinement

Les étudiants étaient soumis à une évaluation de fin de semestre. Il était alors possible de mesurer ce qui avait été acquis en matière de connaissances et de compétences sur certains aspects des démarches qui allaient ensuite être travaillées en profondeur au cours du master EEF. Durant le cours, les étudiants présents interagissaient avec l’enseignant en posant des questions ou par communication non verbale, mais aussi de façon informelle avant et après le cours, dans une relation plus personnelle avec l’enseignant, osant poser des questions qu’ils ne posent pas devant leurs pairs. Lors des travaux de TD, l’enseignant les accompagne en se déplaçant dans la salle de classe auprès des groupes, et des réajustements peuvent être faits durant les séances, leur permettant de rendre un travail abouti.

Pendant le confinement

Les étudiants ont posé beaucoup moins de questions et il n’y a eu aucun échange informel avant et après les séances durant la connexion. Les seuls échanges d’incompréhension ne représentent que quelques courriels après les séances ou concernant le travail demandé à déposer sur un Google Drive. L’évaluation a été faite sous le format de contrôle continu. Quant aux apprentissages, le recueil de données et notamment la partie concernant les savoir‑faire, après évaluation, je peux confirmer que les objectifs sont globalement atteints. Contrairement à l’année précédente sans confinement, je n’ai pas pu vérifier, en raison de la forme de l’évaluation en contrôle continu à distance, une véritable remise à niveau de connaissances notionnelles qui doivent être mémorisées à l’issue de ce cours.

Ce que cela a révélé (avantages et limites)

La visioconférence rend difficiles les échanges informels que l’on peut avoir avec les étudiants avant ou après le cours, lors des pauses. Ces échanges informels apportent une forme d’humanisation qui se perd avec la visioconférence (Iugulescu-Lestrade, 2016). Il est également constaté que les échanges sont moins riches, que l’on ne peut pas réagir aux signaux généralement donnés par les expressions des visages des étudiants étant donné que ceux-ci n’activent pas leur caméra, sauf parfois quand ils s’expriment. C’est souvent à la demande expresse de l’enseignant qu’ils le font.

Sur le plan des relations humaines, il y a une perte sur le plan des interactions affectives (Cyrulnik, 1997; Martin‑Juchat, 2008).

Concernant les apprentissages en histoire-géographie, la vérification de la remise à niveau notionnelle ne peut pas se vérifier à distance dans des travaux faits par les étudiants en confinement chez eux. En revanche, j’ai pu constater lors des évaluations remises sur la plateforme que les étudiants ont rendu des travaux plus aboutis et mieux travaillé les savoir‑faire (par exemple la didactique de la lecture de paysages, la pratique de l’étude de cas, l’adaptation d’un questionnement à l’âge des élèves…).

Vérification de la troisième supposition

La pratique enseignante/apprentissage lors du confinement peut être source de créativité (Romero et al., 2017) chez l’enseignant comme chez l’étudiant.

Avant le confinement

Le cours était complété par la mise à disposition de documents supports des cours (diaporamas, sujets de réflexion sur le paysage, par exemple…) et le dépôt individuel des travaux des étudiants que l’enseignant consulte et éventuellement note en ligne. Les étudiants avaient peu de sollicitations pour créer des ressources hors du temps de cours. Le travail personnel consistait principalement en la mémorisation de concepts et de notions en vue de l’examen de fin de semestre.

Pendant le confinement

La créativité pour l’enseignant universitaire dans ce cours s’est concrétisée sous deux aspects.

  • Un espace de dépôt mutualisé des travaux des étudiants a été créé sur un espace Google Drive avec visibilité du travail de tous par tous, contrairement à ce qui se faisait précédemment sur une plateforme de formation en ligne dont les fonctionnalités restent limitées sur le plan des capacités de dépôts et d’échanges entre les étudiants.

  • Afin d’éviter que les étudiants rendent un travail plagié (avec des copiés-collés de travaux existant en ligne), j’ai dû produire un sujet différent pour chaque étudiant. Les sujets choisis étant d’égale difficulté, j’ai, en contrepartie, pu mesurer l’implication véritable des étudiants dans leur travail et leur niveau de réflexion. Les travaux déposés ont été de qualité variable : d’insuffisants à très aboutis. Lors de la restitution à l’oral en visioconférence de ces travaux, l’enseignant a pu réajuster devant tout le groupe les erreurs commises. Tous les étudiants connectés ont également eu accès à tous les travaux et ont ainsi démultiplié les connaissances et les possibles mises en oeuvre dans des exercices différents : 40 étudiants = 40 problématiques différentes (figure 1). Néanmoins, il ne m’a pas été possible de vérifier s’ils avaient tous pris le soin de consulter l’ensemble des travaux de leurs pairs; on peut supposer qu’ils les ont, au moins, téléchargés pour un usage ultérieur dans un master d’enseignement. Cet aspect de solutions détournées pour répondre à la problématique du déficit d’échanges en présentiel enseignant-étudiants a été, en partie au moins, une réponse à exploiter ultérieurement lors de situations d’enseignement sans confinement.

Plus d’un tiers des étudiants ont déposé un travail particulièrement approfondi et ont pris soin de faire des propositions se situant bien au-delà du niveau des attentes pour ce cours de licence.

Ce que cela a révélé (avantages et limites)

J’ai pu constater une optimisation des 12 heures de cours, car les étudiants ont eu davantage de temps pour faire leur travail, de chez eux et sur un temps non contraint (ils disposaient de 15 jours pour réaliser un exercice et non de 2 heures en TD). Les propositions d’un quart des étudiants ont révélé un recours à des habiletés numériques que je n’avais pas pu constater l’année précédente; certains ont rendu des travaux traduisant une certaine recherche et de la créativité dans la résolution du problème qui leur avait été posé.

Figure 1

Capture d’écran. Google Drive ouvert à tous, un sujet différent par étudiant

Capture d’écran. Google Drive ouvert à tous, un sujet différent par étudiant

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Même si toutes les restitutions n’ont pas pu être faites en visioconférence devant tout le groupe, chaque étudiant pouvait consulter les travaux de ses collègues ainsi que mes remarques et commentaires, enrichissant ainsi les apports de ce cours. Les exercices constituent également une banque de données pour l’enseignement. En revanche, le temps de travail de l’enseignant universitaire a été considérablement augmenté, tant dans la préparation que dans l’évaluation, mais il a favorisé la créativité chez l’enseignant universitaire comme chez les étudiants.

Sur 40 étudiants, 2 n’ont pas répondu dans les temps aux attentes : ils n’ont pas participé aux cours ni aux travaux demandés bien que leurs sujets aient été accessibles sur le Drive. Ils ont fait l’objet d’un rattrapage à l’oral en juin. L’absence de participation au cours est, selon ces étudiants, en grande partie attribuable à une fracture numérique les concernant (figures 2 et 3).

Figure 2

Capture d’écran. Extrait de message d’étudiant de licence Lettres

Capture d’écran. Extrait de message d’étudiant de licence Lettres

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Figure 3

Capture d’écran. Extrait de message d’étudiant de licence Sciences

Capture d’écran. Extrait de message d’étudiant de licence Sciences

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Discussion et évolutions possibles pour enseigner demain

Concernant les aspects spécifiquement techniques, l’université concernée doit étudier et repenser le dimensionnement des serveurs des plateformes qui accueillent les classes virtuelles et les supports susceptibles d’être utilisés par les enseignants et leurs étudiants.

Même s’ils sont peu nombreux parmi la population étudiante, il reste néanmoins quelques étudiants en fracture numérique par manque ou panne de matériel (y compris les défaillances provenant de la connexion au domicile). Les prêts de matériel à ces étudiants sont nécessaires.

L’une des richesses de mon cours repose sur l’utilisation de capsules vidéos (curriQvidéos) qui proposent des situations concrètes de cours. Or il n’a pas été possible de partager ces ressources en raison de la possible captation des ressources qui montrent des élèves en classe avec leur enseignant et dont les droits à l’image n’ont pas été conçus pour une possible mise en ligne. Il nous faut déterminer les modalités de partage de telles ressources avec les services juridiques de l’Université qui analysent le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Le taux de réussite a été très élevé : 38 étudiants sur 40 ont validé le module et un tiers des travaux peuvent être qualifiés d’excellents. Ce résultat semble s’expliquer par la forme même de l’évaluation en contrôle continu et de l’accompagnement de l’enseignant sur le Drive; il y a eu parfois plusieurs versions des travaux remis avec des conseils d’amélioration. Les étudiants ont rendu un travail plus réflexif conforme aux attendus, mais la question reste posée sur la mémorisation des concepts et notions dans mes disciplines.

Seule 1 étudiante a rendu un travail insuffisant à la date butoir (elle a également eu l’occasion de l’améliorer) et 2 étudiants ne se sont pas connectés et n’ont pas répondu aux courriels; ils ont invoqué des problèmes techniques (cf. les extraits ci‑dessus).

Conclusion

Rappelons la question de départ : parmi les formes nouvelles créées lors la situation COVID‑19, quelles sont celles qui se révèlent être intéressantes à conserver?

Tout d’abord, le fait d’avoir complètement ouvert la plateforme de dépôt des ressources et des travaux des étudiants leur a donné la possibilité, s’ils en faisaient le choix, de s’enrichir, de coopérer[4] et de se constituer une banque de données pour leur master et leur métier d’enseignement ensuite.

Cela a poussé les étudiants à proposer des développements plus importants en raison d’une plus grande visibilité par leurs pairs, mais aussi du confinement qui nous a donné du temps. En revanche, le dispositif a été rédhibitoire pour les étudiants touchés par la fracture numérique. Il conviendra de bien vérifier que chaque étudiant soit en capacité d’accéder aux différentes fonctionnalités de la formation à distance sous un format hybridé (visioconférence et plateformes).

Sur le plan des relations humaines, comme l’avait déjà constaté Papi (2017), j’ai également noté un très net déficit en matière d’interactions, à plusieurs niveaux. Un sentiment d’isolement de l’enseignant s’est installé progressivement, notamment parce que les visioconférences proposées aux étudiants se sont révélées être davantage des audioconférences pour des raisons diverses invoquées, comme les problèmes de flux, l’absence ou le non-fonctionnement de la webcaméra ou tout simplement le souhait de ne pas se montrer. J’ai parfois dû insister pour que certains étudiants activent leurs webcaméras lorsqu’ils intervenaient à l’oral, sans compter que leurs noms avaient parfois été remplacés par des pseudonymes qui accentuaient l’effet de déshumanisation. De ce fait, privée des interactions (expressions du visage) avec les étudiants, j’ai fait moins d’ajustements de mon propos sur des signes d’étonnement ou autres manifestations que les étudiants nous adressent lors des cours en présentiel. Il apparaît alors utile de mener une réflexion sur la nécessité de formation des enseignants quant à une forme d’hybridation de leurs interventions incluant des interfaces interactives permettant de stimuler la participation des étudiants.

Les visioconférences hybridées avec des plateformes d’échanges de cours et d’accueil des travaux des étudiants ont été pressenties depuis plusieurs années comme un levier majeur de modernisation de l’action publique (MAP) et participent au premier plan de la « révolution numérique » (Iugulescu-Lestrade, 2016). La leçon de cette expérience, au-delà des aspects techniques, doit nous amener à nous questionner sur le rôle de l’émotion dans la créativité des protagonistes de l’enseignement sous confinement (Getz et Lubart, 1998). Elles ne doivent pas écarter non plus les conséquences du confinement dans lequel cet enseignement a été reçu par les étudiants chez qui un « manque d’altérité qui dure trop longtemps peut générer des angoisses » et « pour qui le confinement est une agression » (Cyrulnik, 2020). Il semblerait que dans le cas de cette expérience, une créativité a émergé de cette situation pourtant contraignante et que des étudiants ont révélé des capacités à prendre des initiatives en matière de gestion de leurs propres cours. Cela devrait nous engager à mieux prendre en compte leurs capacités d’organisation et à penser une forme plus hybridée de notre enseignement.