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Introduction

Depuis plusieurs années, les enseignants universitaires sont confrontés à une demande croissante visant l’intégration des nouvelles technologies dans leurs pratiques pédagogiques de la part des administrateurs ou des étudiants (Huot et al., 2017). Dans le contexte des mesures de confinement et de distanciation physique imposées par la COVID‑19, ils sont encore plus nombreux à développer des cours à distance ou hybrides en ligne (en mode asynchrone en ligne et en mode synchrone en conférence Web en ligne). Pour ces enseignants, plusieurs questions se posent, dont la plus importante est : Comment développer des cours hybrides en ligne tout en suscitant et maintenant la motivation des étudiants ainsi que le climat de proximité et de collaboration de la classe? Cet article décrit une formule pédagogique dans un environnement d’apprentissage hybride utilisée pour l’enseignement en travail social à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), pour ensuite déterminer ses avantages et ses inconvénients.

Le concept infopédagogique

C’est en 2014, dans un programme court en relation d’aide offert en ligne par le Centre des Premières Nations Nikanite, que le concept infopédagogique de Rocheleau (2007) a été utilisé pour la première fois à l’UQAC. Deux cours développés dans ce programme ont ensuite été transposés dans d’autres programmes en travail social en privilégiant une formule hybride, alternant des cours en classe et des cours en ligne. Le concept infopédagogique accorde une importance égale à la conception de l’information et aux activités d’apprentissage. Il consiste à scénariser :

  • l’information, en utilisant des médias et des techniques du monde du divertissement (des vidéoclips, des journaux, des présentations animées, etc.);

  • la pédagogie, en scénarisant des activités d’apprentissage qui s’inscrivent dans une stratégie socioconstructiviste et cognitiviste, engageante et ludique, dans un environnement informatique.

Dans cette approche, le concept d’edutainment, l’approche du récit et la cognition située ont été privilégiés pour scénariser l’information afin d’en faciliter le traitement par les étudiants :

  • Le concept d’edutainment (Garrett et Ezzo, 1996), terme issu de la contraction d’education et d’entertainment, consiste à utiliser des techniques du divertissement pour susciter et maintenir la motivation des apprenants par l’animation et leur engagement dans des activités, souvent ludiques, mais visant l’apprentissage.

  • L’approche du récit (Robin, 2006) consiste à utiliser une trame dramatique englobante qui engage l’apprenant émotivement dans la résolution de problèmes.

  • La cognition située de Chiou (1992) permet de contextualiser des comportements dans les lieux où ils se produisent réellement (on the spot) et dans l’interaction sociale, d’où l’apport d’une métaphore de lieu pour situer les apprentissages.

  • Sur le plan pédagogique, des études de cas ont été utilisées (Rocheleau et Dessureault, 2011) dans une approche socioconstructiviste globale (Vygotsky, 1925, cité dans Langford, 2005), incluant une organisation en séquences selon l’approche de la classe inversée (TED, 2011), des jeux et des outils.

Une métaphore d’un milieu urbain fictif a conséquemment été créée, l’avenue des Pulsions (figure 1), servant de cadre à des interactions entre différents personnages aux prises avec des problèmes qui nécessitent l’engagement collectif des étudiants afin de les résoudre. C’est donc dans ce milieu virtuel que les études de cas — dont les histoires s’entrelacent — ont été situées, à la manière d’une télésérie où évoluent des personnages vivant divers problèmes psychosociaux.

Figure 1

La métaphore de l’avenue des Pulsions

La métaphore de l’avenue des Pulsions

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Certains cas utilisés sont réels et relèvent du domaine public tandis que d’autres personnages sont des amalgames pour servir les contenus à aborder (figure 2). À chaque cours, les étudiants découvrent un nouveau personnage par le biais d’une étude de cas qui les positionne dans un rôle d’intervenant, et ils ont pour défi de lui venir en aide, tout en développant leurs compétences en intervention sociale.

Figure 2

Les personnages développés dans le cours

Les personnages développés dans le cours

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Le concept infopédagogique en période de pandémie

En raison de la pandémie, l’alternance de cours en classe et en ligne n’était plus possible à l’UQAC à l’hiver 2020. Puisque l’activité universitaire alors dispensée avait déjà été offerte à distance en 2014, elle a pu rapidement être récupérée en formule hybride en ligne avec quelques mises à jour. Chaque leçon divisée en trois séquences a amené les étudiants à : a) développer leurs connaissances, b) développer leurs compétences et c) faire la synthèse de leurs apprentissages.

Avant la rencontre virtuelle hebdomadaire, les étudiants devaient développer leurs connaissances en consultant la vidéo de présentation, dans laquelle la professeure introduisait l’histoire du personnage, les notions centrales de la leçon et la fiche signalétique du cas à l’étude. Une synthèse des contenus, accessible en format vidéo et en format PDF, permettait ensuite aux étudiants de faire des liens entre les notions théoriques et l’étude de cas. Ces synthèses des contenus narrées étaient essentiellement composées de textes, d’illustrations et de cartes conceptuelles (schémas). Des textes scientifiques et des reportages complétaient la documentation. Les étudiants étaient invités à réaliser des exercices permettant d’intégrer les concepts centraux de chaque leçon. À la lumière de toutes ces informations, ils devaient formuler une solution personnelle permettant de résoudre le cas à l’étude.

Dans un deuxième temps, lors de la séance hebdomadaire en conférence Web, les étudiants étaient amenés à développer leurs compétences de manière collaborative. Un retour sur le cas était d’abord fait par la professeure, qui invitait ensuite les étudiants à discuter des solutions potentielles à y apporter en petites équipes. Par la suite, un retour était fait sous forme de plénière lors de laquelle un représentant de chaque équipe partageait avec les autres les solutions envisagées pour aider le personnage à l’étude.

À la fin de la séance, les étudiants faisaient une synthèse de leurs apprentissages en répondant à un sondage pour vérifier leur compréhension des notions abordées. D’un point de vue plus cognitiviste, à certains moments au cours de la session, les étudiants devaient répondre à des questions métacognitives dans leur journal de bord sur Moodle. Ces questions visaient à déterminer le temps nécessaire pour accomplir les tâches demandées, les difficultés rencontrées ainsi que l’utilité perçue de celles-ci afin de faciliter leurs apprentissages. Ces questions leur permettaient de réfléchir à leurs apprentissages, tout en les invitant à se fixer de nouveaux objectifs pour la suite.

Les avantages du concept infopédagogique

De 2014 à 2019, le concept infopédagogique a été utilisé à 27 reprises dans divers programmes en travail social offerts à l’UQAC. Bien que les deux cours développés aient été initialement prévus en formation à distance, ils ont ensuite été majoritairement dispensés en formule hybride, alternant des cours en présentiel et des cours en ligne. Les évaluations des enseignements dispensés dans le cadre de ces cours révèlent que les étudiants en sont très satisfaits, la moyenne de satisfaction générale pour ces cours étant de 3,94/4,00, comparativement à 3,59/4,00 pour l’ensemble des cours enseignés à l’UQAC. Bien que les enseignements de l’hiver 2020 n’aient pas pu être évalués en raison de la pandémie, la formule à distance privilégiée en 2014 avait permis à l’équipe pédagogique d’en tirer un bilan fort positif (Rocheleau et Pouliot, 2016).

À l’hiver 2020, la formule hybride en ligne, alternant des activités synchrones et asynchrones, semble également avoir été appréciée des étudiants. Les interactions qui avaient eu lieu en présentiel avant la pandémie ont contribué à la poursuite de la relation en ligne. Le dialogue s’est donc poursuivi de façon naturelle lors d’une première séance en format synchrone qui a permis de convenir d’un plan d’action pour terminer la session, tout en reprenant la conversation pédagogique. Pour amorcer cette première séance sur Zoom, un message bienveillant a été envoyé sur le forum de discussion de Moodle, afin que les étudiants puissent échanger sur ce qu’ils vivaient, tout en exprimant leurs sentiments concernant la fin de la session qui devait avoir lieu à distance. Cet espace de discussion a été utilisé par 92 % des étudiants inscrits (n = 89) et a permis de créer un climat socioaffectif positif favorisant la collaboration et les interactions entre les pairs lors des rencontres hebdomadaires.

En donnant accès à des contenus en format asynchrone, les étudiants étaient libres d’en prendre connaissance au moment de leur choix, ce qui facilitait la conciliation de leurs responsabilités familiales, professionnelles et scolaires. Deux périodes hebdomadaires étaient prévues en format synchrone afin que les étudiants puissent échanger, poser leurs questions et collaborer. Le fait de demander des tâches aux étudiants et de les rencontrer en classe virtuelle chaque semaine a permis de préserver, chez la grande majorité d’entre eux, leur engagement dans leurs apprentissages.

À l’instar d’études menées sur les facteurs motivationnels liés aux apprentissages des adultes (Mckendry et Boyd, 2012; Sogunro, 2015; Tremblay-Wragg et al., 2018), l’expérience décrite dans cet article révèle certains éléments associés à la motivation des étudiants universitaires, notamment en ce qui concerne l’organisation des cours, la variété des stratégies pédagogiques, les interactions positives ainsi que la flexibilité. La présence de ces éléments dans les cours utilisant le concept infopédagogique à l’UQAC semble donc contribuer à leur motivation, que le cours ait lieu entièrement ou partiellement à distance.

Une formule intéressante, mais qui nécessite de la préparation

La formule présentée dans cet article n’a pas été développée dans le contexte d’urgence de la pandémie. Elle avait été réfléchie auparavant, avec l’aide de la conceptrice pédagogique à l’origine du concept infopédagogique, Johanne Rocheleau. C’est ce qui a permis une adaptation plus rapide des enseignements dispensés lors de la crise sanitaire, car sinon, il faut beaucoup de temps, d’imagination et d’accompagnement pédagogique pour scénariser à la fois l’information et la pédagogie.

L’accompagnement pédagogique des enseignants universitaires semble d’autant plus pertinent à l’ère du coronavirus, dans un contexte où le réseau universitaire doit trouver des solutions rapides afin d’adapter des pratiques pédagogiques habituellement dispensées en présentiel en formation à distance ou hybride. Or, les enseignants universitaires sont engagés selon leur expertise dans leur domaine de recherche et ne possèdent pas nécessairement une formation en pédagogie universitaire ni en technologie éducative (Huot et al., 2017). Ce constat est particulièrement préoccupant dans un contexte où il est démontré que les choix pédagogiques des enseignants ont des conséquences sur l’accessibilité, la persévérance et la réussite aux études supérieures (Tremblay-Wragg et al., 2018). Il importe donc de s’intéresser au problème de la formation pédagogique des professeurs, et ce, afin d’augmenter la qualité de l’enseignement (Bernard, 2011).

Conclusion

Cet article a porté sur l’utilisation du concept infopédagogique de Rocheleau (2007) dans l’enseignement en travail social. Tant en formation à distance qu’en formule hybride, le concept infopédagogique est très apprécié des étudiants. Cette formule semble prometteuse afin de susciter et de maintenir la motivation des étudiants dans leurs apprentissages en ligne. La mise en scène de l’information par la métaphore, les personnages, les histoires de cas et la conception pédagogique suscitent leur intérêt et maintiennent leur motivation dans la poursuite des activités d’apprentissage collaboratives. L’alternance d’activités asynchrones et synchrones semble également constituer une stratégie pertinente afin de favoriser un climat de proximité et de collaboration entre les étudiants, en créant de la « présence à distance » (Jézégou, 2010). Afin de réduire la distance transactionnelle, qui réfère à l’interaction entre les enseignants et les apprenants dans des lieux spatialement séparés, une attention particulière a été accordée au degré de structure, de dialogue et d’autonomie des étudiants (Moore, 2013). Toujours selon cet auteur, l’application de cette formule nécessite toutefois de la préparation afin que la conception pédagogique dicte les principes de l’enseignement et de l’apprentissage et non pas les technologies en soi. Bien que les sessions d’hiver et d’été 2020 aient été bousculées en raison de la pandémie, en donnant lieu à un contexte d’enseignement à distance d’urgence, les prochains mois pourront permettre aux enseignants universitaires de mieux réfléchir à leurs pratiques pédagogiques en ligne.