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Le dépôt légal inscrit les bibliothèques nationales, dépositaires du patrimoine documentaire publié, dans une triple mission : celle d’une collecte visant l’exhaustivité, celle d’une conservation visant la pérennité et celle d’une diffusion visant une égale accessibilité pour tous.

Adopté puis adapté au gré des évolutions historiques singulières à chaque pays depuis sa création en 1537 en France par François 1er, le dépôt légal s’est rapidement et durablement imposé comme un moyen privilégié pour rassembler l’édition nationale. Plusieurs dispositions sur le dépôt légal ont ainsi été adoptées dans de nombreux pays dont la Belgique dès 1594, le Royaume-Uni dès 1610, l’Espagne dès 1616, la Suède en 1661, le Danemark en 1697, la Finlande en 1702, la Roumanie en 1708, la Pologne en 1780 et les États-Unis en 1790 (Larivière et Lunn, 2000). L’historique et l’évolution du régime national du dépôt légal d’un État sont le reflet de l’histoire d’une nation, de son progrès, de sa création, du rétablissement de son indépendance ou la déclaration de celle-ci (Roussel, 2011). À ces évolutions historiques sont venues s’ajouter des évolutions techniques. Mais si le facteur technique a exercé un rôle important dans l’évolution du dépôt légal, notamment en raison des nouveaux types d’édition qu’il a permis de développer, c’est actuellement à une véritable révolution numérique qu’est confrontée cette institution, caractérisée partout par sa grande longévité malgré différentes singularités nationales. Roussel remarque une tendance à l’élargissement du régime national de dépôt légal :

à de nouveaux sujets, à de nouvelles catégories d’oeuvres, dont les oeuvres électroniques ou numériques sur support ou en ligne, et à de nouveaux accès ou services aux clientèles des bibliothèques nationales pour qu’elles puissent avoir un plus grand accès sur place et à distance aux collections de la Bibliothèque nationale. Cela requiert souvent plus de ressources humaines, financières et matérielles, une modernisation des moyens techniques de diffusion et des négociations d’ententes avec les titulaires de droits d’auteur, en outre d’une volonté politique d’agir. De plus, dans plusieurs pays, une révision ou une mise à jour de la législation nationale sur le dépôt légal est demandée ou recommandée afin de tenir compte et de faciliter – sinon d’alléger – l’exercice des missions et des responsabilités de la Bibliothèque nationale en matière de cueillette, de traitement, de conservation, de préservation et surtout d’accès au patrimoine documentaire national, incluant les publications en ligne et les pages web

2011, p. 572

Le livre numérique (LN), plus spécifiquement, questionne les principaux éléments du dépôt légal. Alors que pour certains acteurs, les bibliothèques nationales doivent adapter les lois et règlements existants régissant le dépôt légal pour inclure ces nouveaux modes d’édition, pour d’autres acteurs elles devraient trouver des voies nouvelles pour accomplir différemment leur triple mission. Elles en appellent donc à un dispositif législatif approprié pour ce faire. Mais alors que plusieurs pays ont intégré le LN à leur législation sur le dépôt légal, ce n’est pas encore le cas au Québec, où le dépôt est actuellement volontaire. Nous avons voulu mieux comprendre comment se fait le dépôt légal des publications numériques et proposer certains éléments de réflexion qui pourraient nourrir l’élaboration de nouveaux textes sur le dépôt légal ou aider à la révision de ceux déjà en vigueur.

Objectifs et méthode

Dans le cadre d’une approche inductive et qualitative (Luckerhoff et Guillemette, 2012) réalisée entre février et avril 2021, nous avons collecté différents types de données, analysées au fur et à mesure qu’elles ont été recueillies : a) des données de discours sur le vécu et la réalité du livre numérique en bibliothèque nationale au Québec et au Canada auprès de trois gestionnaires occupant des fonctions de direction relative au dépôt légal, soit mesdames Karin MacLeod et Julie Anne Richardson, gestionnaires à la Direction générale du patrimoine publié à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) et madame Mireille Laforce, Directrice dépôt légal et acquisitions à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) ; b) le contenu d’échanges individuels par courriel avec des intervenants de différentes bibliothèques nationales de plusieurs autres pays et c) des textes scientifiques et des rapports de recherche. Finalement, nous avons présenté notre ébauche d’analyse à un expert du domaine des bibliothèques, afin d’en discuter avec lui : Guy Berthiaume, ancien directeur de BAnQ et bibliothécaire et archiviste du Canada émérite.

En cherchant à appréhender ce phénomène, nous nous sommes intéressés plus spécifiquement au LN d’édition commerciale, non seulement en raison de son importance croissante dans les publications numériques, mais aussi de sa représentativité des éléments contributifs à la compréhension du phénomène à l’étude. Malgré une certaine ambigüité terminologique des termes pouvant désigner le livre numérique, la définition du LN retenue pour notre réflexion est celle proposée en 2010 par l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui le définit de cette manière : « Livre disponible en version numérique, sous forme de fichier, qui peut être téléchargé, stocké et lu sur tout appareil électronique qui en permet l’affichage et la lecture sur écran » (n. p.). Nous avons notamment voulu savoir pourquoi, alors que le dépôt légal des LN est obligatoire au Canada depuis 2007, il ne l’est pas actuellement au Québec, où il se limite toujours aux livres imprimés, objets originels du dépôt légal. En effet, le dépôt légal des LN se fait sur une base volontaire au Québec. Nous avons également voulu contribuer à expliquer les conséquences possibles de cette situation. Finalement, nous avons souhaité proposer certains éléments de réflexion préalables à l’élaboration de nouveaux textes sur le dépôt légal ou à la révision de ceux en vigueur. Nous présentons des analyses pour chacune des trois missions des organismes dépositaires du dépôt légal : la collecte, la conservation et la diffusion.

Analyses

Présent dans de nombreux pays, le dépôt légal fait l’objet de plusieurs définitions le nuançant localement. Nous retenons dans notre étude la définition proposée par Laforce et Paré qui nous semble à la fois suffisamment précise et générale pour bien circonscrire cet objet d’étude :

Le dépôt légal peut être défini comme un mode d’acquisition privilégié, utilisé par les institutions nationales ayant pour objectif de rassembler le patrimoine documentaire publié. Plus précisément, on le définit ainsi : le dépôt légal est l’obligation faite par la loi à toute personne physique ou morale, à but lucratif ou public, qui produit en nombre un document de quelque type que ce soit d’en déposer un ou plusieurs exemplaires auprès d’un organisme national désigné. L’institution qui reçoit les documents par la voie de cette obligation légale peut ainsi remplir certaines missions qui lui sont attribuées, plus particulièrement celles de rassembler et de conserver le patrimoine documentaire publié ainsi que d’y donner accès

2011, p. 263

Nous reprenons dans nos analyses certains éléments d’un régime de dépôt légal parmi ceux suggérés par Larivière et Lunn (2000). Ces éléments nous ont semblé témoigner plus spécifiquement des enjeux présentés par l’élargissement du dépôt légal obligatoire au LN. Bien qu’interreliés, les éléments de la triple mission des bibliothèques nationales – collecte, conservation et diffusion – sont présentés séparément dans notre analyse afin d’en faciliter l’intelligibilité.

Collecte

La collecte s’intéresse à la capture des objets et aux critères de sélection. Il en sera ici question selon deux aspects : législatifs dans un premier temps et techniques dans un second.

1. Aspects législatifs

Dans son importante étude de situation et étude comparative de divers points de vue nationaux du dépôt légal de publications, Roussel précise que :

Le régime du dépôt légal est encadré par une législation ou une réglementation nationale et il oblige habituellement un éditeur d’une oeuvre visée à déposer, dans un délai prescrit, à la bibliothèque nationale, parfois à d’autres institutions documentaires habilitées à recevoir le dépôt légal, des exemplaires ou des copies – généralement deux – de ladite oeuvre. Des exclusions peuvent exister et certaines formalités doivent être respectées. Le dépôt légal est la principale source d’alimentation et d’enrichissement des collections d’une bibliothèque nationale, en outre des acquisitions de documents auxquels elle peut procéder, selon la disponibilité de ses budgets, et des dons qu’elle peut recevoir

2011, p. 394

Deux éléments importants concernant la collecte des documents publiés, soit l’origine de la publication et l’exhaustivité, nous ont semblé témoigner significativement de la nécessité de réflexions préalables à l’élaboration de nouveaux textes sur le dépôt légal ou à la révision de ceux en vigueur.

1.1 Origine de la publication

Le dépôt légal permet de constituer une collection nationale de publications. Conséquemment, l’origine ou le lieu de la publication devrait en être, pour Larivière et Lunn (2000), l’élément fondamental.

Plusieurs nuances peuvent toutefois être apportées à cet élément car tous les territoires ne l’appliquent pas de la même manière. Au Manitoba, où le dépôt légal existe depuis 1919, en vertu de la Loi sur la Bibliothèque de l’Assemblée législative, c’est seulement sur demande écrite du bibliothécaire de l’Assemblée législative que les publications non gouvernementales éditées, imprimées ou produites électroniquement au Manitoba sont visées par le dépôt légal.

Au Canada, le dépôt légal est en vigueur depuis 1953, année de création de la Bibliothèque nationale. Le dépôt légal, qui s’appliquait alors principalement aux livres, a été progressivement élargi. Par exemple, depuis 2007, il inclut les publications numériques ou diffusées en ligne. La Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada définit le patrimoine documentaire comme « [l]es publications et les documents qui présentent un intérêt pour le Canada ». Le dépôt légal s’applique à tous les éditeurs et producteurs canadiens, éditeurs que le Règlement sur le dépôt légal de publications définit comme « [l]a personne qui rend accessible une publication au Canada, dont elle contrôle le contenu ou qu’elle est autorisée à reproduire » (art. 1). La collecte de titres produits à l’étranger d’auteurs canadiens est très limitée selon Mmes MacLeod et Richardson et se fait à la pièce, par achat et don.

Au Québec, le dépôt légal existe depuis 1968. La mission de BAnQ, telle que précisée dans l’article 14 de la Loi sur Bibliothèque et archives nationales du Québec, est de « rassembler, de conserver de manière permanente et de diffuser le patrimoine documentaire québécois publié et tout document qui s’y rattache et qui présente un intérêt culturel, de même que tout document relatif au Québec et publié à l’extérieur du Québec ». Toutefois, Mme Laforce précise que les publications relatives au Québec ne sont pas soumises au dépôt légal en tant que telles. BAnQ acquiert bien des publications relatives au Québec et qui n’y ont pas été produites, mais cela se fait par achat ou don. Mme Laforce indique :

Les livres « relatifs à » ne sont pas soumis au dépôt légal. Leur « collecte » se fait par achat ou don. Pour l’instant, on n’y fait que peu d’acquisitions numériques ; mais les acquisitions imprimées continuent. Pour le numérique, nos efforts se concentrent actuellement sur le dépôt légal, donc la production éditoriale nationale.

Au Luxembourg, pour être soumise au dépôt légal, une publication doit aussi être éditée sur le territoire national. En vertu de l’article 1er du Règlement grand-ducal du 6 novembre 2009 relatif au dépôt légal, le dépôt légal des publications numériques est obligatoire depuis 2009. Sont visées « les publications numériques sur support matériel quelle que soit la nature de ce support […], les systèmes d’experts et autres produits de l’intelligence artificielle, les bases de données, les logiciels et progiciels ; […] les publications sans support matériel mises à disposition du public à travers un réseau électronique ». L’article 3 du même règlement précise qu’est ainsi concernée toute publication d’un éditeur, ou à défaut, un imprimeur, un producteur ou un auteur résidant ou ayant son siège au Luxembourg ; ou résidant ou ayant son siège à l’étranger mais réalisée au Luxembourg, ainsi que toute publication, thèse ou mémoire de recherche dont la production a été soutenue par un organisme du secteur public au Luxembourg.

En Belgique, le régime de dépôt légal a été récemment modifié par la Loi du 8 juillet 2018 modifiant la loi du 8 avril 1965 instituant le dépôt légal à la Bibliothèque royale de Belgique. La Bibliothèque royale de Belgique, devenue la Koninklijke Bibliotheek et Bibliothèque royale KBR, considère comme édition belge toute publication dont l’éditeur ou le coéditeur a son siège social en Belgique et toute publication d’un éditeur étranger qui porte l’indication d’un lieu d’édition belge ou qui mentionne le nom d’une firme belge qui assume une responsabilité dans l’édition de la publication pour la Belgique.

L’origine de la publication est ainsi un élément important pour déterminer l’objet visé par la collecte de publications numériques. Malgré l’objectif de préservation de la mémoire collective nationale partagé par les régimes de dépôt légal de plusieurs pays, une certaine disparité dans l’interprétation de ce qui doit être inclus et qui présente un intérêt est constatée entre eux. De plus, pour les publications numériques relatives à un territoire donné, mais non produites sur ce territoire et non soumises au dépôt légal, certaines bibliothèques nationales procèdent par achat et don, comme avec les publications imprimées concernées.

1.2 Exhaustivité

Le principe d’exhaustivité des documents soumis du dépôt légal est une qualité fondamentale de ce régime (Larivière et Lunn, 2000 ; Fournier, 1993). Toutefois, l’accroissement de la production documentaire et la présence de considérations pratiques relatives notamment aux ressources humaines, financières, techniques ou technologiques ainsi que des problèmes juridiques « pourraient être d’excellentes raisons de ne pas pousser l’exhaustivité au maximum » (Larivière et Lunn, 2000, p. 14). Plusieurs limites à l’exhaustivité des documents collectés par dépôt légal sont ainsi présentes dans les différentes lois, les décrets ou règlements concernés, ainsi que les politiques des organismes dépositaires.

Au Québec, le dépôt légal s’inscrit comme un élément de la politique culturelle québécoise. Le site Internet de BAnQ mentionne que le dépôt légal lui permet de rassembler, de conserver et de diffuser l’ensemble du patrimoine documentaire québécois publié et que « BAnQ devient ainsi la mémoire exhaustive du Québec, puisque tout ce qui s’y publie lui est confié » (2021, n. p.). Toutefois, ni la Loi sur Bibliothèque et archives nationales du Québec, ni le Règlement sur le dépôt légal des documents publiés autres que les films ne mentionnent explicitement une volonté d’exhaustivité ou de représentativité dans le rassemblement du patrimoine documentaire québécois publié. Deux facteurs influençant l’exhaustivité peuvent être relevés. Le premier est prévu dans la législation. Ainsi, trente-huit catégories de documents publiés sont soustraites, par règlement, à l’obligation de dépôt prévue à l’article 20.1 de la loi. Il s’agit par exemple des communiqués de presse, bottins d’employés, agendas et cartes de voeux. Le second facteur résulte de l’absence, dans la législation québécoise, de définition des termes « publication/document publié ». En 2019, face à l’augmentation de l’autoédition accompagnant le développement du numérique, une description de ce qu’est un document publié a été proposée par BAnQ dans le Petit guide de l’autoédition au Québec :

Pour être considéré comme publié, un ouvrage doit avoir été rendu public et faire l’objet, de la part de l’éditeur, d’un effort de diffusion. Le document doit par exemple être disponible sur une plateforme de vente en ligne, être présent sur un site web, être vendu en librairie ou encore avoir fait l’objet d’un lancement.

BAnQ, 2019, p. 4

C’est donc sur la base d’une diffusion à un public qu’une certaine discrimination est opérée. Mme Laforce explique :

Il y a actuellement un grand engouement pour l’autoédition, puisque c’est plus facile de publier en numérique qu’en imprimé. Toutes sortes de documents nous sont proposés mais ce qui nous intéresse ce sont les publications. Nous avons donc eu le besoin d’émettre des directives pour clarifier ce qu’est une publication et préciser le minimum de critères que devrait avoir une publication pour se qualifier en tant que publication pour qu’on la prenne en dépôt légal, en plus de faire l’objet d’un effort de diffusion : une page de titre, un auteur, des numéros de page, une date d’édition, etc.

Une clarification des limites du dépôt légal par l’imposition de caractéristiques permettant de distinguer une publication numérique d’un document numérique au sens du dépôt légal est actuellement présente à BAnQ.

En France, les articles L131-2 et R131-1 du Code du patrimoine précisent le champ d’application du dépôt légal, qui s’étend à l’ensemble des publications, quel que soit leur procédé technique de production, d’édition ou de diffusion, et doit être fait dès lors qu’elles sont mises à la disposition du public. Cette mise à disposition « s’entend non seulement de toute communication, diffusion ou représentation, quels qu’en soit le procédé et le public destinataire dès lors que ce dernier excède le cercle de la famille, mais aussi de toute mise en vente, location ou distribution, même gratuite ». Le site Internet de la Bibliothèque nationale de France (BnF) mentionne que le dépôt légal concerne les e-books ou livres numériques, qui désignent un objet numérique ressemblant en partie à une monographie imprimée sur papier et diffusé en ligne. Mais « c’est bien la vocation à être publié qui fonde, pour un document, quel qu’en soit le support, sa vocation à entrer dans le champ d’application du dépôt légal » (Saby, 2013, p. 19).

Pour la Principauté de Monaco, l’article premier de la Loi n° 1.313 du 29 juin 2006 sur le dépôt légal énonce :

[l]es documents textuels, illustrés, sonores, audiovisuels ou multimédia, quels qu’en soient le support matériel et le procédé en assurant la communication, réalisés, en tout ou en partie, dans la Principauté, doivent faire l’objet d’un dépôt obligatoire, appelé dépôt légal, dès lors qu’ils sont mis à la disposition du public.

En Afrique du Sud, une évolution intéressante des termes choisis pour désigner le matériel à déposer en vertu du dépôt légal à des fins d’exhaustivité peut être notée. Ainsi, pour Hollesen (2010), alors que la Loi de 1965 sur le droit d’auteur référait à l’obligation de déposer un livre (article 46), la Loi de 1982 sur le dépôt légal des publications réfère à l’obligation de déposer une « publication ». Plus récemment, la Loi de 1997 sur le dépôt légal vise le dépôt d’un « document publié », un document étant défini comme tout objet dont le but est d’emmagasiner et de transmettre de l’information sous une forme textuelle, graphique, visuelle, auditive ou sous un autre format intelligible au moyen d’un médium, d’une version ou d’une édition d’un document qui est substantiellement différent de ce document au regard de son contenu informationnel, de sa présentation intelligible ou matérielle, étant considéré être un document distinct (Hollesen, 2010).

En Belgique, le terme « publication » doit être pris dans un sens large et comprend : les publications imprimées, les microfilms, ainsi que les documents publiés sur CD, cédérom, DVD, clé USB ou autres supports matériels. Le dépôt des publications numériques reste provisoirement sur une base volontaire ; le dépôt obligatoire s’applique dès que la publication est proposée au public ; et ce, « même s’il s’agit d’un public restreint (membres d’une association, personnel d’une entreprise, etc.) », tel que précisé à l’article 2 de la Loi du 8 avril 1965 instituant le dépôt légal à la Bibliothèque royale de Belgique. Vandepontseele (2016) considère que l’édition numérique remet en question la possibilité pratique d’appliquer le dépôt légal et pour elle, « c’est une partie de l’histoire éditoriale digitale belge qui échappe déjà aux gardiens de cette mémoire » (Vandepontseele, 2016, p. 206). Elle suggère de « travailler sur une définition suffisamment large qui permettra d’accueillir toutes les nouvelles formes de publications héritières du papier et transmettant de l’écrit » et de « faire attention à ne pas entrer dans une description trop précise qui empêcherait la Bibliothèque royale d’appliquer le dépôt légal de publications numériques sur des supports ou des formats qui n’existent pas encore » (Vandepontseele, 2016, p. 207-208). Elle recommande également que la définition des supports concernés ne soit pas « reprise dans un texte réglementaire mais plutôt dans un texte plus facilement adaptable comme, par exemple, la charte du développement des collections qui déterminera un cadre de travail et de règles de sélection pour le choix des publications numériques » (Vandepontseele, 2016, p. 208).

Plusieurs définitions et compréhensions possibles de ce qu’est ou n’est pas le LN sont aussi retrouvées dans la littérature scientifique. À titre indicatif, Poirier et al. identifient « trois grands types de définition du livre numérique : les approches au sein desquelles le numérique est pensé comme découlant de l’imprimé, les définitions qui insistent sur les aspects polymorphe et évolutif, et les cas de définition indépendants du livre imprimé » (2015, p. 121).

Même lorsque l’exhaustivité ou les limites à l’exhaustivité sont prévues par la législation ou la réglementation nationale sur le dépôt légal, des considérations pratiques sont présentes. Au Canada, la Loisur la Bibliothèque et les Archives du Canada définit le terme « publication » comme un « [a]rticle de bibliothèque mis à la disposition – quel que soit le média, la forme ou le support utilisé, notamment imprimé, enregistrement ou en ligne – du grand public ou d’un segment particulier du public, par abonnement ou autrement, en de multiples exemplaires ou à plusieurs endroits, à titre gratuit ou contre rémunération » (art. 2). Malgré cette définition large des objets à collecter, Mmes MacLeod et Richardson mentionnent spontanément une limite à l’exhaustivité liée à certains formats de documents qui ne sont désormais plus acceptés, par exemple les livres sur disque, en raison de l’impossibilité de les lire, ce qui est susceptible de réduire l’exhaustivité de la collecte. Le site Internet de BAC précise également que parmi les documents non acceptés dans le cadre du dépôt légal se trouvent les « documents auxquels il manque des attributs essentiels (titre distinct, auteur précis ou entité propriétaire, date de publication précise, etc.) » (2021, n. p.).

Au Manitoba, bien que l’article 9 de la Loi sur la Bibliothèque de l’Assemblée législative permette le dépôt des publications produites électroniquement, sur demande écrite du bibliothécaire de l’Assemblée législative, ce sont essentiellement des copies électroniques des publications du gouvernement du Manitoba qui sont conservées. Un répondant explique : « pour ce qui a trait aux publications non gouvernementales, nous n’avons tout simplement pas l’infrastructure ou les ressources nécessaires pour conserver des copies électroniques ».

Non seulement les catégories de documents publiés exclus du dépôt légal peuvent varier d’un pays à l’autre et les définitions des termes visant l’objet du dépôt légal peuvent varier pour un même objet, mais des considérations pratiques peuvent en nuancer la portée. On observe ainsi la présence de deux types d’exhaustivité relatives à la collecte de documents publiés ou de publications. La première concerne l’exhaustivité des catégories de documents eux-mêmes et répond à la question : quels documents devraient être soumis à l’obligation du dépôt légal ? Ce questionnement est en lien avec le choix des catégories de documents publiés ou publications à soumettre et leurs définitions. La seconde concerne une exhaustivité que nous pourrions qualifier de « pragmatique » et répond à la question : quel niveau d’exhaustivité veut-on atteindre ou peut-on atteindre dans la collecte pour chaque nature de documents publiés ou publications soumises à l’obligation de dépôt légal ? Ce questionnement est en lien avec la représentativité des documents publiés ou publications collectées. Au Québec, en l’absence de dispositions législatives ou réglementaires encadrant le dépôt des publications numériques, des distinctions importantes sont faites et peuvent favoriser ou limiter l’exhaustivité de la collecte effectuée pour certains modes de diffusion. Laforce et Paré indiquent que :

[L]es publications numériques ont une valeur documentaire aussi importante que les documents sur support physique. C’est donc dans cette optique que BAnQ a mis sur pied, en 2001, un dépôt volontaire des publications numériques, l’institution se réservant la possibilité d’effectuer une certaine sélection parmi les publications reçues. […] En 2009, BAnQ a entrepris des travaux visant à « moissonner » les sites Internet des ministères et organismes gouvernementaux québécois. Le « moissonnage » consiste à reproduire le site Internet à l’aide d’un logiciel, de façon à conserver une représentation du site à un moment donné. […] Les sites Internet, comme les publications numériques, sont l’expression d’un autre mode d’édition qui n’est toujours pas soumis au dépôt légal. Il s’agit d’un patrimoine documentaire important que BAnQ se doit de préserver afin d’offrir un portrait, bien que fragmentaire, de ce mode de diffusion d’information aux chercheurs d’aujourd’hui et de demain...

2011, p. 268

2. Aspects techniques de la collecte

Les approches de collecte des publications évoluent et s’adaptent non seulement aux types de publications mais aussi aux types de support qui sont créés. Le modèle de collecte du livre imprimé n’est pas intégralement transposable au LN en raison de la nature numérique du type de support. Le LN mobilise ainsi une nouvelle approche de collecte des publications, qui est spécifique au type de support utilisé (imprimé/analogique ou numérique) et au caractère commercial ou non du type de publication.

Au Canada, le dépôt légal des publications numériques s’applique depuis 2007. Un téléversement de fichiers numériques est possible via la page Internet de BAC. Les éditeurs ont aussi la possibilité de prendre des dispositions afin d’inclure BAC comme partenaire de distribution dans le cadre d’un transfert FTP (File Transfer Protocol).

Au Québec, face à l’enjeu technique de collecte de publications numériques, BAnQ a développé dès 2001, l’expertise d’une collecte reposant sur des licences. La collecte de publications numériques a ainsi commencé à BAnQ il y a environ vingt ans dans le cadre d’une première entente avec Les Publications du Québec, éditeur du gouvernement du Québec, entente par laquelle une licence lui avait été accordée. Par cette licence, qui s’appliquait à l’ensemble des ministères et organismes gouvernementaux signataires de l’entente, BAnQ était autorisée non seulement à recevoir les publications numériques, mais aussi à les diffuser à travers son catalogue. Une autre expérience de dépôt de publications numériques a débuté en 2009 avec l’ajout de la collecte de documents émanant du secteur privé, principalement les organismes à but non lucratif, les ordres professionnels et d’autres organismes. Mme Laforce explique : « Depuis 2009, BAnQ a un extranet qui permet aux éditeurs d’avoir des identifiants et un accès à leur dossier et qui leur permet de joindre des fichiers et ainsi déposer leurs publications ». C’est depuis 2013 que le secteur commercial est approché. La collecte de LN se fait actuellement par le truchement d’ententes avec les maisons d’édition (et leurs regroupements) et d’agrégateurs de publications numériques. Bien que le dépôt de LN soit fait sur une base volontaire depuis 2013, l’importance de ces ententes est très présente. Mme Laforce précise :

Après les publications numériques gouvernementales, on [BAnQ] s’est particulièrement intéressé aux publications commerciales. Depuis 2013, on a une entente avec l’Entrepôt du LN-ANEL De Marque, par laquelle, si un éditeur membre diffuse/distribue ses publications numériques par cet agrégateur, on l’approche pour obtenir une licence nous permettant d’obtenir leurs publications. Cette possibilité nous permet, pour les éditeurs qui ont signé l’entente, de recevoir automatiquement toutes les nouveautés (nouveaux dépôts dans l’entrepôt numérique), une fois par semaine. Du côté de l’éditeur, ça le dégage d’avoir à penser à nous envoyer les publications. Les éditeurs ont été approchés à quelques reprises depuis 8 ans en vue d’obtenir une licence. Progressivement, le nombre d’éditeurs participants augmente. Le fait de ne pas avoir d’obligation pour soutenir notre démarche demande davantage d’énergie pour convaincre.

En France, la collecte de LN se fait de façon automatisée, il n’y a donc aucune formalité de dépôt pour le LN. Les modalités de dépôt sont celles du dépôt légal de l’Internet, et conséquemment, l’éditeur n’a aucune démarche à effectuer, la bibliothèque effectuant la collecte automatique, par échantillonnage, visant ainsi à assurer la meilleure représentativité possible de ses collections[1].

Volontaire ou imposé, le dépôt légal de livres numériques semble se réaliser actuellement principalement par deux voies : par des ententes avec les éditeurs ou producteurs nationaux en vertu desquelles une collecte automatisée des données peut être effectuée, et par téléversement via les sites Internet des dépositaires. Bien qu’il constitue une réelle opportunité processuelle, le mode de collecte par ententes de collecte automatisée avec les éditeurs ne semble applicable qu’aux publications de LN visées par les différents dépôts légaux. La collecte de LN d’auteurs, d’éditeurs ou de producteurs nationaux non domiciliés dans leur pays d’origine, ainsi que ceux présentant un intérêt culturel particulier ou relatifs au territoire concerné, qu’il soit national, provincial ou autre ne pourrait pas bénéficier de cette opportunité. Cette difficulté, bien que non spécifique au LN, semble toutefois susceptible de revêtir une importance particulière dans la mesure où elle peut constituer un risque accru de perte d’exhaustivité des publications collectées par institutionnalisation d’un unique mode de collecte automatisé restreignant les efforts de collecte aux publications nationales. Comment l’automatisation escomptée de la collecte de LN en vertu du dépôt légal influencera-t-elle s’il y a lieu les pratiques d’achat et de don de LN présentant un intérêt culturel ou relatif à un territoire donné mais non diffusé sur ce territoire ? De plus, les nuances et interprétations possibles des termes « publications » et des critères qui les définissent, mais aussi des notions de diffusion à « un public », à « un grand public », à « un segment particulier du public », à « un public restreint » ou encore à « un public dépassant le cercle de la famille » sont susceptibles d’avoir certaines conséquences sur l’exhaustivité de la collecte en vertu du dépôt légal, notamment en ce qui concerne l’autoédition.

Par ailleurs, sans négliger les importants aspects juridiques techniques et commerciaux qui pourraient être présents, pour les publications numériques n’ayant pas fait l’objet d’un dépôt volontaire avant l’imposition du dépôt légal, la conclusion d’ententes de collecte automatisée prévoyant une période rétroactive à l’imposition du dépôt légal pourrait favoriser une meilleure exhaustivité du patrimoine documentaire numérique publié. Mme Laforce explique que « les ententes prises avec les éditeurs visent à recevoir le rétrospectif, sur une base volontaire ». Les enjeux précisés plus haut portent à croire qu’il ne sera pas possible de reconstituer l’ensemble de l’édition numérique nationale lorsque le dépôt légal des publications numériques deviendra obligatoire au Québec, le cas échéant.

Si l’évolution du dépôt légal témoigne de « la volonté constante du législateur d’adapter le champ du dépôt légal à l’environnement culturel de son époque » (Sepetjan et Graff, 2010, p. 172), en contexte d’accroissement exponentiel de la production documentaire numérique, des appels au remplacement du principe d’exhaustivité se font entendre. Tel que mentionné dans l’allocution de Daniel J. Caron[2], Administrateur général et Bibliothécaire et archiviste du Canada à l’occasion du Symposium 2011 du droit à la vie privée de l’Association du Bureau canadien et de la 7ème Conférence internationale des commissaires à l’information le 5 octobre 2011, le contexte opérationnel de la mémoire collective et son protocole sont modifiés par la transformation radicale de la transition passant de l’exclusivement analogique vers le principalement numérique. Ainsi, dès 2011, Caron proposait de repenser les pratiques permettant d’accueillir le corpus documentaire en prenant comme point de départ des réflexions à cet effet de « cesser de croire que nous pouvions systématiquement tout acquérir et conserver » (Caron, 2011). Dans le respect des capacités humaines et financières, considérant le volume d’information numérique produit, il mentionnait que l’acquisition systématique devait céder la place à l’échantillonnage représentatif, « ce qui suppose inévitablement un processus de sélection fondé sur des critères appropriés » (Caron, 2011). Un tel échantillonnage représentatif semble actuellement effectué au Québec, au Canada et en France, notamment pour les publications des sites Internet. En France, Sepetjan et Graff remarquent à ce sujet que « le dépôt légal de l’Internet pèse sur les organismes dépositaires et n’implique aucune démarche de dépôt de la part de l’éditeur » (2010, p. 183). De plus, pour elles, si des raisons de place, de coût de stockage et de traitement des données devaient motiver une collecte de l’Internet revêtant un caractère non exhaustif, « les organismes dépositaires seraient libres de déterminer la périodicité et le niveau de profondeur de leur collecte » (Sepetjan et Graff, 2010, p. 183). Bien que notre recherche ne visait pas à explorer si cette pratique semble être une avenue envisagée au Québec ou au Canada pour les LN, cela ne semble pas être le cas. Concernant l’archivage des sites web québécois, Mme Laforce explique :

Nous faisons aussi l’archivage de sites web québécois. Ils sont considérés comme un type de publications pour nous, c’est-à-dire qu’ils font partie du patrimoine documentaire publié auquel on s’intéresse également, parce qu’on considère qu’il faut en garder trace pour la postérité. Donc depuis 2009 on a débuté des travaux d’archivage de sites web. En 2012, c’est devenu un programme officiel. Dans le LN on vise à être le plus complet possible dans ce qu’on va chercher, alors que dans le site web, le programme est sélectif. Le web est immense, on ne serait pas capable de tout conserver. Le fonctionnement diffère de celui du dépôt légal, dans lequel l’éditeur nous dépose ses publications alors que dans le site web, on a des outils et on va chercher les sites web.

En l’absence de dépôt légal obligatoire du LN, l’arbitrage qui est actuellement fait au Québec quant à la collecte de publications numériques semble se faire pour des motifs autres que financiers. Mme Laforce indique :

Pour l’archivage de sites web, on a un enjeu de disparation, si on ne le fait pas alors qu’il est encore en ligne. Par exemple : La Toile du Québec, site très connu, mais dont le propriétaire a décidé de retirer la diffusion il y a quelques années. BAnQ a essayé d’aller chercher une licence, sans succès. Le site est donc disparu et on l’a perdu. L’enjeu est présent au niveau de l’archivage des sites web, mais moins critique au niveau des publications numériques, qui sont des fichiers, avec plusieurs copies. Les publications numériques ont tout de même un risque de disparition plus grand qu’au niveau de l’imprimé.

Mme Laforce a ajouté, un peu plus tard au cours de notre démarche :

Dans les faits, cette situation ne se reproduirait plus aujourd’hui. Si l’on porte à notre connaissance la disparition prochaine d’un site, on va aller le collecter même si on n’a pas de licence. Nous conserverons le site, sans toutefois y permettre un accès. Je donnais cet exemple pour démontrer la fragilité du Web.

Toutefois, des enjeux de capacités humaines et financières pourraient devenir plus pressants et s’ajouter aux enjeux techniques. Selon les Statistiques de l’édition au Québec en 2018, produites par BAnQ, malgré le caractère actuellement volontaire du dépôt de publications numériques, une hausse de 13 % des titres numériques reçus par BAnQ a été notée entre 2009 et 2018. De plus, le nombre d’auto-éditeurs de publications numériques a lui aussi augmenté substantiellement au cours de la même période. Ces chiffres témoignent de l’engouement durable et progressif pour ce type de support pour la publication de monographies et du succès des approches et modèles de collecte de publications numériques proposés par BAnQ. Le nombre de titres numériques inclus dans ces calculs ne représente qu’une partie de l’ensemble de la production de titres numériques au Québec étant donné l’aspect volontaire du dépôt. La remise en cause du principe d’exhaustivité étant acquise pour certains types de publications, notamment pour les motifs présentés précédemment, la question que le LN pourrait poser aux dépositaires, alors que le nombre de publications numériques et d’autoéditions numériques est en croissance constante, est celle de sa valeur (au sens d’intérêt versus coût de collecte) parmi l’étendue des types de publications, dont les sites Internet, dans un contexte budgétaire rendant nécessaire un certain arbitrage des ressources. Quels devraient être les critères de sélection qui pourraient devoir être instaurés dans la collecte ? Par qui devraient-ils être déterminés et comment devraient-ils être intégrés au régime de dépôt légal ? Il s’agit de questionnements qui mériteraient une certaine attention, bien qu’ils ne soient pas nouveaux. En effet, dès 1993, Fournier mentionnait : « Sans doute faut-il pratiquer une sélection éclairée parmi certains types de documents qui présentent un intérêt culturel négligeable, mais il importe de résister généralement à la tentation de choisir, de porter des jugements de valeur que les générations futures regretteront. Le danger d’infirmer des principes fondamentaux dans le but de résoudre des problèmes techniques et administratifs est grand, surtout en période de contraintes budgétaires majeures » (1993, p. 99).

Conservation

Alors que la collecte en vertu du dépôt légal porte sur la capture des objets, dont les LN soumis ou susceptibles de lui être soumis, et s’intéresse aux critères de sélection de ces objets, la conservation questionne la préservation des objets collectés. Cette préservation s’inscrit dans une perspective de temporalité, de responsabilité et d’utilité.

1. Temporalité

Dès sa création par François 1er en France en 1537, le dépôt légal, par lequel aucun livre imprimé dans le royaume ne devait plus être vendu en France avant qu’un exemplaire n’ait été déposé dans la bibliothèque royale désignée, visait la conservation du patrimoine publié pour les futures générations, afin de « pouvoir avoir recours auxdits livres si de fortune ils étaient cy après perdus de la mémoire des hommes ». (Sepetjan et Graff, 2011, p. 169). Pour Roussel, « [A]u fil des ans, le dépôt légal a délaissé la censure pour devenir un réel mécanisme démocratique de collecte de l’ensemble du patrimoine documentaire national afin de le préserver pour les générations futures et de le mettre en valeur, quels que soient le producteur du document, son contenu, son support matériel » (2011, p. 411).

Au Canada, la Loi sur BAC lui confère les pouvoirs légaux de rassembler et de conserver le patrimoine documentaire du pays « pour les futures générations ». De plus, en vertu de cette loi, « [l]’administrateur général peut éliminer les publications ou documents dont il a la responsabilité s’il estime que leur conservation n’est plus nécessaire » (art. 9.1). Au Québec, BAnQ rend disponible sur son site Internet aux déposants un formulaire d’octroi d’une licence pour les publications commerciales, par lequel les déposants de publications commerciales autorisent le dépositaire à effectuer les opérations requises, notamment la migration, la conversion et la fusion, afin de répondre aux normes informatiques de BAnQ pour assurer la conservation et la diffusion à long terme.

En France, le site Internet de la BnF mentionne que par le dépôt légal, la publication transmise au département qui en assurera sa conservation acquiert un caractère patrimonial. Il est également mentionné que « la BnF les conserve pour l’éternité[3] ».

La conservation, au sens d’archivage est donc une question d’avenir, « la question d’une réponse, d’une promesse et d’une responsabilité pour demain » (Derrida, 1995, p. 60). Mais là où la collecte est confrontée à la non-finitude des objets à rassembler, toujours en évolution, la conservation postule leur finitude intrinsèque (certains acteurs considèrent que les objets sont finis en ce sens qu’ils sont un portrait pris à un moment donné alors que d’autres considèrent qu’ils évoluent même après leur collecte). Avec la conservation, l’objet se fait trace. La trace, pour Derrida, est toujours finie, elle peut toujours s’effacer, se perdre, s’oublier et se détruire, et l’archivation est « un travail fait pour organiser la survie relative, le plus longtemps possible, dans des conditions politiques ou juridiques données, de certaines traces choisies à dessin » (2002, p.31). Paradoxalement, le principe même de la conservation s’accommode mal du principe de pérennité dans la mesure où la conservation présuppose une durée de conservation, généralement sur un temps long, et conséquemment une fin d’utilité, sanctionnée par la destruction de l’objet.

2. Responsabilité

Fournier note que « [l]a pratique habituelle tend à lier naturellement la responsabilité de l’application du dépôt légal à celle de la constitution d’une bibliographie nationale » (1993, p. 96). Cette constitution d’une bibliographie est mise de l’avant auprès des producteurs de publication. Pour BAC et BAnQ, le dépôt légal présente deux principaux avantages pour les producteurs : (1) la conservation et (2) l’intégration à la bibliographie nationale, laquelle contribue à faire connaître la publication et conséquemment à sa diffusion. Ces deux avantages semblent particulièrement intéressants pour le LN d’auto-éditeurs, car elle peut leur assurer la disponibilité d’une « version de secours » tout en contribuant à l’effort de diffusion de leur livre grâce à son insertion à la bibliographie nationale concernée. Cependant, là encore, les enjeux techniques de préservation de l’intégrité du contenu mais aussi du contenant et les enjeux financiers sont susceptibles de réduire l’exhaustivité des publications concernées.

Tel que noté par Boydens (2004), les métadonnées sont elles-mêmes des données et sont dès lors tout aussi fragiles. Les métadonnées n’échapperaient pas au foisonnement des standards et aux préoccupations de pérennité des supports physiques, des logiciels et des formats.

Mmes Leod et Richardson expliquent certains risques et coûts liés à la conservation des LN :

BAC a le mandat d’acquérir mais aussi préserver et donner l’accès. La conservation visée est pérenne. BAC est responsable de la conservation de la publication pour toute sa durée de vie. Comment conserver le LN ? C’est certain que le format accepté conditionne la préservation, des enjeux sont soulevés par l’évolution de la technologie. Pour le téléversement on n’accepte que les fichiers PDF (non interactifs) et EPUB car il faut pouvoir les rendre accessible ultimement. Nous ne conservons pas des publications numériques que nous ne pourrions pas être en mesure de diffuser pour des raisons technologiques. Et il y a aussi un enjeu financier. Les coûts sont équivalents qu’on ait besoin d’une place sur une étagère pour conserver un livre ou qu’on achète un espace de stockage de type « Cloud Storage ». Mais avec le LN, c’est moins tangible, mettre un livre analogique sur une étagère ou mettre un LN dans le nuage ne donne pas nécessairement la même perception du coût. En plus, avec le livre analogique, à moins d’un incendie, le livre va vivre indéfiniment sur une étagère du moment que les conditions de conservation requises sont respectées. Une fois sur l’étagère pour conservation, aucune autre intervention n’est requise. Avec le LN, il y a plus de risques : même si je réduis les risques liés à l’évolution technologique qui feraient que je ne peux plus le lire, mais il y a aussi des risques de piratage, il y a une réelle préoccupation de sécurité. […] Si la compagnie chargée de notre stockage est achetée par une autre compagnie, y aura-t-il des enjeux de droits d’accès, de copyright ? C’est peut-être possible.

Mme Laforce partage ces préoccupations :

La mission de conservation est une mission ingrate : on reconnaît que c’est important mais ce n’est pas visible et l’importance se situe à long terme. Mais si on ne s’intéresse pas maintenant au numérique, il y a des bonnes chances que ce qui est publié aujourd’hui soit complètement disparu dans 100 ans. Alors qu’un journal publié il y a 100 ans pourrait être retrouvé dans le sous-sol de quelqu’un et pourrait être offert en don, c’est différent avec le numérique. Un fichier numérique a de bonnes chances de finir sur une disquette ou un disque dur et, ne pouvant voir facilement de quoi il s’agit ou ne disposant plus d’appareil pour le lire… il pourrait finir simplement à la poubelle. Le numérique est beaucoup plus fragile que l’imprimé, il comporte plus de risques de perte de mémoire si on ne s’y intéresse pas dès maintenant. C’est un enjeu important.

Autant chez Mmes MacLeod et Richardson que chez Mme Laforce, la notion de responsabilité quant à la conservation des publications est très présente. L’importance et le sens de cette responsabilité sont-elles susceptibles d’influencer les préoccupations vécues ou susceptibles de l’être avec le LN ? La perception de fragilité de l’information numérique est partagée et les dépositaires sont tributaires des évolutions technologiques dictées par les acteurs du marché. Ainsi, pour Boydens (2004), contrairement à un texte figurant sur un support papier et auquel l’utilisateur a un accès direct, l’information numérique est composée de séquences de bits qui ne sont pas « auto-explicatives » et repose sur chaîne de médiation matérielle et logicielle.

3. Utilité

Le LN peut faire émerger de nouvelles préoccupations de conservation, préoccupations inexistantes avec le livre papier, par l’absence d’indépendance technologique des dépositaires et conséquemment la constante recherche d’identification de risques d’obsolescence technologique qui s’impose. Ces risques sont susceptibles de réduire ou même d’annuler l’utilité du LN au sens du dépôt légal puisque l’obsolescence des environnements matériel et logiciel, des supports physiques et de leur périphérique de lecture ou leur incompatibilité peuvent empêcher la lecture du LN. La conservation des LN poserait alors elle aussi la question de sa valeur. Cette valeur résulterait de l’arbitrage entre l’utilité escomptée et les différents coûts générés par la conservation de ce type de support.

Diffusion

Alors que la conservation met en cause la préservation des objets collectés, leur diffusion concerne leur mise à la disposition du public visé. La diffusion, troisième mission des dépositaires, concerne l’accessibilité démocratique au patrimoine documentaire publié en lien avec le rôle de ce patrimoine pour l’épanouissement des citoyens et de la société.

1. Accès aux publications

Tel que noté par Roussel,

Pour la plupart des Bibliothèques nationales, les exemplaires de publications reçues en dépôt légal font partie des collections de conservation de l’institution et ils peuvent être accessibles et être consultés sur place, mais non prêtés, et ce, selon des directives ou règlements de la Bibliothèque. Les limitations ou les restrictions sont cependant plus nombreuses, détaillées et sévères, […] relativement aux publications en ligne captées ou livrées en dépôt légal, par le transfert de fichiers, par la remise de supports physiques ou par le moissonnage, ou déposées dans le cadre de projets pilotes de dépôt ou selon une entente de dépôt volontaire

2011, p. 562

Au Canada, les deux premiers alinéas de l’article 7 de la Loi sur la Bibliothèque et les Archives du Canada indiquent que cette dernière a pour mission a) de constituer et de préserver le patrimoine documentaire et b) de faire connaître ce patrimoine aux Canadiens et à quiconque s’intéresse au Canada, et de le rendre accessible. Plus précisément, dans le préambule de la Loi, il est notamment jugé nécessaire pour BAC « de préserver le patrimoine documentaire pour les générations présentes et futures » et d’« être une source de savoir permanent accessible à tous, et qui contribue à l’épanouissement culturel, social et économique de la société libre et démocratique que constitue le Canada ».

Au Québec, l’article 14 de la Loi sur Bibliothèque et archives nationales du Québec précise qu’il a pour mission

d’offrir un accès démocratique au patrimoine documentaire constitué par ses collections, à la culture et au savoir et d’agir, à cet égard, comme catalyseur auprès des institutions documentaires québécoises, contribuant ainsi à l’épanouissement des citoyens. Plus particulièrement, il poursuit les objectifs suivants : valoriser la lecture, la recherche et l’enrichissement des connaissances, promouvoir l’édition québécoise, faciliter l’autoformation continue, favoriser l’intégration des nouveaux arrivants, renforcer la coopération et les échanges entre les bibliothèques et stimuler la participation québécoise au développement de la bibliothèque virtuelle.

Mais si l’accès démocratique aux publications est une caractéristique fondamentale du régime de dépôt légal, il est indissociable du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle, lesquels introduisent certaines limites à l’accès aux publications.

En France, bien que le site Internet de BnF précise qu’une de ses missions est d’« assurer l’accès du plus grand nombre aux collections[4] », la mention d’une importante limite à l’accessibilité est inscrite dans la loi dès la description de ce que le dépôt légal doit permettre. Ainsi l’article L131-1 du dépôt légal énonce que la consultation des documents visés se fait conformément à la législation sur la propriété intellectuelle et dans des conditions compatibles avec leur conservation. De plus, les dépositaires doivent se conformer à la législation sur la propriété intellectuelle sous réserve des dispositions particulières prévues.

Avec le LN, ce sont de nouveaux enjeux de diffusion auxquels sont désormais confrontés les dépositaires. Au Québec, en bibliothèque publique, le modèle d’affaires du LN commercial, tel que décrit par Lapointe, Pelbois et Luckerhoff (2021), est calqué sur certaines caractéristiques du livre papier. Ce modèle instaure notamment un nombre de prêts limité pour chaque licence acquise et correspondant à un « exemplaire » du LN. Ce modèle permet de reproduire les usages connus, maitrisés et acceptés de diffusion des publications dans le cadre du dépôt légal avec les livres papier puisque, à l’instar du livre papier, un exemplaire de LN préalablement collecté gratuitement peut être consulté, sur place, et sur des postes n’en permettant ni la copie ni l’impression. De plus, les producteurs peuvent choisir de permettre, ou de refuser (notamment pour d’évidents motifs commerciaux) l’accès à distance au LN commercial déposé, tout comme cela n’est pas possible avec la version imprimée. Rappelons ici que le dépôt légal exige, au Québec, le dépôt de deux exemplaires des publications imprimées, une pour la diffusion et une pour la conservation. Avec le modèle de dépôt légal volontaire pour les publications numériques commerciales proposé actuellement par BAnQ, la question que le LN commercial pose aux dépositaires en matière de diffusion n’est pas de savoir si l’accès à la publication par le public peut être autorisé, mais quel(s) accès – ouvert ou restreint – peuvent l’être. Le formulaire « Licence accordée à Bibliothèque et Archives nationales du Québec – Publications numériques commerciales » en est un bon exemple. Il indique que pour l’ensemble de ses publications numériques, l’éditeur autorise BAnQ à :

  1. donner accès à ses usagers aux publications, dans l’ensemble des locaux de BAnQ, à partir d’un accès sécurisé sur un poste informatique de BAnQ n’offrant aucune possibilité d’impression ni de téléchargement ;

  2. diffuser les publications sur les sites Web de BAnQ au terme du délai suivant, sans limites de territoire : 1 an[,] 2 ans[,] 5 ans[,] 10 ans[,] Jamais (jusqu’à l’expiration du droit d’auteur) [,] Autre délai [à préciser par le signataire] : Il est convenu que le délai mentionné ci-dessus court depuis la date de réception des fichiers par BAnQ. […] Pour l’ensemble de ces desseins, l’éditeur accorde gratuitement à BAnQ une licence, à des fins non commerciales, de reproduction et de communication au public par télécommunications. Au terme du délai indiqué au point 4, cette licence permet aux usagers de BAnQ d’utiliser les publications diffusées sur les sites Web de BAnQ en conformité avec la Loi sur le droit d’auteur, notamment à des fins d’utilisation équitable (étude privée, recherche, etc.), à la condition d’en indiquer la source. La licence est non exclusive et sans limites de temps.

Laforce et Paré expliquent :

La licence proposée aux éditeurs de livres numériques, généralement offerts commercialement, vise l’autorisation des mêmes actes pour BAnQ que ceux autorisés pour les publications numériques gratuites et les sites Internet, mais limités cette fois-ci à l’objectif de conservation des publications : • reproduire et archiver les publications en ligne de l’éditeur ; • effectuer les reproductions nécessaires pour assurer la conservation et la communication au public par télécommunication à long terme des publications. Il ne saurait être question d’en permettre une diffusion sans restriction. BAnQ vise par conséquent l’obtention d’un droit de diffusion restreint déterminé par l’éditeur par l’intermédiaire d’une licence facultative permettant entre autres de donner aux usagers de BAnQ accès aux fichiers recueillis, dans les locaux de BAnQ. La licence permet également de diffuser sur le portail Internet de BAnQ les fichiers déposés, au terme d’un certain délai, au choix de l’éditeur...

2011, p. 273

Mme Laforce explique que la licence est différente selon le type de publication et que l’éditeur fait un choix de niveau d’accès qui s’applique à toutes ses publications, ce qui allège la gestion des droits d’accès par BAnQ :

Avec le LN commercial, la licence est un peu différente de celle avec les publications gouvernementales et les publications gratuites. Les éditeurs ne peuvent pas nous permettre de diffuser largement leurs publications à travers le catalogue et on le comprend tout à fait, mais on leur demande minimalement de pouvoir les diffuser dans les locaux de BAnQ, sur des postes dédiés et sans possibilité de téléchargement ou d’impression. Les citoyens peuvent aller les voir à l’écran seulement, jusqu’à l’expiration d’un délai que l’éditeur nous donne. Généralement c’est jusqu’à l’expiration du droit d’auteur car avec les publications commerciales, les éditeurs ne savent pas quelle sera la durée de la valeur commerciale...

Un modèle d’accès public, à deux niveaux, aux publications numériques est également adopté par BAC. Le site web de l’agence indique, lors du dépôt des publications numériques, que les conditions d’accès aux fichiers par le public doivent être précisées. Un accès ouvert permet de visualiser et télécharger les fichiers à toute personne qui a accès à Internet ; un accès restreint permet au public de visualiser les fichiers via des ordinateurs situés à BAC sans possibilité d’impression, de téléchargement ou de transfert.

Mesdames MacLeod et Richardson expliquent comment fonctionne la gestion de l’accès à BAC :

Avec le livre analogue c’est simple : une copie part à la conservation et une à la grande bibliothèque pour accès. Comment donner accès au LN ? Quand le LN arrive, il y a une période d’embargo obligatoire, qui va restreindre l’accès au public. La durée dépend de la maison d’édition qui décide de la durée de la restriction. C’est l’éditeur qui choisit. Mais ce n’est pas dans la loi. La loi oblige l’éditeur à envoyer la publication à BAC et BAC doit la rendre accessible. Les éditeurs remplissent un formulaire de soumission, ils choisissent entre une diffusion par le site web ou une consultation sur place seulement et ajoutent la durée en temps de la restriction d’accès. Avec le LN, la gestion de l’accès est donc plus compliquée qu’avec le livre papier. BAC donne accès à la collection seulement sur place, à Ottawa. Le dépôt légal vise à acquérir, à préserver et la découverte. Les éditeurs comprennent progressivement qu’on ne va pas partager leur livre comme une bibliothèque publique. BAC offre la consultation sur place seulement et un service de conservation/préservation. En plus, notre catalogue permet de trouver où est le livre.

La diffusion des LN dans le cadre du dépôt légal pose ainsi un enjeu de droit d’accès, enjeu absent avec le livre papier. Cet enjeu de droit d’accès est sans doute l’enjeu le plus sensible posé par le LN au dépôt légal en matière de diffusion et s’exprime sous la forme d’une licence. Cette modalité permet de répondre aux préoccupations des éditeurs commerciaux relatives à la restriction aux droits de diffusion d’un titre et reproduit le modèle du livre papier pour lequel un seul prêt à la fois est possible. Elle exige cependant une gestion plus lourde de la part des institutions. Avec la diffusion, la question de la valeur du LN ne se situe plus ici chez le dépositaire, mais chez le producteur. C’est ainsi la valeur « commerciale » qui va déterminer le niveau d’accès de la publication numérique pour le citoyen.

Conclusion

Au Québec, selon le rapport Statistiques de l’édition au Québec en 2018 (BAnQ, 2021), le nombre d’éditeurs commerciaux qui publient des livres numériques a augmenté de 72 % de 2009 à 2018. Toutefois, tel que précisé dans ce rapport « [é]tant donné l’aspect volontaire de ce dépôt, le nombre de publications reçues au fil des ans ne représente qu’une partie de l’ensemble de la production numérique au Québec, même si un nombre toujours grandissant d’éditeurs font parvenir leurs publications numériques à BAnQ » (BAnQ, 2021, p. 4). En Belgique où le dépôt des publications en ligne se fait aussi sur une base volontaire actuellement, Vandepontseele (2016) avance que « si les chiffres [nombre de publications déposées volontairement au E-dépôt] ne peuvent en aucun cas refléter la production annuelle de l’édition numérique belge, ces derniers permettent au moins d’illustrer la croissance de ce type de publication dans notre pays » (2016, p. 209).

Bien que l’idéal serait que chaque pays se dote d’un moyen de répertorier et de conserver les documents à perpétuité, des acteurs se prononcent en faveur d’un certain réalisme face aux contraintes, qu’elles soient d’ordre technologique, technique, de coûts, de compétences et d’espace, mais aussi à l’augmentation exponentielle de la production de publications à l’ère du numérique qui pourraient expliquer un retard dans le dépôt obligatoire. Face à ces retards et non seulement aux multiples contraintes, les dépositaires du dépôt légal semblent confrontés à de nécessaires arbitrages dans l’accomplissement de leur triple mission.

Aussi longtemps qu’ils ne sont pas prévus à la loi concernée ou à tout autre dispositif approprié (par soustraction ou remplacement de certains types de documents ou de supports de l’obligation de dépôt, qu’il s’agisse notamment des équivalences numériques de publications imprimées, des considérations relatives à ce qui constitue ou non une nouvelle version, etc.), ces arbitrages sous-tendent une priorisation et des jugements quant à la valeur des objets collectés, conservés et diffusés. Ces jugements peuvent avoir des conséquences importantes sur la sélection de ce qui doit, ou plutôt de ce qui peut faire partie du patrimoine documentaire publié. De plus, en matière de numérique, prioriser signifie perdre. L’existence de ces choix, arbitrages et jugements témoigne du changement de paradigme semblant devoir s’opérer lors de l’intégration du LN au dépôt légal obligatoire. Il témoigne aussi de l’importance des modifications dont les lois sur le dépôt légal doivent pouvoir faire l’objet pour s’adapter constamment aux nouvelles réalités technologiques de la production documentaire patrimoniale, alors même que « les procédures qui permettent ces modifications sont généralement si lourdes que l’on procède à leur mise en oeuvre qu’avec circonspection » (Fournier, 1993, p. 98). La conclusion générale qui semble s’imposer ici est en forme d’interrogation et non de recommandation. Si un principe de sélectivité raisonnée semble s’opposer désormais au principe d’exhaustivité (Rondeau, 2004), ce principe ne mérite-t-il pas d’être précisé ? D’autres avenues d’adaptation législatives, réglementaires, procédurales et modèles sont-elles possibles ? À cet effet quelle serait la contribution des réflexions sur la neutralité technologique dans le choix du langage législatif s’il y a lieu ? Quelles définitions et quelle étendue de la notion de publication numérique seraient à retenir ? Larivière propose :

La première question à examiner est celle de la définition des documents à déposer. Celle-ci doit être aussi large que possible pour couvrir effectivement toutes les publications électroniques, quel que soit le type de support. Si la loi en vigueur ne les englobe pas, il convient de la modifier pour bien préciser qu’elles sont visées. Comme il y a de plus en plus de documents qui ne sont accessibles que sur support électronique, il importe d’intervenir le plus tôt possible pour éviter de perdre à tout jamais la trace de documents précieux. Et comme les technologies de l’information évoluent vite, il est indispensable de veiller à ce que la définition soit formulée de telle sorte qu’il ne soit pas nécessaire de la modifier chaque fois qu’un nouveau mécanisme ou technique de fourniture d’information fait son apparition. La meilleure définition des documents à déposer est incontestablement celle qu’en donne la loi sud-africaine

2000, p. 30

Par qui, comment et selon quels critères les nécessaires choix et arbitrages doivent-ils être faits ? Comment évaluer les risques pour la mémoire collective d’une non-priorisation de la collecte, de la conservation et de la diffusion des LN comparativement aux autres contenus numériques plus « volatiles » ? Ce sont autant de questions qui semblent à ce jour demeurer sans réponse mais qui pourraient se faire plus pressantes en contexte d’évolution technologique illimitée et de ressources, qui elles sont limitées.