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Une littérature abondante s'est accumulée au fil des années au sujet de la mondialisation. Si le sujet a fait couler autant d'encre, c'est que le phénomène se retrouve plus que jamais au coeur des échanges, du commerce, des sciences sociales, économiques et politiques, de la technologie et même du quotidien de la civilisation. Toutefois, certains auteurs[1] estiment que la mondialisation est trop souvent encastrée dans des prémisses et associations menant parfois à une vision étroite et linéaire des enjeux, plutôt que globalisante. C'est un des nombreux constats des auteurs de l'ouvrage collectif Mondialisation et connectivité : les enjeux du commerce, de l'investissement et du travail au XXIe siècle, sous la direction du codirecteur de l’Observatoire de l’Asie de l’Est de l’UQÀM, Éric Boulanger, le professeur de géopolitique, Éric Mottet, et la directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation de l'UQAM, Michèle Rioux. Cet ouvrage ne prétend pas brosser le portrait complet de la mondialisation, mais cherche plutôt à dresser les résultats de recherches approfondies et à laisser au lecteur[2] le soin de faire ses propres liens entre les nombreux enjeux liés à ce phénomène.

Ce recueil aborde néanmoins un large éventail de thèmes : la place de l'État dans un monde globalisé, la politique commerciale américaine, les défis de la régulation, les dynamiques commerciales et les firmes transnationales en passant par l'émergence de nouveaux joueurs. Cet ouvrage puise son intellection à travers l'histoire, les outils économiques et les relations internationales pour s'inscrire ainsi comme une lecture essentielle afin de formuler un jugement critique de la mondialisation, exempt de raccourcis de pensée.

L'ouvrage se divise en vingt-quatre chapitres articulés autour de cinq parties qui permettent une juste compréhension de la mondialisation, bonifiée par la contribution d'auteurs aux bagages différents, mais complémentaires. C'est sur certaines propositions avancées à travers ceux-ci qu'on se concentre.

La première partie tente de qualifier ce phénomène et jette les premières pistes d'analyse en y intégrant beaucoup de faits historiques. Le premier chapitre élabore les différentes transformations de l'économie mondiale, dont la montée en puissance de la Chine, l'organisation de la production des entreprises à l'ère de leur externalisation et l'apparition de nouveaux réseaux marchands. À cette enseigne, les auteurs Christian Deblock[3] et Michèle Rioux[4] expliquent que le capitalisme en tant que nouvelle dynamique de production est désormais empreint de production transnationale, ce qui laisse transparaître la volonté des États de rivaliser à l'international afin d'obtenir des contrats[5].

Le chapitre 2 s'articule plutôt autour de la nécessité de sécurité économique internationale qui s'installe dans les rapports interétatiques. Si Christian Deblock souligne au passage le progrès réalisé afin d'arriver à un nouvel ordre économique international, il formule également quelques critiques. Il indique notamment que le projet est « tronqué »[6] par la volonté même des États, ce qui fait en sorte que les institutions économiques sont condamnées à n'avoir qu'un mandat sommaire en matière de multilatéralisme. De plus, l'ouvrage traite à répétition du rôle de l'État dans le développement économique international, et le chapitre 3 ne fait pas exception. L'analyse de Dorval Brunelle[7], bien qu'elle remonte à plus de quinze ans, reste néanmoins pertinente, puisqu'on y traite de la reconversion de l'État après un questionnement sur sa possibilité de réguler les conflits économiques dans un monde où la classe politique et celle des affaires évoluent parfois en symbiose. Le constat formulé en 2003 par le chercheur n'est donc en rien caduc : les institutions, l'État en premier, se retrouvent bouleversés par la globalisation. Le postulat comme quoi l'heure n'est pas à la condamnation de l'État, mais plutôt à un changement de paradigme, se poursuit dans le chapitre 5, alors que Stéphane Paquin[8] indique en s'appuyant sur des données statistiques que les pays les plus « cohérents en termes de politiques publiques »[9] ne sont pas les perdants d'un système mondialisé, bien au contraire.

En deuxième partie, les auteurs abordent la régulation économique sous tous ses angles. Le chapitre 6, par Michèle Rioux, brosse un portrait complet de la gouvernance globale. Sans sombrer dans l'alarmisme, elle démontre que les capacités de supervision et de régulation ne sont plus adaptées aux besoins des États. Alors qu'il y a un consensus international sur la nécessité d'une gouvernance publique et privée, le modèle proposé comporte des lacunes importantes. On le devine rapidement : la professeure Rioux adresse une critique à la gouvernance mondiale, en dénonçant son faible côté pratique. Le chapitre 7 de Mathieu Arès[10] et Éric Boulanger[11], renchérit sur cette incapacité pour les États à prendre des engagements contraignants, comme quoi les solutions collectives sont délaissées au profit d'une multiplication d'accords bilatéraux. L'analyse comparative de l'évolution du régime national d'investissement dans le temps et l'arrivée des acteurs du Sud dans l'équation, permettent aux chercheurs de conclure que le régime fait partie intégrante de la mondialisation et que son attractivité s'atténue en raison du nombre de joueurs se faisant concurrence.

La troisième partie suit naturellement le fil conducteur de l'ouvrage en abordant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les accords commerciaux et les échanges dans l'économie mondialisée. Non seulement le fonctionnement de l'organisation continue à favoriser les intérêts des grands joueurs mondiaux, mais l'agenda de Doha pour le développement ne fait qu'ajouter un objectif de réduction de pauvreté, sans réel changement ou rejet du libre-échange. Plusieurs questions sont soulevées : les pays émergents accepteront-ils le statu quo de la gouvernance commerciale multilatérale? Jetteront-ils les premières pierres en demandant une révision complète du système pour favoriser leur émancipation?

En s'appuyant sur une étude de cas de la coalition interétatique composée de plusieurs pays émergents, le Non Agricultural Marcet Access (NAMA-11), Medhi Abbas conclut brillamment que ces pays préfèrent soutenir la structure actuelle, en modifiant simplement les mandats et les modalités. Le chapitre 10 critique fortement le Programme Doha pour le développement, rappelant le peu de gains attendu et la répartition inégale de ceux-ci entre les pays développés et les pays en développement.

La troisième partie traite également de la mondialisation telle que l'entend le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, avec le projet de la route de la soie. Un projet « pancontinental » libre-échangiste, incluant des infrastructures maritimes, terrestres et énergétiques qui a pour objectif ambitieux de connecter la Chine à l'Afrique, l'Eurasie, l'Europe, le Moyen-Orient, l'Asie du Sud-Est et l'Asie du Sud. Il nécessitera forcément le financement de banques étrangères et d'investisseurs étrangers. Quelques enjeux sont soulevés, notamment les enjeux de financement, les revendications nationalistes ouïgoures qui pourraient ralentir les échanges entre la Chine et l'Asie centrale et les menaces sécuritaires au Moyen-Orient, en Asie du Sud ou en Asie centrale. Toutefois, la Chine semble faire cavalier seul et n'attend pas le feu vert des organisations économiques internationales pour donner suite à son projet.

La quatrième partie se concentre sur les chaînes de valeurs globales et les firmes multinationales qui « portent la mondialisation vers un degré d'interconnectivité qui n'a probablement jamais été auparavant »[12] et les défis de l'encadrement de ces pratiques. Les auteurs sont clairs : la mondialisation ne se limite pas au commerce. Les firmes multinationales bouleversent l'ordre économique international basé sur des réseaux d'échanges entre économies nationales et firmes indépendantes en militant pour faire tomber toutes les contraintes des entreprises sur les marchés. Cette ouverture, en plus d'accentuer la faiblesse des organisations internationales économiques à arriver à des consensus, peut apporter son lot de problèmes. C'est par exemple le cas aux États-Unis où on voit la délocalisation d'entreprises, la réexportation et production à moindre coût, combinées à un Programme d'aide à l'ajustement commercial (PAAC) qui se doit d'être remis au goût du jour.

Enfin, la dernière partie de l'ouvrage s'inscrit comme un regard global sur la panoplie d'enjeux soulevés. Le chapitre vingt-quatre sur le protectionnisme, écrit par Christian Deblock, fait office de conclusion et présente cinq sources d'inquiétude[13] associées aux dangers du protectionnisme, qu'il estime obsolète. Des pistes de réponses quant au futur de l'économie mondiale sont avancées, avec la nécessité de considérer d'autres approches afin de réguler le commerce et d'arriver avec des règles du jeu sur « la concurrence, sur la responsabilité des entreprises, sur les pratiques commerciales des entreprises, etc. »[14], aussi bien pour le commerce que les finances publiques.

La rigueur implacable et la justesse de la recherche font la réputation de cet ouvrage qui s'inscrit comme un incontournable pour comprendre un concept qui semble n’échapper à aucun domaine de la science politique et de l'économie : la mondialisation. Truffé d'exemples récents et de graphiques pertinents, l'ouvrage interdisciplinaire constitue un point de départ pour toute recherche approfondie sur le sujet. Toutefois, il faudra parfois aller creuser davantage pour venir à bout de quelques idées et étoffer un débat. Quelles sont les conséquences commerciales et financières si le projet arrive à échéance? Comment celui-ci bouleversera-t-il le statu quo sur l'investissement et le travail? Dans quelle mesure ce projet pourra-t-il aider le développement sud-asiatique ou africain? À ce propos, l'Afrique semble la grande oubliée de cet ouvrage. On aborde peu les effets ou les conséquences de la mondialisation sur un continent en plein essor, où les acteurs internationaux sont tous réunis et jouent du coude pour en tirer des bénéfices.

Cela dit, la force de ce livre est qu'il pousse ses lecteurs à vouloir approfondir leurs recherches, tout en fournissant une base actuelle, efficace et scrupuleuse.