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Le FLQ ou Front de libération du Québec, dont le sigle ou l’acronyme se calque sur celui du Front national de libération (FNL) algérien prit naissance au début des années 1960 dans l’espoir de transformer la province de Québec, une simple entité au sein du Canada, en un pays à part entière. La propagande armée devenant pour ce mouvement subversif le moyen privilégié pour gagner une population à majorité francophone, entraînée alors dans une ère de réformes baptisée Révolution tranquille, à se mobiliser pour accomplir une revanche sur l’histoire. Cette portion de l’Amérique du Nord ayant été vaincue militairement au milieu du XVIIIe siècle dans le cadre de la guerre de Sept Ans par l’armée britannique. Un sort qu’avait déjà subi l’Irlande par la même puissance impérialiste. C’est à l’analyse de ce mouvement terroriste, en activité de 1962 à 1972, que s’est attelé avec brio le journaliste et historien Louis Fournier.

Il se publie annuellement des milliers de bouquins qui obéissent à l’impérative nécessité d’alimenter la vaste industrie du livre. Ce n’est pourtant qu’un nombre infime de ces écrits qui se démarqueront pour atteindre la pérennité dans notre univers culturel. Tel est l’avenir hautement prévisible du livre de Louis Fournier qui est déjà un classique portant le titre « FLQ – Histoire d’un mouvement clandestin » publié en 2020. Étude qui en est à sa troisième écriture en l’espace de quarante ans et précision importante, largement revue et augmentée par rapport aux deux éditions précédentes.

Le grand mérite de cette analyse totalisant 369 pages que l’on pourrait qualifier d’unique et d’exceptionnelle, est de brosser l’histoire exhaustive d’un mouvement terroriste québécois ayant bouleversé de manière radicale le paysage politique canadien. Ceci laissa une empreinte profonde dans l’évolution sociale du pays. Un peu comme on l’observera à la suite du célèbre dossier d’espionnage soviétique au Canada connu comme étant l’Affaire Gouzenko[2] qui lança comme on le sait la Guerre froide dans les années quarante.

Cette histoire remplie « de bruit et de fureur », pour paraphraser le cinéaste français Jean-Claude Brisseau, que fut la saga du FLQ fut loin d’être banale. On y recensa près de 300 attentats à la bombe, l’arrestation et la condamnation de plus de 200 militants dont deux à la peine capitale, des morts et des dégâts importants, l’enlèvement d’un diplomate, James Richard Cross et le kidnapping et l’assassinat du ministre Pierre Laporte. Sans oublier, côté répression, la déclaration de guerre du gouvernement canadien contre sa propre population par une loi datant de la Grande Guerre de 1914 qui supprimait l’ensemble des droits non pas uniquement au Québec, province au centre des désordres observés et appréhendés, mais également dans l’ensemble du Canada. Une première mondiale dans l’histoire des pays démocratiques en Occident que cette décision invraisemblable de l’un des plus anciens parlements au monde.

Ce qui surprend dans cette saga du FLQ c’est qu’une douzaine de vagues d’attentats se succédèrent sans discontinuer et allant crescendo au fil des ans. Entraînant dans son sillage près de deux cent cinquante militants dans un cycle infernal alignant des attentats, des arrestations et des condamnations. Militants issus pour la plupart des milieux ouvriers et étudiants auxquels se joindront quelques intellectuels comme Pierre Vallières, Charles Gagnon et Robert Comeau.

Une qualité majeure du livre de Louis Fournier est de ne pas se limiter à l’énumération habituelle des actions illégales et violentes dont on a l’habitude pour ce type de récit. En effet, l’auteur relie les actions criminelles allant de l’attentat à la bombe aux meurtres – sans oublier les vols à main armée et deux kidnappings tragiques – au contexte politique et social, tant au niveau national qu’international, qui leur ayant donné naissance et permis de se prolonger dans le temps. Et cela, des premières actions de déprédation observées dès 1962 par un Québec tout entier engagé dans une volonté d’émancipation d’un passé néocolonial, jusqu’à ce moment crucial que constitua la crise d’Octobre. Rupture sociale marquée par des enlèvements politiques – une première en Amérique du Nord – et l’occupation militaire d’une province canadienne entraînant l’arrestation de centaines de citoyens innocents et de milliers de perquisitions.

Tout au long du volume écrit par ce journaliste de formation qu’est Louis Fournier, devenu historien par la force des choses, s’aligne l’ensemble des péripéties d’une aventure collective à peine concevable dans un pays considéré jusque-là au plus haut point démocratique et pacifique par l’ensemble des nations du monde. En plus de brosser des portraits on ne plus intéressants de plusieurs dizaines de protagonistes s’étant illustrés durant ces années de plomb, l’auteur nous surprend aussi par une foule de révélations au fil des chapitres. Par exemple cette rencontre entre les présidents Ben Bella – algérien – et Charles de Gaulle qui eut lieu en 1964. Et durant laquelle, ce dernier conseilla au président d’un pays récemment décolonisé et solidaire des mouvements de libération dans le monde d’apporter une aide au FLQ ! Ou encore, autre renseignement inédit parmi beaucoup d’autres, de préciser que ces actions des felquistes qui tenaient plus de l’anarchisme que d’une idéologie porteuse d’un projet politique précis, furent secrètement appuyées pendant des années par des intellectuels québécois d’envergure qui connaîtront par la suite des carrières publiques notables.

La conclusion de l’auteur va dans le sens que la disparition du FLQ après ce moment culminant que fut la crise d’Octobre s’explique principalement par la présence active du Parti québécois (PQ) qui s’était donné pour mission depuis 1968 de réaliser le projet politique central d’indépendance ayant légitimé les actions terroristes observées pendant plus d’une décennie. On ne peut évidemment pas sous-estimer la présence d’une formation politique fort bien structurée et dirigée, s’appuyant un temps sur quelque 300 000 militants entièrement dévoués. Mais il nous semble que c’est quelque peu ignorer et même évacuer rapidement la formidable mobilisation syndicale en continu se traduisant par des grèves massives allant jusqu’à des débrayages de type insurrectionnel qui pourrirent au fil des ans une administration politique provinciale d’orientation fédéraliste à bout de souffle. On parle ici du gouvernement du premier ministre Robert Bourassa (1933-1996). Ces actions de masse, souvent menées dans l’illégalité, constituaient en somme une suite logique aux actions des felquistes lors de la décennie précédente. Ce qui permit au PQ de prendre le pouvoir en novembre 1976. Et d’organiser un référendum visant la sécession au sein de la fédération canadienne quatre années plus tard.

On peut déplorer – une critique mineure ici – qu’une annexe parfaitement circonscrite n’ait pas été conçue pour aligner les noms de tous les acteurs connus du FLQ accolés aux actions dont ils furent responsables, à l’image de ce qui apparaît dans un volume important touchant ce regroupement subversif publié dans les années 1990[3]. Autre remarque : les photos des protagonistes du FLQ qui accompagnaient les éditions antérieures du livre de Fournier sont hélas absentes de cette troisième édition. Un apport iconographique qui aurait été grandement apprécié. Mais rien là pour amoindrir la portée de ce livre d’histoire remarquable écrit dans une langue éclairant parfaitement la nature complexe du sujet traité. Nous ne mettons pas en défaut les exigences de rigueur intellectuelle et le souci d’objectivité de l’ancien étudiant en journalisme de Strasbourg mis injustement en état d’arrestation pour une courte période lors des événements d’Octobre 70 parce qu’on avait confondu sympathie militante et honnête travail journalistique.