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Le jeudi 15 novembre 2018, le gouvernement de l’Ontario annonça la fin du projet de l’Université de l’Ontario français et une réorganisation des services publics qui verrait le Commissariat aux services en français perdre son autonomie. Cette annonce créa une réaction de contestation immédiate de la part des Franco-Ontarien·ne·s et mena à plusieurs manifestations d’une ampleur inédite à travers la province. Ils furent soutenus par des francophones de partout au Canada qui, de la sorte, firent part de leur solidarité. Comment comprendre la mobilisation des francophones autour d’un enjeu qui, s’il a une pertinence et un sens clair pour les communautés francophones, ne touche pas à leurs droits fondamentaux ni ne relève du scandale ? Comment comprendre, de manière plus large, les réactions et mobilisations de la part de groupes minoritaires, tant en relation avec les décisions politiques qu’en considérant leurs interactions avec les membres des groupes majoritaires ?

Dans cet article, nous explorons l’hypothèse de l’existence d’un sentiment de minorisation et cherchons à établir quelques-unes des conditions d’émergence de ce sentiment, ainsi qu’à explorer ses conséquences pour la compréhension des situations minoritaires. Nous poursuivrons ces objectifs par le biais d’un travail de clarification conceptuelle qui s’appuie sur deux sources philosophiques centrales, à savoir les travaux de Gilles Deleuze et Félix Guattari et ceux, plus anciens, d’Alexis de Tocqueville, de même que sur des recherches récentes en psychologie sociale des relations intergroupes et des émotions collectives. Nous nous tournerons enfin vers une expérience des francophones en milieu minoritaire au Canada afin de mettre à l’essai cette théorie, laquelle pourra ensuite être élargie pour tenir compte des divers groupes qui se sentent minorisés — peu importe leur véritable situation sociale.

Nous suggérons donc que d’autres facteurs que l’histoire, les rapports de force, ou encore le sentiment national ou d’appartenance culturelle expliquent les différences et enjeux politiques canadiens. Surtout, nous montrons le rôle des sentiments relationnels dans la politique minoritaire — avant tout celui du sentiment de minorisation qui la définit —, et comment la politique peut aussi être une manière de transformer les sentiments.

Une précision sur l’usage du terme « sentiment » sera utile d’entrée de jeu. Ce terme revêt plusieurs sens, tant en psychologie qu’en philosophie. Nous verrons qu’un sentiment n’est ni une perception, ni une opinion, ni une connaissance, même s’il peut être créé par celles-ci ou encore par des institutions sociales ou politiques, du fait des interactions qu’elles permettent. Suivant une supposition opérante du champ de l’étude des relations intergroupes en psychologie sociale, l’identité de groupe est toujours basée sur le milieu, sur ce qui entoure l’individu, qui définira s’il appartient ou non au groupe à partir de ce qu’il y perçoit et y ressent. Cette définition des sentiments est en ligne directe avec la vision constructiviste qui prévaut en psychologie (voir, par exemple, Barrett, 2017), selon laquelle les émotions sont les explications qu’une personne crée d’un moment à l’autre pour rendre compte de changements dans ses affects internes (dans son état physique ou corporel) dont elle fait l’expérience. Les explications pour un affect devraient ainsi refléter l’histoire, la langue et la culture personnelles, qui seront employées dans cette description des expériences alors qu’elles sont vécues. Cette perspective constructiviste crée ensuite des distinctions entre les émotions, et les conceptualise comme des explications immédiates, à court terme, pour les changements d’affects, des sentiments (en anglais, feelings ou moods, états d’esprit), qui sont des changements dans l’état affectif à plus long terme et résultent d’événements psychologiquement signifiants qui se sont effacés de la conscience centrale (Halperin, 2014 ; Schwarz et Clore, 2007). Ces sentiments peuvent être des réponses ou bien à une expérience personnelle, ou bien à une expérience collective vécue par une personne (Halperin, 2014 ; Smith et Mackie, 2016). Les sentiments politiques, comme le sentiment de minorisation, sont liés à des événements présentant une question de relation à la norme, et sont donc une réaction à la perception d’adéquation ou d’inadéquation, une réaction à la satisfaction ou à la frustration d’une attente.

Être dans la minorité

Deleuze et Guattari (1980) proposent une conception de la minorité comme émergeant d’un processus de minorisation, lui-même compris comme divergence par rapport à une norme[1]. La majorité apparaît comme une constante face aux variations ou aux déviations minoritaires, et non comme une question de supériorité numérique. L’enjeu des rapports entre majorité et minorité est alors la capacité d’agir ainsi que l’établissement et le maintien de relations de pouvoir. La majorité et la minorité ne sont pas définies par la démographie, mais bien par le pouvoir institutionnel. La majorité est composée des individus dont les choix sont protégés et relayés par les institutions, à savoir les coutumes, les habitudes, les lois. Ces institutions forment un système dominant et homogène qui protège un petit nombre d’individus — ce que Deleuze et Guattari appellent un segment. La société est donc segmentée selon une série de normes auxquelles se rapportent ses membres. Chaque norme présente une possibilité et donne une capacité d’agir à ceux qui y correspondent. Ainsi les normes « homme », « blanc », « hétérosexuel », « cisgenre », « non handicapé », « nanti », « urbain » créent-elles chacune des segments selon que les individus répondent ou non à chacune de ces catégories — segments qui seront respectivement privilégiés ou défavorisés. Des segments multiples plutôt que binaires se définissent en relation à chaque norme, puisqu’il y a maintes manières de ne pas y correspondre, mais peu de manières de l’approximer comme individu ou de la définir en tant que groupe : impossible de compter toutes les manières de ne pas se conformer à une norme. Enfin, les segments se créent par combinaison de ces normes — on peut voir à quel point le nombre d’hommes blancs, hétérosexuels, cisgenres, non handicapés et riches, qui forment la majorité parmi toutes les majorités possibles, ne pourra être qu’infime. Ses membres sont majoritaires suivant plusieurs segments.

Les membres de chaque segment ont à peu près la même capacité d’agir. Les segments les plus solides, ceux qui résistent au changement ou ne peuvent être changés, considérés comme constants au sein de la société, sont les segments majoritaires. Ils ne permettent qu’un ensemble limité de choix en matière d’actions légitimes. La majorité est un segment dur ; elle est inchangeable parce qu’elle est constituée de manière à être impossible à transformer. Elle est nécessairement composée d’un petit nombre d’individus (petit au sens absolu et non pas relatif) puisque la similitude ne peut exister qu’au sein de petits groupes d’individus. Elle est la constante qui donne suffisamment de stabilité pour parler d’une société, de ses caractéristiques et de son caractère : tout individu sera mesuré par rapport à elle. En effet, une société une est représentée par le biais des caractéristiques de cette majorité, qui forment autant de normes projetées sur chaque segment. Ce qui est constant permet de parler de ce qui ne l’est pas, des éléments d’une société qui ne seraient qu’accidentels plutôt qu’essentiels, qui seraient excédentaires, à éliminer ; anormaux, à être ramenés à la norme.

Tandis que la majorité se présente comme universelle et délocalisée, les minorités sont des segments sociaux réduits à être de simples variations ou écarts en relation à la norme en plus d’être localisés en certains lieux, espaces, rôles, métiers, où les minorités sont donc immobilisées. La minorité est ce que devient tout individu (même ceux faisant autrement partie de la majorité) aussitôt qu’il dévie de la norme qui sert à le mesurer. Un groupe minoritaire ne peut être utilisé pour établir des comparaisons avec d’autres majorités, d’autres sociétés donc, ni même avec d’autres minorités. Chaque minorité est incommensurable, liée à la majorité seulement par ce qui lui manque. Pour Deleuze et Guattari, la minorité est définie par sa différence d’avec la majorité, son caractère temporaire et sa pluralité interne. Elle est un problème à résoudre par intégration, assimilation ou élimination (Laurie et Khan, 2017 : 2).

Les minorités deviennent politiquement pertinentes là où elles forcent une reconfiguration de la majorité, là où elles démontrent que la majorité n’est composée que d’un tout petit groupe. Cette constante transformation au sein des segments minoritaires, dont les membres sont définis par la négative, menace les segments majoritaires en remettant en question leurs frontières, en troublant les lignes de séparation — menace qui montre que minorité et majorité sont liées à des processus sociaux et non à un état social. Deleuze et Guattari présentent les minorités comme minorisées : elles ne sont pas calculées (ni calculables) numériquement, ne sont pas quantifiables. Au contraire, elles émergent d’une exclusion, de leur définition comme anormales, comme accidentelles, comme locales ; d’une tentative d’affirmer et de maintenir la norme — donc de la réaction de la majorité qui cherche à se stabiliser face à la multiplicité et à la fluidité de tout ce qui n’entre pas dans de telles exclusions.

Qu’on pense ici au concept d’intersectionnalité, qui reprend le même rapport à la question de la minorité, mais pour privilégier les expériences des personnes minorisées. À l’aide de ce concept, Crenshaw (1989 et 2005) répond à la tendance de la politique axée sur les identités que l’on pourrait dire minorisées à gommer les différences internes à chaque groupe. Les vécus des membres des groupes minorisés ne sont nullement mutuellement exclusifs, mais les identités intersectionnelles de personnes minorisées à plusieurs égards — femmes racisées dans le cas de l’étude de Crenshaw — sont néanmoins marginalisées. Ces différentes intersections font qu’un même phénomène mènera à des expériences différentes pour les femmes racisées et les femmes blanches, de même qu’à un traitement social inégal, où les premières expériences auront tendance à devenir invisibles. Ce sera encore davantage le cas lorsque d’autres segments minoritaires entreront en compte, comme le montre Crenshaw à propos des femmes racisées non anglophones (2005 : 58, 72). Elle rappelle par ailleurs que « le silence entretenu sur les différences internes aux groupes contribue souvent à alimenter les tensions entre groupes » (2005 : 53 ; l’autrice souligne) — comme ce peut être le cas au sein des organismes féministes, où les coalitions peuvent être difficiles à créer.

Les conséquences politiques des processus de minorisation et de majorisation sont simples. Faire partie de la majorité, c’est avoir le droit de décider, droit qui est partagé parmi les membres de la majorité et qui est exercé sur les minorités afin de les minoriser, de mettre un frein à leur devenir, à leur fluidité, afin de limiter leur existence à leur divergence par rapport à la norme — bref, afin de les définir de l’extérieur. Cette minorisation limite leur capacité à agir et les présente comme ayant besoin d’inclusion et d’intégration, donc comme devant être menées à ressembler davantage à la majorité. Des privilèges sont alors étendus à certaines minorités incluses, incitant un sentiment de reconnaissance. Les moyens et le pouvoir d’agir, mais seulement selon la norme et les aspirations de la majorité, sont partagés. La domination est amenuisée. Une telle inclusion établit une majorité transformée, légèrement étendue. Certaines minorités sont rapprochées de la norme, laquelle est modifiée pour permettre ce rapprochement — pensons à la manière dont les Irlandais et les Italiens ont cessé d’être vus comme de races blanches inférieures aux Saxons (Painter, 2010 et 2019). Nous verrons plus bas comment ce peut aussi être le cas des francophones en milieu minoritaire.

Ce partage du pouvoir rapproche certains membres des segments minoritaires du segment majoritaire, sans pour autant leur permettre d’y participer. Il les éloigne certes de leur état précédent, où ils se trouvaient divergents et défavorisés, et leur permet de se sentir moins minorisés. Notons par ailleurs qu’un sentiment de minorisation pourrait aussi apparaître parmi les autres segments auparavant rapprochés de la majorité, mais tout de même éloignés de la norme (notamment par la classe sociale ou la ruralité), alors que cette dernière change et qu’ils voient leurs privilèges étendus à d’autres dont ils ne se démarquent donc plus. Dans d’autres cas, là où une telle inclusion est impossible, la minorisation mène au besoin d’éliminer les minorités : c’est la ghettoïsation ou le génocide.

Pour Deleuze et Guattari, les minorités sont dynamiques. Elles n’existent donc pas seulement comme sous-systèmes en dépendance d’une majorité agissant en tant que système fabriquant de l’homogénéité, mais sont également un devenir-autre ; elles n’existent pas uniquement comme territorialisation, mais sont aussi une déviation et une déterritorialisation (1980 : 356). Déjà autres, elles ont encore besoin de devenir autres que la norme et qu’elles-mêmes. Cette analyse de la minorité ne peut ainsi se séparer du parti-pris pour la minorité, qui défend et met en pratique la valeur de la variation, et d’un désir d’échapper à la norme.

Une telle approche de la question des majorités et des minorités va à l’encontre du sens courant de ces termes. Il ne s’agit toutefois pas ici d’une question méthodologique, ni de forcer le choix en faveur de l’analyse qualitative aux dépens de l’analyse quantitative. Les deux doivent aller de pair. L’existence de groupes numériquement plus petits — numériquement mineurs, formant une minorité sur le plan démographique — indiquera souvent la présence de groupes minoritaires. Toutefois, la plus grande partie des groupes numériquement mineurs n’ont aucune signification pour leurs membres, pour le reste de la société, et encore moins sur le plan politique. Pensons aux gens aux cheveux roux, par exemple. De même, certains groupes numériquement mineurs au sein d’une société peuvent former une majorité, comme c’est le cas des hommes blancs (sans même tenir compte des autres attributs habituellement rattachés au pouvoir). Par ailleurs, les groupes numériquement mineurs mais formant un segment majoritaire peuvent être menés à se voir comme minoritaires malgré leur contrôle du pouvoir ou les bénéfices qu’ils en retirent, comme on peut le voir parmi les groupes masculinistes ou suprémacistes blancs, ou encore ceux s’organisant autour des théories complotistes du « grand remplacement ». La question de la manipulation des sentiments et de la création d’un sentiment de minorisation, si elle est laissée ici en plan, fait donc partie d’un programme de recherche plus complet sur ce sentiment.

Ressentir la minorisation

Sur la base d’une telle conception de la minorisation, il devient possible de réinterpréter certains passages importants de l’ouvrage De la démocratie en Amérique d’Alexis de Tocqueville[2]. Nous présenterons ces passages, qui placent les sentiments au centre de la différence de la majorité et des minorités, à la lumière d’un impensé dans ce livre, à savoir l’exclusion de groupes plus radicalement minorisés aux États-Unis. L’attention que Tocqueville porta aux relations entre classes politiques le mena à explorer les sentiments entre celles-ci, à distinguer des sentiments démocratiques et aristocratiques et, enfin, à montrer les conséquences de la contradiction créée par la coexistence de ces deux sentiments au sein d’une même personne, d’un même groupe ou de deux groupes distincts. Le sentiment d’égalité, à savoir une disposition à l’égard des autres qui tient à des similitudes ressenties et perçues, peut coexister avec des sentiments de supériorité ou d’infériorité en réponse à des différences de traitement.

Dans les analyses où Tocqueville compare les classes aux États-Unis et en Europe, la différence entre majorité et minorité ne dépend ni des nombres ni seulement de l’habitude du pouvoir, mais d’abord et avant tout des sentiments. Les sociétés démocratiques dépendent de ce que Tocqueville nomme un sentiment d’égalité, qu’elles nourrissent, tandis que les sociétés aristocratiques créent un sentiment d’infériorité au sein du peuple et de supériorité au sein des élites. Ces sociétés sont donc à même de maintenir l’inégalité sans une grande répression parce que le pouvoir du petit nombre (entendons : de la majorité) est ressenti comme un phénomène naturel, donc normal. L’expérience vécue correspondant aux représentations, elle est réfléchie comme relevant d’un état des choses naturel, de l’infortune ou de la chance, ou encore de la prédestination. Le peuple, dans les sociétés aristocratiques, vit avec un sentiment d’infériorité, c’est-à-dire le sentiment d’être hiérarchiquement inférieur et de dépendre des autres. Ce sentiment émerge de la perception de leur propre infortune, de leur manque de pouvoir, mais également de la perception du bonheur et du pouvoir des autres qui, autrement, seraient pareils à eux (II : 246-257).

S’il y a résignation au sein du peuple dans ces sociétés, Tocqueville n’en affirme pas pour autant qu’il serait heureux. Les membres de la minorité — du peuple — sont en colère et humiliés, non par les faits de l’ignorance ou de la pauvreté, mais par la comparaison avec ceux qui sont éduqués et riches. Ne trouvant rien en eux-mêmes qui pourrait les élever à la condition des riches, ils s’abandonnent à leur sort et se sentent effectivement inférieurs plutôt que de ne se voir que traités comme tels. Ces sentiments de supériorité et d’infériorité sont présents dans l’ensemble des sociétés aristocratiques, qui comportent un grand nombre de classes organisées de manière hiérarchique, de sorte que le pouvoir se raréfie à mesure que l’on descend dans l’échelle sociale. Toute classe se sent supérieure à celle qui est au-dessous d’elle et inférieure à celle qui est au-dessus, et ce, même jusqu’aux rangs les plus bas. Tocqueville laisse ainsi voir que la société hiérarchique et les institutions politiques créent des sentiments différents au sein des classes et des rangs, mais qu’il s’agirait peut-être plutôt de différents degrés, ou d’une différente intensité des mêmes sentiments pour l’ensemble de la population, laquelle se diviserait donc en deux classes sociales plus générales : celles où domine un sentiment de supériorité et celles où domine un sentiment d’infériorité.

Même dans les sociétés démocratiques, il existe bien des inégalités sociales et politiques, qui sont davantage le résultat de la division du travail qu’une question d’obéissance — et n’impliquent pas nécessairement l’inégalité politique au sens propre, donc. Elles sont surtout liées à la domesticité (II : 256-257) mais, pourrions-nous ajouter, à l’esclavage et à l’exclusion coloniale également. Ainsi, un certain sentiment d’infériorité est présent :

Il ne faut pas se dissimuler que les institutions démocratiques développent à un très haut degré le sentiment de l’envie dans le coeur humain. Ce n’est point tant parce qu’elles offrent à chacun des moyens de s’égaler aux autres, mais parce que ces moyens défaillent sans cesse à ceux qui les emploient. Les institutions démocratiques réveillent et flattent la passion de l’égalité sans pouvoir jamais la satisfaire entièrement.

I : 300

L’envie diffère du sentiment d’inégalité en ce qu’elle dépend d’un sentiment d’égalité sous-jacent. Tocqueville suggère que l’envie sape même les hiérarchies les plus légitimes parce qu’elle fait percevoir les succès des autres comme des obstacles à son propre succès. En fin de compte, la différence entre le sentiment d’infériorité et l’envie a davantage à voir avec l’absence ou la présence des moyens de devenir égaux aux autres. Aux yeux de Tocqueville, les institutions américaines ont pour but de contrer les effets de l’envie en limitant l’influence politique de ceux qui ont le plus de chances de la ressentir : le peuple (I : 459).

Cette vue des minorités va de pair avec l’apparition de la notion des sentiments et institutions aristocratiques dans la description d’une société qu’il dit lui-même être égalitaire, non pas sur le plan des classes économiques, mais bien dans la séparation des groupes par la race. Car Tocqueville voit qu’un même sentiment se retrouve chez les Blancs pauvres et les Noirs. Certes, il distingue les races — « l’homme blanc, l’Européen, l’homme par excellence » et « ces deux races infortunées » (I : 467) qui n’ont de commun que leur malheur, causé par les Blancs, en ce que l’oppression de ces derniers leur a enlevé la plus grande part de ce qui fait l’humanité. Ainsi suggère-t-il que les traits de ces deux groupes sont l’effet de leur oppression et de la tyrannie des Blancs, sans pour autant se questionner sur la validité des préjugés qu’il accepte : pour lui, ces traits décrivent bel et bien les Noirs et les peuples autochtones. Il suggère aussi que leur salut passerait par la renonciation de ce qui ferait le caractère de leur race, par la soumission à la civilisation, l’assimilation donc, plutôt que l’intégration, à la société européenne (I : 471, 485).

La majorité affirme que l’égalité est la base de la société et rassemble toute la population, mais ne démontre — et, pourrions-nous le présumer, ne ressent — un sentiment d’égalité qu’envers les autres Blancs. À l’endroit des groupes minorisés et racisés, c’est plutôt un sentiment de supériorité qui la caractérise. Les groupes minoritaires seraient quant à eux définis par le biais de sentiments contradictoires. Selon Tocqueville, qui se fie aux témoignages de Blancs états-uniens dont il reprend le racisme, les personnes noires et autochtones verraient ainsi les différences de classement et d’attitude et les inégalités de traitement s’opposer à leur propre sentiment que les autres leur sont égaux, soit du fait de l’abolition de l’esclavage dans certains États (I : 503), soit par l’attachement à une culture ayant sa propre valeur — attachement que Tocqueville condamne et qu’il nomme « orgueil ». Car à l’opposé des classes ouvrières dans les sociétés aristocratiques d’Europe, ils ne se sentiraient pas inférieurs, mais bien égaux aux Américains blancs, alors même qu’ils vivent des inégalités sociales (I : 520-521) et doivent tolérer la répugnance de ces derniers (I : 521-522).

Le sentiment de minorisation

Nous voyons ainsi trois versions d’un sentiment de minorisation chez Tocqueville : au sein du peuple des sociétés aristocratiques d’Europe ; au sein des populations autochtones, qui chercheraient selon lui à maintenir leur indépendance à tout prix, ce qui sera la cause de leur disparition ; et chez les Noirs, surtout chez les anciens esclaves, lesquels voudront à son avis éliminer les Blancs qui refuseront toujours de vivre avec eux. Son racisme (et celui de ses contemporains, dont il recueille les témoignages) ne l’empêche pas de comprendre les sentiments en jeu, à savoir le sentiment d’égalité et la frustration des personnes noires et autochtones, qui continuent aujourd’hui d’être portés par les mouvements sociaux. Ainsi, pour reprendre une intuition de Tocqueville par rapport aux sentiments — contre son interprétation de ces sentiments toutefois —, considérée ici à travers le prisme de la théorie de la minorisation de Deleuze et Guattari et, comme nous le verrons, de la psychologie sociale : la relation de divers groupes à la norme produit chez eux des sentiments. Nous verrons comment complexifier encore cette idée en réinterprétant certains résultats de la psychologie sociale issus de recherches récentes sur les relations et émotions intergroupes.

Cette description du sentiment de minorisation est dérivée d’une analyse psychologique des émotions collectives en politique, qui synthétise et ajoute à des propositions théoriques clés des publications sur les sujets de l’affectivité, de l’identité sociale et des dynamiques intergroupes. Conformément à la description que fait Halperin (2011 et 2014) des types de sentiments impliqués dans les événements politiques, cette analyse a pour point de départ la supposition que le sentiment de minorisation est un épisode émotionnel spécifique et durable, suscité par la perception individuelle de changements sociaux importants. De tels changements sociaux impliquent typiquement une perturbation perçue de l’ordre des choses normatif ou une menace au statut de l’identité culturelle de la personne qui fait face à l’événement (La Sablonnière, 2017). La nature de cette sorte de changements sociaux peut varier, de changements politiques explicitement mis en oeuvre (par exemple : guerres, élections, législation, etc., ou encore l’exemple choisi pour la quatrième section de cet article) jusqu’aux transformations sociales communes mais plus indirectes dans les domaines de l’économie, de l’environnement, de la culture ou de la technologie. La caractéristique que partagent ces événements minorisants est qu’ils doivent tous changer, réorganiser et perturber le statut normatif perçu des identités collectives au sein d’une société.

Pour qu’ils ouvrent la possibilité d’un sentiment de minorisation et d’autres émotions collectives, de tels changements doivent souligner le statut (potentiellement) changeant d’un groupe ou d’une identité sociale sur qui ils attirent l’attention (Tajfel et Turner, 1986 ; Turner et al., 1987). Une fois qu’une identité collective devient saillante du fait d’un changement social, les individus auront tendance à évaluer l’impact du changement social perçu sur leur identité collective relativement aux groupes sociaux prééminents et sur leur statut social attendu en fonction de la hiérarchie sociale normative, elle aussi perçue. Conformément aux théories des émotions intergroupes (Smith et Mackie, 2016), nous affirmons que la nature de ces évaluations a un impact sur le type d’émotions dont les individus font l’expérience. Ceux-ci jugent des implications des changements sociaux dans les relations intergroupes suivant les implications pour leurs identités intergroupes. Dans le cas de la minorisation, les changements sociaux qui la font advenir rappellent à la personne que son propre groupe (ingroup) est d’un statut inférieur relativement à un autre groupe qui est perçu comme majoritaire. Tandis que la perception d’un statut minoritaire pour son propre groupe est essentielle au sentiment de minorisation, les évaluations qui viennent s’y ajouter, concernant la nature de la menace au groupe propre par exemple, permettent de prédire le type de sentiments dont un individu pourra faire l’expérience.

Ainsi, différentes combinaisons d’évaluations avec des sentiments d’égalité, d’infériorité et de supériorité, toujours en relation à la norme, créent un sentiment de minorisation. Selon l’appartenance d’une personne au groupe qui constitue la norme, son exclusion de ce groupe, ou encore sa relation à une norme constituée par l’ensemble de la société, les sentiments dépendent de ce que les attentes quant à cette norme sont comblées ou non, menant à une satisfaction ou à une frustration — et donc à des sentiments d’égalité, de majorisation ou de minorisation, ou encore de convenance qui va de soi ou d’une fatalité (regrettable ou non) impossible à transformer. Le tableau 1 résume ces possibilités. La première colonne fait référence au groupe qui est le standard de comparaison pour les autres ou, autrement dit, celui qui devrait définir ou incarner la norme, former le segment majoritaire. La seconde colonne porte sur les attentes quant à la norme, à savoir si celle-ci est atteinte ou non. Si l’attente quant au groupe qui devrait définir la norme est comblée, alors une satisfaction en découlera ; sinon, une frustration sera ressentie. Certains aspects de cette colonne pourraient être développés davantage en relation à la théorie de la privation relative (relative deprivation ; voir Smith et Pettigrew, 2014). C’est par ailleurs ici que se poserait la question de la perception de légitimité ou de la justification des normes. Selon le groupe qui est vu comme devant définir la norme et la satisfaction ou la frustration des attentes quant à celle-ci, chacun fera l’expérience de différents sentiments — ce que résume la troisième colonne.

Tableau 1

Norme, attentes et sentiments

Norme, attentes et sentiments

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L’intérêt de ces sentiments est qu’ils ne dépendent pas d’une analyse complète et véridique de la situation (ni d’ailleurs d’une analyse erronée), mais bien de perceptions et d’états corporels, physiques et d’esprit liés à des relations intergroupes ainsi qu’aux institutions. En effet, le sentiment de minorisation est spécialement pertinent pour l’étude des relations de pouvoir et des institutions en ce qu’il est lié à une frustration et à un désir de changement, et donc, potentiellement, à une perte de légitimité des relations et institutions en place.

Qui plus est, la troisième colonne pourrait encore être développée par une étude des émotions rattachées à ces états (par exemple, une colère contre la majorité provenant d’une minorisation) et des comportements qu’elles motiveront (protestation contre la majorité, fragmentation du groupe, dépression, etc.). Toutefois, l’étude de telles émotions exigerait une compréhension plus poussée d’autres variables (entre autres la relation émotionnelle au groupe et à ses membres — autrement dit, l’attachement aux autres et la cohésion du groupe). Et pour comprendre les comportements politiques, il faudrait tenir compte à la fois de ces émotions et des sentiments qui les accompagnent. Une telle étude montrerait aussi la différence entre un sentiment de minorisation lié à une norme d’égalité des groupes et celui qui découle d’une norme de supériorité ou de séparation.

La notion d’un sentiment d’égalisation est nécessaire ici pour expliquer un sentiment non exclusif, un sentiment de coparticipation dans des processus politiques et sociaux, un sentiment de coadéquation à et de codéfinition de la norme. Comme dans les autres cas, l’existence de ce sentiment n’implique pas sa présence chez les autres (qu’ils soient membres du même groupe ou non), qui peuvent très bien se sentir minorisés ou majorisés alors même que certains sentent que tous sont égaux. Aussi, dans tout ordre social où un groupe a le sentiment qu’il devrait définir la norme selon laquelle les autres seront jugés, une attente comblée provoquerait chez lui le sentiment que les choses vont comme il se doit, que la société fonctionne convenablement. Et dans le même ordre social — il s’agit ici bien sûr d’un modèle idéal-typique — où un groupe ressent qu’il ne devrait pas définir la norme, une réalité allant à l’encontre des attentes serait comprise comme résultant de la chance et donnant accès à ce qui jusque-là appartenait à un autre groupe, ce qui entraînerait un sentiment de majorisation. De même, une réalité qui serait en adéquation avec un tel sentiment ne mènerait pas à un sentiment de minorisation, mais plutôt à celui d’une fatalité (historique, voire divine). Au contraire des autres sentiments possibles en relation à la définition de la norme, la minorisation apparaîtrait donc là où il y a une attente que la norme soit atteinte.

Vivre le sentiment de minorisation

Comme dernière étape de la théorisation d’un sentiment de minorisation, nous nous tournons vers un exemple contemporain à la fois imbriqué dans le contexte sociopolitique canadien et marginalisé dans les études de ce contexte, c’est-à-dire relativement peu étudié ou connu. La définition en tant que « communautés francophones en situation minoritaire » (CFSM) de ceux qui sont encore souvent nommés « francophones hors Québec » répond moins à l’absence d’un lien avec le Québec qu’au rassemblement autour d’un sentiment de minorisation qui peut varier de la modération jusqu’à l’extrême. Pour Baril (2017), l’anglonormativité est l’une des manières dont est vécue l’intersection des normes qui définissent le statut francophone minoritaire. Il se tourne ainsi vers une série de discours qui norment les champs d’étude des personnes transgenres, de la francophonie et du féminisme pour leur opposer une expérience personnelle qui permet de repenser les relations de pouvoir linguistique. Comme lui, Madibbo (2006) montre comment la situation minoritaire peut conduire un groupe (ici, les francophones) à éprouver de la difficulté à accepter la présence de « minorités dans la minorité », dans ce cas les immigrants francophones noirs.

Au minimum, une théorie du sentiment de minorisation devrait pouvoir contribuer à la compréhension des réalités de groupes qui se définissent eux-mêmes et sont officiellement définis par leur gouvernement comme minoritaires. Puisque nous ne pouvons pas ici offrir une étude complète de la place que prennent les émotions dans l’autodéfinition, le rapport à la majorité et la mobilisation des CFSM, nous nous limiterons à discuter du pouvoir du sentiment de minorisation dans l’épisode qui a été nommé le « jeudi noir » de l’Ontario français. Le jeudi 15 novembre 2018, lors d’un énoncé économique, le gouvernement de l’Ontario annonce l’annulation du projet de l’Université de l’Ontario français, qui devait être la première université entièrement « par et pour » les francophones de la province, ainsi que l’abolition du Commissariat aux services en français, qui gérait les plaintes en lien avec ces services. Notons que le projet d’université fut remis en marche après une forte mobilisation, mais que les responsabilités du Commissariat ont passé, comme prévu, au Bureau de l’ombudsman de la province, donc d’un commissaire qui devait être francophone à un fonctionnaire qui pourrait l’être — ou non.

Trois articles publiés en Ontario français présentant la nouvelle et montrant les réactions de figures publiques utilisent un registre émotionnel fort : inquiétude, stupeur, surprise, colère, insulte, déception, tristesse, dévastation (Bergeron, 2018 ; Leblanc, 2018 ; Vachet, 2018). Mais on parle aussi des relations entre le gouvernement et les francophones : métaphores de la gifle et du coup de poing, récits de trahison, d’affront, de désastre, de manque de respect, d’injustice, d’attaque contre les droits des francophones, contre la francophonie elle-même, de la part d’un gouvernement perçu comme antifrancophones.

Le lendemain, une lettre ouverte intitulée « Les nouveaux habits de la francophobie », publiée dans Le Droit, souligne les enjeux de l’événement et explique son sens pour les francophones (Chouinard et al., 2018). Comme plusieurs des commentateurs, les auteurs de cette lettre, parmi lesquels on compte bon nombre des chercheurs au centre du champ des études sur les CFSM, font référence à la dernière grande lutte des Franco-Ontarien·ne·s pour préserver l’Hôpital Montfort, et placent l’événement dans la foulée des politiques antifrancophones depuis la création du Canada : le populisme contemporain oppose selon eux bilinguisme et francophonie, d’une part, et l’économie, d’autre part, nouvelle manière de cacher une intolérance qui a toujours été présente. Le thème de la francophobie fut repris trois mois plus tard par la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada lors d’un débat (Radio-Canada, 2019). Le recours à l’idée de francophobie montre ici la force de l’émotion ressentie. Malgré les nuances amenées à chaque occasion, le fait que ces divers intervenants utilisent cette même expression témoigne d’une régression de l’attitude antifrancophones au profit d’une attitude négative à l’endroit du bilinguisme officiel, dans un contexte où l’on voit un soutien pour les communautés d’expression française de la part du gouvernemental fédéral (Noël, 2019).

C’est la même émotion qui se trouvait au centre de la mobilisation historique du 1er décembre 2018 pour protester contre ces mesures — mobilisation qui s’est étendue aux CFSM de plusieurs autres provinces —, laquelle a notamment mené à l’appui financier à l’Université de l’Ontario français de la part du gouvernement fédéral, à une condamnation des coupures de la part du gouvernement du Québec et, finalement, au renversement de cette décision spécifique malgré le maintien de l’autre cause du sentiment de minorisation des Franco-Ontarien·ne·s.

La décision annoncée par le gouvernement ontarien d’effectuer des coupures dans deux éléments de la politique de bilinguisme de la province eut l’effet de créer un sentiment de minorisation chez les Franco-Ontarien·ne·s — et au-delà, chez les francophones en milieu minoritaire du reste du pays qui se sont vu rappeler la fragilité de leur position. D’abord, cette décision affecta leur position au sein du segment social politique et leur rappela leur position à l’intérieur du segment social linguistique. Ainsi, d’une position de relative normalité à l’intérieur du segment linguistique par une politique de bilinguisme officielle, ils passèrent à une situation d’anormalité au sein de ce segment du fait de la disparition des institutions jouant un rôle tant politique et juridique que symbolique. Notons d’ailleurs le caractère relatif de cette situation du français comme norme : plus proche de la norme des langues officielles que toute autre langue, le français demeure minoritaire et secondaire en relation à l’anglais qui, lui, n’a pas besoin de mesures spéciales pour être majoritaire.

Ensuite, la décision frustra un sentiment d’égalité que les arrangements politiques précédents, voire les arrangements constitutionnels au fédéral, avaient contribué à faire naître. La reconnaissance de la dualité anglais-français par des garanties, institutions et programmes est en effet un enjeu pour les CFSM en ce qu’elle les place en situation majoritaire dans les segments politique et linguistique, à défaut de pouvoir le faire pour l’espace social et démographique. Là où elle est robuste, cette reconnaissance satisfait le sentiment d’égalité qui règne chez bon nombre de francophones. Autrement, les francophones se sentent minorisés, suivant toutes les émotions et réactions dont nous avons ici fait état — et ce, même en l’absence d’événements provocateurs spécifiques.

Enfin, la mobilisation permit d’exprimer et le sentiment de minorisation lié à cette décision, et le sentiment d’égalité sous-jacent, ainsi que le désir, voire l’attente, de faire partie de la norme (donc de la majorité). Le renversement de la décision de mettre fin à l’Université de l’Ontario français a de la sorte eu un double effet. D’une part, il a démontré la capacité des Franco-Ontarien·ne·s (avec le soutien du gouvernement fédéral) à infléchir la politique provinciale, ce qui est toujours difficile pour une minorité, et signale son pouvoir relatif, donc diminue le sentiment de minorisation. D’autre part, et au-delà des effets de la disparition du commissaire aux services en français, ce renversement n’a pu effacer entièrement le sentiment de minorisation créé par la décision initiale, qui demeure comme une blessure du fait du rappel de la place qu’occupent les francophones et de leur déplacement dans le segment linguistique.

Conclusion

La première théorisation du sentiment de minorisation que nous proposons ici permet de mieux comprendre le vécu des francophones en situation minoritaire et, avant tout, leurs désirs et leurs attentes qui relèvent d’un sentiment d’égalité, de faire partie de la norme, du moins celle des segments linguistique et politique, à défaut de pouvoir être majoritaires dans les autres segments de la société tant provinciale que fédérale. Cette théorisation ne nous donne toutefois que la forme de ce sentiment. Comme nous l’avons vu à travers la réaction des francophones à la décision du gouvernement ontarien, et comme en témoigne également le dernier commentaire ci-dessus sur la mobilisation, il existe des expériences vécues plurielles et riches de chaque situation comme du sentiment de minorisation, dont il reste encore à rendre compte non seulement pour les francophones en situation minoritaire, mais aussi en leur sein même et chez d’autres groupes minorisés autrement, voire des groupes qui pourraient se sentir minorisés sans l’être matériellement. La phénoménologie des émotions développée dans un cadre empruntant à Edith Stein, ou encore celle de Sara Ahmed, tant dans leur relation à la culture que dans l’optique de la volonté obstinée (willfulness), offrent des pistes qui demeurent à explorer pour cette théorisation et pour la compréhension des CFSM. De même, il existera des liens entre cette théorie du sentiment de minorisation et celle de la privation relative, où les membres d’un groupe perçoivent une perte en comparaison avec un ou d’autres groupes — surtout là où un autre groupe semble gagner en privilèges.

D’une manière plus concrète, ces développements pourront mener à une meilleure compréhension et à une étude plus complète d’autres groupes et d’autres dynamiques de minorisation. L’instrumentalisation d’une peur de la minorisation ou d’un sentiment de minorisation lié à une perte de supériorité, notamment chez les groupes masculinistes ou néo-fascistes déjà mentionnés, a très peu à voir avec l’étude des communautés linguistiques, outre la présence d’un sentiment de minorisation. La différence est tout aussi importante entre la minorisation vécue dans les CFSM et celle vécue par les peuples autochtones qui font face à un génocide. Rien, politiquement, ne rapproche ces groupes. Il restera ainsi à comprendre la teneur exacte du sentiment de minorisation dans différents contextes et milieux, ainsi que les divers usages et multiples instrumentalisations politiques qui peuvent en être faits.