Corps de l’article

Figure 1

Les services publics entre mixité sociale et imposition normative. Crédits Gérard Wormser

-> Voir la liste des figures

Ce texte a pour but de contribuer à l’exercice collectif engagé par le Groupe d’études sur le néolibéralisme et les alternatives (GENA) pour discuter et essayer de mieux comprendre l’actuelle crise de la démocratie et le néolibéralisme, sous l’angle de ses formes nouvelles et de certains des aspects et événements récents de la situation brésilienne. Tout d’abord, je pose en évidence la violence d’État et la militarisation de la politique qui sont les constats de départ qui guideront cet article. La violence d’État n’est pas seulement un élément toujours présent et historiquement constitutif au Brésil — la façon dont elle s’exprime aujourd’hui constitue maintenant une des menaces évidentes pour la possibilité de résistance — et même d’existence — des mouvements sociaux. En un mot, la limite toujours latente de la possibilité de résistance des mouvements sociaux qui luttent pour la défense des droits fondamentaux, au Brésil aujourd’hui, c’est la constante menace d’être tué — violemment — par la police d’État, par des groupes criminels armés ou même par des milices et des groupes paramilitaires qui se sont renforcés au cours de la dernière période.

L’argument suivant considère comme point de départ un ensemble d’expériences de résistance au Brésil qui ont été récemment réunies et débattues dans un ouvrage collectif paru à propos des limites de l’accumulation, mouvements et résistances dans le territoire (Barros, Dal’Bó da Costa, et Rizek 2019), et surtout les expériences déjà historiques des mouvements sociaux de lutte pour le logement, acteurs actifs et présents dans des conflits sociaux au Brésil, partie des nouveaux acteurs en scène après les années 1980 (Sader 1988), et qui a récemment acquis une nouvelle importance dans le contexte des luttes politiques du pays après les manifestations de juin 2013. Le mouvement social de lutte pour le logement peut être compris comme une médiation fondamentale de la résistance des pauvres dans la ville, car au cours des dernières années, ce mouvement a réussi à se constituer en tant qu’interlocuteur d’une partie de la population marginalisée, en instituant la communication directe matérielle et territorialement, à travers des occupations auto-organisées, occupant une partie du vide laissé par le Parti des Travailleurs. Celui-ci, depuis son élection pour les mandats à la présidence de la république après 2003, a progressivement abandonné l’interlocution directe avec la périphérie et les pauvres, remplaçant l’horizon de l’émancipation populaire basé sur l’extension des droits constitutionnels fondamentaux par un processus d’inclusion à travers de la consommation avec l’expansion de l’accès au crédit bancaire, en conformité à un projet de gouvernement capable d’allier, d’une part, le contrôle des urgences des révoltes sociales, et de l’autre, un pacte conservateur avec l’oligarchie brésilienne, possible pendant les années de croissance économique basé sur le boom des commodities. Concrètement, après 2014, la fin de la période de croissance économique produirait la fin du pacte conservateur au Brésil, conditionnant le processus de destitution de la présidente Dilma Rousseff et, plus récemment, l’arrestation de l’ancien président Lula.

Débattre des récentes menaces aux libertés democratiques et à l’existence même des mouvements sociaux ne se limite pas à une tentative de compréhension des aspects et des formes de la domination néoliberale en tant qu’étapes successives et qui serait acuellement marquée par une nouvelle expansion de la violence. Elle consiste surtout à essayer de comprendre comment une multitude de variations du genre peuvent être réunies et superposées en même temps, d’une manière autoritaire et violente intégrée au moment actuel. Une sorte de nouveau laboratoire du néoliberalisme autoritaire de pointe.

Il s’agit de penser les relations entre les différentes variantes, susceptibles de combinaisons qui les renforcent et voient coexister simultanément des dimensions plus ou moins démocratiques, plus ou moins autoritaires, plus ou moins populistes, plus ou moins violentes, avec ou sans soutien populaire, etc. Concrètement, le Brésil connaît un moment propice pour étendre la violence à des nouveaux groupes désignés par l’État comme cible des technologies d’intimidation collective et de meurtres toujours plus nombreux, dont une partie est maintenant étendue et dirigée directement aux mouvements sociaux, mais aussi à la pensée critique et à l’université publique, conçus indéniablement comme des ennemis intérieurs aux yeux de l’État qui les désigne comme autant de cibles. Peut-être que le moment actuel marque la fin de la nouvelle république brésilienne née en 1988.

La violence n’est pas d’aujourd’hui, mais elle s’aggrave avec l’inclusion de nouveaux groupes désignés par l’État comme cible des technologies d’intimidation collective et de meurtres toujours plus nombreux. Les insurrections populaires, les résistances et les actions multiples de ce que nous avons appelé des « mouvements sociaux » en lutte pour l’émancipation populaire, tout au long de l’histoire du Brésil, font partie d’une histoire inconnue et effacée pour la majorité des Brésiliens. L’effacement de la mémoire, non seulement de la résistance, mais aussi du savoir, des langues et de la culture de peuples et des groupes, dont certains déjà complètement exterminés, ainsi que la méconnaissance générale des proportions et des formes de recours à la violence tout au long de la formation du pays — comme le génocide indigène et de la jeunesse noire des périphéries brésiliennes, parmi de nombreux autres exemples possibles - menées sous une fausse image d’une « société pacifique », soutiennent fondamentalement des formes de domination et de gouvernement basées sur une vie quotidienne extrêmement violente. Une telle technologie de gouvernement, dans ses diverses variantes historiques, a consolidé la place des pauvres marginaux en tant qu’ennemis de la société et de l’État. Au cours de la période coloniale au Brésil, 90% de la population indigène a été tuée par l’État colonisateur européen. Aujourd’hui, le Brésil enregistre en moyenne 60 mille morts par an - ce chiffre atteste d’une véritable guerre ! La population noire, à faible revenu et qui vit dans les périphéries urbaines, est celle qui meurt le plus. Les peuples autochtones sont aujourd’hui à nouveau menacés par l’État brésilien qui travaille pour permettre un nouveau cycle d’exploitation, encore plus intensif, de l’agro-industrie et du secteur minier, sur les terres indigènes et quilombolas.

La même société qui ne connaît ni son présent ni son histoire est celle qui est empêchée de reconnaître les proportions et les fonctions de la violence dans sa vie quotidienne. C’est en absence de mémoire que, par exemple, reste toujours vivante l’idée de « peuple pacifique » ou même l’idée que l’Amazonie est un vaste espace vide, à l’état naturel, dépourvu d’activités humaines, en effaçant ainsi le résultat historique de l’interaction humaine — des peuples autochtones indigènes — pendant plus de 10 000 ans.

Le 18 mars 2019, alors que j’écrivais ce texte, dans le Rio de Janeiro, un enfant de 12 ans a été abattu par la police militaire alors qu’il se promenait dans la rue, de trois coups de fusil. Avant d’être conduit à l’hôpital par la voiture de police, déjà tout à fait blessé, il a été menotté. Avant d’être embarqués dans la voiture, les policiers ont changé la preuve du crime, en récupérant les capsules des balles. Le garçon est mort peu de temps après, le même jour. Un enfant de 12 ans tué avec violence explicite, par l’État. Le lendemain, 19 mars, tout se déroulait sous une apparente normalité. D’autres personnes et d’autres enfants ont été tués depuis de cette manière et de nouveaux crimes de ce type se produiront[1].

Lors du Carnaval 2019, cette manifestation populaire qui insiste, en partie, contre la marchandisation totale — l’école de samba Mangueira a chanté « l’histoire que l’histoire ne raconte pas », « l’autre côté du même endroit » elle a chanté « avec ce qui a été effacé des livres », et a rappelé héroïnes de la résistance populaire comme l’esclave Dandara, et la conseillère municipale Mariele Franco du Parti Socialisme et Liberté (PSOL), assassinée par la milice le 14 mars 2018. L’école de Mangueira a été consacrée championne du carnaval, mais plus important que le prix du concours, l’école a pu, par l’exercice politique de la samba enrredo — même si pour un bref moment — capta l’attention de tout le Brésil, au travers des télés, des journaux et des médias, et permettait un rare moment de reconnaissance de la nécessaire extension du récit national à la resistance de l’histoire effacée et des réalités, à un moment où pour l’extension du récit par la reconnaissance de la résistance de l’histoire effacée, créant ainsi un moment rare pour la reconnaissance du réel, de l’histoire matérielle, dans le moment présent où la société plonge dans le domaine des narrations superficielles et des mensonges librement inventés, où il est légitimé le discours d’autorisation de mort violente par le gouvernement national. À la fin du défilé de Mangueira, les slogans positivistes du drapeau national « ordre et progrès » ont été remplacés par le slogan « Indiens, Noirs et Pauvres ».

La mort de Marielle Franco, l’arrestation récente des suspects, et les preuves trouvées, nous laissent très proches de la démonstration d’une liaison directe au cœur de l’actuelle présidence de la république, avec la milice, groupe criminel opérant territorialement de la ville de Rio de Janeiro, mais qui dans sa capillarité est sous hypothèse capable de financer et d’élire des conseillers, des députés, des sénateurs et même, viola, le président. Compte tenu de cette hypothèse, le Brésil pourrait être considéré, maintenant, donc, un pays gouverné par un régime néolibéral et autoritaire sous la directe influence des groupes criminels. Cette réalité serait donc une révolution de fond qui concerne la légitimation et la vérité de la violence d’Etat.

Le nouveau néolibéralisme autoritaire qui se développe aujourd’hui au Brésil est donc une forme de gouvernement capable de mener, sur le fondement de la promotion de la dimension privée des relations, qui nie la dimension publique du pacte social, une forme de guerre interne, de racisme d’État, d’attaques frontales sur les biens communs (environnement, pétrole, sécurité sociale, les lois de protection sociale, les déréglementations fiscales, services et infrastructures publics, parmi d’autres) en passant également sous l’influence et le contrôle direct de groupes criminels.

Sans perdre de vue l’exercice qui tente de comprendre les étapes superposées du néolibéralisme, il est important de souligner un changement entre deux modèles/moments de gouvernement, dans une période antérieure de rationalité néolibérale consolidée entre 1990 et 2016, et surtout dans le gouvernement du PT entre 2002 et 2016, qui fonctionnait à travers un réseau de programmes et de projets de médiation et de gestion des urgences, en développant une technologie gouvernementale véritablement néolibérale (Ota 2010 ; Rizek 2017 ; Dal’Bó da Costa 2019), reposant également sur un type de gouvernement des nombres, disposant de puissants outils de registres et de technologies essentiellement orientées vers la maîtrise des urgences, et donc en agissant en dehors du registre d’hétéronomie des droits du domaine public, ou de sa pleine garantie par l’État, c’est-à-dire en modifiant le registre d’un domaine normatif d’intérêts entre les domaines public et privé.

Un tel glissement de la relation public-privé a également conduit à un processus de privatisation à médiation par le champ normatif. Ce mouvement résulte en premier lieu du rétrécissement de la sphère publique au profit de la sphère privée et, dans ce mouvement, la privatisation est une conséquence directe de la répartition des opérateurs privés dans des fonctions précédemment assumées par l’État, modifiant ainsi le type de prestation de services de l’État social, et en modifiant de manière significative les routines, les fonctions et les institutions du gouvernement consacrées aux garanties des droits, maintenant sous diverses influences — ou même un fonctionnement direct — des entités privées que ce soit légal ou illégal. À la limite, les gouvernements, par ce réseau de programmes et d’actions pour la gestion des urgences, fonctionnant au moyen de registres, de chiffres et d’indicateurs de mesure, auront tendance à remplacer l’horizon du gouvernement sur la base des lois et de la Constitution nationale, en préparant le terrain, par le mouvement néolibéral autoritaire d’aujourd’hui. Une telle inversion place la Constitution nationale et ses lois, non pas en tant que limites des intérêts individuels, mais en tant qu’instruments au service des intérêts privés, inscrivant pleinement la société dans le récit de la guerre civile interne. C’est à partir de ce moment que nous pourrions mieux comprendre une telle rationalité néolibérale, ainsi que la construction d’un schéma normatif de la relation privée basée sur l’opposition ami/ennemi, où un tel ennemi commun sera éliminé, non seulement par l’État, mais également par la société elle-même, en guerre interne.

Après la démocratisation officielle du Brésil pendant les années 1980, de nombreux secteurs de la société brésilienne se sont lancés dans une nouvelle tentative d’instaurer un état de bien-être social tardif[2], en regardant vers un horizon prometteur pour surmonter son passé archaïque à travers le développement, en visant à une modernisation industrielle complète, capitaliste et démocratique, un projet qui, dans cette hypothèse, pourrait donner la garantie de droits minimaux pour tous les citoyens brésiliens, à l’image et à la ressemblance du standard européen de l’égalité d’après-guerre. Cependant, l’esclavage et l’héritage colonial, constitutifs des sociétés latino-américaines après l’invasion européenne, même après leur abolition formelle, sont encore aujourd’hui des éléments actifs, permettant, par exemple aux secteurs les plus avancés de l’économie financiarisée d’exister d’une manière spécifiquement brésilienne, c’est-à-dire profondément liée au maintien de situations historiquement dépassées. L’espoir de progrès en matière de développement — le développementalisme — et d’industrialisation constitue donc une certaine naïveté politique qui aurait longtemps conduit à penser que les formes supérieures d’organisation capitaliste correspondaient à des formes plus élevées d’organisation politique et de sociabilité. Or, la situation présente nous montre que le capitalisme dans sa version brésilienne s’appuie plutôt sur des pratiques attestant qu’il cultive le retard.

Je remonte au XVIe siècle parce que nous ne sommes pas si loin de lui. Depuis l’arrivée de colons européens sur le territoire qui porte aujourd’hui le nom de Brésil, jusqu’à présent, il n’existait jamais de conditions permettant un accès adéquat à la terre, aux infrastructures et aux services urbains pour la majeure partie de la population brésilienne – à savoir, 50 % des logements, au moins 30 des millions de bâtiments se trouvent dans une situation illégale - un marché illégal « autorisé » par l’État, mais qui sont menacés de temps en temps, en menaçant ces habitants, selon d’autres intérêts, comme exemple d’améliorations urbaines, de nouveaux développements immobiliers ou d’événements mondiaux tels que la Coupe du monde et les Jeux olympiques. Nous aurions dans cet état un exemple vivant de la conjonction des traces de l’archaïsme et de la modernité, qui est encore confrontée à l’avancée des mouvements d’accumulation primitifs, basés sur la gestion des illégalismes (Foucault 2016, 299).

Dans la condition urbaine, il est impératif de noter que la garantie de l’accès populaire à la terre, que ce soit pour le logement ou pour la culture de subsistance, n’a jamais été possible dans toute la histoire de la société brésilienne. Au contraire, l’organisation et le contrôle du territoire brésilien est structurellement conditionnée par la forte concentration de terres et le maintien des privilèges d’une petite oligarchie, avec aujourd’hui une large ramification internationale. Nous pourrions également dire, grosso modo, que la même chose s’est produite — et le reste aujourd’hui — pour la distribution d’autres actifs et revenus. L’un des fondements de l’inégalité brésilienne reste toujours la structure foncière du pays.

De manière très générale, il serait important de reprendre quelques étapes de l’histoire de la terre au Brésil : au début du XVIe siècle, l’Empire portugais divise le territoire brésilien en 15 grands lots qu’il destine à quelques représentants de la noblesse portugaise. Le bénéficiaire devrait exercer le maximum d’autorité sur l’une de ces parties du territoire, en assumant le devoir de le peupler et de l’exploiter avec ses propres ressources. La propriété des terres resterait sous la domination de l’empire portugais et devrait être transmise de père en fils, constituant ainsi le modèle colonisateur dénommé capitaineries héréditaires. Le développement des capitaineries héréditaires au cours de la période coloniale a utilisé le travail esclave du peuple originaire et des Africains dans différents cycles d’extraction de matières premières pour les marchés européens et mondiaux. Le système des capitaineries a duré jusqu’au XIXe siècle, peu de temps avant la déclaration d’indépendance de 1822. Cependant, le processus d’indépendance était totalement dissocié de toute action révolutionnaire ou d’émancipation populaire, et sans aucun changement majeur dans la structure des forces de la société, une sorte de « grand accord national[3] ». Contrairement à d’autres pays, comme l’Amérique du Nord et le Mexique — par exemple — le Brésil n’a pas distribué de terres après la fin de l’esclavage. Le maintien des abîmes de l’inégalité est sans aucun doute une règle maintenue jusqu’à nos jours, tout au long d’une histoire de transitions compromises, toujours avec le maintien de la souveraineté du souverain déjà souverain, sans révolutions ni division des terres.

L’esclavage au Brésil durera légalement jusqu’en 1888. En 1850, la première loi foncière est promulguée. La loi foncière organisait et réglementait la propriété foncière privée, légitimant ainsi les propriétaires terriens ayant hérité du système colonial. De 1888 à nos jours, anciens esclaves et travailleurs libres de cette période, leurs enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants et autres personnes trouveraient difficile, voire impossible, de pénétrer sur les terres de manière formelle - ou par le marché formel - en raison des salaires insuffisants par rapport aux prix immobiliers ou par la garantie des droits constitutionnels de l’État, en raison de l’absence de programmes publics adéquats. La seule véritable tentative de réforme agraire étatique de l’histoire du Brésil aurait lieu au début des années 1960, sous le gouvernement du président Joao Goulart, interrompu par le coup d’État militaire de 1964.

En 1988, au terme de plus de vingt ans de dictature militaire, la nouvelle Constitution fédérale brésilienne de 1988 offrait un important progrès normatif et institutionnel pour la distribution des terres, selon lequel « toute propriété privée doit remplir une fonction sociale[4] », c’est-à-dire que les terres sans utilisation sociale devraient être expropriées par l’État et distribuées, ce qui impliquerait de grands changements dans un pays continental. Malgré des avances légales, les terres n’ont pas été distribuées. La structure des terres urbaines et rurales, basée sur la concentration et la réitération des privilèges historiques, continue d’être présente.

Dans les contextes urbains, les mouvements de lutte pour le logement ou pour la réforme urbaine se consolideraient à la fin des années 1970 dans les processus de lutte pour la nouvelle démocratisation du pays, après avoir agi de manière ininterrompue et sous divers drapeaux et acronymes. Plus récemment, au moins après les manifestations de juin 2013 au Brésil, le Mouvement du logement a de nouveau joué un rôle central sur la scène politique nationale en organisant de nombreuses actions d’occupation et manifestations publiques. Au fur et à mesure de sa croissance, il a également progressé sur un terrain de notables ambigüités. Cette ambigüité́ apparaît de manière particulièrement nette dans l’aboutissement des occupations menées par le mouvement. Une fois qu’une occupation conduite aboutit à des négociations avec le gouvernement de l’État, il est demandé aux autorités municipales d’exproprier les terrains occupés — à la suite de quoi, dans de nombreux cas, le mouvement demande que les familles qui ont participé́ à l’occupation soient incluses dans le programme gouvernemental de logements sociaux. Mais les nouveaux logements sociaux risquent fort de contribuer à la ségrégation spatiale, sachant que ces nouveaux logements destinés aux populations pauvres sont presque toujours construits dans les périphéries, ce qui ne fait que renforcer les inégalités spatiales déjà profondes.

Pour conclure, le Brésil a récemment connu deux événements décisifs du tournant à droite : l’impeachment de Dilma Rousseff et l’élection de l’extrême droite à la présidence de la république. De tels changements orientent le pays vers une nouvelle période de réduction probable de la protection sociale (déjà réduite) par l’État, favorisant l’augmentation des inégalités sociales (déjà énormes), dans un moment qui semble allier néolibéralisme, autoritarisme, crise permanente et légitimation de la violence, comme formes de gouvernement.

Outre le paquet de mesures d’austérité, qui sont déjà en cours, mais qui doivent être accentuées, visant à modifier la législation du travail, la sécurité sociale, la législation environnementale et la garantie des droits des minorités, entre autres mesures, il faut souligner une mesure qui devrait affecter directement la situation des mouvements sociaux, contribuant davantage à la criminalisation déjà élevée des mouvements de résistance et de pauvreté : c’est le projet de loi qui vise à modifier la législation nationale antiterrorisme[5]. La législation en question « discipline le terrorisme » au Brésil, et son amendement peut empêcher l’existence de mouvements sociaux. Cette attaque frontale contre la possibilité politique des mouvements sociaux et la résistance des minorités, par la modification de la constitution et des lois, s’ajoute au contexte créé par les discours homophobes, machistes et racistes[6] du président élu, à l’augmentation remarquable de la violence[7] et des attaques contre les occupations urbaines, indigènes[8], sans terre[9] et de nombreuses autres formes de violence contre les minorités au Brésil.

Figure 2

Orage à Belo Horizonte. Crédits Gérard Wormser

-> Voir la liste des figures