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1. Introduction

La petite ville allemande de Straelen, située tout près de la frontière avec les Pays-Bas, est un haut lieu de la traduction littéraire : non seulement elle accueille le plus ancien collège de traducteurs et traductrices, l’Europäisches Übersetzerkollegium (EÜK), mais depuis peu, c’est aussi à cet endroit que se trouvent pour la première fois rassemblées et rendues accessibles des archives privées de traducteurs de première importance, les archives Tophoven. Cela n’a rien d’une coïncidence : c’est en effet grâce à Elmar Tophoven, né à Straelen il y a presque un siècle, que le collège y a été fondé en 1978.

Elmar Tophoven (1923-1989) a consacré sa vie à la traduction, à sa défense et à son illustration. En 1949, il accepte le poste de lecteur d’allemand à la Sorbonne et s’installe à Paris, où sa passion pour le théâtre l’amène à traduire ses premières pièces, notamment celles d’Arthur Adamov. Avec ce dernier, il assiste en 1953 à la première d’En attendant Godot : fasciné par cette découverte, le jeune traducteur se met immédiatement au travail. La révision de sa traduction avec Samuel Beckett inaugure trois décennies de collaboration entre les deux hommes, auxquels se joindra Erika Tophoven en tant que co-traductrice des oeuvres écrites en anglais. Outre celui qu’il considère comme son « maître[1] », Elmar Tophoven a également traduit, avec l’aide de son épouse, de nombreux écrivains et écrivaines de la scène littéraire française, tout particulièrement du Nouveau Roman, tels que Claude Simon, Alain Robbe-Grillet et Nathalie Sarraute.

Mais la trajectoire d’Elmar Tophoven ne se résume pas à la liste des auteurs et autrices qu’il a traduits. Il a en effet participé, à partir du milieu des années 1960, au mouvement de valorisation du métier de traducteur, en rejoignant le syndicat allemand Verband deutschsprachiger Übersetzer (VdÜ) et en participant aux rencontres annuelles baptisées Entretiens d’Esslingen (Esslinger Gespräche). C’est dans ce cadre qu’il a formé le projet ambitieux de favoriser la communication et les échanges entre collègues, afin de rompre l’isolement souvent ressenti par les traducteurs et les traductrices, de partager les expériences et d’améliorer la connaissance de la traduction. Pour ce faire, il a adopté une méthode, appelée par la suite « transparentes Übersetzen[2] » ou traduction transparente[3], qui consiste à prendre en note, sur des fiches puis à l’ordinateur, le processus traductif, c’est-à-dire à la fois les différentes étapes de l’élaboration du texte et les raisonnements qui les guident. Il espérait qu’ainsi, les traducteurs et traductrices seraient en mesure de mieux expliquer leurs décisions et de mettre à profit les « trouvailles[4] » des uns et des autres lors de leurs rencontres. Le deuxième volet de ce projet a été l’ouverture d’un lieu dédié à la traduction, sur le modèle (mythique) de l’école de Tolède[5]. Dans les années 1970, Elmar Tophoven s’est employé avec d’autres à concrétiser ce rêve, qui a abouti à la fondation du collège de traducteurs de Straelen. Celui-ci a ouvert la voie à la création d’autres collèges de ce type un peu partout en Europe, par exemple celui d’Arles en 1987, celui de Tarazona en 1988, ou encore le British Center for Literary Translation fondé par l’écrivain germanophone W. G. Sebald à Norwich en 1989[6].

Cette riche carrière de traducteur a conduit Elmar Tophoven à constituer d’importantes archives personnelles, auxquelles l’actuelle dépositaire Erika Tophoven a également contribué par sa collaboration à la plupart des traductions, par ses projets personnels ainsi que par son travail de conservation depuis la disparition de son mari en 1989. Le regroupement de ces archives dans la maison de la famille Tophoven à Straelen, qui vise à les rendre plus accessibles aux chercheurs, constitue à notre connaissance une entreprise unique en son genre : alors que les archives de traducteurs et de traductrices commencent seulement à être reconnues comme dignes d’entrer en tant que telles dans les collections des bibliothèques et des centres d’archives littéraires, la création d’archives privées reste exceptionnelle et pose un certain nombre de questions. En dehors du circuit institutionnel, comment établir la légitimité archivistique de ce fonds ? Comment en garantir la pérennité ? Comment faire en sorte que la recherche s’y intéresse et l’exploite ?

Dans son article sur les archives littéraires, Werner (2000 : 137) repère trois de leurs principales fonctions : une fonction pratique liée à leur usage par la personne qui les a constituées ; une fonction symbolique, leur conservation servant à perpétuer une mémoire ; une fonction scientifique, car les archives apportent des sources et des données essentielles à la recherche. Partant de là, nous examinerons dans cet article de quelle manière les archives Tophoven répondent à ces trois fonctions. Il s’agira tout d’abord d’exposer comment et pourquoi Elmar et Erika Tophoven ont créé, rassemblé et conservé les documents qui les composent. L’existence d’archives de traducteurs étant encore rare et précaire[7] – surtout quand il s’agit de traducteurs de métier –, nous poserons ensuite la question de leur importance pour la reconnaissance et la valorisation de la traduction. Enfin, nous suggérerons quelques pistes pour l’exploration scientifique des archives Tophoven.

2. Constitution des archives

Jusqu’au décès d’Elmar Tophoven, les archives de celui-ci se sont constituées par sédimentation naturelle, non sans pertes au fil des déménagements. On y trouve donc ce qui est commun à toutes les archives de traduction : manuscrits, dictionnaires, correspondance professionnelle, contrats, épreuves, ouvrages originaux et ouvrages traduits édités, rééditions, coupures de presse relatives à des critiques, ainsi que toutes sortes de documents accumulés au fil des ans. Les archives Tophoven contiennent en outre quelques documents autographes d’auteurs célèbres. Mais ce sont avant tout des archives de traducteurs, qui apportent un éclairage singulier sur la traduction comme transfert, comme processus d’écriture, comme domaine de connaissance et comme profession. L’oeuvre d’Elmar Tophoven étant centrée sur le théâtre de l’absurde, le Nouveau Roman et Samuel Beckett, ses archives reflètent la réception des auteurs francophones de la période dans les pays germaniques, à travers des correspondances ou des coupures de presse par exemple. Les nombreux manuscrits conservés témoignent du processus d’écriture de ces traductions et notamment de sa dimension collaborative, à l’encontre de l’image du traducteur solitaire (Cordingley et Frigau Manning 2017 ; Hersant 2020) : beaucoup de traductions font l’objet d’une co-création avec Erika Tophoven, qui se charge notamment des premiers jets à partir de l’anglais, des relectures et de la dactylographie ; ou bien d’une révision avec un auteur comme Samuel Beckett[8]. Elmar Tophoven, qui augmentait ses revenus comme présentateur radio et voix hors champ, a également enregistré quelque soixante-dix heures de lecture de ses traductions, qui lui servaient à corriger son texte et à en tester la sonorité. L’enseignement trouve également sa place dans les archives à travers des documents de cours donnés à l’École normale supérieure. L’acquisition et la transmission de connaissances étaient en effet fondamentales pour Elmar Tophoven, comme l’attestent les ouvrages de linguistique annotés présents dans la bibliothèque ainsi que les nombreuses conférences qu’il a données pour faire part des résultats de sa méthode de traduction transparente. Cette soif de connaissances et de partage aura été l’un des principes directeurs de l’idée du collège de traducteurs, dont la réalisation est documentée dans les archives.

Après 1989, Erika Tophoven poursuit d’abord l’oeuvre de son défunt mari en continuant à traduire Samuel Beckett et Nathalie Sarraute et à pratiquer la traduction transparente. Puis son attention se porte sur les archives, dans un double mouvement : d’une part, elle classe progressivement les documents, cherche l’appui de spécialistes et l’aide d’institutions pour pérenniser cet ensemble ; d’autre part, elle exploite et enrichit ces dernières en menant des projets de recherche et de publication, souvent autour de la figure centrale de Samuel Beckett (Erika Tophoven 2005 ; 2015). Plusieurs oeuvres de l’auteur font l’objet d’analyses fouillées, qui explorent notamment l’importance de l’influence allemande au sens large. Sans déboucher toujours sur des publications, ces recherches complètent les archives proprement dites tout en préfigurant le travail que celles-ci permettraient d’accomplir.

Si les archives Tophoven ont été accumulées progressivement au fil des activités et des projets du couple de traducteurs, comme n’importe quelles archives personnelles, elles ont la particularité d’avoir rempli très tôt, et de manière autonome, un rôle de production et de conservation de savoirs. C’est en effet la traduction transparente, c’est-à-dire un effort de documentation et de transmission du processus de traduction, qui est à l’origine de la plupart des documents qui composent les archives. L’idée de la traduction transparente est née à la fin des années 1960, mais elle n’a reçu son appellation définitive que dans les années 1980. Les séances de travail avec Samuel Beckett semblent avoir servi de point de départ, car elles ont incité le couple de traducteurs à faire preuve de systématicité. La réflexivité a également été stimulée par la critique, aiguisée par la publication d’éditions plurilingues et par l’interaction avec les éditeurs lors de l’étape de révision de la traduction (Hersant 2019). Les années 1960 font émerger ce besoin et cette volonté de justification qui appelle pour ainsi dire la création de catégories et d’outils d’analyse. Après la rencontre avec le linguiste Mario Wandruszka lors des Entretiens d’Esslingen de 1969, Elmar Tophoven recourt à la distinction de Wilhelm von Humboldt entre strate lexicale, strate syntaxique et strate sonore[9]. Pourtant, le contact entre la linguistique et la pratique des traducteurs et traductrices reste finalement ponctuel et limité. Dans les années 1970, la traduction transparente consiste pour le traducteur à noircir des milliers de fiches cartonnées, chacune correspondant à une difficulté particulière. À partir de 1980, Elmar Tophoven commence à utiliser un ordinateur, dans l’espoir que cette technologie facilitera la collecte et la transmission des expériences de traduction. Le bâtiment définitif de l’EÜK, inauguré en 1985, accueille à cet effet une mémoire informatique ; celle-ci, hélas, rendra l’âme en 1989, la même année qu’Elmar Tophoven et Samuel Beckett. Avec le passage à l’ordinateur apparaissent également les notions de prélecture (« Vorlektüre »), de glossaire spontané (« Spontanglossar ») et de sélection ou moisson (« Nachlese »)[10]. Il s’agit, pour le traducteur, de baliser l’oeuvre à traduire, de noter les différentes étapes de la traduction, puis d’en retirer les enseignements publiables. Des ouvrages originaux annotés et des glossaires témoignent de cette pratique dans les archives.

Produits et conservés dans l’idée de retracer le processus de traduction, les documents d’Elmar et Erika Tophoven portent déjà en eux le principe d’une transmission, et donc d’un archivage. Le Collège européen des traducteurs de Straelen était d’ailleurs conçu non seulement comme lieu de travail et de rencontres, mais aussi comme une sorte de centre d’archives destiné à récolter les équivalences sémantiques et les procédés de transposition mis au jour dans le cadre de la traduction transparente[11]. Ainsi, les archives Tophoven sont-elles plus que de simples personal papers (Munday 2013 : 127), et c’est par fidélité à ce projet que la famille Tophoven travaille à les rendre accessibles.

3. Enjeux symboliques des archives de traducteurs

Toutes les archives personnelles n’ont pas nécessairement vocation à être conservées sur la longue durée. En archivistique, il est convenu de distinguer trois âges qui rythment le cycle de vie d’une archive :

  • l’archive courante correspond aux documents qui sont directement utiles à l’exercice de l’activité concernée : par exemple les brouillons d’une traduction en cours ou bien les ouvrages de référence consultés par un traducteur ou une traductrice ;

  • l’archive intermédiaire regroupe des documents qui ont perdu leur utilité immédiate mais auxquels on souhaite se référer ultérieurement : par exemple la correspondance et les contrats passés, mais aussi les manuscrits de traduction qui peuvent servir à des rééditions ;

  • l’archive définitive concerne des documents que leur valeur historique ou patrimoniale voue à une conservation illimitée, généralement garantie par des institutions comme les centres d’archives publics.

Comment s’opère la sélection de ce qui est jugé digne d’être transmis à la postérité ? Un premier critère consiste selon Franz (2007 : 67) à se demander si les documents en question ont trait à une activité qui présente un intérêt général, en lien par exemple avec la politique ou la culture. Toutes les archives personnelles des individus qui ont participé à la vie publique ne peuvent cependant être conservées. Une deuxième sélection s’opère donc, laquelle consiste à évaluer l’importance du rôle joué par la personnalité en question, dans la mesure où les archives se caractérisent également par une fonction symbolique de préservation d’une mémoire à transmettre aux générations futures. Dans le cas des archives littéraires et de la culture en général, cette dimension est d’autant plus prégnante que des processus de canonisation sont à l’oeuvre. Dès lors, ce sont les figures d’écrivains ou d’artistes les plus consacrées qui sont concernées en priorité par les efforts de conservation. Ainsi, Werner (2000) a étudié la façon dont les archives littéraires allemandes se sont constituées autour de Goethe et de Schiller. En France, le legs de Victor Hugo à la Bibliothèque nationale marque l’acte fondateur de « l’institutionnalisation de la valeur culturelle du manuscrit littéraire » (Grésillon 1994/2016 : 102). Un troisième facteur de sélection, plus pragmatique, entre également en ligne de compte, à savoir la question de l’existence même d’archives à conserver. Le passage du temps ayant pour effet d’augmenter les risques de dispersion ou de destruction des documents, la préservation des archives doit intervenir rapidement. Elle peut, du reste, être anticipée du vivant de la personnalité concernée si celle-ci est dotée d’un très fort capital symbolique, comme Goethe ou Hugo.

En résumé, trois conditions essentielles sont à remplir pour que des archives personnelles soient reconnues comme dignes d’être conservées : il faut qu’elles présentent un intérêt général en lien avec un des domaines de la vie publique ; qu’elles soient suffisamment valorisées sur le plan symbolique pour être reconnues comme faisant partie du patrimoine ; que cette reconnaissance intervienne assez tôt pour empêcher la perte ou la destruction des documents après le décès de la personne concernée.

La traduction est jusqu’à présent passée à travers les mailles de ce filet. L’activité de traducteur ou de traductrice ayant souffert d’une image négative, son intérêt patrimonial a longtemps été négligé (Durand-Bogaert 2014 : 16 ; Cordingley et Montini 2016 : 7). C’est pourquoi les archives dont nous disposons sont majoritairement des archives d’écrivains-traducteurs, en somme de personnalités dont la légitimité tient à d’autres productions que la traduction. La question de la conservation des archives de traducteurs et de traductrices met donc en jeu la fracture sociologique observée par Heinich (1984), Lauber (1996) et Kalinowski (2001), qui sépare les traducteurs « exclusifs », c’est-à-dire ceux qui se situent uniquement dans le champ de la traduction, des traducteurs à cheval sur plusieurs champs, disposant d’un capital symbolique important sous forme de capital littéraire ou universitaire. Si l’on interroge la banque de données des archives fédérales allemandes, le mot-clé « Übersetzer » (traducteur) apparaît deux cent vingt fois dans les indications biographiques des personnes ayant légué leurs fonds. Mais il est presque toujours combiné avec une autre activité, et presque jamais mentionné en premier[12]. Malgré le tournant pris ces dernières années, la valorisation symbolique des archives de traducteurs et de traductrices semble donc encore loin d’avoir conquis son autonomie, faisant écho à la question posée par Montini (2016 : iv) : « La renommée du traducteur (surtout s’il est aussi un auteur consacré) importerait-elle plus que son travail, sa traduction ? »

Elmar Tophoven se définit essentiellement comme traducteur et tire donc sa légitimité de la seule traduction. Il a joué un rôle dans la sphère publique au titre de son engagement pour la promotion de son métier, multipliant les conférences et les articles pour donner corps à son projet de traduction transparente et de collège. Il est également investi d’un capital symbolique important en tant que traducteur primé et décoré d’écrivains majeurs. Néanmoins, tout cela ne compte guère si la traduction elle-même n’est pas reconnue comme un domaine important de la vie culturelle et, à ce titre, digne d’être archivée. La constitution et la préservation des archives Tophoven sont alors à mettre au compte de l’anticipation par ses deux contributeurs de la valeur des documents issus de leur travail, depuis le développement de la traduction transparente par Elmar Tophoven jusqu’aux efforts d’Erika Tophoven pour garder les archives intactes et actives, pour les classer et les valoriser auprès de différentes institutions du monde de la recherche et de la littérature. Irene Albers, professeure à la Freie Universität Berlin a ainsi travaillé sur les archives Tophoven et organisé avec ses étudiants une exposition pour le jubilé Claude Simon (Albers et Nitsch 2013). En attendant un éventuel versement à une institution, les archives Tophoven participent déjà de la reconnaissance des traducteurs professionnels comme faisant partie intégrante du patrimoine littéraire. Le choix de les regrouper dans la maison familiale de Straelen a d’ailleurs une forte portée symbolique, car il n’est pas sans rappeler ces maisons d’écrivains qui sont couramment transformées en musées ou en centres de recherche (Werner 2000).

Contrairement aux autres domaines culturels, où la valorisation précède la question de l’archivage, nous pouvons observer que les archives Tophoven sont en quelque sorte légitimées par leur existence même. On constate ici un processus similaire aux « Archive von unten » (archives par le bas), ces archives autogérées qui se constituent autour de groupes marginalisés et en favorisent la reconnaissance (Bacia et Wenzel 2013). La création d’archives de traducteurs à part entière peut ainsi aider à faire changer le regard que l’on porte sur la traduction. Toutefois, ce processus n’est possible que si ces fonds répondent à l’intérêt de la recherche et des institutions capables de financer celle-ci[13]. Depuis les années 1990, l’évolution de la traductologie va dans le sens d’une meilleure prise en compte des traducteurs et des traductrices grâce à de nouvelles approches historiques, sociologiques et critiques (Delisle et Woodsworth 1995 ; Wolf et Fukari 2007 ; Chesterman 2009 ; Munday 2013 ; et Pym 2016), ce qui crée une véritable demande d’archives[14]. La constitution d’archives de traducteurs et de traductrices est donc avant tout liée à ce que celles-ci peuvent apporter sur le plan scientifique, en attendant que le déficit symbolique de la traduction soit suffisamment comblé pour que la fonction patrimoniale puisse jouer pleinement.

4. Pistes pour l’exploration scientifique des archives

Différents champs d’étude peuvent être concernés par les documents conservés à Straelen, au-delà de la seule traductologie. Ainsi, les traces de la collaboration entre Elmar Tophoven et certains des écrivains qu’il traduisait peuvent fournir des éléments précieux pour la recherche sur les oeuvres en question. Samuel Beckett, en particulier, occupe une place prépondérante dans les archives en raison des relations suivies que les époux Tophoven ont entretenues avec lui. La conservation des manuscrits de traduction intéresse par ailleurs au plus haut point la génétique des traductions, branche récente de la génétique textuelle qui étudie les brouillons de traducteurs (Cordingley et Montini 2016). Enfin, les archives Tophoven offrent un matériau varié permettant de retracer certains aspects importants de l’histoire des traducteurs et des traductrices germanophones entre les années 1950 et 1980.

4.1. Recherche beckettienne

Principal écrivain traduit par Elmar et Erika Tophoven, Samuel Beckett occupe une place importante dans leurs archives, où sont rassemblés de nombreux documents relatifs à sa réception outre-Rhin, des coupures de presse, des ouvrages, des affiches et des enregistrements, qui accompagnent les traces du travail de traduction. Les archives Tophoven ont pour vocation de constituer l’un des hauts lieux beckettiens en Allemagne, au même titre que la société Samuel Beckett de Kassel[15], comme le montre un récent versement de Rolf Breuer, professeur émérite de l’Université de Paderborn. Sa collection comprend les oeuvres complètes de l’écrivain en français, en anglais et en allemand, des ouvrages de littérature secondaire, des centaines de fiches et une riche correspondance. Les archives Tophoven pourront ainsi inspirer de nouveaux projets de recherche dans la lignée du travail commencé par Erika Tophoven et Rolf Breuer sur la réception de Beckett en Allemagne et sur le vaste monde littéraire auquel son oeuvre se réfère plus ou moins explicitement. Les traductions en allemand sont révélatrices de cette intertextualité, car Elmar Tophoven acceptait de bon gré certaines suggestions de l’auteur, souhaitant insérer une formule relevée chez un écrivain allemand prisé[16].

Quelle n’aurait pas été la surprise du traducteur de constater que Samuel Beckett, en léguant ses manuscrits avec les différents stades de ses ébauches, avait lui-même pratiqué une sorte d’écriture transparente qui permet aujourd’hui d’étudier son oeuvre du point de vue génétique. La recherche beckettienne en génétique textuelle s’intéresse également aux manuscrits de traduction des archives Tophoven, qui témoignent de la longue collaboration entre l’écrivain et le couple de traducteurs. La participation de Beckett à l’élaboration des traductions allemandes peut en effet être considérée comme une dimension supplémentaire de son plurilinguisme (Bishop 2006 : 100). C’est tout particulièrement le cas quand il s’autotraduit vers l’anglais après avoir révisé la version allemande, car il lui arrive de s’inspirer des similarités entre ces deux langues germaniques, à l’exemple du titre Fin de partie, dont la traduction par Endgame s’appuie sur le titre allemand Endspiel[17]. Les traductions d’Elmar et Erika Tophoven suivent de très près l’évolution de l’oeuvre beckettienne, puisqu’elles sont remaniées au fur et à mesure des modifications introduites par l’auteur à l’occasion d’autotraductions ou de mises en scène. Dans le prolongement de ces recherches génétiques, les archives Tophoven se prêtent à des projets de traduction de l’oeuvre de Beckett qui s’inscrivent dans une démarche plurilingue, c’est-à-dire à partir non plus d’une seule, ni même de deux (Montini 2006), mais de trois langues sources (Garforth 1996 ; Fries-Dieckmann 2007).

4.2. Génétique des traductions

Outre leur signification pour la génétique beckettienne, les archives Tophoven représentent une véritable mine d’or pour la génétique des traductions. Alors que celle-ci est confrontée à un manque structurel d’archives ainsi qu’à la réticence de certains traducteurs et traductrices à partager leurs brouillons (Durand-Bogaert 2014 : 17), la traduction transparente a amené Elmar Tophoven à documenter lui-même son processus de traduction, non seulement par ses manuscrits, mais aussi par des pièces ad hoc. La traduction transparente et la génétique des traductions entretiennent à première vue des rapports étroits. En effet, toutes deux visent à éclairer le travail du traducteur en retraçant l’ensemble des solutions qu’il a envisagées ainsi que les raisons qui sous-tendent son choix final (Montini 2016 : vi). Il n’est pas non plus anodin que la traduction transparente et la génétique textuelle aient émergé à la même époque, à la fin des années 1960, s’inscrivant dans un même mouvement de déplacement de l’attention du texte comme produit fini vers le processus de création. Les derniers écrits d’Elmar Tophoven sur la traduction transparente, rédigés à la fin des années 1980, font fréquemment appel à Paul Valéry pour justifier la nécessité d’analyser les « oeuvres d’esprit » du point de vue de la « production »[18], un auteur auquel s’intéresse beaucoup la génétique textuelle et qui a permis de jeter le premier pont entre génétique et traduction (Bourjea 1995).

Malgré ces convergences, la traduction transparente et la génétique des traductions ne sauraient se confondre. La première relève d’une méthode et d’une pratique, tandis que la seconde est une discipline académique. L’on pourrait alors penser que l’une se contente de produire les documents de genèse que l’autre n’aurait plus qu’à analyser, mais les choses ne sont pas aussi schématiques. La traduction transparente telle que la concevait Elmar Tophoven comporte déjà une phase d’analyse du processus de traduction. Elle ne produit donc pas un matériau brut, comme peuvent l’être les manuscrits de travail pris isolément, mais des observations témoignant d’une tentative de rationalisation. L’étude génétique de ces documents doit donc tenir compte du fait que ceux-ci ne portent pas seulement la trace de la genèse, mais aussi celle du retour réflexif sur cette genèse par le traducteur. Elmar Tophoven poursuivait en outre des buts spécifiques qui ne se recoupent pas tout à fait avec ceux de la génétique textuelle. La traduction transparente devait lui permettre de tirer des « leçons[19] » de ses notes de traduction, qu’il s’agisse d’équivalences lexicales ou de procédés de transposition, qu’il voulait ensuite mettre en commun avec la communauté des traducteurs et des traductrices. Il espérait également que ses fiches pourraient être exploitées dans le cadre d’une recherche scientifique, qu’il envisageait surtout en termes de linguistique et de stylistique comparée. L’objectif était d’améliorer la connaissance des processus à l’oeuvre dans l’acte de traduire pour faciliter le travail des traducteurs[20], une perspective différente de celle qu’adopte la génétique des traductions (Cordingley et Montini 2016 : 9-10). Les archives contiennent les tapuscrits de nombreuses conférences inédites au cours desquelles Elmar Tophoven expose les principes directeurs de l’idée qui sera tardivement baptisée traduction transparente. C’est grâce à celles-ci, ainsi qu’aux articles publiés, que nous pouvons rendre compte des principes de la méthode, mais aussi de son évolution depuis la fin des années 1960 jusqu’aux années 1980. Cette contextualisation est importante pour l’analyse des documents de genèse, dont l’existence et la conservation sont conditionnées par ce projet.

Les documents de genèse conservés dans les archives Tophoven sont de nature variée et exercent des fonctions différentes. Premièrement, nous avons les brouillons et les tapuscrits, pièces essentielles à l’acte de traduire que l’on retrouve dans la plupart des archives de traducteurs et de traductrices. C’est ce que nous pouvons appeler la dimension traductive du dossier génétique. Deuxièmement, il y a les documents élaborés par Elmar Tophoven en marge de l’écriture rédactionnelle, à savoir principalement ses fiches de traduction, sur lesquelles il notait au fur et à mesure les problèmes rencontrés, les différentes solutions envisagées ainsi que ses observations sur le processus traductif. Il n’est pas rare de retrouver dans les archives de traducteurs des documents qui accompagnent le travail de traduction, comme des glossaires servant à conserver la cohérence lexicale du texte traduit (Chapuis 2015 : 38). Il s’agit là d’une dimension que nous pouvons appeler péri-traductive, au sens où le traducteur poursuit son travail sur un support différent, à côté de son brouillon. En troisième lieu, nous avons affaire à la dimension métatraductive, qui comprend tous les documents dans lesquels le traducteur fait un retour sur le processus de traduction, c’est-à-dire les listes où il classe ses fiches par catégories, les glossaires où il sélectionne les solutions à portée générale, ainsi que les conférences au cours desquelles il présente et commente certains exemples. Cette dimension déborde la genèse interne de la traduction, mais elle mérite d’être prise en compte pour l’éclairage qu’elle peut apporter sur ce qui a retenu l’attention du traducteur et sur les raisons sous-tendant ses choix. La correspondance avec les éditeurs livre également des renseignements précieux sur la genèse de la traduction, puisqu’elle permet de savoir quelles décisions finales du traducteur ont été influencées par les remarques et les suggestions de ses interlocuteurs. Comme n’importe quelle production culturelle, la traduction comporte en effet une dimension collective qui doit être prise en compte (Cordingley et Montini 2016 : 13). Elmar Tophoven en était bien conscient et accordait beaucoup d’importance à l’étape de la révision, revendiquant le droit de placer en tête de ses publications des « remerciements du traducteur » afin de rendre hommage à ses différents collaborateurs et collaboratrices.

Si tous ces types de documents peuvent se retrouver dans d’autres archives de traducteurs et traductrices, les dimensions péri et métatraductives sont représentées de manière exceptionnellement riche dans les archives Tophoven, en raison de la pratique de la traduction transparente. Le dossier de la traduction du roman de Nathalie Sarraute « disent les imbéciles » comprend, par exemple, un brouillon, 1 524 fiches de traduction, une édition française de travail et une édition allemande annotées, différentes listes d’exemples ainsi qu’une conférence dans laquelle Elmar Tophoven parle de sa traduction. Datant de 1978, ce dossier représente l’aboutissement de la traduction transparente telle qu’elle a été pratiquée sur une décennie. Deux ans plus tard, en 1980, la transition vers l’ordinateur change considérablement, sinon les principes, du moins les modalités de la méthode, et partant, la physionomie des dossiers génétiques. Elmar Tophoven centralise sur un seul document informatique le texte de départ, les différentes étapes de la traduction accompagnées de commentaires, et le texte d’arrivée. Les fiches de traduction sont donc fusionnées avec le brouillon, de telle sorte que la frontière entre les trois dimensions évoquées s’estompe. Le mouvement même de l’écriture est foncièrement différent, puisque le traducteur n’a plus à naviguer entre plusieurs supports, ce qui représente pour Elmar Tophoven un gain de temps considérable et un argument pour convaincre d’autres traducteurs et traductrices d’employer sa méthode[21]. L’utilisation de l’ordinateur permet, en outre, une multiplication des tapuscrits. Tandis que, dans la période précédente, on a généralement affaire à un brouillon manuscrit, suivi d’une mise au net à la machine, la facilité de correction et d’impression apportée par le traitement de texte amène Elmar Tophoven à produire de nombreux exemplaires de la traduction, pouvant chacun comporter des variantes dactylographiées comme manuscrites. Le dossier génétique du roman Djinn, d’Alain Robbe‑Grillet, qui a été traduit de l’automne 1981 à l’été 1982 et sur lequel Elmar Tophoven est beaucoup revenu dans le cadre de son enseignement, ne compte pas moins d’une douzaine de tapuscrits différents, qu’ils soient partiels ou complets (Arber 2020). La question de leur chronologie se pose de manière aiguë pour retracer l’évolution de la traduction au fil des nombreuses relectures et remaniements, or la plupart ne sont pas datés. L’autre problème des dossiers génétiques de la période informatique est l’accès aux notes de traduction : à moins qu’Elmar Tophoven ne les ait imprimées, celles-ci sont en effet emprisonnées sur des disquettes obsolètes et donc impossibles à lire sans matériel adéquat.

L’usage du traitement de texte constitue une révolution pour l’ensemble de la génétique textuelle. Dans le cas des archives Tophoven, il a rendu les dossiers génétiques des traductions des années 1980 plus difficiles à constituer et à étudier que ceux des années 1970. Leur comparaison permettrait justement de montrer l’impact de la technologie sur l’écriture, et comment la nature et l’état des sources conditionnent l’analyse qui peut en être faite. Les premières études qui ont été menées sur des documents de genèse présents dans les archives Tophoven se sont en tout cas concentrées sur les traces manuscrites laissées par le travail de traduction. En 1986, une étudiante de l’Université de Cologne, Nicola Bergmann, a analysé pour la première fois un lot de fiches issues de la traduction de Mercier et Camier, de Samuel Beckett. Pour cela, elle disposait aussi de l’original annoté, du manuscrit portant la marque des corrections inscrites à l’occasion des séances de travail chez l’auteur, du tapuscrit livré à l’éditeur et annoté, et des épreuves corrigées. Ce mémoire de maîtrise superposait donc déjà une approche génétique à l’analyse linguistique des fiches, mais n’a pas eu d’incidence sur la pratique d’Elmar Tophoven, déjà gravement malade. Des années plus tard, l’exceptionnelle richesse de ces documents de travail a donné lieu à de nouvelles études génétiques : Sievers (2005) a comparé les différentes versions de la pièce télévisuelle Eh Joe de Samuel Beckett ; Lebrave (2014) a analysé l’exemplaire de La Jalousie annoté par le traducteur ; Albers (2015), le brouillon et le tapuscrit de la traduction de L’Herbe de Claude Simon ; Arber (2018), les fiches traitant du problème des ellipses chez Nathalie Sarraute. Mais comme les archives Tophoven sont une ressource inépuisable pour la génétique des traductions et que cette dernière est en plein développement, de nombreuses autres questions restent encore à explorer.

4.3. Histoire des traducteurs et des traductrices

Certains documents de la genèse interne ou externe, tels que la correspondance avec les maisons d’édition, mettent en lumière les conditions de travail d’Elmar et Erika Tophoven et constituent donc également une source importante pour l’histoire des traducteurs et traductrices. Les archives de maisons d’édition permettent déjà d’accéder à de telles correspondances, comme le fonds Suhrkamp conservé aux archives littéraires allemandes de Marbach (Deutsches Literaturarchiv). On y trouve un grand nombre de lettres d’Elmar Tophoven concernant la traduction de Samuel Beckett, ainsi que les copies carbone des lettres adressées au traducteur par Peter Suhrkamp, Siegfried Unseld ou les différents collaborateurs de la maison d’édition. Les archives Tophoven sont moins riches dans ce domaine, parce que la correspondance n’a pas été conservée aussi systématiquement. Néanmoins, les lettres qui y figurent prennent une signification particulière. En effet, l’éclairage fourni par des pièces individuelles peut varier en fonction de l’environnement dans lequel elles se trouvent : on n’étudie pas de la même manière un dossier d’archives contenant uniquement une correspondance classée par ordre chronologique, sans lien tangible avec les sujets dont elle traite, et un dossier où les lettres sont rangées à proximité immédiate des manuscrits, des livres, des enregistrements et des coupures de presse qui documentent l’ensemble de la trajectoire d’une traduction, depuis la lecture de l’original jusqu’à la réception dans le pays cible.

Les archives de traducteurs et de traductrices, malgré leur caractère parfois lacunaire en raison des aléas de la conservation par des personnes privées, présentent l’avantage de rassembler en un seul endroit une grande variété de documents, qui offrent une vue d’ensemble sur les différentes facettes de la traduction comme activité sociale. Chapuis (2015 : 46) explique ainsi que les archives s’étendent bien au-delà du seul moment de l’écriture pour englober tout un « épitexte en expansion » dont le traducteur se fait le « collecteur (désinvolte ou maniaque selon le tempérament) ». Elmar et Erika Tophoven n’appartenant pas au type désinvolte, leurs archives contiennent toute une série de pièces qui correspondent à cet épitexte de la traduction, avec, par exemple, un grand nombre de coupures de presse sur les oeuvres traduites, des traductions d’articles ou d’interviews ainsi que des documents sur des lectures, des conférences ou des émissions de radio dans le cadre de la promotion du livre. Ces archives montrent clairement que le rôle des traducteurs et des traductrices ne se limite pas à la livraison de la traduction et permettent d’étudier la façon dont leur implication dans le destin de l’oeuvre favorise le transfert vers la culture cible.

Les archives Tophoven contiennent enfin des documents qui n’ont pas de rapport direct avec les traductions publiées par Elmar et Erika Tophoven, mais qui nous renseignent sur leurs autres activités. Les textes de thème proposés à une génération d’élèves de l’École normale supérieure témoignent des échanges féconds entre enseignement et pratique de la traduction, puisqu’il arrivait fréquemment qu’Elmar Tophoven fasse travailler les étudiants sur les oeuvres qu’il traduisait et qu’il intègre certaines de leurs suggestions, appliquant dans ses cours le modèle des ateliers de traducteurs auxquels il avait l’habitude de participer depuis la fin des années 1960. Ces séminaires, et notamment ceux qui avaient lieu lors des Entretiens d’Esslingen, sont également documentés dans les archives. On y trouve, par exemple, un dossier contenant plusieurs traductions d’un extrait d’Histoire de Claude Simon par les participants de l’atelier animé par Elmar Tophoven en 1973.

De manière générale, les archives Tophoven sont une source de première importance pour qui voudrait retracer l’histoire des traducteurs et des traductrices de la République fédérale d’Allemagne avant la réunification. Par son implication dans le syndicat VdÜ, dont il a été le vice-président, puis par son rôle moteur dans la création du Collège de Straelen, Elmar Tophoven aura été au coeur des évolutions majeures de la profession à cette période. Les comptes rendus, lettres, programmes d’événements, coupures de presse et conférences conservés dans les archives permettent ainsi de reconstruire le contexte, les réseaux et les structures sociales dans lesquelles évoluaient les traducteurs et les traductrices.

5. Conclusion

Les trois champs de recherche que nous avons présentés n’épuisent sans doute pas les potentialités des archives Tophoven, mais semblent particulièrement féconds au moment de leur constitution en archives privées accessibles à la recherche. Celles-ci s’inscrivent dans deux tendances majeures de la traductologie actuelle, à savoir le développement de la génétique des traductions et de l’histoire des traducteurs et des traductrices, comme en témoigne le regain d’intérêt récent pour la traduction transparente et la figure d’Elmar Tophoven (Cordingley 2020 ; Kupsch-Losereit 2019). Quant au troisième axe évoqué, à savoir la forte dimension beckettienne de ces archives de traducteurs, qui s’explique par la longue collaboration entre l’écrivain et le couple Tophoven, il promet de conjuguer la génétique de la création littéraire et la génétique des traductions en explorant les interactions entre les genèses plurilingues en français, en anglais et en allemand.

La figure de Samuel Beckett ne doit cependant pas éclipser l’enjeu majeur de ces archives. Il s’agit en effet de montrer que les archives de traducteurs et de traductrices ont une valeur non seulement scientifique, mais aussi patrimoniale, et qu’elles sont dignes d’être conservées en tant que telles. Elmar Tophoven a consacré sa vie entière à traduire, à documenter la traduction et à partager son expérience de traducteur. De même qu’il a développé l’idée de traduction transparente pour inciter ses collègues à réfléchir de manière autonome à leur pratique, les archives qui sont nées de ce mouvement ont d’abord été conçues pour être mises au service de la profession. Au-delà de leur grande richesse et de leur intérêt pour la recherche, elles remplissent donc une fonction symbolique, qui est de faire avancer la reconnaissance de la traduction. Les archives Tophoven rejoindront peut-être un jour une institution qui en assurera la préservation définitive. Mais leur constitution en tant qu’archives privées dans la maison familiale de Straelen signale d’ores et déjà que la traduction est une production culturelle à part entière, méritant à ce titre ses propres archives.