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Depuis quelques années, les chercheurs canadiens recommencent à étudier la noblesse canadienne. Ainsi, Yves Drolet et Robert Larin viennent de publier La noblesse canadienne. Regards d’histoire sur deux continents, complétant de manière très pertinente la belle palette d’outils déjà offerte aux historiens canadiens. Les deux auteurs, titulaires de doctorats en histoire de l’Université de Montréal, ont déjà travaillé ensemble à de nombreuses reprises et se consultent régulièrement pour leurs travaux respectifs. Yves Drolet se concentre en particulier sur la généalogie et les idéologies élitaires, sujets qui vont retenir toute notre attention, ainsi que sur l’histoire du collectionnement. De son côté, Robert Larin, romancier jeunesse à ses heures, travaille sur l’histoire coloniale et les mouvements migratoires.

Cette dernière collaboration regroupe plusieurs de leurs articles passés (publiés ou inédits) sur la noblesse canadienne et retrace des parcours de vie particulièrement représentatifs des évolutions subies par la noblesse canadienne, notamment au moment de la Conquête britannique. Yves Drolet et Robert Larin présentent l’histoire de ces familles nobles de leur origine jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, pour certaines d’entre elles. L’ouvrage, assez court, se divise en quatre parties. La première traite des débuts de la noblesse sous le Régime français (1636-1760) dans quatre articles. L’un d’entre eux, plus théorique, porte sur ce qu’est la noblesse au Canada ; de fait, il introduit tout le reste de l’ouvrage.

La deuxième partie porte sur les nobles émigrés en France après la Conquête. Dans son développement, elle retrace le parcours de huit nobles emblématiques, hommes et femmes, permettant ainsi au lecteur de se confronter aux destinées françaises des nobles canadiens. La troisième partie se déroule sur le continent américain et étudie l’adaptation des familles nobles qui sont restées au Canada sous le Régime britannique. Cette période s’étend jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, que les deux chercheurs considèrent comme marquant la fin de la noblesse au Canada. Enfin, dans une dernière partie, Yves Drolet et Robert Larin présentent trois parcours familiaux qui illustrent particulièrement bien l’histoire de la noblesse canadienne.

Le premier article de cet ouvrage est très pertinent pour le chercheur, car il théorise ce qu’est la noblesse canadienne et la compare à la noblesse française, dont elle est issue, au moins sur le plan psychologique et sur le plan légal. Robert Larin, qui avait déjà publié cet article en 2018, y présente la noblesse canadienne en tant que fait social et s’interroge sur sa nature. En se servant de plusieurs parcours nobles comme exemples, il tente de répondre à de nombreuses questions concernant la noblesse canadienne. Qui est noble ? Que signifie être noble ? Que représente le fait d’être noble pour les nobles eux-mêmes ? Et pour les historiens ? En fin de compte, l’auteur essaie de définir ce que veut dire être noble au Canada et démontre que, en dépit de son origine française, une noblesse nationale se développe en Nouvelle-France et existe de façon indépendante jusque sous le Régime britannique.

Dans les autres articles, les auteurs évoquent des figures nobles plus ou moins connues, mais toujours représentatives à un moment du fait social noble décrit dans le premier article. Les articles d’Yves Drolet interrogent en particulier les questions généalogiques qui entourent l’histoire des familles de la noblesse canadienne, alors que Robert Larin se concentre plutôt sur des questions liées à l’histoire sociale de cette noblesse. À eux deux, ils présentent un portrait de la noblesse canadienne assez varié qui, s’il n’est pas exhaustif, permet de poser de bonnes bases de recherche.

Dans la deuxième partie, deux articles, notamment, retiennent l’attention. Il s’agit des parcours post-Conquête de Thérèse Hertel de Cournoyer, veuve Saint-Ours, et de Michel Chartier de Lotbinière. Rédigés par Robert Larin, ils ouvrent deux pistes de recherche sur les modes de conservation de leur position sociale par des nobles que la Cession et le retour en France ont plongés dans des situations souvent difficiles. Grâce au parcours de Thérèse Hertel de Cournoyer, le chercheur est amené à s’interroger sur la place et l’agentivité des femmes après la Conquête, alors que l’étude de la noblesse canadienne porte de manière quasi exclusive sur les hommes. Le texte sur la vie de Michel Chartier de Lotbinière est, quant à lui, la démonstration flagrante de l’absolue nécessité pour cette classe de se doter d’un mécénat puissant et de conserver toutes les apparences de la noblesse.

Cet ouvrage est, dans son ensemble, un excellent outil pour l’historien de la noblesse canadienne qui souhaite trouver des pistes de recherche. Bien que la plupart des articles ne constituent pas des publications inédites, les auteurs ont réalisé une synthèse très complète, d’une grande clarté, au vu de l’état actuel des connaissances en la matière.

Le regroupement d’articles parfois hétérogènes les rend plus accessibles au lecteur. De cette manière, il peut suivre le fil conducteur proposé par le premier article théorique qui fait ainsi office d’introduction pour le reste de l’ouvrage.