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La formation de éducatrices et éducateurs auprès de la petite enfance doit selon nous faire face à deux grands défis. Le premier est de concevoir qu’au cours de l’enfance, l’enseignement-apprentissage se produit dans la famille et la communauté de proximité ; l’école devrait donc être ouverte et connectée aux familles et aux communautés où vivent les enfants. Le deuxième défi est de considérer l’urgence d’agir face aux changements vertigineux de notre planète en ce qui concerne la dégradation de l’environnement et d’incorporer à la formation du personnel de l’éducation une vision écosociale de celle-ci.

En tant que professeures de didactique des sciences expérimentales en formation initiale des enseignant.e.s, nous pensons que l’enseignement des sciences doit intégrer une composante importante d’étude et de compréhension de la nature et de l’environnement. L’éducation scientifique devrait donc selon nous assumer les deux défis précédemment évoqués et promouvoir de nouvelles manières de penser, de faire, de communiquer et de sentir.

La recherche que nous présentons dans cet article visait à transformer en ce sens le programme d’une unité d’enseignement dans le parcours de formation des futurs éducateurs et éducatrices en petite enfance de l’Universitat Autònoma de Barcelona (UAB), soit l’unité intitulée Didactique de la connaissance de l’environnement naturel et social. Il s’agit d’une recherche-action réalisée pendant cinq années (de 2011 à 2016) sur l’une des activités de ce programme : la foire des sciences. Cette activité invite les étudiant.e.s à concevoir, présenter et expérimenter une activité d’enseignement des sciences expérimentales. La question qui a traversé cette recherche est la suivante : Comment développer une activité d’éducation scientifique pour des jeunes enfants, qui tienne compte des défis que nous avons soulignés ?

L’éducation dans la « société de la connaissance »[1], au-delà de l’école

Dans la société de savoirs, la centration sur les savoirs a tout d’abord amené certains analystes à adopter des positions optimistes sur le futur de la société : le développement cognitif influencerait les conduites et le comportement des personnes vers un changement social. Or le savoir, considéré comme la capacité de comprendre l’environnement grâce à l’accumulation d’informations et d’expériences, appartient déjà au passé. Une étude publiée dans la revue Science (Hilbert et López, 2011) montre la croissance exponentielle de l’information (numérique) et affirme que la quantité d’informations générée dépasse la capacité physique à la stocker. Sans une compétence critique et créative pour apprendre à séparer l’important du superflu, cet excès de données peut nous amener à tomber dans une connaissance sans pensée, ce qu’on appelle la bulle épistémologique (Pigem, 2009).

Dans la société de la connaissance, l’art d’oublier et d’anéantir l’information, de détruire pour construire de la connaissance (Innerarity, 2010) est considéré comme nécessaire et bénéfique. Or l’excès de stimuli informatifs qui prennent l’apparence de la connaissance entraîne la nécessité de filtres interprétatifs. Par ailleurs, le savoir susceptible de transformer actuellement nos sociétés n’est pas le savoir ancien, accumulé sans réflexion, mais un savoir nouveau. Cette forme de connaissance requiert des processus actifs d’apprentissage et fait appel, selon nous, à repenser le rôle de l’éducation.

L’enseignement-apprentissage se convertit en un processus sans fin, continu et qui perdure tout au long de la vie. Selon Bauman (2007), « nous avons besoin de l’apprentissage tout au long de la vie pour pouvoir prendre des décisions. Mais plus que tout, nous avons besoin de sauvegarder les conditions qui nous offrent cette possibilité et la mettent à notre portée ». La société de la connaissance doit donc relever le défi d’articuler la connaissance disséminée dans la société, de l’interpréter et de générer ainsi l’intelligence collective qui donnera lieu à une nouvelle forme de connaissance. Dans une telle perspective, l’apprentissage peut se produire à tout moment et n’importe où, et l’éducation est considérée comme un processus qui vise à favoriser le développement continu des citoyens (Cobo, 2011).

Dans une éducation à la citoyenneté, la connexion entre les processus d’apprentissage à l’école et les demandes du monde extérieur envers l’éducation est fondamentale. La visée de l’éducation devrait aller au-delà de la formation de professionnels compétents sur le marché du travail ; elle devrait préparer à participer à une communauté, une culture, à un projet politique ainsi qu’à une transformation sociale (Maturana et Varela, 1996).

Actuellement, ce que tout enfant apprend chaque jour dépend de moins en moins de ce qui se produit à l’école, et de plus en plus de la connexion entre ce qui se passe en classe et ce qui se passe à l’extérieur de la classe (Castells et coll., 1994), dans la rue, dans les jeux, dans les boutiques du marché, etc. Ce changement fait appel non seulement à la transformation de l’école, mais aussi à la formation des enseignant.e.s afin de prendre en compte ces nouvelles manières de construire la connaissance et d’apprendre ; il s’agit de stimuler l’apprentissage des enfants avec la participation des autres acteurs de la communauté éducative. La participation aux processus d’apprentissage doit en effet s’ouvrir à toute la communauté, et en particulier aux familles qui sont à la fois les protagonistes et les responsables de l’éducation de leurs enfants.

Dans notre proposition, la famille constitue en effet l’un des éléments les plus importants de ce processus de changement ; nous assumons donc le défi de concevoir des activités d’éducation scientifique qui impliquent les familles. L’éducation doit se produire au sein de la communauté : elle doit promouvoir un apprentissage qui connecte l’intérieur de la classe à l’extérieur, où il soit possible de découvrir et d’apprendre, de partager des émotions et des pensées entre les enfants et les adultes, dans une perspective d’éducation à la citoyenneté, d’éducation communautaire et d’un point de vue intergénérationnel.

L’enseignement et l’apprentissage des sciences dans la société de la connaissance

Depuis le XVIIe siècle, la manière classique et traditionnelle d’aborder la science s’inscrit dans un cadre déterministe de logique mécaniste et de rationalité cartésienne dans lequel les faits et les phénomènes du monde sont étudiés de façon atomisée, en petits blocs séparés (Izquierdo et coll., 2004). Si cette perspective a permis d’avancer et de contribuer au développement de la science et de la connaissance, elle présente des limites pour interpréter, penser et agir face aux phénomènes de ce monde, qui sont complexes et répondent à des processus changeants et éphémères (Bonil et Pujol, 2011).

Izquierdo et coll., (1999) définit le concept de science scolaire comme une éducation scientifique qui évite les points de vue réductionnistes pour développer une pensée, une façon de faire et de communiquer la science qui s’alimentent mutuellement. La relation entre le penser, le faire et le communiquer construit de la connaissance, car on fait ce que l’on pense, on pense sur ce que l’on fait, on communique ce que l’on pense, on pense à ce que l’on communique, etc. (Izquierdo et coll., 2004). Il importe d’intégrer la perspective de la complexité à la science scolaire, afin de comprendre le monde, d’acquérir des critères pour se positionner face à lui et de participer à sa transformation.

La connexion entre le penser et le faire propres à la science implique de développer des contextes d’apprentissage où la participation directe des enfants aux phénomènes qu’ils doivent comprendre permet de connecter leurs expériences et leurs idées aux modes de production du savoir scientifique et aux théories associées. Dans de tels contextes, le dialogue, la formulation de questions, la cueillette de données, la recherche de preuves, la communication, la prise de conscience des émotions ainsi que l’effort pour relever les défis intellectuels et sociaux sont des processus essentiels pour construire la connaissance.

La science scolaire propose une manière de communiquer et un langage scientifique qui permet de structurer des arguments, de reconstruire des explications et d’exprimer de nouvelles relations ; elle devient un instrument puissant pour changer la manière de considérer les phénomènes du monde (Márquez et Pujol, 2005).

Lorsque l’enseignement-apprentissage des sciences met en relation le penser, le faire et le communiquer dans une perspective de complexité, avec l’intention de transformer, la connaissance générée n’est pas arbitraire : elle peut être évaluée en fonction des résultats de la démarche scientifique adoptée.

Un tel enseignement des sciences repose sur l’idée que la connaissance fait partie du développement de la personne, qu’elle permet de générer de nouvelles capacités grâce à l’acquisition de critères permettant de prendre des décisions. Il s’agit donc d’une éducation scientifique qui, sans être dogmatique, incorpore des valeurs sociales et culturelles afin d’affronter les défis qui se présentent à la société pour contribuer à la transformation de celle-ci. Dans cette perspective, l’éducation scientifique tient compte des aspects sociaux et environnementaux des réalités ; elle fait appel à une diversité d’approches disciplinaires et au croisement de celles-ci pour mieux appréhender la complexité.

L’éducation relative à l’environnement dans l’enseignement-apprentissage des sciences

Si l’on considère l’urgence de la situation globale actuelle et les changements qui s’imposent, l’intégration de l’éducation relative à l’environnement[2] à l’ensemble du projet éducatif est vraiment trop lente. Si l’éducation veut transformer, il faut se souvenir qu’elle est à la fois sujet et agent de changement : elle doit elle aussi être profondément transformée. Il ne s’agit pas d’introduire de nouvelles matières ou des activités ponctuelles en plus de celles qui existent déjà, mais plutôt d’affronter et de mener à bien des changements importants dans la gestion des institutions éducatives, dans les processus d’enseignement-apprentissage et dans la relation entre les établissements d’enseignement et la communauté, tout en tenant compte du contrôle et de l’évaluation de ces changements (Calafell et coll., 2015).

Plus spécifiquement, dans le cas de la formation initiale des enseignants et enseignantes en général, l’incorporation de l’éducation relative à l’environnement constitue un défi à relever, de façon urgente (Global University Network for Innovation, 2012). En réponse à l’Agenda 2030 et aux dix-sept objectifs de développement durable (ODD) promu par l’Organisation des Nations unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO)[3], elle est en outre devenue un engagement et une responsabilité. La formation à l’enseignement doit définir en conséquence des objectifs et des contenus pertinents qui s’adresse aux étudiant.e.s à la fois comme citoyen.ne.s et comme futur enseignant.e.

Nous désignerons cette intégration d’une préoccupation environnementale aux institutions éducatives par le terme d’environnementalisation : celle-ci peut être définie comme l’ensemble des actions favorisant la réflexion sur le modèle de croissance de notre société et sur ses conséquences, ainsi que sur le besoin de nouvelles valeurs sociales qui rendent possible un modèle alternatif de développement social (Pujol, 2001.

Au moins trois domaines sont concernés par le processus d’environnementalisation d’une institution éducative : (a) la gestion de l’établissement, (b) la structure organisationnelle et (c) les curriculums. Le domaine de la gestion (a) fait référence aux décisions concernant l’organisation de l’établi3sement éducatif : secrétariat, administration, gestion des ressources et des matières résiduelles, etc. La structure organisationnelle (b) fait référence à la manière dont la communauté des acteurs de l’établissement éducatif participe au processus d’environnementalisation. Cela implique de se doter de processus démocratiques de prise de décision et de créer à cet effet des espaces de délibération et participation collective. Le domaine curriculaire (c) fait appel à l’intégration de l’éducation relative à l’environnement dans les programmes d’études, ce qui implique de promouvoir le développement de compétences relatives à la pensée complexe et globale concernant l’environnement (Geli et coll., 2003).

C’est ainsi que dans notre proposition, le programme de formation initiale des enseignants du préscolaire[4] en matière d’éducation scientifique doit intégrer une dimension environnementale.

La foire des sciences, une activité de l’unité d’enseignement Didactique de la connaissance de l’environnement naturel et social

L’unité d’enseignement Didactique de la connaissance de l’environnement naturel et social destinée aux éducateurs et éducatrices en petite enfance à l’UAB constitue un exemple de prise en compte des défis que nous avons évoqués dans la première partie de cet article.

Cette unité d’enseignement est obligatoire en troisième année du programme de formation. Elle est centrée sur une didactique spécifique qui recouvre deux domaines de connaissance : les sciences sociales et les sciences expérimentales. L’enseignement y est offert en parallèle à deux groupes d’environ quatre-vingts étudiants chacun et combine des sessions de tutorat avec des sessions pratiques. Nous présentons ci-dessous les objectifs et les contenus de la matière (Tableau 1) :

Tableau 1

Tableau 1 : Objectifs de l’unité d’enseignement[5]

Tableau 1 : Objectifs de l’unité d’enseignement5

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Dans cette unité d’enseignement, à partir de la connaissance et de l’analyse de situations concrètes du milieu, les étudiant.e.s sont invité.e.s à concevoir de nouvelles situations d’enseignement-apprentissage. Il s’agit de travailler en groupes pour élaborer une activité d’éducation scientifique dans le domaine des sciences expérimentales qui fera partie de la foire d’activités destinées à la petite enfance. Ensuite, pendant un après-midi, les futur.e.s enseignant.e.s présentent l’activité qu’ils ont développée et participent à une activité éducative dans et pour la communauté

Plan de la recherche

Dès la première édition de la foire des sciences, en tant que professeures de cette matière, nous avons pris conscience de l’importance de la systématisation des changements incorporés à chacune des éditions subséquentes. Chaque nouvelle année universitaire, nous nous sommes en effet immergées dans un processus réflexif et dynamique qui associe la recherche de ce qui s’est passé lors de l’édition précédente de la foire de sciences, l’action que nous devons mener pour incorporer des améliorations ou consolider celles-ci, et la formation qu’implique une telle proposition didactique dans le cadre de notre propre pratique professionnelle. Dans ce contexte, nous nous sommes posé la question suivante : la recherche-action (RA) peut-elle être une méthodologie de recherche appropriée pour guider notre processus de prise de décisions et de changement quant à la foire des sciences ? Nous croyons que oui. Nous avons donc envisagé notre travail à partir de cette perspective méthodologique, qui s’est avérée féconde.

Ici, la recherche-action est un processus réflexif qui associe la recherche, l’action et la formation, de façon dynamique. Elle est réalisée par des professionnels de l’éducation en relation avec leur propre pratique. Elle est menée en équipe et vise (1) le développement professionnel permanent, (2) l’amélioration de la pratique sociale et éducative et (3) une meilleure compréhension des processus sociaux et éducatifs (Bartolomè, 2000).

La pratique éducative qui fait l’objet d’une recherche-action doit articuler l’activité réflexive et l’action transformatrice, l’innovation et la recherche (Carr et Kemmis, 1988). Une visualisation du processus et des moments de cette méthodologie de recherche est présentée à la figure 1 :

Figure 1

Moments de la recherche-action, selon Carr et Kemmis (1988)

Moments de la recherche-action, selon Carr et Kemmis (1988)

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Ainsi, la RA est une forme de recherche autoréflexive qui engage les participants dans des situations sociales pour améliorer la rationalité et la pertinence de leurs pratiques et pour favoriser une meilleure compréhension des situations et des institutions dans lesquelles elles se produisent (Carr et Kemmis, 1988).

Dans le contexte de RA que nous proposons, celui du cours de didactique de la connaissance du milieu naturel et social en éducation préscolaire, les moments clés qui constituent la spirale de la recherche-action sont les suivants :

  • Planification de la foire des sciences : les étudiants conçoivent une activité scientifique pour la présenter lors de la foire ;

  • Action : déroulement de la foire de sciences : les étudiants réalisent l’activité ;

  • Observation de la dynamique de travail autour de la foire de sciences : on examine le développement des activités au regard entre autres de la communauté d’apprentissage qui s’y forme et de la perspective de l’environnementalisation ;

  • Réflexion continue sur l’activité de la foire des sciences : on réfléchit entre autres sur le rôle des agents impliqués, soit les étudiant.e.s et les enseignant.e.s du domaine de la didactique des sciences.

Le tableau 2 décrit la spirale du changement au long des cinq premières éditions de la foire des sciences (de 2011 à 2016).

Tableau 2

Action portant sur la foire des sciences

Action portant sur la foire des sciences

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Résultats

Les résultats visent à répondre à la question : comment construire une activité d’enseignement-apprentissage des sciences intégrant une perspective d’éducation communautaire et environnementale ?

Tout au long de la recherche-action, nous avons validé et consolidé une démarche de conception d’activités qui permet de faire en sorte que la proposition éducative finale soit développée en collaboration avec la communauté éducative de l’école et qu’elle contribue à l’environnementalisation curriculaire et institutionnelle, de même qu’à la conscientisation citoyenne.

Cette démarche s’appuie sur quatre piliers essentiels : (1) repérage d’un phénomène dans le milieu de vie ; (2) formulation d’une question de médiation qui stimule l’investigation ; (3) incorporation d’un dialogue interdisciplinaire et (4) inclusion d’une évaluation régulatrice de l’apprentissage (Figure 2).

Figure 2

Phases de la démarche de conception d’une activité (Calafell et Banqué, 2017)

Phases de la démarche de conception d’une activité (Calafell et Banqué, 2017)

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Définition d’un phénomène au sein du milieu de vie

Traditionnellement, le curriculum a été organisé selon des axes thématiques statiques considérés comme spécifiques à chaque discipline. Or la sélection de phénomènes du milieu de vie des enfants pour commencer les activités de sciences permet de leur présenter des réalités dynamiques de leur monde. Ces phénomènes ont une triple signification (Develay, 1992) : pour le curriculum (dans notre cas, celui de sciences), pour les jeunes enfants et au regard du contexte social. Les bulles, les jouets de la baignoire ou les étoiles sont des exemples de phénomènes que les étudiant.e.s du programme d’éducation en petite enfance ont sélectionnés. De tels phénomènes deviennent une opportunité pour mettre en œuvre des processus d’enseignement-apprentissage qui intègrent une préoccupation environnementale et qui interpellent la communauté éducative. Le fait d’utiliser les phénomènes du monde des enfants comme point de départ d’une activité favorise l’image d’une science qui s’apprend en communauté et qui tient compte de la complexité des réalités environnementales ; on échappe ainsi à une imposition de thématiques préfixées et organisées de manière rigide et fermée.

Formulation d’une question de médiation

La formulation de questions sur le monde constitue un savoir-faire essentiel de tout citoyen. La capacité de formuler des questions doit aussi être considérée comme une compétence fondamentale en lien avec l’environnementalisation d’un programme ou d’une activité, car les questions permettent d’imaginer de nouveaux scénarios concernant notre rapport à l’environnement.

Dans cette perspective, il importe de formuler des questions génératrices ou médiatrices (Márquez et coll., 2004) qui constituent des ponts entre la manière de voir le monde des apprenant.e.s et le savoir pré-existant. Cela n’a plus de sens de construire un savoir encyclopédique basé sur la transmission tout en cherchant des réponses fermées et sommatives. Pour cette raison, la formulation de questions comme point de départ d’une démarche d’apprentissage devient déterminante. « Est-ce que tous les jouets de ma baignoire flottent ? » et « Est-ce que les bulles sont toujours rondes ? » sont des exemples de questions abordées à la foire des sciences.

Incorporation d’un dialogue disciplinaire

Les disciplines constituent des repères essentiels de l’activité éducative, car elles connectent la connaissance théorique à notre patrimoine culturel, et permettent de structurer de manière rigoureuse l’action éducative. C’est la mise en convergence de diverses disciplines qui permet de mieux interpréter un phénomène du monde et contribue à former une citoyenneté active, critique et responsable. La conception d’activités à partir d’un phénomène du milieu de vie peut devenir ainsi un espace de rencontre de connaissances disciplinaires qui dialoguent entre elles pour construire une connaissance complexe et transversale. Le dialogue disciplinaire (Calafell, 2010) dans la conception d’activités permet de valoriser la diversité de langages ainsi que de stimuler le développement d’une vision créative du monde. La compréhension d’un phénomène tel que les bulles de savon à partir de différents points de vue qui se rétroalimentent et s’enrichissent mutuellement, favorise une environnementalisation de l’action éducative. Dans cet exemple, divers aspects interreliés peuvent être abordés : le modèle des particules qui nous explique le comportement des molécules d’eau avec le savon, la danse de couleurs des bulles grâce à la réfraction de la lumière, la forme sphérique de la bulle, en plus de connexions avec l’environnement : la diversité des savons et leur interaction avec l’environnement, l’utilisation de savons, l’origine et la destination des savons, les savons avec ou sans phosphates, etc.

Inclusion d’une évaluation régulatrice de l’apprentissage

En lien avec l’évaluation, il importe de former les étudiant.e.s à développer leur autonomie et à porter un regard critique sur leur apprentissage, de façon à le réguler. Cette régulation est présente dans tout le processus d’enseignement-apprentissage que nous proposons. Il est nécessaire de mener une réflexion sur ce que l’on est en train de faire et sur ce que l’on est en train d’apprendre, à partir d’un dialogue entre ce que l’on savait déjà et ce que l’on sait maintenant. Adopter un mode d’évaluation en tant que régulation de l’apprentissage (Jorba et Sanmartí, 1996) exige de porter attention à la planification d’une activité : l’explicitation des objectifs est essentielle pour que les étudiant.e.s soient capables de se les approprier et de les réguler. L’incorporation d’une évaluation régulatrice favorise un apprentissage non pas basé sur la sanction, mais sur l’apport de réflexions qui aident l’étudiant.e à réfléchir sur son propre processus d’apprentissage. L’intégration d’une stratégie d’évaluation régulatrice de l’apprentissage des enfants et de leurs familles dans le cadre de l’activité qui leur est proposée permet aux étudiant.e.s du programme, futurs éducateurs et éducatrices, de clarifier ce qui va constituer une valeur dans l’activité ; il doivent identifier des objets et des critères d’évaluation afin d’envisager une amélioration de l’activité.

Conclusions

La démarche pédagogique que nous proposons (Calafell et Banqué, 2017) - développée et validée au cours d’un processus de recherche-action - permet d’orienter les futurs éducateurs et éducatrices en petite enfance vers la conception d’activités favorisant la participation des familles et de la communauté à l’apprentissage des enfants. Cette proposition invite à concevoir un enseignement-apprentissage des sciences qui stimule la socialisation de l’apprentissage à l’intérieur de la communauté scolaire (enfants d’âges divers et diversité de professionnels), mais aussi entre la communauté scolaire et la communauté sociale (entre les familles et autres acteurs du milieu de vie des enfants). L’approche adoptée fait appel à la mise en relation des différents agents et secteurs qui interviennent dans l’éducation des enfants au sein d’un contexte éducatif dans lequel apprendre à apprendre implique une modification de la structure institutionnelle éducative traditionnelle. La structure des systèmes éducatifs et sociaux est en effet soumise à de nouvelles exigences à partir du moment où nous ne considérons plus l’éducation comme une étape de la vie, mais que nous acceptons plutôt de devoir continuer sans cesse à apprendre (Tedesco 2003, Bauman 2008, Dubet 2010).

L’enseignement-apprentissage des sciences expérimentales peut être facilement arrimé à une éducation relative à l’environnement si la conception des activités scientifiques est envisagée dans une perspective de transformation écosociale. Axée sur la formulation de questions pour comprendre le monde qui nous entoure, la démarche que nous proposons favorise l’environnementalisation d’une activité ou d’un programme et la création d’espaces d’apprentissage transdisciplinaires à cet effet. On retrouve ici la tendance contemporaine en faveur de la création d’espaces hybrides d’apprentissage (Wals et coll., 2013 dans lesquels se produisent des synergies entre une multiplicité d’acteurs, la perméabilité entre disciplines et l’ouverture à de nouvelles manières de penser, de faire et de construire des valeurs.