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Au Québec, il existe un fort consensus social et politique sur la nécessité d’une réforme du mode de scrutin (Verville 2019 ; Bélair-Cirino 2019), et le projet de loi n˚ 39 (Loi établissant un nouveau mode de scrutin) présenté à l’Assemblée nationale le 25 septembre 2019 est présentement à l’étude. Le projet de loi vise à remplacer le système majoritaire uninominal à un tour (MUT) pour un mode de scrutin proportionnel mixte (PMC) avec compensation régionale. S’il mentionne « qu’il y a lieu que le mode de scrutin reflète plus fidèlement la pluralité et le poids relatif des opinions et des idées politiques existantes au sein de la société », qu’il doit « viser la représentation effective des électeurs et offrir la possibilité d’une participation égale de tous au processus électoral » et « favoriser davantage la présence, parmi les députés, notamment des femmes, des jeunes et des personnes issues de la diversité », il ne contient toutefois aucune disposition relative à une meilleure représentation des Autochtones. Lors des consultations particulières et des auditions publiques qui se sont déroulées en janvier et février 2020, et dans les mémoires déposés dans le cadre de ces consultations, l’importance d’une meilleure représentation des Autochtones a été mentionnée à quelques reprises, et certains ont signalé la nécessité de les consulter à cet égard. Un seul participant a néanmoins souligné la nécessité d’adopter des mesures spécifiques les concernant, soit la création de sièges leur étant réservés, citant en exemple les sièges réservés aux Māori en Nouvelle-Zélande. Un mémoire mentionnait aussi cet exemple sans toutefois suggérer qu’il fallait faire de même.

Dans les médias et les débats publics au Québec, il est aussi très peu question des Autochtones quand il s’agit de réforme du monde de scrutin et ce, en dépit du fait que les Autochtones se font de plus en plus insistants pour exiger des changements dans plusieurs domaines en vue d’une meilleure reconnaissance et que les enjeux autochtones prennent une place accrue dans l’actualité. Du côté des membres des nations autochtones, plusieurs raisons peuvent expliquer ce silence : certains se sentent simplement étrangers aux institutions politiques du colonisateur ou n’y accordent aucune confiance, alors que d’autres voient la participation à ces institutions comme perpétuant la relation coloniale ou même comme étant en contradiction avec la souveraineté autochtone et l’autonomie gouvernementale (voir Williams et Schwertzer 2019).

Si une meilleure représentation dans les institutions politiques de l’État colonial ne signe certainement pas la fin de la situation coloniale, ne pourrait-on pas malgré tout penser que des changements de cette nature pourraient tout de même être une mesure politique favorisant le processus de décolonisation ? Quels impacts pourrait avoir une réforme du mode de scrutin sur la représentation politique des Autochtones, en particulier si des mesures spécifiques les concernant faisaient partie des réflexions ? Quels changements pourraient conduire à une présence accrue de députés autochtones à l’Assemblée nationale et encourager leur participation à la délibération démocratique ? N’est-il pas légitime de penser que de tels changements pourraient accroître la présence et la prise en compte des enjeux autochtones dans les politiques gouvernementales ? Quels en seraient les impacts sur le vivre-ensemble au Québec ? Quels avantages pourraient y trouver les nations autochtones ?

Pour offrir quelques pistes de réponse à ces questions pouvant éventuellement contribuer aux réflexions des parlementaires sur l’établissement d’un nouveau mode de scrutin au Québec ainsi qu’à celles des leaders autochtones et des spécialistes des institutions politiques canadiennes, je propose d’examiner avec attention le cas néo-zélandais, qui est souvent cité quand il est question de réforme électorale et de représentation autochtone dans les institutions parlementaires, comme indiqué plus haut, mais rarement discuté en beaucoup de détails. Éclairée par des recherches avec les Māori et des observations de la scène politique néo-zélandaise depuis plus de vingt ans, l’approche adoptée ici est descriptive et se veut attentive à l’agencéité des acteurs autochtones et à leurs points de vue ainsi qu’à la complexité de ce que peut vouloir dire aujourd’hui la décolonisation dans un pays issu d’une ancienne colonie de peuplement. Mon approche se distingue ainsi d’approches comme celle de Williams et Schertzer (2019) visant à évaluer l’efficacité et la légitimité de la représentation politique autochtone à l’aune d’un modèle ou de principes théoriques préétablis qui visent une forme optimale de décolonisation.

La Nouvelle-Zélande est un État similaire au Canada sous plusieurs aspects : monarchie constitutionnelle dotée d’un système parlementaire de type Westminster, elle est aussi une ancienne colonie de peuplement britannique qui fait face à divers enjeux, eu égard aux relations entre l’État et les Autochtones. Le poids démographique de la population autochtone y est pourtant plus important qu’au Canada et au Québec puisque les Māori représentent 16,5 % de la population en Nouvelle-Zélande, selon le recensement de 2018, contre 4,9 % au Canada et 2,3 % au Québec, selon le recensement de 2016.

Je me pencherai en particulier sur la situation des Māori et sur les avancées qu’ils ont réalisées au cours des dernières années par la voie des partis politiques et des urnes. De telles avancées ont été facilitées par une réforme du mode de scrutin. Je m’attarderai donc d’abord à quelques éléments de contexte pour en venir ensuite aux développements des dernières années. Les élections générales de 2017 et de 2020 en Nouvelle-Zélande et les tendances politiques depuis quelque temps apparaissent particulièrement intéressantes, comme nous le verrons.

Survol historique

Les Māori ont eu des contacts avec des Européens dès le xviie siècle, mais ce n’est qu’au début du xixe que les Britanniques entreprirent la colonisation de la Nouvelle-Zélande. Le Traité de Waitangi fut signé en 1840 par des chefs māori et des représentants de la Couronne britannique. Les termes du traité furent cependant rapidement violés, ce qui marqua le début de la marginalisation politique et sociale des Māori. Celle-ci ne se fit pourtant pas sans résistance puisque les manquements au traité précipitèrent Britanniques et Māori dans plusieurs guerres, entre 1845 et 1872 (Belich 1988). Ces guerres furent sérieuses au point de constituer une menace à la domination britannique dans les années 1860 (ibid. : 15). À cause de leurs techniques et stratégies militaires très développées, les Māori purent, pendant une longue période, bloquer les offensives coloniales. Ces dernières eurent finalement raison des Māori étant donné le nombre écrasant de soldats britanniques et la nécessité, du côté māori, de devoir assumer, en même temps que la guerre et sans corps militaire spécialisé, le travail des champs et la survie économique. Peu après la fin des guerres, en 1877, le juge en chef de la Nouvelle-Zélande déclara nul le Traité de Waitangi ; les terres māori furent par la suite achetées à bas prix ou confisquées sous la menace armée. Aujourd’hui, il ne reste aux Māori qu’environ 5 % de leurs terres ancestrales (Kingi 2008).

Après une intense période d’assimilation, à partir des années 1960 et avec plus de force depuis les années 1970, on assista à l’essor d’un mouvement d’affirmation māori inspiré par les mouvements de décolonisation, le mouvement des droits civiques et le mouvement autochtone naissant. Un aspect important des luttes māori à partir de ce moment fut de faire reconnaître à nouveau par l’État néo-zélandais le Traité de Waitangi de 1840 comme étant à son fondement et comme voie principale en vue de la décolonisation et de la réparation des torts reliés au passé colonial. Grâce à un vaste mouvement de mobilisation marqué par des marches à travers tout le pays et des occupations de terres, ce fut chose faite avec l’adoption du Treaty of Waitangi Act 1975. Cette loi instaura également le Tribunal de Waitangi, chargé de faire la lumière sur les violations du traité et de formuler des recommandations au gouvernement en vue de signer des ententes pour compenser et réparer les dommages encourus. La reconnaissance du traité mena aussi à la mise en place d’une politique officielle faisant la promotion du biculturalisme.

Le Tribunal de Waitangi a entendu et émis depuis 1989 des recommandations dans plus de cinquante affaires (Morrison et Huygens 2019) qui ont donné lieu à des ententes en réparation et en compensation à hauteur de 1,5 milliard de dollars néo-zélandais, conclues entre les tribus et les différents gouvernements. Ces accords offrirent de nouvelles opportunités aux Māori en permettant notamment des investissements considérables et en encourageant l’entrepreneuriat. Ils permirent aux tribus (iwi) de s’imposer graduellement comme des joueurs de premier plan sur la scène économique, ce qui contribua de façon significative à changer la dynamique politique néo-zélandaise en en faisant des acteurs incontournables. Plusieurs tribus sont d’ailleurs devenues extrêmement performantes en affaires, en particulier dans les domaines des pêcheries, des services privés de santé, de l’immobilier, et leurs actifs sont évalués aujourd’hui à 42,6 milliards de dollars néo-zélandais (Mika 2018)[1]. Elles sont engagées dans une foule de partenariats public-privé établis par le gouvernement (réseau ferroviaire, projets hydro-électriques, touristiques et forestiers). Plusieurs leaders influents de ces entreprises tribales se sont d’ailleurs regroupés au milieu des années 2000 au sein d’un lobby, le Iwi Chairs Forum, souvent consulté par les ministres et les membres de comités spéciaux émanant du parlement (voir Bargh 2013 ; Katene 2013 ; Rata 2011a, 2011b)[2].

Plus largement, la politique biculturelle a permis aux Māori de faire des avancées significatives dans divers domaines comme ceux de l’éducation māori – tant sur le plan de la multiplication des écoles māori du préscolaire jusqu’au postsecondaire et de l’amélioration de la réussite des étudiants māori que d’une meilleure scolarisation générale des Māori ; de la revitalisation de la langue ; de la participation des Māori aux divers secteurs de la société néo-zélandaise, incluant la fonction publique ; des arts et de la littérature. Il faut malgré tout mentionner que ces succès sont relatifs et que les indicateurs socio-économiques indiquent encore et toujours de grandes disparités entre Māori et non-Māori, les Māori étant généralement les plus désavantagés, arrivant même parfois derrière les immigrants en provenance des îles du Pacifique (voir Marriott et Sim 2014 ; Walters 2018).

Un vent de changement sur la scène politique néo-zélandaise : la création du Parti māori

En 2004, un ensemble d’événements connus comme la controverse sur l’estran et les fonds marins, a marqué un moment décisif dans la politique māori. Après un processus de consultation controversé, le gouvernement travailliste d’alors passa le Foreshore and Seabed Act 2004 qui accordait à la Couronne la propriété absolue de toutes les sections de l’estran et des fonds marins qui n’étaient pas déjà des propriétés privées. Cette résolution souleva l’indignation des Māori qui interprétèrent cette affaire comme une nouvelle violation du Traité de Waitangi, voire comme la pire confiscation de terres de tous les temps (pour des précisions, voir Charters et Erueti 2007 ; Durie 2005 ; Gagné 2008, 2013 ; Orange 2011 ; Palmer 2006).

La vague de mécontentement – mais aussi d’unité et d’enthousiasme stimulée par la mobilisation, de même que par un ressac conservateur aux tournures racistes – mena à la création du Parti māori. Si ce parti n’est pas le premier parti māori, il fut le premier à réunir des Māori de toutes les origines tribales et de toutes les classes sociales, ainsi que des Māori provenant tant des milieux urbains que des milieux ruraux (Miller 2005 : 159 ; sur les débuts du parti, voir Durie 2005 ; Mutu 2011 ; Smith 2010a, 2010b). Le parti fit élire quatre députés aux élections générales de 2005 et cinq lors de celles de 2008. En 2008, il se joignit à la coalition qui forma le gouvernement sous le leadership du Parti national, un parti de centre droit qu’on peut comparer au Parti conservateur du Canada.

Comme j’ai pu le constater lors d’un séjour en Nouvelle-Zélande environ un mois après l’élection de 2008, l’enthousiasme était grand parmi les Māori. Pour un observateur extérieur, cependant, la composition du gouvernement de coalition ainsi que l’optimisme général qu’on ressentait dans les cercles māori étaient surprenants de prime abord. En effet, un chef du Parti national avait attisé le ressentiment anti-Māori en 2004 lors de la controverse sur la propriété de l’estran et des fonds marins et avait fait entendre les positions les plus conservatrices et les plus radicales sur des enjeux touchant de près les Māori. Qu’est-ce qui pouvait alors expliquer un tel enthousiasme et un tel optimisme ?

De façon évidente, le nouveau chef du Parti national et nouveau premier ministre, John Key, avait fait de nombreux compromis par rapport aux positions habituelles du parti dans ses négociations en vue de former un gouvernement. Une autre réponse vint en écoutant les Māori autour de moi quand je fus de retour en Nouvelle-Zélande au début de l’année électorale 2011. Malgré des désaccords avec certaines décisions du gouvernement qui obtinrent l’appui du Parti māori, j’ai entendu à plusieurs reprises des commentaires comme celui-ci : « C’est la première fois qu’on est assis à la table du gouvernement. C’est notre chance ! » C’était en effet la première fois qu’un parti représentant les intérêts māori et appuyé par un large électorat māori faisait partie du gouvernement. Au lendemain de l’élection de novembre 2011, Tariana Turia, cochef du Parti māori (la constitution du parti prévoit une direction bicéphale composée d’un homme et d’une femme), réitéra d’ailleurs ce que j’avais entendu quelques mois plus tôt : « vous ne pouvez pas faire de gains à moins de siéger à la table du gouvernement » (One News 2011). Après une tournée de consultation pendant laquelle les membres exprimèrent leur opinion au sujet des meilleures façons de promouvoir les intérêts des Māori, le Parti māori – lequel avait réussi à conserver trois sièges après une année tumultueuse, j’y reviendrai – conclut un nouvel accord de coalition avec le Parti national pour former le gouvernement, accord qui lui laissait cette fois les coudées un peu plus franches. En vertu de cet accord, sauf pour les questions de confiance et la politique budgétaire, le Parti māori était en effet autorisé à voter librement, ce qui différait des ententes établies entre le Parti national et Act New Zealand (Association of Consumers and Tax payers New Zealand) ainsi que United Future (Cheng 2011).

Il me semble nécessaire d’amener une précision importante pour comprendre ce qui a favorisé l’arrivée au gouvernement du Parti māori : en 1996, la Nouvelle-Zélande a modifié son système électoral, c’est-à-dire qu’elle a réformé son mode de scrutin. La réforme électorale fut introduite à la suite d’un référendum consultatif tenu en 1992 et d’un second référendum contraignant tenu lors des élections générales de 1993 au moment duquel 54 % des électeurs se sont dits en faveur du changement. La Nouvelle-Zélande est alors passée d’un système basé sur le principe « une personne, un vote », qui est à la base du système majoritaire uninominal à un tour (MUT), à un système de représentation proportionnelle mixte compensatoire (PMC) comprenant deux votes : un pour le député dans sa circonscription, un pour le parti sur une liste établie à l’échelle nationale. Ce changement, en favorisant la sortie du bipartisme et en obligeant la formation de gouvernements de coalition, a permis à des tiers partis, comme le Parti māori, de trouver une place au parlement et même, au gouvernement. Le nouveau système fut confirmé par référendum en 2011 comme étant le favori des Néo-Zélandais à hauteur de 56,17 % (New Zealand Parliament 2018).

Il faut aussi savoir que depuis 1867, contrairement aux Autochtones au Québec et au Canada, les Māori ont des sièges qui leur sont réservés au parlement. Ces sièges, qui furent d’abord au nombre de quatre (les Européens avaient 72 sièges à la même époque), étaient vus comme une mesure temporaire de cinq ans. Ils avaient pour but d’apaiser les tensions au sortir des guerres des années 1860, d’affaiblir l’autorité des chefs tribaux et de vaincre leur résistance à l’individualisation des titres fonciers et à la vente des terres. La mesure fut finalement pérennisée en 1876, car les Européens craignaient que les électeurs māori n’inondent les listes électorales dans certaines circonscriptions si on ne créait pas de circonscriptions leur étant réservées[3].

Après l’introduction du mode de scrutin PMC, le nombre de sièges de circonscriptions fut réajusté en fonction du nombre de Māori inscrits sur la liste électorale māori. Depuis 2002, les sièges māori sont au nombre de sept (contre 64 sièges généraux, soit environ 10 % des sièges). Le pourcentage de sièges māori au parlement correspond à peu près au pourcentage des électeurs néo-zélandais inscrits sur la liste électorale māori. Cette liste, révisable tous les cinq ans, permet aux électeurs y étant inscrits de voter dans une des sept circonscriptions māori plutôt que dans une circonscription générale[4].

Selon la juriste Alexandra Xanthaki et le politologue māori Dominic O’Sullivan, « les sièges māori donnent effet à l’esprit de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones: le texte reconnaît le droit de participer pleinement à la société au sens large, tout en jouissant également de droits séparés » (2009 : 191). Ils soulignent également que ces sièges représentent un important symbole du caractère distinct des Māori comme peuple autochtone, comme « partenaire du Traité », ce qui les distingue des autres groupes minoritaires. Te Hau White, politologue māori, a d’ailleurs montré que « [l]es sièges māori permettent aux députés māori de s’exprimer selon une perspective particulière aux Māori au Parlement » (2016 : 190). En effet, les Māori élus dans les circonscriptions māori, parce qu’ils sont élus par des électeurs s’identifiant tous comme Māori, se verraient comme étant investis du rôle de servir leur famille et leur tribu ainsi que tous les Māori. Ce serait cependant moins le cas pour les députés māori élus dans les circonscriptions générales puisqu’ils sont redevables aux électeurs tant māori que non māori (White 2016 : 190).

Réussites et difficultés du Parti māori

Entre 2008 et 2017, les accords de confiance et d’appui budgétaire conclus entre le Parti national et le Parti māori pour former des gouvernements de coalition donnèrent lieu à des développements positifs en faveur des Māori. Ils obtinrent le droit d’être consultés sur les politiques, cadres législatifs et allocations budgétaires qui préoccupent le Parti māori, c’est-à-dire qui ont des incidences sur la population māori. Les deux cofondateurs et cochefs du Parti māori, Tariana Turia et Pita Sharples, occupèrent également diverses fonctions ministérielles clés, tout comme Te Ururoa Flavell qui succéda à Pita Sharples à la tête du parti en 2013. Comme le souligne Humpage (2018 : 259), le Parti māori obtint aussi la garantie qu’il n’y aurait aucune tentative de modifier la loi actuelle concernant les sièges māori, qu’il y aurait un examen des dispositifs constitutionnels, que des fonds seraient accordés en vue d’améliorer la participation électorale des Māori et que la Nouvelle-Zélande appuierait la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones. L’appui à la déclaration fut finalement annoncée en avril 2010. Un comité consultatif constitutionnel mena également une Constitution Conversation avec la population néo-zélandaise de 2011 à 2013. Le comité examina la pertinence que la Nouvelle-Zélande se dote d’une constitution écrite, ainsi que le rôle du Traité de Waitangi, la représentation des Māori au parlement et dans les gouvernements régionaux et municipaux, la taille du parlement, la tenue des élections à date fixe (Constitutional Advisory Panel 2013).

Le Parti māori demanda également diverses réformes de l’assistance sociale en vue d’améliorer la situation socio-économique des Māori. Celles-ci étaient centrales au programme politique du Parti māori, parallèlement aux avancées en faveur de l’autodétermination (rantagiratanga) [Smith 2010b : 215, Humpage 2017 : 475]. C’est dans cette optique que fut créé Whānau Ora, un programme national de services de santé culturellement adapté et axé sur les familles et visant une responsabilisation et une autodétermination familiales plutôt qu’une résolution individuelle des problèmes. Comme le précise Humpage, « contrairement aux programmes centrés sur la famille nucléaire mis en oeuvre ailleurs, whānau fait référence à des groupes familiaux multigénérationnels composés de plusieurs ménages, soutenus et renforcés par un réseau plus large de parents » (2018 : 262). L’idée est de soutenir les familles dans l’élaboration et le déploiement d’un plan d’action qui incorpore les valeurs māori, ce qui exige également des familles de faire une demande de financement pour appuyer leur projet (voir Humpage 2017, 2018).

La question de la revitalisation de la langue māori fut également un point important des accords entre le Parti national et le Parti māori, et plusieurs développements eurent lieu dans ce domaine. Pensons notamment à la mise en place de Te Mātāwai. Ce nouvel organisme indépendant, en plus d’encourager le leadership ainsi qu’un plus grand contrôle māori sur les développements relatifs à la langue, supervise les organismes gouvernementaux suivants : la Māori Language Commission, le Māori Television Service ainsi que l’entité de la Couronne responsable de la promotion de la langue et de la culture māori en fournissant du financement pour la programmation radiophonique, télévisuelle et musicale en langue māori (Humpage 2018 : 486). Comme le souligne Humpage, « il ([…] semble peu probable qu’un accent significatif sur la gouvernance māori en matière de développement de la langue aurait émergé si le Parti national n’avait pas eu de relation formelle avec le Parti māori » (2017 : 487).

Le parti eut cependant moins de succès dans l’atteinte de ses objectifs relatifs à la lutte à la pauvreté, à la hausse des revenus et des opportunités d’emploi pour les Māori ainsi qu’aux améliorations en matière d’éducation (voir Humpage 2017). Il n’a donc pas réussi à atteindre tous ses objectifs en matière de politiques publiques, mais il a malgré tout pu négocier la mise en place d’initiatives sociales innovantes et significatives (ibid. : 490).

Une autre des conditions de l’entente entre le Parti māori et le Parti national en 2008 fut de revoir en priorité la loi de 2004 sur l’estran et les fonds marins. Ce fut chose faite en mars 2011 : le Marine and Coastal Area (Takutai Moana) Act 2011 restaura les droits coutumiers des Māori sur l’estran et les fonds marins. Ce droit fut cependant assorti de certaines conditions – notamment la nécessité de prouver la pratique d’activités traditionnelles sans interruption sur la portion de terre concernée –, ce qui souleva la critique et créa un certain mécontentement envers le Parti māori. Le parti fit également face à des conflits internes, lesquels s’articulaient à des tensions qui se faisaient sentir depuis son entrée au gouvernement, certains trouvant que le parti perdait son âme dans la coalition avec le Parti national. La situation mena en février 2011, à la suspension de Hone Harawira puis à sa démission et à la création d’un nouveau parti māori de gauche, le Parti mana dont la mission était la suivante : « conférer le rangatiratanga [droit d’exercer leur autorité] aux pauvres, aux impuissants et aux dépossédés ; leur redonner du pouvoir par rapport au gouvernement des riches et des puissants pour les riches et les puissants » (Mana Party n.d., dans Waitoa, Scheyvens et Warren 2015 : 51). Aux élections de 2011, Harawira retint son siège sous la bannière du nouveau parti, mais le perdit à l’élection suivante.

Il est à noter que certains ont interprété la baisse significative du taux de participation dans les circonscriptions māori à partir de 2008 comme reflétant l’insatisfaction des électeurs māori à propos du fait que des Māori se querellent entre eux. Pita Sharples, cochef du Parti māori déclara d’ailleurs ceci après les élections de 2011 : « Les nôtres n’aiment pas nous voir nous battre avec Mana et je pense que c’est en partie la raison pour laquelle nos deux partis ont obtenu une petite portion des votes destinés aux partis. » (dans Gagné 2013 : 261) Le Parti māori réussit malgré tout à maintenir trois sièges aux élections générales de 2011 (un recul de deux sièges par rapport à 2008), et deux en 2014, ce qui permit chaque fois au parti de renouveler son entente avec le Parti national pour former un gouvernement de coalition.

L’élection de 2014 constitua pourtant un test important pour le parti, qui avait subi plusieurs changements en son sein, dont le remplacement à sa tête de ses deux cofondateurs partis à la retraite. Le parti a essuyé de multiples critiques, les électeurs māori l’accusant de s’être vendu aux Nationaux étant donné les compromis qu’il avait dû faire sur plusieurs sujets, comme membre du gouvernement de coalition (voir Bargh 2017). Les critiques fusaient également lorsque les chefs du parti devaient parler au nom du gouvernement et non en celui de leur propre parti dans l’exercice de leurs fonctions ministérielles (Humpage 2017).

Certains ont aussi reproché au parti de ne pas avoir réussi à changer significativement les conditions socio-économiques des Māori (voir p. ex. O’Sullivan 2017), ce qui n’est pourtant pas lui rendre justice, comme l’a montré Humpage (2017). Certains encore, dont Hone Harawira du Parti mana, l’ont accusé d’avoir favorisé les élites tribales au détriment des pauvres. Plusieurs chercheurs ont d’ailleurs souligné la convergence entre le programme néolibéral du Parti national, les intérêts économiques des entreprises tribales (lesquelles ont des liens très étroits avec le Parti māori, voir note 2) et l’idée chère au Parti māori selon laquelle les individus et les familles doivent prendre une plus grande responsabilité afin de trouver des solutions pour venir à bout des problèmes sociaux à travers des modèles décentralisés d’initiatives et de services misant sur la capacité des groupes à s’autodéterminer (Humpage 2017 : 478, 480 ; sur les articulations entre politiques néolibérales, entrepreneuriat ainsi qu’affirmation et reconnaissance des Māori en Nouvelle-Zélande, voir Bargh 2018, O’Sullivan 2018 et McCormack 2018). Le programme Whānau Ora mentionné plus haut, par exemple, s’inscrirait par plusieurs de ses aspects dans un modèle occidental et néolibéral de gestion des services se basant sur des contrats de performance qui varieraient finalement peu d’une région à l’autre et dont les indicateurs de résultats seraient, contrairement à l’intention initiale du programme, essentiellement axés sur les individus, rendant leurs retombées sur les communautés difficiles à mesurer (Humpage 2018 : 282-283). Alors que l’objectif était de permettre un contrôle accru des Māori sur la prise de décision et la gouvernance du secteur des services sociaux māori, le programme eut au contraire pour effet, selon Humpage (2018 : 283), d’accentuer la privatisation de la gestion et de la prestation des services.

En 2017, après une course électorale pleine de rebondissements à la veille de laquelle les deux partis traditionnels – le Parti travailliste et le Parti national – avaient élu de nouveaux chefs, le Parti māori ne réussit pas à assurer sa place au parlement. Il perdit tous ses sièges de circonscription aux élections générales du 23 septembre 2017, et sa part des suffrages recueillis (1,2 %) était en deçà du seuil des 5 %, le minimum d’appui requis pour obtenir des sièges au parlement à partir de la liste de parti (Linkhorn 2017). Le Parti mana, qui avait une entente avec le Parti māori à l’effet que ce dernier ne présenterait pas d’opposant à Harawira dans la circonscription māori de Te Tai Tokerau, ne réussit pas non plus à assurer sa place au parlement. Le Parti vert et New Zealand First sortirent aussi affaiblis de l’élection (sur les résultats surprenants des élections de 2017, voir Vowles 2018).

Comment expliquer cette défaite du Parti māori ? Les résultats des élections peuvent, en partie au moins, être attribués au phénomène qualifié dans les médias néo-zélandais de « Jacindamania », soit l’engouement suscité par l’arrivée de Jacinda Arden, actuelle première ministre, à la tête du Parti travailliste. Ils peuvent aussi être attribués en partie aux critiques mentionnées plus haut. Durant la campagne électorale, les travaillistes ont d’ailleurs insisté lourdement sur les liens entre le Parti māori et le Parti national, accusant le premier de ne pas être un authentique « parti kaupapa māori [philosophie, plan ou principe māori] travaillant dans l’intérêt de tous les Māori » (Bargh 2017). Selon la politologue māori Maria Bargh, le Parti māori a pu aussi involontairement renforcer l’idée selon laquelle le parti était un ami docile du Parti national en insistant sur l’importance d’être assis à la table du gouvernement : « Malheureusement, la métaphore associée à l’idée de s’asseoir à une table avec d’autres implique subtilement un niveau d’amitié et de coopération plutôt qu’une identité et un programme forts et distincts concernant les politiques publiques. » (2017)

De plus, Bargh (2017) souligne le fait que les deux partis traditionnels ont mené une campagne de style ancien où tant le Parti national que le Parti travailliste avaient montré un désir de gouverner seul, sans chercher à faire d’arrangements en vue d’une coalition, même si cela est peu probable dans un système PMC. Elle mentionne encore qu’au cours de l’année 2017, les candidats du Parti travailliste ont exprimé clairement qu’ils souhaitaient reprendre tous les sièges māori, qu’il n’était pas question de faire d’alliances quant à ces sièges et qu’ils visaient même à éliminer le Parti māori. Ce fut un pari gagné puisque les sept sièges māori furent remportés par des députés travaillistes. Les électeurs māori ont donc renoué avec un parti ayant obtenu de très longue date la faveur des Māori. En fait, depuis 1935, il existait une alliance historique entre le Parti travailliste, l’Église Ratana (voir notamment Hazlehurst 1993) – une église chrétienne syncrétique qui regroupe un grand nombre de fidèles māori – et un mouvement royaliste, le King Movement (Te Kīngitanga)[5], ce qui faisait que le Parti travailliste dominait largement dans les circonscriptions māori[6]. C’est la loi impopulaire de 2004 du gouvernement travailliste sur la propriété de l’estran et des fonds marins qui avait compromis cette alliance et largement détourné les Māori de ce parti après que la députée travailliste Tariana Turia l’ait déserté pour créer le Parti māori. Depuis lors, les relations entre ce parti, l’Église Ratana et le Kīngitanga fluctuent, mais à chaque élection depuis 2005 les sièges māori qui n’étaient pas occupés par des députés du Parti māori le furent par des travaillistes. Seule exception, en 2011 et 2014, un siège fut occupé par le député dissident du Parti māori, Hone Harawira, du Parti mana.

Après les élections de 2017, un des chefs du parti, Te Uturoa Flavell, a indiqué qu’en ne votant pas pour le parti, les Māori avaient dit non à leur voix indépendante, les élus māori étant dorénavant minoritaires dans des partis non māori. Sa cochef, Marama Fox, est même allée plus loin en déclarant : « Ils veulent retourner à l’époque de la colonisation, où les partis paternalistes rouge et bleu disent aux Māori comment vivre. » (dans Satherley 2017) C’était négliger ce qu’il leur était reproché, soit que le Parti ait lui-même perdu de son indépendance en entrant dans le gouvernement de coalition avec le Parti national.

Le Parti māori a travaillé depuis cette cuisante défaite à se reconstruire. Les nouveaux cochefs du parti, John Tamihere et Debbie Ngarewa-Packer, furent sélectionnés à la mi-avril 2020 en vue des élections prévues initialement pour le 19 septembre 2020, mais remises au 17 octobre 2020 à cause de la pandémie de Covid-19, qui portèrent à nouveau au pouvoir le Parti travailliste de Jacinda Arden, avec 49 % des votes et la majorité des sièges (65 sur 120). Cette victoire retentissante – attribuée à la gouvernance démocratique d’Arden, mais aussi à son leadership dans la gestion efficace de la première vague de Covid-19, de tueries dans deux mosquées de Christchurch et de l’irruption d’un volcan, lesquelles firent plusieurs morts en 2019 – aurait pu lui permettre de former un gouvernement majoritaire sans l’obliger à former une coalition. Il s’agissait d’une première depuis le changement du mode de scrutin en 1996, mais elle choisit de former un gouvernement avec le Parti vert qui obtint dix sièges aux élections. Son gouvernement regroupe 18 élus māori sur 75, ce qui représente 24 % de ses membres. Cinq Māori font partie du cabinet, dont Nanaia Mahuta, première femme māori à être nommée ministre des Affaires extérieures.

À la surprise générale, le Parti māori, de son côté, réussit « un retour étonnant après sa mort politique » (Maxwell 2020) en faisant élire deux députés grâce à une forte campagne populaire et une offensive sur les réseaux sociaux misant sur le droit des Māori à l’autonomie de gestion, à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale comprenant notamment la promesse de travailler à la création d’un parlement māori séparé constitué de 15 à 17 sièges et contrôlant un budget annuel de 20 milliards de dollars néo-zélandais. Rawiri Waititi fut élu dans un siège de circonscription et la cochef du parti, Debbie Ngarewa-Packer, le fut dans un siège de liste. Les deux députés sont depuis cochefs du parti et siègent dans l’opposition officielle, ce qui leur donne la capacité de prendre la parole en toute indépendance. Comme le rappelait la journaliste māori Annabelle Lee-Mather, les Māori « étaient hoha [exaspérés, en avaient marre] du Parti māori étant donné sa relation avec le Parti national » (RNZ 2020). Le défi en vue des prochaines élections en sera cependant un de visibilité, le parti n’ayant pas d’alliés « naturels » dans l’opposition.

Ce qui pointe à l’horizon

Au-delà de la déception des membres et partisans du Parti māori, ce qu’il est intéressant de constater dans les dernières campagnes électorales, c’est qu’il est dorénavant possible pour les Māori de s’exprimer sur un spectre plus large d’enjeux que ceux concernant en propre les Māori, des enjeux relatifs à la Nouvelle-Zélande dans son ensemble. Il est aussi possible pour eux d’exprimer des positions diversifiées sans être perçus comme étant des traîtres à la cause māori (sur les politiques de l’identité et de l’authenticité chez les Māori, voir Gagné 2016). Ainsi, tant en 2017 qu’en 2020, on retrouve des candidats māori dans les principaux partis politiques, soit dans le Parti national, le Parti travailliste, le Parti vert, ACT New Zealand, un parti en faveur du libre marché néo-libéral, ainsi que New Zealand First, un parti nationaliste et populiste dirigé par le Māori Winston Peters. Le repositionnement des Māori, tant d’un point de vue politique qu’économique en Nouvelle-Zélande ne semble pas étranger à cette situation. La relation entre la minorité māori et les non-Māori ainsi qu’avec l’État a beaucoup changé ces dernières années : les Māori sont progressivement devenus des acteurs incontournables de la vie nationale. Comme déjà mentionné, les tribus sont des partenaires de l’État dans plusieurs projets de développement économique d’envergure et il devient difficile d’adopter des politiques en matière de santé, d’éducation, de logement sans consulter les Māori, bien sûr, mais aussi sans prévoir des dispositions spéciales les concernant.

C’est ce qu’a bien compris le président du Parti māori élu en février 2018, Che Wilson, qui s’est donné pour objectif de rebâtir le parti en vue des prochaines élections en soulignant que celui-ci doit être un parti de « centre » : « Les médias ont essayé de dire que nous sommes un parti de gauche et ont essayé de promouvoir que les Māori ne sont que de gauche, alors que les Māori sont tout aussi diversifiés que les Pākehā [Néo-Zélandais d’ascendance principalement européenne, ou parfois toutes les personnes blanches] » (dans Stowell 2018). Le parti a en effet dû faire face par le passé au défi de rassembler une multitude de points de vue et de trouver un équilibre entre membres plus radicaux et plus modérés relativement aux revendications māori, mais également entre ceux de la droite plus conservatrice et ceux qui sont beaucoup plus à gauche (Xanthaki et O’Sullivan 2009 : 204).

Le Parti māori a même été représenté lors des élections de 2017 par des candidats non māori grâce à un accord avec le parti One Pacific : il avait en effet sur sa liste de parti (non comme candidats dans des circonscriptions māori) six candidats insulaires du Pacifique. Il sélectionna également un candidat d’origine asiatique. Cela fut une façon pour le parti de souligner son ouverture en faveur de tous ceux qui partagent la vision du parti – laquelle se base sur les principes māori (voir le site Web du parti) – et de montrer sa préoccupation pour les immigrants, en particulier en provenance du bassin Pacifique, espérant ainsi élargir sa base électorale[7]. Le parti a aussi proposé un plan original d’intégration régionale des immigrants qui consistait à les accueillir en région pour un stage non rémunéré de deux ans pendant lequel ils auraient été pris en charge par la communauté (Garrick 2017). L’idée était d’offrir une immersion totale allant au-delà de la formation rapide destinée aux immigrants et portant sur le Traité de Waitangi et ses principes au moment de devenir citoyen.

Autre fait intéressant, le chef du parti New Zealand First, Winston Peters, un Māori qui est un vieux loup de la politique, est même allé jusqu’à inclure dans son programme électoral la tenue d’un référendum sur l’avenir des sièges māori. Selon lui, ceux-ci sont les restes d’une politique d’apartheid basée sur une ségrégation raciale. Il appelait à en finir avec cet héritage colonial à un moment où les Māori étaient entrés en grand nombre au parlement et pouvaient y faire leur place[8]. En effet, quand on ajoute aux députés occupant les sièges māori les députés s’identifiant comme Māori élus dans des sièges généraux, leur pourcentage au parlement dépasse le poids démographique des Māori dans la population néo-zélandaise – qui est de 16,5 % (recensement 2018). Aux élections de 2014, 26 élus s’identifiaient comme Māori sur un total de 120 sièges, soit 21,7 % des députés. Aux élections de 2017, 29 élus sur 120 s’identifiaient comme Māori, soit un peu plus de 24,2 % des députés (Koti 2017). Ils provenaient de cinq partis différents : 8 du Parti national, 13 du Parti travailliste, 6 de New Zealand First, 1 du Parti vert, 1 d’ACT New Zealand. Ces chiffres étaient en hausse depuis quelques élections. Ils étaient 21 députés à l’élection générale précédente de 2011, soit 17,5 % des sièges au parlement.

Il est à noter qu’à l’issue des élections de 2017, alors que le Parti national a remporté 44,4 % des votes (56 sièges) et le Parti travailliste 36,9 % des votes (46 sièges) [Wilson 2017], ce même Winston Peters a agi comme King Maker. C’est lui, un Māori, avec les neuf sièges (7,5 % des votes) obtenus par New Zealand First, qui décida qui allait constituer le nouveau gouvernement, négociant fermement avec les deux partis « traditionnels ». Finalement, il fit alliance avec le Parti travailliste, formant ainsi un gouvernement de coalition avec l’appui des Verts (huit sièges). Ce gouvernement regroupait 20 élus māori sur 63 (Koti 2017), ce qui représentait 31,7 % des membres du gouvernement. Plusieurs avaient d’importantes responsabilités ministérielles. Peters a notamment hérité du ministère des Affaires extérieures et de la fonction de vice-premier ministre, ce qui lui permit d’agir à quelques reprises en tant que premier ministre suppléant.

Si une de ses promesses électorales les plus centrales était de tenir un référendum sur l’avenir des sièges māori, Peters a donc dû, lui aussi, faire des compromis puisqu’il était hors de question pour la chef du Parti travailliste, Jacinda Ardern, d’appuyer la tenue d’un référendum sur cette question (Humpage et Greaves 2017 : 253 ; O’Sullivan 2017). En septembre 2018, les députés élus sous la bannière de New Zealand First ont même appuyé en première lecture un projet de loi proposé par un député travailliste – The Electoral (Entrenchment of Māori Seats) Amendment Bill – visant à renforcer la protection des sièges māori. Le projet prévoyait que l’abolition de ces sièges ne serait possible que si le Parlement se prononçait avec une majorité de 75 % en sa faveur plutôt qu’avec une majorité simple, comme c’est le cas actuellement. Un député du Parti New Zealand First est alors revenu à la charge en demandant que la question des sièges māori soit soumise à un référendum pour trancher entre leur pérennisation ou leur abolition (Young 2018a). Finalement, en décembre 2019, le projet de loi fut rejeté en seconde lecture par 66 voix contre 54. Tous les députés de New Zealand First votèrent contre le projet de loi puisque la tenue d’un référendum sur l’avenir des sièges n’y fut pas ajoutée. Seuls les députés travaillistes et ceux du Parti vert l’appuyèrent (New Zealand Parliament 2019). Pour autant, les Nationaux ne prirent pas position contre les sièges puisqu’ils les considéraient comme nécessaires au débat public et à la bonne gouvernance ; ils refusaient simplement de les pérenniser, jugeant que ceux-ci n’étaient pas menacés (Jancic 2019).

Aux élections de 2020, Winston Peters et son parti New Zealand First ont perdu tous leurs sièges avec seulement 2,6 % des voix et n’ont obtenu aucun siège de circonscription. Dans un parlement vu comme l’un des plus diversifiés au monde (Hollingsworth et al. 2020), on remarque ainsi un recul de la représentation māori qui peut être largement expliqué par la perte des six députés māori de New Zealand First. Le parlement néo-zélandais comprend maintenant vingt-cinq élus māori sur 120, soit 21 % des sièges, lesquels sont répartis de la façon suivante : 15 dans le Parti travailliste, 2 dans le Parti national, 3 dans le Parti vert, 3 dans ACT New Zealand, 2 dans le Parti māori. Ce pourcentage de sièges māori qui est légèrement plus bas qu’à l’élection précédente (24,2 %) dépasse malgré tout le poids démographique des Māori (16,5 %) en Nouvelle-Zélande.

Les élections de 2017 permirent aussi l’élection d’une nouvelle génération de politiciens māori, aux parcours et aux expériences plus diversifiés. Les directions des deux partis traditionnels furent également rajeunies. La nouvelle première ministre travailliste n’avait que 37 ans quand elle fut élue. Du côté du Parti national, un Māori de 42 ans, Simon Bridges, pris la direction du parti le 27 février 2018. Il fut le premier Māori à être à la tête de ce parti qui a toujours été assez réfractaire aux demandes des Māori, mais également d’un grand parti politique. La chef adjointe du parti à ce moment, Paula Bennett, était aussi Māori (Edwards 2018). En 2017, une majorité des chefs des partis politiques néo-zélandais s’identifiaient donc comme Māori (Kamo 2018). En vue des élections de 2020 et devant les mauvais résultats de sondages, cependant, le Parti national changea à nouveau de chef et de chef adjoint.

Il y a certainement un mouvement très intéressant qui se dessine. Ce changement remarquable dans la composition du parlement a d’ailleurs été souligné par plusieurs journalistes et commentateurs de la vie politique néo-zélandaise ainsi que sur la scène internationale. Comme l’a souligné Taonui, « [l]a montée en puissance du Parti māori et la performance de ses dirigeants sont devenues l’un des principaux moteurs incitant les autres partis à recruter davantage de Māori dans leurs rangs » (2017). Xanthaki et O’Sullivan (2009 : 202) mentionnent que les Māori qui sont représentés par des députés māori sont plus enclins à croire que leur opinion compte et qu’ils peuvent influencer le gouvernement. Ils soulignent d’ailleurs plus généralement que depuis l’implantation du mode de scrutin PMC, la plupart des partis politiques ont tendance à mettre les candidats māori davantage en tête de liste en vue d’obtenir le soutien d’un nombre grandissant d’électeurs māori. Leur étude des taux de participation électorale des dernières décennies révèle pourtant que les hypothèses relatives au vote affinitaire (voir Dabin, Daoust et Papillon 2018) ne sont que partiellement validées dans le cas māori. Ils ont mis en évidence que le fait d’être sur la liste électorale māori et, donc, de voter dans les circonscriptions māori pour des candidats māori, est associé à un plus faible taux de participation que le fait d’être inscrit sur la liste électorale générale (Xanthaki et O’Sullivan 2009 : 202). Vowles, Coffé et Curtin (2017 : 230) rappellent que des chercheurs māori ont avancé que cela peut être attribuable aux effets à long terme de la colonisation et de la nature marginale des sièges māori jusqu’à très récemment. Selon eux,

… [il] pourrait y avoir une explication supplémentaire depuis 1996, soit à partir du moment où le nombre d’inscrits sur la liste électorale māori commença à avoir un impact sur le nombre de circonscriptions māori. Certains peuvent penser que le choix de s’inscrire sur la liste māori est un acte de participation en soi car il contribue à augmenter le nombre de circonscriptions māori assurant une représentation directe grâce à un député māori.

Vowles, Coffé et Curtin 2017 : 230

Sur la base d’une enquête sur l’option offerte aux Māori de changer de liste électorale, la politologue māori Maria Bargh mentionnait d’autres explications possibles au plus faible taux de participation dans les circonscriptions māori :

Beaucoup de mes répondants ont noté que les électeurs māori n’avaient pas assez de choix, ce qui vient du fait que plusieurs grands partis politiques ont choisi de ne pas y présenter de candidats. Ils se sont également plaints du fait qu’il n’y avait pas autant d’informations dans les médias sur les candidats qui se présentent dans les circonscriptions māori par comparaison avec les informations qu’on retrouve sur ceux qui se présentent dans les circonscriptions générales – ils n’ont pas autant de temps d’antenne.

Victoria University of Wellington 2020

Ces raisons, en plus des frustrations liées à la très grande taille des circonscriptions māori par rapport aux autres circonscriptions, sont d’ailleurs parmi les facteurs qui expliqueraient le choix de certains Māori de passer de la liste électorale māori à la liste générale (voir Bargh 2020 pour plus de détails).

Plus généralement, les dernières années virent un déplacement des luttes māori pour l’affirmation et la reconnaissance : la montée en puissance du Parti māori a marqué la fin d’un mouvement en cours voulant que dorénavant les Māori fassent confiance aux pouvoirs du parlement plutôt que de se tourner vers les tribunaux quand ils souhaitent des changements constitutionnels (Belgrave 2014 : 210). Les demandes māori portant sur la participation et la représentation politiques visent non seulement la scène politique nationale, mais également la scène politique municipale, là où les Māori ont depuis toujours été sous-représentés (Hayward 2011 : 187). En mai 2009, pour ne prendre qu’un exemple, 7000 manifestants se sont rassemblés au centre-ville d’Auckland pour demander la création de sièges māori sur le conseil municipal de la métropole néo-zélandaise (concernant ce cas et, plus largement, les Māori et la politique municipale et régionale, voir Bargh 2017 ; Gagné 2016 ; Sullivan 2011 ; Sullivan et Toki 2012). Ces propos du député du Parti māori Te Ururoa Flavell à propos de la représentation māori dans les gouvernements locaux illustrent bien ce qui est en jeu :

Ce dont nous parlons ici, c’est du partenaire du Traité, le peuple autochtone de cette terre, marginalisé par une représentation et une participation limitées. Lorsque nous parlons de tangata whenua [autochtones], nous ne parlons pas seulement d’une communauté d’intérêts ou d’actionnaires clés ; nous parlons des signataires de Te Tiriti o Waitangi [Traité de Waitangi].

2010, dans Bargh 2017 : 148

L’insistance des Māori sur la nécessité d’être mieux représentés dans les institutions démocratiques du pays est donc une tendance lourde[9].

Retour au pays

Comme nous venons de le voir, la réforme du mode de scrutin en Nouvelle-Zélande a permis un renouvellement de la vie politique en favorisant la sortie d’un bipartisme sclérosant[10] et une participation accrue des Māori aux processus décisionnels démocratiques, incluant l’adoption des politiques gouvernementales, ce qui a donné une plus grande visibilité aux enjeux et perspectives māori. L’un des résultats positifs et inattendus de la nouvelle dynamique politique dans le contexte plus général du repositionnement des Māori dans la société néo-zélandaise au cours des dernières décennies fut aussi de permettre l’expression par les Māori d’options politiques plus diversifiées.

Un autre des bénéfices de cette inclusion des Māori dans le jeu politique fut l’intérêt accru des Māori pour la vie politique en général. Alors que le désintérêt envers la politique nationale (sans même parler de la politique municipale) était quasi-total chez les Māori « ordinaires » quand j’ai commencé à faire des recherches en Nouvelle-Zélande au début des années 2000, les Māori s’intéressent maintenant davantage à ce qui se passe sur la scène politique, ils connaissent mieux – au moins pour une partie d’entre eux – les débats et y voient de plus en plus un lieu stratégique pour se faire entendre, influencer de façon déterminante les décisions qui les touchent directement, mais également celles qui concernent le pays dans son ensemble et, donc, pour faire avancer leurs luttes tout en affirmant leur souveraineté.

Tous ces changements positifs concernant la condition des Māori en Nouvelle-Zélande sont, pour partie, le fruit direct ou indirect de la réforme du mode de scrutin. On peut donc se demander s’il n’y aurait pas intérêt, au Québec, à examiner le projet de réforme du mode de scrutin dans le but de favoriser une plus grande participation et représentation politique des autochtones. La réforme ne pourrait-elle pas contribuer à changer les mentalités coloniales en favorisant les débats entre Autochtones et non-Autochtones sur des enjeux communs, mais aussi à faire mieux connaître les expériences, perspectives et aspirations autochtones ? Ne serait-elle pas un moyen pour faire adopter des politiques tenant compte des demandes et du point de vue des Autochtones, incluant celles en faveur de l’autodétermination ?