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Les apports de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[1] (CEDH) et de la jurisprudence dont elle fait l’objet sont multiples.

Toutefois, la protection des personnes confrontées à un renvoi vers un risque de torture et de traitements inhumains ou dégradants est non seulement remarquable, mais également exemplaire. Elle est remarquable, car elle a offert une certaine protection à une personne qui en est souvent démunie : l’étranger. Elle est exemplaire, car elle procède d’une construction jurisprudentielle audacieuse qui fera école bien au-delà des frontières européennes, donnant ainsi naissance à un véritable principe de non-refoulement en droit international des droits de la personne qui complète et dépasse celui du droit international des réfugiés, consacré par la Convention relative au statut des réfugiés[2] (Convention de Genève) de 1951.

Pourtant, à la lecture de la CEDH, il pourrait paraître surprenant à un non-initié que celle-ci ait servi de base à l’établissement d’une protection pour les personnes frappées par une mesure d’éloignement du territoire d’un des États parties à ladite Convention. En effet, il n’y a, à proprement parler, aucune mention de ce sujet dans le texte de la CEDH. Certes, son article 5 évoque indirectement la situation de l’étranger frappé d’une mesure d’expulsion, mais uniquement en ce qui concerne la détention pouvant accompagner une telle mesure. De même, le Protocole n° 4 reconnaissant certains droits et libertés autres que ceux figurant déjà dans la Convention[3] prohibe, en son article 4, les expulsions collectives d’étrangers. Cet article 4 n’instaure qu’une garantie procédurale visant à s’assurer que chacune des personnes visées par une telle mesure voit sa situation préalablement examinée.

Dès lors, face à ces faibles références à la situation de l’étranger et, a fortiori, aux mesures d’éloignement, il est étonnant que les décisions des organes de contrôle de la CEDH aient permis l’élaboration d’une protection qui a non seulement été reprise pratiquement par des juridictions et quasi-juridictions, tant internationales qu’internes, mais qui a, par ailleurs, fait l’objet d’une conventionnalisation de la part des États[4]. Dans les faits, ce n’est qu’indirectement que la CEDH va offrir une protection dans le cadre de mesures d’éloignement du territoire. Le raisonnement est relativement simple. Si la CEDH n’accorde pas un droit à ne pas être éloigné du territoire, il n’en demeure pas moins qu’à l’occasion de l’exercice ou de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les États parties ne peuvent s’émanciper du respect des obligations établies par la CEDH. Ainsi, au fil des années, la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) et, avant elle, la Commission européenne des droits de l’homme (Commission EDH) ont développé une jurisprudence qui les conduira à examiner la compatibilité de mesures d’éloignement du territoire au regard non seulement de l’article 8 de la CEDH, qui protège le droit à la vie privée et familiale, mais également de son article 3, qui prohibe la torture et les traitements inhumains et dégradants, puis, plus récemment, au regard de son article 6 qui assure le droit à un procès équitable[5].

Il est bien évident que cette construction jurisprudentielle initiée par les organes de contrôle de la CEDH a eu un impact majeur en droit international et européen des droits de la personne, tout particulièrement en ce qui concerne les droits des étrangers. Il est donc certain que cette protection ainsi développée revêt une acuité particulière dans un contexte européen marqué par des tensions relatives à l’immigration. L’Europe est, en effet, non seulement confrontée à une crise des migrants qui a connu un apogée en 2015, mais également à une montée des populismes se nourrissant de cette crise et peu enclins à promouvoir les droits des migrants. Par ailleurs, le développement de la coopération dans le cadre de la lutte contre l’immigration irrégulière aux frontières de l’Union européenne, plus précisément de l’espace Schengen, soulève un certain nombre d’enjeux en termes de droits de la personne, rendant d’autant plus indispensable la protection offerte par la CEDH et le contrôle auquel celle-ci donne lieu.

Ainsi, après avoir examiné l’établissement progressif de cette protection jurisprudentielle (I), sera déterminé en quoi celle-ci a, tout particulièrement en ce qui concerne l’article 3, permis l’élaboration d’un véritable principe de non-refoulement en droit international des droits de la personne offrant une protection supérieure à celle que prévoyait déjà le droit international des réfugiés (II). Finalement, seront exposés quelques éléments démontrant que, pour autant, les fondements de la construction suivie demeurent très perméables aux préoccupations souveraines des États, mettant en danger cette dernière (III).

I. L’établissement jurisprudentiel progressif d’une protection face aux mesures de renvoi

Cette protection est souvent présentée comme étant l’oeuvre de la Cour EDH, notamment avec son arrêt Soering c. Royaume-Uni[6]. Toutefois, cette affirmation peut être nuancée. En effet, bien avant la Cour EDH, la Commission EDH avait, sans pour autant nécessairement aboutir à une constatation de violation, dès les premières années de son existence, développé la mécanique permettant d’examiner une mesure de renvoi par rapport aux exigences du texte de la CEDH. Qui plus est, ni la Cour EDH ni la Commission EDH n’en sont les précurseures, puisque des juridictions internes, notamment allemandes et belges, les ont précédées. Par ailleurs, nonobstant la notoriété de l’arrêt Soering c. Royaume-Uni[7] qui pose, il est vrai, de manière extrêmement précise, la logique de cette protection, celle-ci n’a pas initialement été construite sous l’article 3, mais sous l’article 8 de la CEDH[8].

Ainsi, l’une des premières décisions ayant eu, entre autres, la CEDH comme fondement a été rendue par une Cour administrative d’appel de la République fédérale d’Allemagne, le 25 septembre 1956. Cette affaire avait trait à l’expulsion d’un citoyen belge qui résidait en Allemagne depuis 1940 où il avait été prisonnier de guerre. Demeurant en Allemagne à l’issue de la guerre, il avait par la suite été condamné pour un délit de moeurs en raison de son homosexualité, avant de s’être finalement marié et d’avoir eu des enfants, ce mariage lui évitant par là-même l’expulsion inhérente à sa condamnation. Toutefois, en raison d’une banale erreur administrative, soit l’omission d’un signalement de changement d’adresse, celui-ci s’était vu signifier la mise en oeuvre de la mesure d’expulsion. Dans son arrêt, la Cour administrative d’appel considéra qu’en la matière, s’il existait bien un pouvoir discrétionnaire du ministre, celui-ci était cependant dorénavant limité par l’article 6 de la nouvelle Loi fondamentale allemande et, de manière plus intéressante, par l’article 8 de la toute jeune CEDH[9]. Trois ans plus tard, la Cour de cassation belge aura à son tour à confronter une mesure d’expulsion aux exigences de la CEDH[10].

Pour la première fois, la Commission EDH va être saisie d’une mesure d’éloignement le 7 mars 1957 dans une affaire X c. Danemark[11]. Plus précisément, il s’agissait du refus d’autoriser l’entrée sur le territoire d’un citoyen allemand, époux de la requérante danoise. Il était soulevé devant la Commission EDH la compatibilité d’un tel refus aux exigences de l’article 8 de la CEDH. Bien que la Commission EDH déclara la requête irrecevable rationae temporis, elle ne l’a nullement rejetée sur la base d’une irrecevabilité rationae materiae. Elle n’exclut ainsi pas l’éventuelle contravention d’une mesure d’éloignement à l’article 8 de la CEDH. La Commission EDH confirmera cette approche dans des affaires ultérieures qu’elle sera amenée à traiter[12]. Ce n’est que des années plus tard que la Cour EDH aura l’occasion d’examiner cette construction par rapport à l’article 8, dans la célèbre affaire Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni[13]. Certes, elle ne conclura pas que la mesure d’éloignement[14] contrevient en elle-même directement à l’article 8 CEDH. Toutefois, dans cette affaire, non seulement la Cour EDH confirmera la construction élaborée par la Commission EDH et par certaines juridictions nationales avant elle, mais elle constatera également le caractère discriminatoire de la mesure d’éloignement en ce qu’il constitue une violation de l’article 14 lié à l’article 8. En l’espèce, il s’agissait d’une législation qui permettait plus facilement aux étrangers qu’aux étrangères de faire venir leur conjoint.

Il est toutefois important de préciser dès maintenant que la protection élaborée sous l’article 8 reste limitée puisque cet article prévoit ses propres exceptions. En effet, son paragraphe 2 précise les motifs et les conditions dans lesquelles l’ingérence dans le droit à la vie privée et familiale est susceptible de ne pas emporter violation de cet article[15]. Ainsi, dans le cadre d’une mesure d’éloignement du territoire, si celle-ci constitue une ingérence dans le respect du droit à la vie privée ou familiale de la personne éloignée, toute la difficulté résidera dans la démonstration que cette atteinte n’est pas justifiée au sens du paragraphe 2 de l’article.

Il convient également de noter qu’en la matière, l’atteinte à la vie privée ou familiale, qui constitue la violation, se situe sur le territoire de l’État partie à la Convention. C’est le fait d’éloigner la personne du territoire qui porte ou porterait une atteinte, justifiée ou non au sens du paragraphe 2 de l’article 8, à la vie privée ou familiale de la personne. Or, tel n’est pas le cas pour les autres articles que vont utiliser les organes de contrôle de la CEDH pour analyser une mesure d’éloignement du territoire, à savoir les articles 3 et 6. En effet, dans ces situations, si le vecteur de la contrariété à la Convention est la mise en oeuvre de la mesure d’éloignement, le geste qui fait encourir un risque de violation à la CEDH n’est pas commis sur le territoire de l’État mis en cause, mais est commis sur le sol d’un autre État, voire d’un État tiers à la Convention. De nouveau, ce sont les juridictions internes qui vont ouvrir la voie à une telle protection. La Cour administrative supérieure de Berlin sera la première, par un arrêt du 28 septembre 1960, à devoir se pencher sur la compatibilité à l’article 3 du renvoi d’une personne du territoire, en l’occurrence celui de la Tchécoslovaquie[16]. La Commission EDH sera quant à elle saisie d’une allégation de contrariété à l’article 3 du renvoi d’un individu vers la Hongrie dans une requête X c. Belgique du 13 mai 1961[17]. Dans cette affaire, elle reconnaît tacitement qu’une telle contrariété pourrait être soulevée à l’encontre de l’article 3[18] avant d’en reconnaître expressément la possibilité dans une affaire X c. Belgique du 29 mai 1961[19], cela, sans pour autant en venir en l’espèce à une conclusion de violation. Toutefois, comme cela était annoncé précédemment, c’est à l’occasion de l’arrêt Soering c. Royaume-Uni[20] que la Cour EDH condamne pour la première fois un État sous l’article 3 en la matière. Par là-même, la Cour EDH avalise ainsi le raisonnement établi par la Commission EDH, au lieu de le remettre en cause comme le sollicitait pourtant le gouvernement du Royaume-Uni. Il est vrai que le raisonnement permettant d’examiner une mesure de renvoi au regard de l’article 3 CEDH soulève quelques difficultés. D’une part, ce n’est pas sur le sol de l’État mis en cause que le geste contraire à l’article 3 est craint, mais sur le sol d’un autre État, possiblement État tiers à la CEDH. D’autre part, n’est en cause qu’un risque de violation. Celle-ci est donc, en quelque sorte, virtuelle. Ces deux points étaient d’ailleurs ceux avancés par le Royaume-Uni afin de considérer qu’un tel raisonnement ne devait être accepté. Cependant, par une lecture combinée des exigences des articles 1 et 3 de la CEDH[21], la Cour EDH rejette ces arguments.

Tout en rappelant que « [l]’article 1 (art. 1), aux termes duquel “les Hautes Parties Contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au Titre I”, fixe une limite, notamment territoriale, au domaine de la Convention »[22], la Cour estime qu’en raison du caractère fondamental de l’article 3, un

État contractant se conduirait d’une manière incompatible avec les valeurs sous-jacentes à la Convention, ce « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » auquel se réfère le Préambule, s’il remettait consciemment un fugitif — pour odieux que puisse être le crime reproché — à un autre État où il existe des motifs sérieux de penser qu’un danger de torture menace l’intéressé. Malgré l’absence de mention expresse dans le texte bref et général de l’article 3 (art. 3), pareille extradition irait manifestement à l’encontre de l’esprit de ce dernier; aux yeux de la Cour, l’obligation implicite de ne pas extrader[23].

Bien que dès l’arrêt Soering, la Cour EDH ait mentionné que la possibilité d’un renvoi d’une personne vers un déni de justice puisse constituer une violation de la CEDH[24], il faudra attendre le 17 janvier 2012 pour qu’une telle situation soit reconnue à l’occasion de l’arrêt Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni[25]. Il s’agissait en l’espèce de la contrariété à l’article 6 CEDH du renvoi d’une personne vers la Jordanie, la condamnation de celle-ci ayant été prononcée dans cet État sur la base d’aveux obtenus sous la torture.

Dès lors, il est clair que la Cour EDH, sans remettre en cause le pouvoir des États d’éloigner des individus de leur territoire, ce qui aurait été bien difficile en raison de l’existence du pouvoir souverain des États en la matière, considère que l’exercice de celui-ci ne peut pour autant s’émanciper du respect des exigences de la CEDH. Il y a donc bien une protection qui est ainsi offerte à toute personne éloignée du territoire, que ce soit dans le cadre de mesures de coopération judiciaire ou de mise en oeuvre de politique d’immigration. Au-delà de la protection offerte, cette construction jurisprudentielle élaborée dans le cadre de la Convention (plus précisément sous l’article 3) va conduire à un véritable renforcement du principe de non-refoulement existant en droit international des réfugiés. Autrement dit, cette construction jurisprudentielle va, par sa spécificité, conduire à une protection accrue, dépassant celle élaborée par les États dans le cadre de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951[26], et conduire ainsi à l’émergence d’un véritable principe de non-refoulement en droit international des droits de la personne.

II. Une construction jurisprudentielle consacrant un principe de non-refoulement en droit international des droits de la personne

La jurisprudence élaborée par la Cour EDH, à la suite de la Commission EDH, reprise par l’ensemble des juridictions et quasi-juridictions internationales va, en effet, permettre l’élaboration et la consécration d’un principe de non-refoulement en droit international des droits de la personne, plus protecteur que celui établi par la Convention de Genève de 1951[27]. Il s’agit là probablement d’un des apports majeurs de la jurisprudence des organes de Strasbourg.

Ce principe, comme entendu par le droit international des réfugiés, est limité tant du point de vue ratione personae que du point de vue rationae materiae. Ratione personae, puisque l’article 1F[28] de la Convention de Genève exclut certaines catégories de personne de cette protection. Il s’agit d’auteurs de crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes graves de droit commun. Ratione personae, puisque l’article 33(1) établit une liste limitative des motifs de persécutions envisagés, le principe de non-refoulement ne pouvant trouver application que lorsque sont en cause des menaces en raison de « sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques »[29]. Si la notion de groupe social a permis un certain élargissement en incluant, par exemple, les persécutions en raison de l’orientation sexuelle ou les mariages forcés, il n’est pas moins indéniable que la nature des risques pouvant être pris en considération est limitée. Enfin, non seulement le principe est limité par des exclusions rationae personae et rationae materiae qui viennent d’être mentionnées, mais il s’agit également d’un principe qui n’est pas absolu. L’article 33(2) de la Convention relative au statut des réfugiés permet de déroger à ce principe de non-refoulement puisque la protection offerte face aux persécutions de l’article 33(1) peut être écartée par un État si l’individu en cause représente « un danger pour la sécurité du pays où il se trouve »[30], ou parce qu’il a fait « l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave »[31].

À l’inverse, la protection offerte par l’article 3 de la CEDH comme établie par la Cour EDH est supérieure. En premier lieu, elle l’est quant à sa portée. La protection offerte sous le couvert de l’article 3 est une protection qui est absolue. La Cour EDH est venue affirmer cela le 15 novembre 1996 dans un arrêt Chahal c. Royaume-Uni[32]. Il s’agissait en l’espèce d’une personne liée à des activités terroristes pour lesquelles le gouvernement britannique considérait qu’une mise en balance devait être effectuée entre les risques que cette personne subisse des traitements contraires à l’article 3 CEDH et les risques que pouvait faire peser son maintien sur le territoire du Royaume-Uni. La Cour EDH a considéré qu’une telle mise en balance n’était pas acceptable et qu’elle était interdite par le caractère absolu de l’article 3. Dès lors que celui-ci est un article indérogeable et qu’il offre une protection absolue, une mesure de renvoi qui ferait courir un risque au sens de l’article 3 est donc prohibée, et ce, de manière absolue. La Cour EDH viendra à diverses reprises préciser cette situation notamment dans les affaires Ahmed c. Autriche[33] et Saadi c. Italie[34]. Cette jurisprudence de la Cour EDH trouvera un appui certain avec la décision Furundzija[35] du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, celui-ci ayant considéré que la prohibition de la torture était une norme de droit impératif, une norme de jus cogens, rang que lui reconnaîtra également la Cour EDH dans l’affaire Al-Adsani[36] de 2001.

Outre le fait que la protection offerte sous l’article 3 ait un caractère absolu, celle-ci est, en bien des points, bien plus développée que celle offerte dans le cadre du droit international des réfugiés. En ce qui concerne l’origine du risque, non seulement est en cause un risque qui émane de l’État, mais ont été également acceptés des risques de violation dans le cadre d’États dits « déstructurés »[37], ainsi que des risques de violation de l’article 3 émanant de personnes privées.

Sans toutefois la reconnaître, la Commission EDH n’avait pas fermé la porte à une telle éventualité à l’occasion de la décision X c. Royaume-Uni de 1980[38]. La Cour EDH viendra considérer une telle éventualité, sans toutefois constater de violation, dans l’affaire HLR de 1997[39] dans laquelle il était question du renvoi vers la Colombie d’une personne qui était aux prises avec des trafiquants de drogue. C’est en 2002, dans une affaire Ammari c. Suède, qu’elle reconnaîtra une telle violation[40] à propos du renvoi vers l’Algérie d’un requérant qui risquait d’y subir des atteintes contraires à l’article 3 de la part du Groupe islamique armé. La Cour EDH fera également un constat de violation similaire dans l’affaire N c. Finlande de 2005 dans laquelle le requérant craignait des représailles en raison de ses agissements passés au sein de la Division spéciale présidentielle du président Mobutu[41]. Il convient cependant de noter que, dans ces cas de risques non étatiques, le fardeau de preuve est plus élevé. Non seulement la personne devra prouver l’existence d’un risque, mais elle devra également prouver que l’État vers lequel elle est renvoyée n’est pas en mesure de la protéger contre la perpétration éventuelle de cette violation par des personnes privées.

Par ailleurs, ont également été reconnus des risques dont il est difficile d’imputer la responsabilité à une personne ou à une autorité, et ce, en raison même de la nature du risque en question. Dès 1994, la Commission EDH, dans une affaire Tanko c. Finlande[42], bien que déclarant irrecevable la violation invoquée, n’a pas exclu que des problèmes médicaux qui seraient aggravés advenant le renvoi puissent soulever des questions au regard de l’article 3. Dans une affaire D c. Royaume-Uni[43], la Cour EDH a quant à elle constaté une telle violation à l’encontre d’une personne séropositive à un stade très avancé du sida. Elle a cependant pris soin de circonscrire cette interprétation aux circonstances très exceptionnelles de l’affaire. Ceci explique d’ailleurs probablement que dans bon nombre d’affaires subséquentes, elle se soit refusée à reconnaître à nouveau une telle violation[44], bien qu’elle ait récemment reconnu l’exigence d’une évaluation accrue d’un tel risque par l’État dans l’arrêt de la Grande Chambre Paposhvili c. Belgique de 2016, à propos d’un étranger dont l’état de santé était jugé vulnérable et qui n’aurait pas bénéficié de traitements adéquats s’il était éloigné en Géorgie[45].

La nature du risque a aussi fait l’objet de questionnements lorsqu’il s’est agi de renvois effectués vers des conditions d’extrême précarité[46]. Là, bien évidemment, est soulevée toute la question des droits sociaux et économiques qui ne sont certes pas pris en compte dans le cadre de la CEDH, mais auxquels la Cour EDH porte une attention particulière dans l’interprétation qu’elle fait de cette dernière. Toutefois, certes en dehors du contentieux de l’éloignement, la Commission EDH avait fermé la porte à une telle avenue dans une affaire Van Volsem c. Belgique[47] de 1990. Monsieur Pierre Imbert avait non sans raison remarqué qu’il était « vraiment aberrant de penser que si un châtiment corporel dans une école est considéré comme dégradant, il devrait pouvoir en être de même pour la situation de celui qui “vit” dans un bidonville? »[48]. Il est fort probable que les difficultés visant à faire reconnaître la contrariété à l’article 3 de conditions de vie d’une extrême précarité soient d’autant plus grandes si celles-ci s’inscrivent dans une affaire d’éloignement du territoire.

Le renvoi vers une sanction pénale a également fait l’objet de développements spécifiques, notamment en ce que celles-ci pourraient causer des dommages corporels. Dès l’affaire Tyrer c. Royaume-Uni[49], la Cour EDH avait reconnu que des châtiments corporels pouvaient aller à l’encontre de l’article 3 CEDH. En matière d’éloignement du territoire, la Cour EDH, dans une décision F c. Royaume-Uni, tout en considérant la requête irrecevable, a pris soin de préciser qu’une

expulsion by a Contracting State of an alien may give rise to an issue under Article 3 of the Convention, and hence engage the responsibility of that State under the Convention, where substantial grounds have been shown for believing that the person in question, if expelled, would face a real risk of being subjected to torture or to inhuman or degrading treatment or punishment in the receiving country [notre soulignement][50].

Par la suite, dans l’affaire Jabari c. Turquie[51], la Cour EDH est arrivée à un constat de violation alors qu’était en cause une peine de flagellation que la requérante encourait en raison d’un adultère. Un constat de violation de l’article 3 a également été prononcé pour une peine corporelle dans l’affaire Said c. Pays-Bas[52] où le requérant était un déserteur et risquait de subir, en raison de son renvoi vers l’Érythrée, « des expositions prolongées à de fortes températures, en passant par le ligotage des mains et des pieds dans des positions douloureuses »[53].

Outre les châtiments corporels, des interrogations ont été soulevées quant à la compatibilité avec l’article 3 de peines de privation de liberté incompressibles. Ainsi, dans l’affaire Nivette c. France de 2000[54], la Cour EDH a envisagé une telle possibilité bien qu’elle n’ait pas conclu à une violation en raison des assurances diplomatiques suffisantes qu’avait obtenues la France[55]. Toutefois, la Cour EDH semble être venue nuancer cela dans l’affaire Einhorn du 16 octobre 2001[56]. En effet, dans cette affaire, la Cour EDH s’est satisfaite de la possibilité pour le gouverneur de commuer la peine. Cette décision est quelque peu contestable, puisque le fait que le gouverneur puisse commuer une peine n’est pas en soi une voie de recours, mais seulement une prérogative discrétionnaire de ce dernier.

De manière plus éloquente, le renvoi vers le risque de la peine de mort est également entré en considération dans le cadre des traitements pouvant être contraires à l’article 3 CEDH. Dès le point de départ de cette construction jurisprudentielle, l’affaire Soering, était en cause un problème d’extradition vers les États-Unis où le requérant risquait d’être condamné à mort. Si la Cour EDH a considéré qu’il y aurait violation de l’article 3 advenant le renvoi, elle l’a fait sans pour autant considérer que le risque de peine de mort était un traitement inhumain et dégradant en soi. Elle a en effet estimé que c’était le maintien dans le couloir de la mort pendant de nombreuses années qui pouvait constituer un traitement inhumain et dégradant, mais non la peine en elle-même. À la suite de différents arrêts ayant trait à la peine capitale, la Cour EDH a finalement franchi le pas dans son arrêt Al Sadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, en considérant que la remise, par les troupes du Royaume-Uni à des soldats irakiens, d’un individu pouvant alors subir la peine de mort était contraire à l’article 3 de la CEDH.

La Cour EDH ne manquera pas de rappeler aux États que, dans le cadre de leur coopération internationale pour lutter contre l’immigration irrégulière, le caractère absolu de cette prohibition d’un renvoi vers un risque de traitement à l’article 3 de la CEDH s’impose également à eux. Elle l’a tout particulièrement fait à l’endroit des États de l’espace Schengen à l’occasion de son arrêt MSS c. Belgique et Grèce[57], alors qu’était en cause la coopération en matière d’asile au travers du Système de Dublin (à l’époque soumis au Règlement Dublin II[58]), en l’espèce entre la Belgique et la Grèce. Selon ce règlement, un État avait la possibilité de renvoyer, sans autre forme d’examen, un demandeur d’asile vers l’État de première entrée participant au système, afin que sa demande y soit examinée. Or, les conditions de détention des demandeurs en Grèce étaient déplorables et les déficiences dans le système de traitement des demandes d’asile dans cet État pouvaient laisser craindre un renvoi vers un risque de mauvais traitement contraire à l’article 3 CEDH. Dès lors, la Cour EDH a non seulement condamné la Grèce en raison des problèmes de son système de traitement des demandes d’asile et des conditions de détention des demandeurs, mais également et surtout la Belgique pour avoir, sans autre forme d’examen comme l’y autorisait le Règlement Dublin II, procédé à un renvoi vers une telle situation. Ce respect de la prohibition d’un renvoi vers un risque de traitement contraire à l’article 3 s’impose bien évidemment dans le cadre de la coopération internationale avec les États tiers. Ainsi, dans son arrêt Hirsi Jamaa[59], la Cour a condamné l’Italie pour le renvoi d’un requérant vers la Lybie conformément à divers accords qu’elle avait conclus avec cet État entre 2007 et 2009. Dans cet arrêt, la Cour EDH rappelle qu’elle a déjà reconnu :

que les États situés aux frontières extérieures de l’Union européenne rencontrent actuellement des difficultés considérables pour faire face à un flux croissant de migrants et de demandeurs d’asile. Elle ne saurait sous-estimer le poids et la pression que cette situation fait peser sur les pays concernés, d’autant plus lourds qu’elle s’inscrit dans un contexte de crise économique (MSS c Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 223, CEDH 2011). En particulier, elle est consciente des difficultés liées au phénomène des migrations maritimes, impliquant pour les États des complications supplémentaires dans le contrôle des frontières du sud de l’Europe[60].

Elle réaffirme sans la moindre nuance que « vu le caractère absolu des droits garantis par l’article 3, cela ne saurait exonérer un État de ses obligations au regard de cette disposition »[61].

Des lignes qui précèdent, il convient ainsi de conclure que la CEDH et ses organes de contrôle ont permis de développer une protection importante en matière de mesure d’éloignement, tout particulièrement en ce qui concerne celles faisant courir un risque de torture ou de traitements inhumains et dégradants, protection qui, comme il a été mentionné précédemment, fera école auprès d’autres juridictions ou quasi-juridictions, tout en étant conventionnellement consacrée.

Pourtant, il est pour le moins frappant de réaliser que, nonobstant le caractère apparemment très protecteur de cette jurisprudence, il est relativement difficile de la mettre en oeuvre. Ceci s’explique par la construction de cette protection, construction qui la rend extrêmement perméable aux préoccupations souveraines des États, notamment lorsqu’il est question de sécurité, d’immigration ou d’ordre public.

III. Une construction jurisprudentielle perméable aux préoccupations souveraines des États

Dès les débuts de cette construction jurisprudentielle, la Commission EDH a rapidement réaffirmé le pouvoir souverain des États en matière d’entrée sur le territoire, et ce, à la différence de ce qu’avaient pu faire les juridictions internes. En effet, il est surprenant que la Commission EDH éprouve la nécessité de faire un tel rappel alors que ce pouvoir souverain n’était nullement remis en cause. D’autant plus que, depuis la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, une tendance juridique internationale semblait aller dans le sens d’un encadrement normatif de ce pouvoir, ou tout au moins d’un rappel du respect d’un certain nombre d’exigences dans l’exercice d’un pouvoir jadis perçu comme total, absolu, pour ne finalement plus être considéré que comme discrétionnaire[62]. Pourtant, dans les toutes premières affaires d’éloignement du territoire, la Commission EDH ne fait absolument aucune référence au pouvoir souverain des États en matière d’entrée et de séjour sur le territoire, cela semblant acquis. Elle suit par là-même le raisonnement adopté par la Cour administrative fédérale allemande en 1956[63] selon lequel la garantie des droits en question, en l’espèce l’article 8, est une limite au pouvoir discrétionnaire de l’État. Ainsi, dans les trois premières affaires précédemment citées[64], il n’est fait absolument aucune référence au pouvoir souverain des États en la matière. Dès 1959, il semble toutefois s’opérer un changement dans la manière dont la Commission EDH pose la démonstration puisque le 30 juin de cette même année, dans une affaire X c. Suède[65], elle rappelle le pouvoir souverain des États en la matière, tout en précisant qu’en acceptant de ratifier la CEDH, ces derniers ont en parallèle accepté de restreindre ce pouvoir discrétionnaire. Cette réaffirmation du pouvoir des États semble poser clairement les termes d’un raisonnement : le principe est le pouvoir souverain des États, mais ce pouvoir peut être exceptionnellement limité en raison des exigences de la CEDH. D’ailleurs, la Commission EDH mettra l’accent sur cette exceptionnalité d’une contrariété à la Convention, dans une affaire X c. RFA du 15 décembre 1969, en indiquant que « l’expulsion d’un individu peut, dans certains cas exceptionnels, se révéler contraire à la Convention »[66]. Dès lors, non seulement la Commission EDH réaffirme expressis verbis l’indéniable, une compétence souveraine des États, mais elle précise dans le même élan que la limite à l’exercice de celle-ci est exceptionnelle.

Cette réaffirmation par la Commission EDH du pouvoir souverain des États en la matière peut surprendre, d’une part, parce qu’il n’était pas en l’espèce remis en cause par les juridictions internes, notamment allemandes. D’autre part, elle est, dans une certaine mesure, anachronique puisque, depuis la fin du XIXe siècle, au travers de sentences arbitrales[67], quelques exigences avaient été posées en droit international à l’exercice de telles prérogatives. Pourquoi une telle réaffirmation? Peut-être pour ménager les États. Peut-être parce que, quelques années auparavant, lors de l’élaboration de la Convention relative au statut des réfugiés, les États s’étaient réservé une marge de manoeuvre quant au principe de non-refoulement qu’elle garantissait. Cependant, quand bien même cette réaffirmation ne serait que pour ménager les États, elle n’est pas sans conséquences juridiques majeures, puisqu’elle renverse l’ordre des priorités. En effet, dans le raisonnement posé par la Commission EDH, le principe est le pouvoir souverain des États et, exceptionnellement, la limite à ce pouvoir en raison du respect de certaines dispositions de la CEDH. Il y a donc bien un renversement de l’ordre des priorités puisque, traditionnellement, en droit international des droits de la personne, le principe est le respect du droit et l’exception, l’atteinte dérogatoire à ce droit pour des raisons dûment justifiées.

Sous l’article 8 CEDH, la conséquence immédiate est en quelque sorte une inversion des priorités prévues par les paragraphes 1 et 2 de celui-ci. Traditionnellement, le respect de la vie privée et de la vie familiale est le principe, tandis que l’ingérence en est l’exception, si celle-ci est justifiée. Autrement dit, même s’il y a une ingérence dans la vie privée ou familiale de la personne éloignée, puisque le principe est le pouvoir souverain des États en la matière, il sera extrêmement difficile d’aller par la suite démontrer qu’une telle ingérence n’est pas justifiée au regard du paragraphe 2. Cette inversion caractérisée des paragraphes de l’article 8 a déjà été mise en évidence[68].

Cependant, cette réaffirmation du pouvoir souverain des États en matière d’éloignement du territoire ne sera pas sans conséquence sur la protection offerte par l’article 3, droit pourtant indérogeable, celle-ci devenant par là-même plus perméable aux préoccupations souveraines des États.

Ceci peut être constaté, premièrement, dans les exigences quant à la démonstration en matière d’individualisation du risque. En effet, bien que celui-ci ne soit pas propre au principe de non-refoulement en droit international des droits de la personne, puisqu’il est également une exigence du droit international des réfugiés, il semble que dans la construction jurisprudentielle dont il vient d’être fait état, celui-ci en augmente bien davantage les exigences. L’exigence d’individualisation du risque vise à refuser le risque catégoriel et, par conséquent, la personne doit donc démontrer qu’elle est directement et personnellement touchée par le risque. Toutefois, l’individualisation du risque semble cependant poussée plus loin par les organes de Strasbourg, et ce, probablement en raison de la volonté de respecter cette compétence souveraine des États en matière migratoire. Ainsi, dès l’affaire Soering, la Cour EDH mentionne dans son arrêt son souhait d’éviter des « répercussions trop lointaines »[69] concernant le risque, ce qui entamerait trop fortement la compétence de l’État. Autrement dit, c’est la volonté d’éviter le risque catégoriel, puisque celui-ci ne laisserait pas d’autres choix à l’État que de renoncer à l’éloignement en le privant de son pouvoir et l’obligeant alors systématiquement à ne pas prononcer d’éloignement à l’encontre de personnes qui appartiendraient à telle ou telle catégorie. Cependant, comme il vient d’être mentionné, la Cour EDH va pousser le raisonnement très loin, notamment dans une affaire Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni[70] dans laquelle il était question de jeunes Tamouls renvoyés vers le Sri Lanka. Si la Cour EDH a reconnu l’instabilité de la situation dans le pays et que certains des requérants avaient déjà subi des mauvais traitements dans le pays vers lequel on entendait les renvoyer, elle va toutefois estimer que les requérants « n’établissent pas que la situation personnelle des intéressés fût pire que celle de la généralité des membres de la communauté tamoule ou des autres jeunes Tamouls de sexe masculin qui regagnaient leur pays »[71]. Ils n’avaient donc pas suffisamment démontré la particularité de leur situation personnelle. Dès lors, il semble que ces exigences fortement liées à la nécessité d’individualiser le risque ont été poussées à l’extrême pour ménager la compétence de l’État en la matière et éviter de lui imposer un fardeau de preuve trop important. De la même façon, dans l’affaire HLR de 1997[72], la Grande Chambre de la Cour EDH a considéré « [qu]’aucun document n’étay[ait] l’allégation selon laquelle la situation personnelle de l’intéressé serait pire, en cas de renvoi, que celle des autres Colombiens »[73]. D’ailleurs, cette dernière affaire provoquera la dissidence de six juges, notamment celle du juge Pekkanen suivie par trois autres membres de la Cour EDH, dans laquelle il a considéré qu’il s’agissait en la matière d’une « charge irréaliste »[74]. Cette exigence poussée de l’individualisation du risque paraît pourtant difficilement conciliable avec le caractère absolu de l’article 3 de la CEDH. En effet, non seulement le requérant doit prouver l’existence d’un risque sérieux de subir des actes de torture ou des mauvais traitements, mais il lui faudra également établir que ce risque est plus élevé pour lui que pour d’autres personnes dans la même situation.

Cette réaffirmation du pouvoir souverain des États pose, deuxièmement, des problèmes quant au moment d’appréciation du risque. En effet, le principe étant le respect de la souveraineté de l’État en matière d’entrée et de sortie du territoire, ce n’est donc pas la décision d’éloigner qui est en cause, mais l’exécution de ladite décision. Dès lors, si la décision est exécutée, le risque est évalué au moment de l’exécution de la mesure. Dans ce cas, la Cour EDH ne tient pas alors compte des éléments ultérieurs malheureux qui auraient pu survenir, considérant que « [p]our contrôler l’existence de ce risque, il faut donc se référer par priorité aux circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’expulsion »[75]. En revanche, si la décision n’a pas encore été exécutée, la Cour EDH procède à l’examen du risque au moment où elle entendra l’affaire. Ainsi, elle prendra en compte tout élément de preuve qui serait survenu entre la décision d’éloigner et le moment où elle statue. Il est alors tout à fait possible d’imaginer que, nonobstant l’existence de risques avérés de mauvais traitements, voire de torture, la décision d’éloigner ait quand même été prise, mais que le temps passant (généralement en raison de la saisine de la Cour EDH), les conditions redoutées dans le pays de renvoi se soient améliorées. En somme, cela signifie que la décision prise aurait pu contrevenir à l’article 3 si elle avait été exécutée immédiatement. Dès lors, il est permis de s’interroger sur la compatibilité de cette situation aux exigences de l’article 1 de la CEDH. En effet, comme le mentionne Me Nuala Mole :

Cette thèse pourrait ne pas être entièrement compatible avec l’obligation énoncée dans l’article 1 de « reconnaître » les droits garantis par la Convention dans le droit et la pratique internes, car il est clair que les personnes concernées auraient été expulsées (et, partant, comme on est en droit de le supposer, se seraient vues infliger des mauvais traitements) si les organes créés en vertu de la Convention n’étaient pas intervenus. Il est difficile de soutenir que l’État s’est acquitté de l’obligation qui lui incombe de « reconnaître » la protection au niveau national d’un droit absolu accordé à une personne vulnérable lorsque seul un recours devant la Cour de Strasbourg permet d’éviter une expulsion pourtant interdite en termes absolus[76].

Autrement dit, au moment de la prise de décision, l’État est visiblement en contrariété avec ses obligations et ce n’est que la décision du requérant d’introduire une requête auprès de la Cour EDH qui va permettre finalement à l’État de ne plus être, par le passage du temps, en violation de ces obligations. Ceci n’est cependant pas sanctionné, puisque la Cour EDH, respectueuse du pouvoir souverain des États en la matière, n’examine pas la décision d’éloigner à proprement parler, mais seulement sa mise en oeuvre.

Le troisième problème, plus préoccupant, dû à la réaffirmation du pouvoir souverain dans ce contexte, réside dans la tentative constante de certains États d’obtenir de la Cour EDH qu’elle n’effectue pas une mise en balance entre les risques encourus par la personne advenant son renvoi et les risques que présente son maintien sur le territoire pour l’État. Or, cette mise en balance, si elle peut s’effectuer pour des droits dérogeables, ne peut en aucune manière l’être lorsqu’il s’agit de droits indérogeables tel que l’article 3, la Cour EDH l’ayant clairement expliquée dès l’affaire Chahal c. Royaume-Uni[77], comme il a été antérieurement précisé. Bien que le Royaume-Uni soit intervenu de manière assez systématique dans des affaires afin d’essayer d’obtenir un tel revirement de jurisprudence de la Cour[78], celle-ci n’a jusqu’ici jamais accepté une telle remise en cause. Toutefois, son arrêt N c. Royaume-Uni de 2008 soulève quelques inquiétudes que n’ont pas manqué de souligner les juges dissidents de l’affaire[79]. En l’espèce, il s’agissait d’une affaire similaire à celle de l’arrêt D c. Royaume-Uni[80], à savoir le renvoi d’une personne séropositive qui était sous traitement de trithérapie. Le risque qui était évoqué n’était cependant plus une absence de soins, mais un problème d’accès aux soins. Toutefois, si la Cour EDH a conclu à l’absence de violation considérant que l’affaire ne présentait pas le caractère très exceptionnel de l’affaire D c Royaume-Uni[81], les commentaires qu’elle a faits dans l’arrêt peuvent soulever quelques inquiétudes puisqu’elle évoque une mise en balance sous l’article 3. Revenant de manière surprenante sur des points de l’arrêt Soering, la Cour EDH juge en effet que « le souci d’assurer un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu est inhérent à l’ensemble de la Convention »[82]. Ce renvoi au paragraphe 89 de l’arrêt Soering est pour le moins déstabilisant, car la Cour EDH avait bien pris soin de préciser « [qu’] on ne saurait en déduire qu’il est tant soit peu possible de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoqués pour l’expulsion afin de déterminer si la responsabilité de l’État est engagée sur le terrain de l’article 3 »[83]. Cette relecture discutable de sa jurisprudence ne manquera pas d’être critiquée par certains juges de la Cour EDH, dissidents dans cette affaire, qui mentionnent que :

Même si des « tentations proportionnalistes », sévèrement critiquées par la doctrine, ont existé auparavant et, notamment, dans la jurisprudence de l’ancienne Commission, l’exercice de mise en balance a été clairement rejeté, s’agissant de l’article 3, dans l’arrêt que la Cour a récemment adopté dans l’affaire Saadi c Italie (28 février 2008) — où elle confirme la teneur de l’arrêt Chahal c Royaume-Uni du 15 novembre 1996[84].

Or, nonobstant le fait que le constat de non-violation de l’article 3 repose sur l’absence de circonstances exceptionnelles au sens de la jurisprudence D c. Royaume-Uni[85], il est possible de se demander si la Cour EDH n’a pas, en l’espèce, été sensible à ces « tentations proportionnalistes ». Ainsi, après avoir constaté qu’il pouvait y avoir des différences entre la situation médicale et économique entre l’État partie et le pays de renvoi, la Cour EDH n’en considère pas moins que si, « compte tenu de l’importance fondamentale que revêt l’article 3 dans le système de la Convention, [elle] doit continuer de se ménager une certaine souplesse afin d’empêcher l’expulsion dans des cas très exceptionnels, l’article 3 ne fait pas obligation à l’État contractant de pallier lesdites disparités en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire »[86]. La majorité de la Cour EDH n’a pas hésité à affirmer à l’appui de ceci que « [c]onclure le contraire ferait peser une charge trop lourde sur les États contractants »[87].

Bien évidemment, la Cour EDH ne conclut pas à l’absence de violation à proprement parler à la suite d’une mise en balance entre le droit de la requérante et l’intérêt général. Toutefois, si la juridiction considère qu’il n’y a pas violation de l’article 3 CEDH parce que les circonstances très exceptionnelles de l’affaire D c. Royaume-Uni[88] ne sont pas réunies, ce n’est qu’à l’issue d’un raisonnement dans lequel une mise en balance, dénoncée par les juges dissidents, a bien eu lieu entre le risque encouru et l’importance des coûts pour le système de santé de l’État. Cette mise en balance est donc effectuée indirectement voire insidieusement. Ce raisonnement de la Cour EDH ne doit toutefois pas être détaché des spécificités de l’affaire, mais, face aux tentatives de certains États d’obtenir de la Cour EDH une mise en balance des risques dans le cadre des mesures d’éloignement, il n’en demeure pas moins regrettable. Comme nous l’avons déjà écrit[89], il apparaît difficile d’expliquer que si certaines nuances semblent envisageables pour des raisons d’équilibre budgétaire, elles ne le sont plus lorsque seraient en jeu des conditions de sécurité nationale.

Ce risque de perméabilité de la jurisprudence de la Cour EDH aux défis sécuritaires que rencontrent les États, notamment en matière de gestion des frontières, et plus généralement en matière de lutte contre l’immigration irrégulière, est loin de pouvoir être écarté. La Cour, non sans raison, a reconnu en diverses occasions

que les États situés aux frontières extérieures de l’Union européenne rencontrent actuellement des difficultés considérables pour faire face à un flux croissant de migrants et de demandeurs d’asile. Elle ne saurait sous-estimer le poids et la pression que cette situation fait peser sur les pays concernés, d’autant plus lourds qu’elle s’inscrit dans un contexte de crise économique (MSS c Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 223, CEDH 2011). En particulier, elle est consciente des difficultés liées au phénomène des migrations maritimes, impliquant pour les États des complications supplémentaires dans le contrôle des frontières du sud de l’Europe[90].

Cette reconnaissance ne l’empêche néanmoins pas de souligner que « vu le caractère absolu des droits garantis par l’article 3, cela ne saurait exonérer un État de ses obligations au regard de cette disposition »[91]. La Cour EDH ne manque pas de réitérer cette interprétation à l’occasion d’une de ses dernières affaires en la matière : ND et NT c. Espagne[92]. Cependant, dans cet arrêt de la Grande Chambre, celle-ci semble se livrer à une tentative de conciliation entre, d’une part, les défis croissants auxquels les États européens, notamment du Sud, sont confrontés dans la gestion de leurs frontières, tout particulièrement dans le contexte contemporain de pression migratoire, et d’autre part, le respect des exigences de la CEDH. Or, bien que cet exercice de conciliation rappelle certains éléments aux États, il est loin de tout reproche tant l’équilibre qu’il semble guider est incertain ou peu satisfaisant.

En l’espèce, deux requérants, originaires d’Afrique subsaharienne, l’un malien l’autre ivoirien, avaient participé en 2014 à une tentative d’entrée dans l’enclave espagnole de Melilla au Maroc. Demeurés coincés au sommet d’une des clôtures de l’enclave, ils avaient accepté d’en descendre et avaient été immédiatement remis aux autorités marocaines par les agents de la Guardia civil[93]. À la suite de différentes procédures, ces derniers ont saisi la Cour EDH notamment pour violation des articles 3 CEDH et 4 du Protocole n° 4. Bien qu’un premier arrêt rendu en Chambre ait établi qu’il y avait violation de l’article 4 du Protocole n° 4[94], la Grande Chambre, saisie par le gouvernement espagnol, a finalement conclu à l’inverse.

Cet article, prohibant les expulsions collectives, est d’une importance fondamentale, car l’examen individualisé de la situation de la personne frappée de la mesure d’éloignement qu’il implique peut s’avérer indispensable pour établir que ladite mesure n’entraîne une violation de la Convention, notamment de son article 3. Ainsi, la Cour EDH viendra sanctionner dans différentes affaires les renvois systématiques, dits « à chaud », sans examens individualisés, généralement effectués sur le fondement d’accords entre États. Tel sera le cas dans l’affaire Hirsi Jamaa précitée[95], dans laquelle les autorités italiennes avaient renvoyé en Lybie des migrants interceptés en mer, ou dans l’affaire Sharifi[96], dans laquelle ces mêmes autorités italiennes avaient immédiatement renvoyé en Grèce des immigrants arrivés par mer. Cependant, dans l’affaire Khlaifia, la Grande Chambre a considéré qu’il n’y avait pas violation de l’article 4 du Protocole n° 4, renversant par là-même l’arrêt de la Chambre, puisqu’elle doutait « de l’utilité d’un entretien individuel dans le cas d’espèce »[97]. Pour la Grande Chambre, « les requérants ont été identifiés à deux reprises, leur nationalité a été établie, et ils ont eu une possibilité réelle et effective d’invoquer les arguments s’opposant à leur expulsion »[98]. Ainsi, la Grande Chambre ne semble plus considérer comme indispensable un entretien individuel, et ce, contrairement à la Chambre qui avait estimé que le gouvernement n’avait « produit aucun document susceptible de prouver que des entretiens individuels portant sur la situation spécifique de chaque requérant auraient eu lieu avant l’adoption de ces décrets; un grand nombre de personnes de même origine a connu, à l’époque des faits incriminés, le même sort des requérants »[99], ce qui l’avait amenée à conclure que cela lui suffisait « pour exclure l’existence de garanties suffisantes d’une prise en compte réelle et différenciée de la situation individuelle de chacune des personnes concernées »[100].

Ainsi, dans une certaine mesure, les conclusions de la Grande Chambre dans l’affaire ND et NT c Espagne s’inscrivent dans le prolongement de ces affaires. Celle-ci y réitère ses précédentes conclusions, à l’effet que « l’article 4 du Protocole n° 4 ne garantit pas en toute circonstance le droit à un entretien individuel »[101]. Toutefois, ce développement ou prolongement jurisprudentiel constitue également la reconnaissance que les mesures de renvoi immédiates et systématiques ne contreviennent pas aux exigences de l’article 4 du Protocole n° 4, dès lors que sont par ailleurs offertes des voies d’accès réelles et effectives au territoire l’État partie afin de déposer une demande de protection internationale[102]. En l’espèce, la Cour EDH considère que de telles voies existaient à Mellila, notamment au poste de Beni-Enzar.

Une perspective optimiste serait de considérer que, dorénavant, non seulement les États parties doivent s’abstenir de renvoyer une personne vers un risque de traitement contraire à l’article 3 CEDH, mais qu’ils doivent de surcroît veiller à l’existence de voies d’accès réelles et effectives ainsi qu’à des possibilités d’entrée régulière en vue de faire examiner l’existence d’un tel risque. Néanmoins, une perspective réaliste doit s’imposer face aux préoccupations que peut soulever cette affaire. Certes, il faut se féliciter que la Cour EDH ait résisté à cette nouvelle tentative des États, en l’occurrence l’Espagne et les États tiers intervenants (Belgique, France et Italie), de limiter l’étendue de leur juridiction et, corollairement, les obligations qui en découlent au regard de la CEDH. La Cour EDH a ainsi rejeté les arguments visant à jouer sur la distinction entre les interceptions en mer et celles effectuées à la frontière terrestre, ou encore la différence qu’il y aurait à faire entre expulsion et non-admission[103]. Cela dit, il est permis de se demander si ce dernier épisode jurisprudentiel n’a pas, par trop, intériorisé les difficultés contemporaines des États en matière de lutte contre l’immigration irrégulière qui se manifestent par des mouvements massifs de populations, dont certains peuvent donner lieu à des actes de désespoir comme de violence.

D’une part, ce recours à l’existence de voies d’accès légales afin de considérer des renvois « à chaud » conforme aux exigences l’article 4 du Protocole n° 4 est discutable. Ce dernier et l’article 3 ne sont-ils pas les deux faces d’une même pièce? L’un ne permet-il pas de s’assurer que l’autre ne sera pas violé? Dès lors, ces droits ne devraient-ils pas faire l’objet d’une égale attention quant aux exigences qu’ils impliquent, puisque l’un permet d’accéder à l’autre? Comme le note Luc Leboeuf : « La Cour concevant le premier comme une passerelle vers le second, il y a une certaine incohérence à en déduire des garanties moins élevées. Donner un contenu moins important à un droit permettant d’accéder à un autre droit implique le risque d’admettre, au final, une diminution des garanties découlant de cet autre droit »[104].

D’autre part, si les États peuvent éviter de voir considérer comme des expulsions collectives des renvois immédiats en raison de tentatives d’entrées irrégulières en masse, en s’assurant d’offrir des possibilités d’entrée régulière afin de demander la protection de l’article 4 du Protocole n° 4, il est étonnant que la Cour EDH ne se soit pas montrée plus exigeante quant à leur effectivité. En effet, bien que différents intervenants s’y réfèrent et qu’elle le mentionne, la Cour EDH ne semble pas s’arrêter au rapport du représentant du Secrétaire général sur les migrations et les réfugiés. Ce rapport indique en effet que les personnes provenant d’Afrique subsaharienne sont en fait empêchées de se présenter aux postes-frontière, notamment celui de Beni-Enzar; ceux-ci se tournent alors vers des moyens irréguliers[105]. La Cour EDH estime pourtant à cet égard que « les différents rapports soumis sur cette question, en particulier par le HCR et par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, n’apportent pas d’éclairage déterminant sur les raisons et les circonstances factuelles qui sous-tendent ces allégations »[106]. L’analyse de la Cour EDH apparaît donc très légaliste, soulignant les possibilités offertes aux requérants par le droit espagnol, les postes-frontière de l’enclave et les représentations diplomatiques et consulaires dans les pays d’origine ou de transit. Cette analyse légaliste semble quelque peu en décalage avec la réalité de terrain des personnes recherchant protection, confrontées à la volonté des États européens d’externaliser autant que faire se peut les contrôles migratoires, passant à cette fin des accords avec les États tiers; autrement dit, de tout faire afin d’éviter que ces personnes se retrouvent directement sous leur juridiction.

En ce qui concerne ce dernier point, il est possible de se demander si la Cour EDH ne s’est pas placée en fâcheuse position. Cette dernière a toujours été attentive, y compris dans l’affaire ND et NT c. Espagne[107], à contrecarrer les tentatives des États visant à exclure de leur juridiction des migrants irréguliers, et incidemment la protection de la Convention. Or, en nuançant, pour ne pas dire limitant, ainsi les garanties offertes par l’article 4 du Protocole n° 4 en raison de l’existence de voie d’accès à des points d’entrée régulière, l’analyse de la Cour EDH ne conduit-elle pas de facto à limiter la portée de cette jurisprudence quant à la juridiction des États en la matière? Ces derniers peuvent dorénavant se limiter à effectuer les examens individuels à de tels points d’entrée, et en dehors de ceux-ci, échapper à la sanction de la Cour EDH en cas de renvois « à chaud ». Il serait donc souhaitable que celle-ci renforce son contrôle relativement à l’effectivité de telles voies d’accès. Ne serait-il d’ailleurs pas opportun d’opérer un renversement de la charge de la preuve? Ainsi, en cas d’expulsion immédiate due à une tentative massive d’entrée irrégulière sur le territoire, il reviendrait à l’État de faire la preuve de l’existence de telles voies d’accès. Il serait également possible d’exiger que celui-ci démontre qu’il veille à ce que ces voies d’accès soient réellement accessibles, notamment dans le cadre de la collaboration qu’il entretient avec l’État tiers. Cela éviterait de se retrouver dans la situation où, alors que différents intervenants et rapports émettent de sérieux doutes quant à la réelle accessibilité de ces voies d’accès aux personnes d’Afrique subsaharienne, la Cour EDH ne constate qu’aucun « ne laisse entendre que le gouvernement espagnol serait d’une quelconque manière responsable de cet état de fait »[108]. Considérant les spécificités contemporaines de lutte contre l’immigration irrégulière, et le fait que celle-ci fasse souvent l’objet de coopération internationale, notamment de nature informelle, ce fardeau de preuve semble difficilement atteignable pour le requérant. Dans cet arrêt, s’il semble difficile de remettre en cause le fait que la Cour EDH se soit montrée attentive aux défis contemporains auxquels se trouvent confrontés les États face aux mouvements massifs de population, il est également permis de se demander si ce développement jurisprudentiel relatif à l’article 4 du Protocole n° 4 ne la place pas, là encore, en terrain glissant.

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Cette construction jurisprudentielle élaborée face aux mesures d’éloignement du territoire est probablement l’une des réalisations majeures des organes de contrôle de la CEDH. Elle a d’ailleurs été reprise par les autres juridictions et quasi-juridictions internationales de protection des droits de la personne et a même été en partie conventionnalisée par les États à travers la Convention contre la torture, ou encore dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il n’en demeure pas moins que si cette protection est fondamentale et essentielle, elle reste difficile à mettre en oeuvre, les exigences de cette dernière étant très élevées. Par ailleurs, si le respect du pouvoir souverain des États en la matière est non seulement légitime, mais également nécessaire, le fait d’en avoir fait un élément de cette construction rend celle-ci perméable aux préoccupations des États, et ce, a fortiori à une époque où la lutte contre l’immigration clandestine et la lutte contre le terrorisme et la criminalité internationale sont une de leurs priorités.