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Introduction

Les universités ont été l’objet d’une lente et longue évolution au cours de l’histoire. Clark (1983) considère même que les universités sont les plus traditionnelles des institutions, mais paradoxalement, elles sont responsables des plus importants changements survenus dans la société. Néanmoins, ces dernières années, le problème de gouvernance des universités a fait l’objet de beaucoup de débats dans l’agenda de la recherche (Capano & Regini, 2014). En cette époque contemporaine (depuis les années 1970), marquée par l’évolution de la technologie et l’explosion des effectifs étudiants (Mercier, 2012), les universités sont confrontées à de multiples changements. Outre ces constats, il faut aussi prendre en compte le fait que les universités publiques ont toujours été largement tributaires du financement étatique. Toutefois, dès les années 1980, l’on a dû se rendre à l’évidence que la recherche et l’enseignement supérieur étaient déstabilisés par la baisse des investissements publics malgré l’accroissement de l’effectif estudiantin. Les universités ont alors adopté une logique managériale de marché afin de continuer à fonctionner (Gingras & Roy, 2012) et à répondre aux exigences des bailleurs de fonds. Ces vagues de changements successives vécues par celles-ci affectent la gestion de ces institutions séculaires, et notamment celles des ressources humaines (Mercier, 2012).

En Afrique, héritées du modèle colonial, les universités publiques souffrent de divers dysfonctionnements (Sall & Njdaye, 2007). Pourtant, rares sont les travaux au sujet de la réalité africaine concernant l’enseignement supérieur (Arbachi, 2018) et les problématiques traitées font une distinction entre le milieu francophone et le milieu anglophone.

En Afrique francophone, les travaux en matière de gouvernance universitaire portent principalement sur l’évaluation des réformes amorcées au milieu des années 1990 afin de faire face aux diverses crises de l’enseignement supérieur (Martin, 2012). L’on y apprend que les réformes couronnées de succès sont liées à la multiplication des offres de formation à vocation professionnelle et répondent aux besoins locaux tandis que les réformes en GRH et financières n’ont pas été efficaces, puisque liées au manque d’adhésion des acteurs internes et au dysfonctionnement des règles bureaucratiques (Martin, 2012). En fait, Sall et Nidaye (2007) pointent principalement la rigidité de ces règles.

En Afrique anglophone, les travaux s’intéressent tant aux problématiques de la qualité de l’enseignement et à la fuite des cerveaux en Occident (Charlier & Croché, 2009) qu’à la mise en place d’un système d’enseignement supérieur équitable, participatif et inclusif à l’égard des différentes couches sociales, afin de contrer le racisme (Kulati, 2000). D’autres travaux, tels ceux d’Abugre (2018), abordent le problème de gouvernance universitaire en Afrique anglophone sous deux angles : la faible capacité de la structure d’accueil et les politiques institutionnelles.

Différents contextes influencent la GRH des universités publiques malgaches qui ont besoin d’innovations pour être à la hauteur de leur mission d’éducation et de recherche. L’objectif de ce texte est d’entamer une réflexion sur la gouvernance et la GRH dans une perspective d’améliorer, voire d’enraciner les institutions d’études supérieures publiques malgaches dans le 21e siècle, dans un contexte universitaire devant composer avec une économie mondialisée et l’actuelle pandémie mondiale[1].

À partir d’un état des lieux et en lien avec la thématique de la revue, nous posons la question : comment le service de la GRH dans le système universitaire public malgache pourrait-il innover afin de positionner favorablement l’enseignement supérieur malgache au 21e siècle? Découlant de nos entrevues préliminaires et de la revue de littérature menée à ce jour, nous proposerons deux pistes de réflexion contextualisées et adaptées à ce milieu devant composer avec un contexte de gouvernance bureaucratique dysfonctionnel et manquant de moyens.

L’article comprend trois parties : la problématique et la perspective analytique; l’opérationnalisation de la démarche et la discussion, laquelle inclut deux propositions. Nous concluons que la bureaucratie dysfonctionnelle est présentement le pire obstacle à enrayer et que la méthode de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences serait l’un des moyens à privilégier afin de prétendre à une université du 21e siècle.

1. Problématique et cadre analytique

Dans cette première partie, nous présentons d’abord le contexte malgache dans lequel les institutions d’enseignement supérieur public malgaches (IESPM) évoluent. Sont ensuite présentés, dans l’ordre, les concepts de gouvernance universitaire, de bureaucratie « dysfonctionnelle » et d’innovation, lesquels ont servi à faire progresser notre réflexion théorique et à tracer la cartographie de la situation en ce qui regarde la gouvernance et la GRH au sein des institutions d’enseignement supérieur malgaches.

1.1 Le contexte malgache

Tout comme pour l’Afrique en général, rares sont les travaux réalisés au sujet de la gouvernance universitaire à Madagascar. Lors de nos recherches documentaires sur EBSCO, CAIRN et Érudit, nous avons trouvé un seul article abordant de manière intégrale et directe des problématiques de gouvernance universitaire à Madagascar. Il s’agit d’une étude de Harimino et al. (2018). L’article traite de la difficile conciliation des règles managériales provenant du New Public Management et des « pratiques bureaucratiques institutionnalisées par le Old Public Management » (paragr. 2) à travers l’étude d’un cas : l’Institut national des sciences comptables et de l’administration d’entreprises (INSCAE). Il s’agit ici d’un établissement d’enseignement supérieur public malgache très autonome financièrement. Les auteurs ont remarqué que les règles bureaucratiques concernant la gestion des fonds du secteur public constituaient une entrave à la gestion efficace de ses ressources. D’autres articles abordent le sujet de l’éducation en général, en survolant le problème de gouvernance universitaire à Madagascar. Ce genre de textes utilise aussi comme référence les textes administratifs. Toutefois, l’analyse se concentre sur les problématiques liées à l’éducation de base (primaire) et au secondaire.

Concernant le cas malgache, le rapport Audit du système de l’enseignement supérieur à Madagascar (Iniesta & Lacroix, n.d.) souligne que, depuis le début des années 2000, les institutions d’enseignement supérieur public subissent aussi divers défis de gestion et plusieurs de ceux-ci relèvent de la GRH. En 2014, le rapport de la banque mondiale indique que les universités publiques malgaches sont en manque de professeurs et de professeures. Il s’ensuit que la majeure partie des activités d’enseignement est assurée par des chargés de cours faiblement rémunérés et précaires.

En 2016, le corps professoral des IESPM comptait 1623 professeurs et plus de 2200 chargés de cours pour 89 852 étudiants (Ministère de l’Enseignement Supérieure et de la Recherche Scientifique de Madagascar, 2016). En apparence, les effectifs des professeurs et des chargés de cours semblent satisfaisants en matière de ratio par étudiant. Cependant, comme on le signalait déjà en 2014, cette situation cache des problèmes bien plus profonds : l’insuffisance de professeurs gradués du troisième cycle dans plusieurs disciplines et des chargés de cours qui ne font que passer (catégorie d’emploi très volatile) (Banque mondiale, 2014). Pour résoudre ce problème d’effectif, les membres du corps professoral doivent réaliser des heures complémentaires[2] tant pour assurer la prestation de cours que l’encadrement de mémoires (décret no 2005-098).

Le système d’enseignement supérieur public malgache est tributaire d’un État bureaucratique dysfonctionnel qui manque de moyens (Banque mondiale, 2014). Les années 2000 sont marquées par les grèves répétitives des professeurs. Ces grèves sont en réponse à l’irrégularité du paiement des heures complémentaires travaillées. La rémunération de ces heures peut être étalée sur deux ou trois années, voire plus (Banque mondiale, 2014). Concernant les chargés de cours, les universités connaissent des difficultés à les retenir et le paiement de leurs prestations se fait au rythme des contraintes budgétaires du pouvoir central (Banque mondiale, 2014).

Les universités publiques malgaches sont régies par une multitude de textes de loi et de règlements, mais seuls ceux ayant des liens directs avec la problématique sont abordés dans les lignes qui suivent. L’organisation et le fonctionnement des IESPM sont régulés par le décret no 2002-565[3]. Ce décret stipule que les universités publiques sont des établissements[4] publics à caractère administratif sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et du ministère de la Finance et du Budget. Découlant de leur statut d’établissements publics à caractère administratif, les IESPM sont également soumises au décret no 2005-003[5] en matière de comptabilité et d’exécution budgétaire. Le corps professoral est assujetti à la loi no 95-023[6] et la loi 2003-008 qui détermine le statut des enseignants et des chercheurs et le décret no 81-065[7] détermine leur cheminement de carrière suivant leur grade et leur ancienneté. Les professeurs des universités publiques également considérés comme des fonctionnaires sont soumis à la loi no 2003-011 – adoptée en septembre 2003 –portant sur le statut général des fonctionnaires. Cette loi définit les règles de base applicables à tous les agents de l’État malgache. Quant aux chargés de cours, la gestion de leur contrat se fait au gré de chaque direction universitaire; il n’existe aucun texte de loi à leur sujet.

Bref, les universités publiques malgaches administrées selon le modèle de gouvernance étatique fonctionnent avec une multitude de règles prédéfinies. Ces règles bureaucratiques « dysfonctionnelles », parce que trop souvent contradictoires, ont une influence importante sur la gouvernance universitaire sous contrôle de l’État, et notamment sur la gestion des ressources professorales des IESPM.

1.2 La gouvernance universitaire

Le concept de gouvernance universitaire permet de faire une représentation du modèle de contrôle, du mode de coordination et de l’équilibre du pouvoir qui se pratiquent dans les institutions d’enseignement supérieur (Olsen, 2007). Dans la littérature, il existe une multitude de modes de gouvernance universitaire (Dobbins et al., 2011), mais dans le cadre de cet article, c’est le triangle de coordination[8] de Clark (1983) que nous mobilisons. Selon ce chercheur (1983), la gouvernance universitaire peut être classée en trois modèles aux frontières poreuses : le modèle sous le contrôle de l’État, le modèle humboldtien sous le contrôle du corps académique et le modèle anglo-américain orienté vers le marché.

Chaque modèle est défini par un jeu de pouvoir entre les acteurs en matière de liberté académique, d’autonomie institutionnelle, de collégialité et d’allocation de ressources (Lucier, 2007). Aucun des trois modèles de gouvernance universitaire n’est observé dans sa forme pure (Clark, 1983). Les universités sont en réalité plus ou moins sous le contrôle de l’État, en compétition sur le marché quant aux offres de formation et de recherche, et les académiciens ont plus ou moins de contrôle sur les différentes activités (Dobbins et al., 2011).

Dans le modèle de gouvernance sous contrôle de l’État, la collectivité universitaire est généralement dotée de pouvoirs importants sur la régulation et la coordination des activités académiques et de recherche, et elle devrait jouer un rôle de balise vis-à-vis des administrateurs dans la gestion des affaires courantes, car ceux-ci y détiennent beaucoup de pouvoir (Lucier, 2007). Cependant, concernant la gestion et l’attribution des ressources matérielles, financières et humaines, l’État détient le pouvoir (Olsen, 2007).

Le modèle humboldtien est le modèle le plus orienté vers l’autogouvernance par la communauté académique (Nybom, 2003). Les universitaires, outre détenir le contrôle sur l’ensemble des activités académiques et un contrôle collégial sur les profils d’étude et de recherche (Dobbins et al., 2011), sont largement impliqués dans la gestion et le recrutement du personnel (Farnham, 1999). En matière de financement, le modèle dépend de l’État et des frais de scolarité. Les institutions administrent leurs ressources financières (De Boer et al., 2007).

Le modèle anglo-saxon est orienté vers les besoins du marché ou de l’économie régionale, locale et nationale (Marginson & Considine, 2000). Le marché devient l’aiguillon qui oriente l’offre de formation et sa qualité, le financement et les recherches (Dobbins et al., 2011). Ce modèle apparait tiraillé entre les besoins de recherche fondamentale et d’enseignement et leur financement (Gingras & Roy, 2012). Les besoins des firmes privées sont par ailleurs dictés par la nécessité de réduire les couts tout en établissant des partenariats avec les universités (Martin & Ouellet, 2011). Dans ce type de gouvernance, l’institution bénéficie d’un haut degré de liberté décisionnelle concernant les sources de financement, les activités et la fixation d’objectifs (Jongbloed, 2003).

Compte tenu de ce qui précède, le mode de gouvernance universitaire malgache s’apparente au modèle sous contrôle de l’État – comme c’est le cas dans plusieurs pays du monde (Chatelain-Ponroy et al., 2014) –, notamment parce que, suivant Olsen (2007), les universités malgaches sont au service du politique, qu’elles fonctionnent dans un cadre bureaucratique et des normes académiques uniformisées et que l’État est le principal bailleur des ressources matérielles et financières. En effet, l’État malgache joue le rôle de régulateur en matière d’assurance qualité, d’efficacité et de partenariat avec le privé (Neave, 2004; Olsen, 2007) et a le contrôle sur plusieurs aspects du fonctionnement de l’université, comme les critères d’admission, les curriculums, la nomination du personnel académique, le contrôle administratif et financier (Dobbins et al., 2011).

1.3 La bureaucratie « dysfonctionnelle »

La bureaucratie, selon Weber, est un instrument légal de domination rationnelle (Nomos, 2010) et une organisation bureaucratique de règles prédéfinies qui déterminent le fondement du pouvoir, de la légitimité et de l’autorité (Gaydeen, 2006). Les principes fondamentaux de l’idéal type de la bureaucratie de Weber constituent les règles de base de l’administration publique qui orientent le devoir et les obligations des agents publics et façonnent leur culture (Guillemot & Jeannot, 2013). Conséquemment, l’administration bureaucratique wébérienne tourne autour d’un ensemble rationnel institué par les règles impersonnelles, la division de travail, la spécialisation des agents, un système hiérarchique impliquant la subordination, le contrôle et l’orientation de carrière (Hibou, 2012).

À la base, le modèle de Weber avait pour fonction d’assurer l’efficacité de l’administration publique, mais il a fait l’objet de nombreuses critiques (Hoy & Miskel, 1987). Pour Gouldner (1954), l’un des principes de base de la structure bureaucratique, l’idéal rationnel, peut avoir des effets négatifs et dysfonctionnels auxquels Weber n’a pas accordé assez d’importance. Des auteurs tels Crozier (1963), Gouldner (1954), Merton (1939) et Selznick (1949), faisant partie des pionniers, se sont intéressés aux dysfonctions de la bureaucratie. Selon Péron (2016), citant Merton (1939), une dysfonction de la bureaucratie se révèle par une attitude rigide et ritualiste chez les agents focalisant sur l’application des règles préférablement à la réalisation des objectifs. Gouldner (1954), pour sa part, croit que l’orientation punitive des règles bureaucratiques crée la distance, réduit les relations interpersonnelles, restreint l’arbitraire et justifie la sanction, renforce l’apathie et ne permet pas de négocier avec la hiérarchie.

Les travaux de Selznick (1949) mettent en lumière que l’exigence de contrôle de la hiérarchie dirigeante est source de départementalisation et de divergences d’intérêts. Crozier (1963) a choisi une approche plus dynamique de la compréhension de la dysfonction bureaucratique en s’attardant aux limites de l’incertitude découlant des buts non atteints, des situations de crise et du changement malgré l’application des règles. Ainsi, en zone d’incertitude, les acteurs font des choix et la dysfonction bureaucratique apparait quand les règles rationnelles et impersonnelles et la hiérarchie de type idéal ne donnent pas les résultats escomptés (Crozier, 1963).

Les écrits en matière de gouvernance des affaires publiques en Afrique font état d’un échec de la bureaucratie (Nembot, 2000). La dysfonction de la bureaucratie africaine génère une violation des droits, le clientélisme, la corruption et l’usage inefficace des ressources de l’État (Olowu & Sako, 2002). Selon Olivier de Sardan (2004), la dysfonction bureaucratique africaine, touchant également la gouvernance universitaire, se caractériserait par l’utilisation d’un double langage, le formel et le réel. Il y a dissymétrie entre la fonction exécutée et celle qui est prévue, par exemple le budget ne reflète pas le besoin réel ni ce qui est effectivement disponible. Les procédures et les règles ne sont alors pas respectées (Olivier de Sardan, 2004).

La bureaucratie dysfonctionnelle a des impacts importants sur la GRH, ce qui impose alors un besoin d’innovation afin de permettre aux institutions d’être à la hauteur de leur mission d’éducation et de recherche correspondant à leur contexte.

1.4 L’innovation

Dans le secteur public, face à la dysfonction de la bureaucratie, les acteurs ne sont pas passifs. Certains aspirent à des changements et décident d’innover (Pupion, 2018). L’innovation, un concept d’usage commun, a une multitude de significations. Elle est associée à l’idée de nouveauté, de création de valeur ou de croissance économique (Borins, 2001; Wikhamn, 2019). L’innovation implique un changement délibéré, radical ou mineur, qui vise l’amélioration de l’efficacité (De Leede & Looise, 2005; Forsman, 2011; Mulgan & Albury, 2003). L’innovation renvoie également à une idée de nouvelle combinaison de connaissances et des ressources existantes (Battilana et al., 2009; Harisson, 2013; Shumpeter, 2003), dont le caractère dynamique (De Leede & Looise, 2005) se traduit par une force génératrice de transformations continues à la structure sociale, institutionnelle et économique (Schumpeter, 2003).

Avec la prédominance technologique, l’on caractérise fréquemment l’innovation comme étant une résultante de la recherche et du développement, mais elle n’est pas que mécanique, pratique ou technologique, elle revêt aussi une dimension plus humaine (Defélix et al., 2015). En outre, certains efforts d’innovation sont apportés par les salariés à travers l’amélioration de l’organisation interne (Borins, 2001). Néanmoins, l’idée d’innovation requiert la présence d’un élément novateur pour qu’elle soit reconnue comme telle. Ce caractère innovant se distingue par l’aspect émergent, la prise en compte des enjeux réels, la compréhension et l’adhésion des acteurs de terrain, et l’anticipation des améliorations apportées (Sibaud, 2003).

Dans le secteur public, l’innovation renvoie à une idée de changement délibéré dans une partie de la structure ou des processus existants. Ce changement ne modifie pas forcément la structure de l’organisation, mais il est indispensable à l’offre de services de qualité aux usagers (Mulgan & Albury, 2003). Innover peut également consister à rompre avec les pratiques ou les normes implicites plus ou moins ancrées par la routine (Harisson, 2013; Pupion, 2018). Pour être efficace, le service public doit miser sur la créativité des agents pour répondre aux besoins des usagers, résoudre les problèmes et maitriser les couts (Mulgan & Albury, 2003).

Compte tenu du rôle crucial des ressources humaines en matière de création de valeur, les écrits académiques et professionnels donnent de l’importance à la nécessité d’innover en matière de GRH (Sibaud, 2003). L’innovation peut être appréhendée à travers la définition de la mission, la configuration de la fonction, la procédure de gestion, la relation avec le personnel et l’aspect purement technique au sujet des pratiques (Sibaud, 2003). Le concept renvoie également à des idées et des pratiques qui ajoutent de la valeur à la GRH et à la performance de l’organisation (De Leede & Looise, 2005). L’innovation en GRH peut s’avérer déstabilisante, elle requiert donc une compréhension de ce qui est nouveau et avantageux (Bondarouk et al., 2009).

Le cadre théorique que nous venons de présenter permettra, lors de la discussion, de nous pencher sur les besoins d’innovation en GRH dans un contexte de gouvernance universitaire sous contrôle de l’État ancré dans un système bureaucratique dysfonctionnel.

2. L’opérationnalisation de la démarche

La deuxième partie de l’article introduit la méthodologie de notre démarche, soit la stratégie de recherche à laquelle nous avons eu recours ainsi que la méthode utilisée pour la cueillette et l’analyse des données.

2.1 La stratégie de recherche

La recherche dans sa finalité vise à améliorer la GRH dans les IESPM, suivant le point de vue des acteurs du système. La démarche s’inscrit donc dans un paradigme interprétatif, au sein duquel nous interprétons la réalité construite sur la base de la perception du vécu des acteurs (Prévost & Roy, 2015). Elle peut être qualifiée de qualitative et inductive, puisqu’elle est caractérisée par l’adoption d’une conduite flexible et évolutive suivant l’avancement des travaux (Robson & McCartan, 2016). L’approche qualitative donne une vision systémique d’un phénomène et l’induction prend en compte les interactions et la particularité de l’environnement du contexte étudié (Gotteland et al., 2012). Cette approche est appropriée lorsque l’on cherche à poser un diagnostic sur la situation des IESPM pour ensuite identifier les meilleures actions à poser afin de permettre au système d’enseignement supérieur malgache d’entrer dans le 21e siècle.

Pour poser un diagnostic sur la GRH, l’étude de cas multiple et imbriqué dans le milieu à l’étude a été privilégiée. Dans le système d’enseignement supérieur public malgache, les universités ont une vocation de formation générale et de recherche tandis que les instituts ont une vocation de formation professionnelle. Pour des raisons de faisabilité et aussi pour différencier et comparer les deux types d’institutions, deux universités et deux instituts supérieurs de technologie ont été choisis. Pour chacune des catégories, l’une des institutions était située en région et l’autre en milieu urbain.

2.2 Collecte des données et stratégies d’analyse

La doctorante et première auteure de l’article s’est déplacée à Madagascar pendant quatre mois, de juillet à octobre 2019, afin de recueillir des données auprès de différentes personnes dans les universités et les instituts supérieurs de technologie désignés pour l’étude de cas[9]. Elle a ainsi mené trente-quatre entretiens semi-dirigés[10], quinze entretiens de groupe (uniquement auprès du corps professoral), rencontrant plus de 85 personnes (membres du corps professoral ou cadres). Elle y a aussi complété ses recherches documentaires concernant le contexte malgache. Une grille d’entrevue initiale avait été élaborée pour une première approche de la problématique en tenant compte des spécificités malgaches. À l’issue de chaque entretien, lorsque nécessaire, la grille était peaufinée, si bien que deux versions ont fini par être constituées, l’une pour les entretiens individuels et l’autre pour les entretiens de groupe.

Comme stratégie d’analyse, nous avons choisi le modèle d’analyse transversale inductive adapté de Yin (2009) par Prévost et Roy (2015). Pour l’analyse des données, nous avons adopté l’approche d’analyse de contenu et eu recours aux logiciels NVIVO et Word. Notre analyse s’est réalisée en quatre étapes : 1) la préparation du corpus; 2) la préanalyse; 3) la catégorisation et le codage; 4) le traitement et l’interprétation. Après chaque entretien, nous avons procédé directement à leur transcription. Nous avons regroupé les données des entrevues par institution. Ensuite, un second sous classement a été effectué pour chaque institution pour l’entretien individuel ou de groupe.

3. Discussion

La discussion est faite en deux temps. Dans un premier temps, il est question des failles du système de GRH au sein des IESPM. Dans le second temps, nous proposons deux pistes de solutions devant favoriser la mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois et de la compétence (GPEC) dans un contexte universitaire devant composer avec une économie mondialisée en ce 21e siècle.

3.1 Les failles du système de la gestion des ressources

Cette section aborde les failles du système de la GRH dans le réseau d’enseignement supérieur public malgache, selon ce qui est ressorti lors de notre analyse de données. Trois points ont retenu notre attention. Il s’agit des problèmes de dotation liée à l’embauche, à la rémunération et à la rétention.

3.1.1 Capacité limitée d’embauche de professeurs

Il ressort de nos entretiens semi-dirigés individuels et de groupe qu’en matière de dotation, les IESPM jouissent d’une autonomie limitée, puisque l’embauche des membres du corps professoral relève de la responsabilité exclusive de l’État. Une des personnes rencontrées l’a formulé ainsi :

Oui les universités ont soi-disant l’autonomie de faire une planification des besoins en ressources humaines… mais à quoi bon… c’est le ministère de la Finance et du Budget qui fait la pluie et le beau temps sur le nombre d’embauches faisables

C3R

Les responsables d’établissements[11] rencontrés, en poste ou non, ont soulevé qu’ils étaient hésitants à faire une planification des besoins en ressources professorales malgré le problème de manque d’effectif. Car même si les prévisions d’embauche de professeurs sont faites avec « exécution autorisée », dans le cadre de la loi de la finance, le recrutement effectif dépend des postes budgétaires disponibles. C’est donc le ministère de la Finance qui répartit les postes budgétaires pour le recrutement des fonctionnaires, incluant le corps professoral, entre les différents ministères. Ainsi, le nombre de postes accordés est souvent minime, voire nul, et cela malgré des besoins parfois criants, conséquences des contraintes financières de l’État.

Les différents interviewés ont aussi exposé un problème de transparence sur la répartition des postes budgétaires du ministère de l’Enseignement supérieur vers les universités. La répartition du nombre de postes disponibles lors du recrutement manque de critères clairs et objectifs. Elle repose, selon un cadre interviewé « sur un jeu de pouvoir et de lobbying entre l’équipe du ministère de l’Enseignement supérieur en exercice et le chef d’institution de chacune des universités » (C5R). Il en résulte une répartition de postes qui ne respecte pas les besoins, si l’on compare les effectifs étudiants et le corps professoral, par disciplines et/ou par régions. Cela, même si l’article premier du décret no 2002-565 régissant le statut des IESPM stipule que les universités bénéficient d’une autonomie administrative. Celle-ci n’est pas effective en matière de GRH. Dans les faits, les IESPM n’ont pas ou ont peu de pouvoir en matière de recrutement de professeurs.

Lors des entretiens semi-dirigés, plusieurs cadres ont également soulevé le manque de pouvoir et l’incapacité de la Direction des ressources humaines du ministère de l’Enseignement supérieur à jouer un rôle stratégique en matière d’embauche. Selon eux, elle aurait certes la capacité de mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences répondant aux besoins de l’enseignement supérieur, mais le financement requis est hors de son contrôle, puisque sous l’égide du ministère des finances[12].

Le cas des IESPM en sous-effectifs corrobore les écrits de Charles (2014) voulant que le risque stratégique soit grand lorsque, dans les universités publiques, les acteurs ont la liberté de choisir les orientations à prendre, mais que ces institutions n’ont pas la maitrise de leurs ressources financières. Le cas malgache démontre une surutilisation des ressources professorales pour l’enseignement et une sous-capacité pour la recherche scientifique. La limite du pouvoir des institutions au regard du recrutement constitue un obstacle majeur, non seulement en lien avec la gestion des effectifs par rapport aux besoins, mais elle crée aussi de fortes pressions et donne un sentiment d’impuissance aux gestionnaires lorsqu’il s’agit d’atteindre les objectifs de l’établissement.

Des cadres ont reconnu que certains établissements avaient suspendu l’ouverture de certains parcours de formation, car les ressources professorales clés manquaient. Dans d’autres cas, ils ont été obligés d’annuler des modules durant une session, car les personnes devant assurer ces cours n’étaient plus disponibles.

Cette incapacité de la Direction des ressources humaines du ministère de l’Enseignement supérieur à assurer un rôle stratégique auprès du ministère des Finances rejoint le problème de dysfonction bureaucratique en Afrique souligné par Olivier de Sardan où « l’administration fait état d’une ironie de double langage avec un écart entre les règles et ce qui se fait réellement » (2004, p. 149). Ces problèmes liés à l’embauche difficile rejoignent aussi la dysfonction bureaucratique de Crozier (1963). Même si les responsables d’établissements et la Direction des ressources humaines du ministère veulent mettre en oeuvre correctement les processus existant en matière de dotation, les résultats ne seront pas au rendez-vous faute de moyens financiers. Ces problèmes de financement inadéquat ont des répercussions sur l’embauche, mais aussi, comme nous le verrons maintenant, sur la rémunération du corps professoral.

3.1.2 Problèmes de rémunération

Il ressort de nos entretiens que les interviewés ressentent un manque de considération par les personnes oeuvrant tant au sein du ministère de l’Enseignement supérieur qu’au ministère de la Finance en regard de certaines revendications, notamment celles visant à amender certains textes règlementaires constituant des obstacles à la résolution durable des problèmes liés aux paiements des prestations des chargés de cours et d’une partie des heures complémentaires des professeurs.

Selon plusieurs participants, les établissements universitaires ont la possibilité de diversifier leurs sources de revenus à travers la vente de produits de recherche, de prestations de services techniques ou professionnels ou de partenariats. Ces revenus supplémentaires, leurs « ressources propres », permettraient de payer des chargés de cours et une partie des heures complémentaires. Cependant, cette alternative est bloquée par un texte de loi – le décret no 2005-003 – au sujet de la comptabilité de « l’exécution budgétaire »[13] des organismes publics. Ce texte ne concerne pas les universités directement, mais il en affecte néanmoins leur gestion, en règlementant l’exécution budgétaire publique en matière de comptabilité publique et de comptabilité administrative. L’article 2 du décret stipule en effet que les établissements publics à caractère administratif, comme les IESPM, sont soumis à la comptabilité publique et à l’ensemble des règles afférentes. L’article 47 de ce même décret, au nom du principe de « l’unité de caisse des règles de la finance publique », prévoit que les fonds générés par des organismes publics sont obligatoirement déposés au Trésor. Ainsi, selon les participants, une fois que les « ressources propres » d’une institution ou d’un établissement[14] arrivent au Trésor, les fonds vont contribuer à renflouer la caisse de l’État et seront soumis aux règles de répartition des ressources publiques et ne profiteront pas directement au système universitaire. Donc, dans les faits, la possibilité de générer des revenus supplémentaires devient une occasion de renflouer le Trésor public plutôt que de contribuer à financer l’établissement qui les a générés. Ces textes de loi viennent donc entraver la liberté de décider de l’utilisation des ressources financières propres à chacun des départements des universités. Cela étant, il n’est pas étonnant que les participants évoquent des réserves liées au principe de l’unité de caisse, ceux-ci estimant que leurs « ressources propres » devraient servir seulement leur établissement. La réticence face aux développements d’activités contribuant à l’amélioration des « ressources propres » a été le problème le plus souvent mentionné.

Cette limite des établissements à utiliser librement les sommes obtenues grâce à leurs propres sources de financement ou de revenus constitue un obstacle important à la recherche de perspectives durables pour affronter les difficultés de paiement des charges de cours et des heures complémentaires. Des sonnettes d’alarme ont été tirées par différents acteurs au sein des universités, mais selon la vaste majorité des participants, « tant le ministère de l’Enseignement supérieur et que le Gouvernement font la sourde oreille » (CGR1, GR2, GR7, GR8, GR9, GR13).

Certes, la loi no 2002-565 sur le statut des institutions d’enseignement supérieur malgache accorde aux universités et à leurs établissements ou départements le droit de trouver du financement et d’avoir des revenus, mais le principe de l’unité de caisse ne motive en rien les différents acteurs à le faire. Les règles sont là, mais les acteurs n’y adhèrent pas, voire essaient de les contourner, puisqu’ils ne peuvent profiter directement des efforts qu’ils déploient. Les problèmes générés par le principe de l’unité de caisse rejoignent les dysfonctions bureaucratiques mentionnées par Crozier (1963), qui soutient l’idée que les règles ne contribuent pas toujours à l’atteinte des objectifs. Dans le contexte malgache, il est clair que la règle de l’unité de caisse devient un obstacle au lieu de contribuer à la bonne marche de l’organisation.

Le manque d’écoute de la part du Gouvernement rejoint également la dysfonction bureaucratique soulignée par Selznic (1949) au sujet de l’incapacité à négocier avec la hiérarchie en raison de l’application trop rigide des règles.

Ces problèmes financiers, qu’ils découlent du sous-financement ou de règles nuisant à la répartition/disponibilité adéquate des revenus générés par des activités intraétablissement ont comme conséquence l’incapacité à rémunérer adéquatement le corps professoral, ce qui conduit à des problèmes de rétention du corps professoral.

3.1.3 Problèmes de rétention

Les IESPM vivent également un problème en matière de rétention des membres du corps professoral. Ces difficultés de rétention concernent à la fois les chargés de cours et les professeurs dans les instituts supérieurs de technologie. Un interviewé exprime ainsi cette problématique :

jusqu’à présent l’État n’a pas de solution concrète à l’égard du manque d’effectif de professeurs et les chargés de cours sont utiles, il faut les fidéliser autant que faire se peut. C’est vital pour la bonne marche de notre établissement.

CI4

Il faut savoir que certains départements – comme ceux d’universités au Québec d’ailleurs – fonctionnent majoritairement avec des personnes à statuts précaires.

Les participants ont aussi mis en lumière le fait que le système d’enseignement supérieur malgache n’a pas de texte de loi ni de règlement qui régissent la situation des personnes chargées de cours. Pourquoi, s’est-on demandé? « Les chargés de cours sont des éléments négligeables dans l’éducation supérieure, il n’est donc pas question d’établir une quelconque politique de rétention à leur égard » (C3U). Cette opinion est largement répandue.

L’absence de texte de loi ou de règlement fait en sorte que chaque établissement universitaire traite différemment les chargés de cours. L’aspect contractuel est propre à chaque université et conduit à l’application de taux horaires différents entre les départements d’une même institution. Concernant la périodicité de paiement, les chargés de cours, principalement, affirment que des départements d’une même institution règlent certaines charges de cours, notamment celles de moins de 100 dollars, directement avec leurs « ressources propres » alors que les autres attendent le paiement venant du pouvoir central. Une personne a rapporté que « ce paiement a été retardé jusqu’à trois ans après la prestation » (C32V).

Les défaillances liées à la rétention des chargés de cours constituent un problème de plus généré par la dysfonction bureaucratique, cette fois en raison d’une situation non prévue par les règles, et représentent une zone d’incertitude (Crozier, 1963). Les ressources professorales sont rares dans certains programmes et ces raretés peuvent affecter des spécialités importantes. Il en résulte une lutte entre les institutions, voire entre les départements, car le personnel enseignant déjà précaire succombe « à la tentation d’une rémunération plus élevée ou plus stable » (C4I). Faute de moyens pour rivaliser financièrement avec les institutions mieux nanties, certains cadres ont révélé qu’ils peuvent être contraints de retarder, voire d’annuler certains programmes de formation.

Certaines universités, généralement les instituts supérieurs de technologie, souffrent également d’un problème de rétention des professeurs. En plus des professeurs au statut régi par les lois no 95-023 et no 2003-008, il se trouve des catégories de professeurs avec des statuts précaires et moins avantageux, puisque régis par la loi no 2003-044 et la loi no 094-025[15]. Les personnes embauchées sous l’égide de ces deux lois gagnent le tiers ou la moitié de ceux régis par le décret no 81-065 même s’ils exercent les mêmes fonctions en recherche et en enseignement. Cette situation est source de frustration et certains interviewés font état de « démission intérieure ». Ils ne quittent pas physiquement le travail, mais pour résumer les propos entendus, ils s’investissent moins et parfois s’engagent dans des actions contreproductives à l’organisation (Coyle-Shapiro & Parzefall, 2005). Quelques personnes ont souligné que la « situation a été portée en justice par quelques professeurs, mais l’affaire a été classée sans suite » (GR1, GR2).

Au vu de ce qui précède concernant le corps professoral, la GRH du système d’enseignement supérieur public malgache souffre d’importants problèmes en raison de son incapacité à gérer trois activités liées à la dotation, soit le recrutement, la rémunération et la rétention. Afin d’améliorer la situation et de devenir un modèle du 21e siècle dans la gestion des effectifs, il est pertinent d’amorcer une réponse à la question : comment le service de la GRH dans le système universitaire public malgache pourrait-il innover afin de positionner favorablement l’enseignement supérieur malgache ?

3.2 Deux pistes de solutions

En vue de résoudre une partie des problèmes de dotation soulevés précédemment, nous discutons de deux innovations qui pourraient améliorer la GRH en favorisant la mise en place d’un système de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), notre proposition. Il ressort de cette première collecte de données que regrouper et mettre en pratique les différentes suggestions des interviewés répondrait, en partie, au besoin du système d’enseignement supérieur public actuel et contribuerait à donner aux établissements les moyens de les mettre en place. Et cela en concordance avec les différents concepts théoriques mobilisés et les différentes problématiques identifiées.

La suggestion d’innovation la plus fréquente porte sur la révision législative de certaines règles bureaucratiques dysfonctionnelles. Ces règles contradictoires sont sclérosantes et nuisent au climat de travail et au développement des IESPM.

Les participants proposaient en premier lieu un amendement au sujet de la « règle de l’unité de caisse » afin de donner aux institutions et aux établissements la gestion des sommes d’argent qu’elles génèrent par leurs propres moyens. Cela contribuerait, d’une part, à motiver les professeurs et les cadres à s’investir dans différents projets de recherche et/ou le développement de nouveaux cours, produits ou services, mieux adaptés aux nouveaux contextes sanitaires, économiques et politiques. D’autre part, les montants recueillis par ces différentes sources de financement aideraient les établissements à assumer le cout des charges de cours et une partie des heures complémentaires à moyen terme. À plus long terme, on pourrait anticiper la capacité d’enrayer la précarité d’emploi de certains professeurs et de combler le besoin de recrutement de nouveaux professeurs. Cependant les participants ont beaucoup insisté sur le fait que l’on doit d’abord compenser les heures complémentaires et les charges de cours. Un amendement de la « règle de l’unité de caisse » contribuera certes à une indépendance de la gestion des ressources propres, mais certains responsables bureaucrates aux niveaux ministériels pourrait être tentés de procéder à d’importante restriction budgétaire à l’égard des universités vu qu’elles génèrent et gèrent-elles même des fonds.

La révision d’un article de loi régissant la gestion des « ressources propres » des établissements est une innovation en GRH. Elle permettrait de résoudre à la fois certains problèmes de rémunération (à moyen terme) et de « démission intérieure », et apporterait de nouvelles possibilités quant au processus de dotation, tant en ce qui a trait au recrutement qu’à la rétention. Rappelons que, selon De Leede et Loise (2005), les innovations en GRH peuvent prendre la forme de pratiques qui ajoutent de la valeur à la GRH et à la performance de l’organisation.

Pour s’attaquer plus spécifiquement aux problèmes de rétention, plusieurs personnes interviewées proposaient de rompre avec les pratiques implicites ancrées dans la routine (Harisson, 2013; Pupion, 2018). Elles ont convenu unanimement que la mise en place de règlements communs harmonisant le traitement des personnes chargées de cours entre les départements et les établissements d’une même institution en matière de salaire et de conditions d’emploi contribuerait à leur rétention. Concernant les professeurs des instituts supérieurs de technologie désavantagés par les textes régissant leur statut et leur rémunération, l’harmonisation des règles régissant les rémunérations des agents exerçant la fonction de professeur dans les IESPM a été maintes fois suggérée.

L’harmonisation des règles concernant le traitement de deux groupes différenciés au sein des IESPM est une innovation en GRH. Non seulement cela mettra fin à des pratiques implicites et ancrées (Harisson, 2013; Pupion, 2018) en matière d’inégalité de traitement, mais cela permettrait, nous le croyons, de recruter et de retenir au sein du secteur public des personnes qualifiées et compétentes.

En résumé, le système d’enseignement supérieur public malgache est malmené à cause de sa rigidité et de son inadéquation au contexte universitaire. Il en découle un problème important de dotation au sein du corps professoral. Ayant plus spécifiquement identifié des problèmes de recrutement, de rémunération et de rétention, les participants ont proposé deux innovations, soit une plus large autonomie dans la gestion de leurs « ressources propres » et la création d’un contrat de travail régissant de manière uniforme les conditions de travail au sein des institutions, incluant le salaire des personnes chargées de cours et de certains professeurs au statut précaire oeuvrant dans les instituts supérieurs de technologie.

Conclusion

Les IESPM rencontrent des défaillances en lien avec leur système de dotation, principalement en termes de recrutement, de rémunération et de rétention des ressources professorales. Dans le contexte malgache, des règles bureaucratiques dysfonctionnelles régissent la gouvernance universitaire étatique et affectent négativement la GRH, tellement que les universités malgaches bénéficient d’une autonomie administrative non effective, entravée par une loi imposant le principe de « l’unité de caisse ». Dès lors, les revenus financiers générés par les départements ou les établissements se retrouvent dans la caisse commune. Les acteurs sont peu intéressés à prendre des initiatives menant à la diversification des sources de revenus au vu des contraintes règlementaires imposées sur l’usage. Cette situation constitue non seulement un obstacle à la résolution à court terme du retard dans le paiement des charges de cours et d’une partie des heures complémentaires, mais réduit aussi la possibilité d’embauche à long terme.

La non-harmonisation des textes régissant le statut des professeurs dans les différentes institutions est source de traitements inégaux. Cette condition réduit l’implication de certaines personnes victimes de cette disparité de traitement. Concernant les chargés de cours, l’absence de texte régissant leurs conditions de travail constitue un obstacle majeur à leur rétention, d’autant que le système de rémunération est basé sur le favoritisme et la non-transparence.

Notre objectif était de poser un diagnostic sur de la GRH du système d’enseignement supérieur public à Madagascar et, malgré le côté relativement sombre du tableau, de chercher à valoriser les idées d’innovation des personnes rencontrées en regard de la situation. Les innovations proposées permettraient le financement de la mise en place d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans un contexte universitaire devant composer avec l’économie mondialisée du 21e siècle.

L’article a été rédigé durant la crise du COVID-19 en 2020. À cause de la pandémie, les cours au sein des IESPM ont été suspendus de mars jusqu’en début septembre 2020 (Ralitera, 2020). Les cours ont repris avec respect des mesures sanitaires jusqu’en mars 2021 et après un nouvelle mesure de confinement décrété le 27 mars 2021 les universités sont de nouveau suspendu à cause de la recrudescence de cas de COVID-19 (Midi Madagascar, 2021). Des interviews virtuels conduits auprès de quelques responsables au sein des IESPM le 09 et le 12 avril ont permis de constater qu’avec la crise du COVID-19 les difficultés touchants les professeurs et les chargés de cours des universités malgaches n’ont pas changé (CI1, CI2, CI4). Elles croient aussi qu’en contexte de gouvernance universitaire publique malgache une révision de certaines règles bureaucratiques dysfonctionnelles s’impose de façon encore plus prioritaire, puisque mettre en place une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences adaptées permettra de positionner favorablement l’enseignement supérieur malgache au 21e siècle.