Corps de l’article

Introduction

L’UOF n’est pas le fait d’une génération spontanée. La revendication pour une université à gouvernance francophone afin de servir les francophones de l’Ontario remonte à 50 ans au moins. C’est une revendication légitime qui vient compléter un réseau d’enseignement en français du primaire au postsecondaire.

Depuis 2011, les travaux se sont accélérés pour aboutir à la loi constitutive de 2017.

  • Selon le rapport L’état de l’éducation postsecondaire en langue française dans le CSO de l’Ontario, publié en 2012 par le Commissariat aux services en français, les francophones de la région ont un accès extrêmement limité aux programmes universitaires en langue française : il n’y a aucun baccalauréat dans la région du Sud-Ouest et seulement 3 % des baccalauréats sont en français dans la région du Centre. Le Centre-Sud-Ouest est la région la mieux dotée au Canada en universités : treize universités en langue anglaise, mais aucune en français. Ce rapport recommande, notamment, la création d’une université de langue française dans cette région de l’Ontario.

  • Le rapport d’un comité d’experts, Bâtir l’Avenir en 2013, conclut qu’il est nécessaire d’améliorer la capacité du système d’éducation de l’Ontario afin d’offrir un enseignement postsecondaire en langue française dans la région du Centre-Sud-Ouest (CSO) (ministère de la Formation et des Collèges et Universités, 2013).

  • Les États généraux sur le postsecondaire de langue française en Ontario, tenus en 2013 et 2014, recommandent la création d’une université pour l’Ontario français, située prioritairement dans le Centre-Sud-Ouest de la province, avec une gouvernance universitaire francophone (Regroupement étudiant franco-ontarien, 2014).

  • En 2016, le Comité consultatif du ministère de la Formation et des Collèges et Universités (MFCU) recommande de créer une université de langue française à Toronto (Commissariat aux services en français, 2016). Cette recommandation est fondée sur le fait que cette région est la moins bien desservie de l’Ontario français, à tous les égards, mais elle est celle qui connaît la plus forte croissance démographique.

  • Mentionnons également le texte de Bock et Dorais (2018) : Quelle université pour quelle société? Petite histoire du débat intellectuel entourant la question universitaire franco-ontarienne. Ces auteurs discutent de l’évolution de cette revendication de la communauté franco-ontarienne.

1. Des retombées économiques, mais aussi sociétales

La question des retombées économiques reliées à la création de l’Université de l’Ontario français (UOF) a été un sujet longuement discuté par des autorités gouvernementales durant toute sa phase de planification. Au fait de cette préoccupation prépondérante, l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario a mandaté, en 2019, la firme PGF Consultants d’Ottawa pour effectuer une étude prévisionnelle permettant d’en anticiper les bénéfices économiques (Robichaud et al., 2019). Il semble que cette étude ait contribué à l’effort collectif visant à assurer la survie de l’UOF, puisque le 22 janvier 2020, le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral ont octroyé un financement de démarrage de 126 millions de dollars répartis sur huit ans.

Mais les bénéfices économiques ne sont qu’un élément des impacts de l’établissement de l’UOF, une université entièrement de langue française selon ses statuts juridiques dans la Loi de 2017 sur l’Université de l’Ontario français. Une analyse socio-économique plutôt que strictement économique apparaît plus appropriée pour donner un aperçu global des effets de l’UOF lorsqu’elle aura atteint son rythme de croisière.

De nombreuses universités au Canada produisent des analyses d’impact économique. Généralement, elles suivent l’une des deux méthodes suivantes :

  • La méthode Sudmant (Sudmant, 2009), qui est une approche standard pour réaliser ces analyses. Elle permet de cerner les impacts directs, indirects et induits. Les données requises pour réaliser ce type d’analyse se rapportent aux dépenses de fonctionnement, des étudiants, des visiteurs, ainsi qu’à l’impact des diplômés et de la recherche sur l’économie.

  • Le modèle canadien d’intrants-extrants, qui permet d’estimer les impacts sur le PIB, la création d’emplois et les revenus de taxes pour les gouvernements (Poole, 1995).

Certains analystes formulent toutefois des critiques en ce qui a trait à ces exercices, car les analyses seraient non seulement méthodologiquement suspectes, mais aussi pas suffisamment globales pour démontrer les impacts sociétaux (Usher, 2019).

L’article comprend deux sections : une sur les prévisions des retombées économiques et l’autre sur les effets de l’implantation de l’UOF sur l’ensemble de la société ontarienne. En cette période de pandémie mondiale, nous prenons conscience que l’économie ne fonctionne pas en vase clos. Pour paraphraser Rawls (1971), une société bien ordonnée devrait produire une économie fonctionnelle et distributive. Et pour plusieurs, une économie productive est source d’une société harmonisée. Selon nous, il y a une interdépendance entre facteurs économiques et facteurs sociaux.

2. Approches méthodologiques mises de l’avant

En 2019, la démarche du groupe PGF faisait partie d’une stratégie de survie de l’UOF. L’étude avait comme objectif de fournir des données relatives aux retombées économiques susceptibles de convaincre les gouvernements d’accorder un financement adéquat à l’étape de démarrage de l’UOF. Depuis la décision des deux paliers de gouvernement d’allouer un fonds de démarrage, l’objectif a évolué. Il s’agit maintenant de proposer une feuille de route possible pour l’UOF d’ici à 2028-29, en s’appuyant sur des données mises à jour. On peut espérer que le présent exercice, en fournissant des résultats mesurables à terme, permettra à la communauté universitaire et à la francophonie ontarienne d’avoir un instrument pour identifier les progrès de l’UOF et sa contribution à Toronto et à l’Ontario.

L’approche méthodologique est différente pour chacune des sections. Le volet économique de la démarche s’appuie sur les données provenant de certaines universités canadiennes qui ont fait ce genre d’études. Le volet concernant les effets sur le plan sociétal est plus qualitatif que quantitatif.

2.1 Méthode et modèle d’analyse des retombées économiques retenus

La Figure 1, tirée du rapport d’impact économique de l’Université de Calgary et appliquée au cas de l’UOF, résume bien la méthode Sudmant et l’approche canadienne d’intrants-extrants (University of Calgary, 2013).

La méthode Sudmant (Sudmant, 2009) identifie les effets directs, induits et dynamiques selon cinq catégories :

  • Les dépenses institutionnelles, ce qui comprend les frais d’exploitation, les salaires et bénéfices du personnel, les droits de scolarité, les bourses et prix, et les dépenses en infrastructures, ce qui comprend les édifices, l’équipement et le matériel, incluant les frais de bibliothèques et l’infrastructure de recherche;

  • Les dépenses des étudiants, qu’ils soient inscrits à plein temps ou à temps partiel;

  • Les dépenses des visiteurs participant à des événements universitaires;

  • L’impact de la formation sur les diplômés insérés dans le marché du travail;

  • L’impact de la recherche et de l’innovation dans l’économie locale.

Figure 1

Méthode Sudmant et modèle d’intrants-extrants, appliqués à l’UOF

figure reprise et adaptée du rapport d’impact économique de l’Université de Calgary, 2013, p. 6

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Le modèle canadien d’intrants-extrants a quant à lui une longue histoire au Canada (Poole, 1995). On s’en sert comme complément à la méthode Sudmant pour estimer l’impact économique des universités. La limite de ce modèle, comme il a déjà été souligné, tient au fait qu’il mesure l’impact d’une université en termes strictement monétaires, ignorant les impacts sociétaux, tant sociaux que culturels. Sans entrer dans les complexités méthodologiques, disons qu’il vise à identifier les impacts macro-économiques, tel l’impact sur le produit intérieur brut (PIB), sur la création directe et indirecte d’emplois, ainsi que l’impact sur les salaires et sur les revenus fiscaux des gouvernements.

Dans le cas de l’UOF, ce modèle n’est pas très pertinent lorsqu’on considère la taille modeste de l’université – pour au moins la prochaine décennie – dans une économie de l’ampleur de la ville de Toronto et de la province de l’Ontario.

Parmi les universités canadiennes qui ont recours à l’un ou l’autre des deux modèles (Poole, 1995; Sudmant, 2009), et souvent aux deux combinés, pour produire des projections économiques, trois d’entre elles ont été sélectionnées afin d’identifier des multiplicateurs[1] : l’Université de Moncton, l’Université de Nippissing et l’Université de Brandon. Ces universités ont des caractéristiques se rapprochant de celles de l’UOF. Elles sont de tailles modestes, généralistes, dispensant principalement des programmes de 1er cycle et elles ne sont pas reconnues comme des universités à grande intensité de recherche, ce qui sera la situation de l’UOF pour au moins quelques décennies.

L’Université de Moncton à trois constituantes (Moncton, Edmundston et Shippagan) a été fondée en 1963. Son bassin d’alimentation qui lui fournit la majorité de ses étudiants compte une population de 235 000 personnes. Compte tenu de la population francophone dans le Centre-Sud-Ouest ontarien, on peut penser que le bassin d’alimentation de l’UOF est du même ordre de grandeur. Malgré les différences entre les deux universités en ce qui a trait au tissu urbain où elles sont situées, on peut considérer qu’elles sont comparables pour ce qui est de la taille du bassin d’alimentation et de la projection de la clientèle étudiante. Elles ont aussi des orientations stratégiques semblables puisque leur mission est essentiellement de répondre aux besoins de formation supérieure en milieu minoritaire.

Les constituantes de Shippagan et d’Edmundston de l’Université de Moncton comptent chacune une population étudiante d’environ 400 étudiants au 1er cycle. Elles sont de taille comparable à celle prévue à l’UOF dans ses premières années d’opération. Quant au campus de Moncton, il est prévisible que sa population étudiante se comparera à celle de l’UOF à sa deuxième décennie de fonctionnement.

Située dans le Nord de l’Ontario, l’Université de Nipissing compte une population étudiante stable, aux environs de 4 800 étudiants depuis plusieurs années. Elle compte 440 salariés au total (personnel académique, technique et administratif). Cette université revêt un intérêt pour notre étude puisqu’elle est soumise aux mêmes conditions de fonctionnement et de financement que celles qui s’appliqueront à l’UOF, étant donné qu’elles répondent aux mêmes normes du Gouvernement de l’Ontario.

L’Université de Brandon est une petite université manitobaine qui compte 3 000 étudiants et 400 membres du personnel. Elle est de taille similaire à ce que pourrait être celle de l’UOF à la fin de sa première décennie d’opération.

Les multiplicateurs découlant des études économiques effectuées par ces universités sont utilisés pour illustrer différents impacts possibles : l’impact du nombre d’étudiants, l’impact du personnel et l’impact des subventions gouvernementales. Cependant, il faut souligner certaines limites à l’utilisation de ces multiplicateurs et à les appliquer à l’UOF.

Premièrement, l’UOF est une université en implantation alors que les universités canadiennes qui ont réalisé des études semblables avec des multiplicateurs ont pu fonder leurs données sur des données observables.

Deuxièmement, les universités qui ont produit des rapports d’impact économique qui servent de points de départ pour effectuer le même genre d’analyse pour l’UOF ne se situent pas dans un contexte urbain comparable à Toronto. La situation de l’UOF est unique au pays en tant qu’université de langue officielle minoritaire dans la métropole canadienne. Ceci incite à la prudence dans l’application des multiplicateurs, car personne ne sait comment l’université sera reçue dans sa communauté d’insertion. À notre avis, la spécificité de l’UOF devrait être un élément positif étant donné le dynamisme de la métropole canadienne et le niveau d’appui que la communauté franco-ontarienne a manifesté pour son établissement, notamment lorsque le Gouvernement ontarien avait annoncé l’abandon du projet de création de cette université en 2018. Il est possible, et même probable, que les candidats francophones à l’enseignement supérieur dans le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario répondront favorablement à son offre de programmes. Selon Mario Polèse, un expert en développement régional, ce n’est pas tant la taille de l’institution qui importe que le degré d’appui qu’elle reçoit de sa population cible. Ceci pourrait bien être le cas de l’UOF. Il est difficile d’estimer dans quel sens se dirigera l’impact économique de cette nouvelle institution.

2.2 Modèle d’analyse sociétal retenu

L’analyse qualitative des impacts sociétaux de l’UOF est fondée sur une démarche qui consiste à déterminer si la planification et la mise en oeuvre de l’UOF sont innovantes dans sa vision, ses valeurs, sa mission et ses programmes. Ces composantes correspondent-elles aux besoins de sa communauté d’accueil et plus largement à ceux de la métropole canadienne et de la province de l’Ontario? Dans la deuxième partie de l’article, le modèle d’analyse qui a été adopté s’inspire des principes du fonctionnement par résultats en matière de développement (voir Figure 2).

Figure 2

Modèle de fonctionnement par résultat simplifié par l’auteur

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Le modèle comprend :

  • des orientations stratégiques qui englobent une vision claire, des valeurs et une mission adaptée au contexte particulier de l’université;

  • une intervention qui comprend la programmation académique;

  • des résultats attendus en adéquation avec le contexte de l’UOF.

Ce modèle postule qu’il y a une synergie entre les différents éléments. Ainsi, les résultats observés devraient influencer l’évolution des orientations stratégiques. De nouvelles orientations stratégiques entraînent l’adaptation des programmes, ce qui modifie les résultats de l’institution[2].

3. Retombées économiques possibles

Puisque l’UOF est toujours en phase d’implantation, il est impossible de faire une véritable étude d’impact économique. Toutefois, il est possible d’effectuer une analyse prévisionnelle des effets possibles au moment où sa phase de démarrage se terminera, ce qui est prévu en 2026-2027. En raison des limites de notre démarche, il s’agit simplement, dans cette première partie, de proposer, à partir d’études récentes, des retombées possibles pour l’UOF après un certain nombre d’années d’opération, si elle atteint des multiplicateurs du même ordre de grandeur que ceux des universités servant de référence.

3.1 Retombées selon le nombre d’étudiants prévu à l’UOF

Une première analyse des retombées économiques possibles a été effectuée à partir du nombre d’étudiants prévus à l’UOF, selon sa planification récente, en utilisant les multiplicateurs observés à l’Université de Moncton (Beaudin et al., 2016). Le Tableau 1 présente les chiffres pour cette université en ce qui concerne les « ventes » annuelles, la contribution au PIB total et la contribution au PIB pour la province, de même que le multiplicateur (le coefficient) [3] correspondant à chacun.

Tableau 1

Impact économique de l’Université de Moncton suivant le nombre d’étudiants (moyenne annuelle de trois années entre 2013-2016)

Impact économique de l’Université de Moncton suivant le nombre d’étudiants (moyenne annuelle de trois années entre 2013-2016)
Robichaud et al., 2019

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Le concept de « ventes » comprend les dépenses dans la communauté occasionnées par les diverses activités de l’université, selon le modèle d’intrants-extrants. Quatre types de dépenses permettent d’estimer les ventes :

  • Les dépenses opérationnelles, tels les salaires, les avantages sociaux, l’achat de biens et services;

  • Les dépenses d’infrastructure;

  • Les frais de subsistance des étudiants;

  • Les dépenses des visiteurs.

À la suite de l’octroi du financement de démarrage, la planification récente de l’UOF s’échelonne sur huit années de 2019-20 à 2026-27. En nous appuyant sur les estimés de l’administration de l’UOF en 2019, nous avons appliqué les multiplicateurs de l’Université de Moncton à la prévision du nombre d’étudiants à plein temps à l’UOF à la quatrième année (2022-23), soit 391, et à la huitième année (2026-27), soit 1563 pour les trois variables : ventes, contributions au PIB total (Ontario et Canada) et contribution au PIB Ontario.

3.1.1 Les ventes

En 2022-23, les ventes de l’UOF, selon le nombre d’étudiants à plein temps prévu (391), seraient de l’ordre de 37 millions de dollars. Selon le même raisonnement, les ventes en 2026-27 pourraient atteindre 148,5 millions de dollars avec 1563 étudiants inscrits à plein temps.

Comme l’Université de Moncton est une université à trois constituantes et que les coefficients varient d’un campus à l’autre, il est possible de proposer deux hypothèses, une basse et une haute pour 2022-23 et 2026-27.

L’hypothèse basse est fondée sur le campus de Moncton avec le multiplicateur 91. Si ce multiplicateur s’appliquait à l’UOF selon le nombre d’étudiants prévu (391) en 2022-23, ses ventes s’établiraient à environ 35,6 M$. En 2026-27, les ventes seraient de l’ordre de 142 M$. Selon l’hypothèse haute, fondée sur le multiplicateur 117 du campus d’Edmundston, les ventes de l’UOF seraient de 46 M$ en 2022-23 et de 183 M$ en 2026-27.

Ainsi, pour l’année 2022-23, en se basant sur les résultats de l’Université de Moncton, les ventes de l’UOF pourraient s’établir entre 35 et 46 M$. À la 8e année d’opération, en 2026-27, si sa population étudiante à plein temps atteint 1563, ses ventes pourraient varier entre 142 et 183 M$.

3.1.2 Contribution au PIB total (Ontario et Canada)

Selon l’hypothèse basse, calculée à partir du multiplicateur observé au campus de Moncton (60) et la population étudiante prévue à l’UOF en 2022-23 (391), sa contribution au PIB total serait d’environ 23,5 M$. En 2026-27, avec le même multiplicateur et 1563 étudiants à plein temps la contribution au PIB total pourrait s’établir à 94 M$. Selon l’hypothèse haute, fondée sur le multiplicateur 77 du campus d’Edmundston, la contribution au PIB total de l’UOF serait de 30 M$ en 2022-23 et d’environ 120 M$ en2026-27.

Bref, pour l’année 2022-23, en se basant sur les résultats de l’Université de Moncton, la contribution de l’UOF au PIB total pourrait s’établir entre 23,5 et 30 M$ alors qu’à la 8e année d’opération, en 2026-27, elle pourrait varier entre 94 et 120 M$. Si ces prévisions s’avèrent justes, la contribution de l’UOF au PIB total (Ontario et Canada) dépassera largement l’investissement annuel prévu pour le fonds de démarrage dès 2022-23.

3.1.3 Contribution au PIB de l’Ontario

Selon l’hypothèse basse, fondée sur le campus de Moncton avec le multiplicateur 41, l’UOF pourrait contribuer, en 2022-23, à la hauteur de 16 M$ au PIB de l’Ontario. En 2026-27, avec le même multiplicateur, sa contribution pourrait s’établir à 64 M$. L’hypothèse haute est pour sa part obtenue avec le multiplicateur 58 du campus d’Edmundston : avec le nombre d’étudiants prévu en 2022-23, l’UOF pourrait contribuer pour 23 M$ au PIB de l’Ontario. En 2026-27, avec une population de 1563 étudiants à plein temps, sa contribution serait d’environ 91 M$.

Ainsi, pour l’année 2022-23, en se basant sur les résultats de l’Université de Moncton, la contribution de l’UOF au PIB de l’Ontario pourrait s’établir entre 16 et 23 M$. À la 8e année d’opération, en 2026-27, si sa population étudiante à plein temps atteint celle estimée, sa contribution au PIB de l’Ontario pourrait varier entre 64 et 91 M$.

Si ces prévisions s’avèrent justes, la contribution de l’UOF au PIB de l’Ontario dépasserait largement l’investissement annuel prévu par la province (12 M$) en 2023-24 pour le fonds de démarrage. Et à chaque année entre 2023-24 et 2026-27, l’écart positif entre la subvention provinciale et la contribution au PIB de la province irait en croissant jusqu’à la fin de la période de démarrage.

Il n’est pas vraiment possible de déterminer le degré de fiabilité ou la marge d’erreur de ces données. Celles-ci sont conditionnées par deux variables principales, la précision de l’estimation que l’UOF fait de sa population étudiante en 2022-23 et en 2026-27 et la différence entre les multiplicateurs observés à l’Université de Moncton et les multiplicateurs observés à l’UOF pour les années en question.

Cependant nous pouvons avoir confiance dans l’estimation du nombre d’étudiants de l’UOF. Des études sérieuses ont été faites avant que ces prévisions aient été adoptées (R. A. Malatest & Associates Ltd, 2017). Les informations présentées dans cette section proviennent de deux sources principales :

  • Une étude indépendante réalisée à la demande du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle de l’Ontario (R. A. Malatest & Associates Ltd, 2017)

  • Le rapport de planification de l’UOF (UOF, 2017). Il faut noter que les prévisions de la population étudiante ont été mises à jour le 1er juin 2020.

Selon l’étude Malatest, la population étudiante initiale de la nouvelle institution pourrait s’établir entre 2 454 et 4 049 étudiants en tenant compte de 4 catégories d’étudiants : les finissants des conseils scolaires francophones et anglophones de la région, les transferts des autres universités, les étudiants adultes et les étudiants internationaux (R. A. Malatest & Associates Ltd, 2017). Selon cette étude :

Il faudrait entre trois ans (scénario avec des effectifs élevés) et cinq ans (scénario de référence) pour qu’un éventuel établissement postsecondaire de langue française atteigne les 10 000 inscriptions qui ont été mentionnées comme étant essentielles pour répondre aux besoins des intervenants

p. 83

Les estimations de population étudiante adoptées dans le plan d’affaires par l’UOF (UOF, 2017) sont beaucoup plus modestes que celles de l’étude Malatest (R. A. Malatest & Associates Ltd, 2017), soit le tiers de celles utilisées dans l’étude Malatest. Ceci augmente le degré de confiance dans le réalisme des estimations de l’UOF et de son modèle d’affaires. Cependant, s’il s’avérait que l’UOF sous-estime l’achalandage étudiant, ceci aurait plusieurs effets sur ces projections : entre autres exemples, des inscriptions qui correspondraient davantage aux prévisions de l’étude Malatest augmenteraient les revenus de scolarité et les revenus de frais auxiliaires. Cela pourrait aussi devancer l’atteinte de l’équilibre budgétaire et l’atteinte des impacts économiques et sociétaux.

D’autres éléments ajoutent de la confiance dans les estimations de la demande pour une formation universitaire en français dans le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario. Notamment, sur le plan démographique, le ministère des Finances de l’Ontario a estimé que la population francophone des 4 à 17 ans augmenterait de 45 % entre 2006 et 2036, passant de 89 858 à 129 965 (Commissariat aux services en français, 2012; voir la Figure 3).

Figure 3

Projection des effectifs d’élèves de langue française de l’Ontario de 2006 à 2036[4]

Robichaud et al., 2019

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Quant à la région du Centre-Sud-Ouest, elle regroupe 36 % de l’ensemble des francophones en Ontario (Figure 4).

Figure 4

Projection démographique de la population francophone du Centre-Sud-Ouest de l’Ontario 2016-2028

Source : Commissariat aux services en français, 2018, p. 11

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Près de la moitié de la population francophone de cette région est issue de l’immigration et elle est généralement très scolarisée, ce qui en fait une population diversifiée et dynamique. L’Ontario, par sa Loi 49 de 2015, vise à augmenter de 5 % dans les prochaines années le pourcentage de l’immigration francophone qui oscille actuellement entre 2 et 3 %.

La croissance démographique des francophones dans la grande région (CSO) a généré une augmentation de 43,1 % des effectifs scolaires primaires et secondaires. Pour répondre à cette croissance, il a fallu construire 32 nouvelles écoles francophones entre 1999 et 2016.

Selon les données du Commissariat aux services en français de l’Ontario, la population francophone du CSO âgée de 0-14 ans en 2016 s’établissait à 33 415. Cette population augmentera de 6,9 % pour atteindre 35 731 en 2028.

Selon les données du Système d’information scolaire de l’Ontario [SISOn] (Gouvernement de l’Ontario, 2016), en 2014-2015 il y avait 6340 élèves inscrits en 12e année dans les conseils scolaires de langue française en Ontario, dont 1567 dans le CSO. Les diplômés des conseils scolaires de langue française du CSO s’inscrivent davantage dans les universités de langue anglaise qui se trouvent à proximité de leur domicile.

C’est de ce bassin que proviendra principalement la clientèle étudiante de l’UOF. Ceci justifie l’énoncé suivant qui se trouve dans le document du Conseil de planification de l’UOF en 2017 :

L’étude indépendante des besoins et de l’intérêt à l’égard de la création d’une université de langue française dans le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario (R. A. Malatest & Associates Ltd, 2017) ainsi que plusieurs autres indicateurs pointent en direction de l’existence d’un bassin d’étudiants suffisamment important pour alimenter une institution de taille modeste axée sur l’excellence académique qui se caractérise par son projet éducatif et pédagogique adapté pour le 21e siècle.

Le Tableau 2 montre pour sa part la très faible offre de programmes universitaires et collégiaux en français dans la région du Centre-Sud-Ouest : seulement 3 % des programmes de baccalauréat dans le CSO sont offerts en français, alors que 97 % sont offerts en anglais. Cela fait ressortir que l’offre de programmes postsecondaires en français est trop faible pour faire face aux besoins de la population francophone et de la demande qui pourraient se manifester si l’offre s’améliorait.

Le Conseil de planification de l’UOF a aussi tenu compte d’une étude commanditée par la Passerelle I.D.E. pour estimer la demande de main-d’oeuvre francophone ou bilingue en Ontario (Mercer, 2017), ce qui s’ajoutait à l’argumentaire en faveur d’une université de langue française dans la métropole canadienne. Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes :

  • Entre 6 % et 7 % de toutes les annonces de postes disponibles publiquement en Ontario contiennent le mot français dans la description du poste.

  • Parmi ces annonces, environ 60 % requièrent un diplôme postsecondaire de premier cycle, cette exigence étant plus fréquente pour les postes disponibles dans la région de Toronto.

  • La rémunération annoncée est, en moyenne, sensiblement plus haute pour les annonces de postes contenant le mot français dans la description (une prime d’environ 18 à 20 %), ce qui indique la valeur accordée par les employeurs aux compétences linguistiques en français (Mercer, 2017).

Tableau 2

Proportion des programmes universitaires et collégiaux en langue française en Ontario dans trois régions

Proportion des programmes universitaires et collégiaux en langue française en Ontario dans trois régions
Source : Ministère de la Formation et des Collèges et Universités, 2008, p. 11

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Bref, ce qui précède démontre que les prévisions de l’UOF quant à sa population étudiante future sont très prudentes et probablement sous-estimées. De plus, la documentation consultée permet d’avoir confiance dans les prévisions des retombées économiques possibles de l’UOF.

3.2 Retombées pour la création d’emploi et le soutien à l’emploi

L’étude d’impact de l’Université de Nipissing (KPMG LPP, 2018) permet de présenter les retombées possibles de l’UOF en ce qui a trait à la création d’emploi et au soutien à l’emploi, en considérant le multiplicateur découlant de son nombre de salariés.

La contribution de l’Université de Nipissing au soutien et à la création d’emploi a été de 789 emplois additionnels, en raison des effets directs, indirects et induits. Ceci donne donc un total de 1 229 emplois découlant de l’existence de l’Université de Nipissing. Il est possible d’établir un rapport entre le nombre d’employés de l’Université et les postes générés (789/440 = 1,8). Ceci signifie que pour chaque employé l’Université génère 1,8 poste dans la communauté.

Suite aux mises à jour de juin 2020, l’UOF prévoit l’embauche de 78 membres du personnel toutes catégories confondues (corps professoral et personnel administratif) pour la 4e année d’opération (2022-2023) et atteindre 123 membres en 2026-27, à sa 8e année d’opération. Ainsi, en appliquant un multiplicateur de 1,8, comme celui observé à l’Université de Nipissing, l’UOF pourrait générer un total de 218 postes en 2022-23 et 344 postes en 2026-27 (Tableau 3).

Tableau 3

Multiplicateur de l’Université de Nipissing appliqué à l’UOF pour 2022-23 et 2026-27

Multiplicateur de l’Université de Nipissing appliqué à l’UOF pour 2022-23 et 2026-27
Robichaud et al., 2019

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3.3 Retombées des subventions gouvernementales : trop tôt pour les évaluer

L’Université de Brandon, dans son rapport d’impact (Brandon University, 2014), a mesuré les retombées économiques des subventions gouvernementales. Considérant que ses retombées économiques globales, directes, indirectes et induites, ont été de 417 millions $ en 2014-15 et que les subventions provinciales de fonctionnement se sont chiffrées à 37 millions de dollars en 2014-2015, son rapport d’impact économique établit que pour chaque dollar investi par le gouvernement il y a un retour économique de 11,30 $ (417 M$ / 37 M$=11,30 $). L’Université de Brandon a aussi estimé que les 417 millions $ de retombées économiques correspondaient à 8,7 fois ses dépenses de fonctionnement.

Ces multiplicateurs pourraient fournir une indication de l’impact économique possible des subventions gouvernementales à l’UOF pour les années à venir lorsqu’elle aura atteint le seuil de rentabilité. Cependant, il nous semble très hasardeux en cette phase de démarrage d’appliquer les multiplicateurs de l’Université de Brandon à la situation de l’UOF. L’approche de l’Université de Brandon pour mesurer son impact économique au Manitoba n’est présentée ici qu’à titre illustratif d’une autre méthode possible pour éventuellement mesurer l’impact économique de l’UOF quand elle aura atteint son rythme de croisière.

En conclusion de cette section sur l’impact économique possible de l’UOF, l’analyse fait ressortir que les estimations ont toutes les chances d’être réalistes et qu’elles seront possiblement dépassées si la population étudiante excède les prévisions prudentes à la base de son modèle académique.

4. Effets de l’implantation de l’UOF sur l’ensemble de la société ontarienne

Pour cette deuxième partie de l’article, le contenu de la Loi de 2017 sur la création de l’Université de l’Ontario français (Gouvernement de l’Ontario, 2017) ainsi que les documents de planification et de mise en oeuvre de l’UOF, mis à jour au 30 juin 2020, ont été analysés pour bien comprendre les orientations stratégiques, et en particulier le modèle académique, de même que pour identifier les impacts sociétaux attendus.

4.1 Les orientations stratégiques

Dans le contexte où la survie de l’UOF était menacée, elle avait à démontrer qu’elle rencontrerait en tout point les orientations du gouvernement. L’une de ces orientations était formulée de la façon suivante : « former les gens en vue des emplois de l’avenir ». La planification académique de l’UOF tient compte des priorités gouvernementales et elle fut recadrée pour que ce soit encore plus clair. La formation est axée sur le développement de compétences globales et transversales du 21e siècle. La signature pédagogique de l’UOF est innovante et moderne. On observe ceci en particulier sous l’un de ses six thèmes : études des enjeux du 21e siècle.

Les valeurs, la vision et la mission représentent les principaux éléments complémentaires qui définissent les orientations stratégiques.

Selon Rocher (1968),

la valeur implique […] l’idée d’une qualité d’être ou d’agir supérieure à laquelle on aspire ou dont on s’inspire [et] s’inscrit d’une double manière dans la réalité : elle se présente comme un idéal qui appelle adhésion ou qui invite au respect; elle se manifeste dans des choses ou des conduites qui l’expriment d’une manière concrète ou plus exactement d’une manière symbolique

p. 72

Les valeurs sont donc le socle sur lequel repose tout projet. Que peut-on dégager au sujet de l’UOF dans les documents analysés? On peut identifier une valeur d’excellence académique, ancrée dans une communauté minoritaire de langue française. Ceci mène à valoriser un modèle de gouvernance par et pour les francophones. Retenons également des valeurs de pertinence, d’innovation, de pensée stratégique et de partenariat interinstitutionnel.

Les valeurs mènent à une vision. Dans le cas de l’UOF, la vision est généreuse et ambitieuse. L’université souhaite se démarquer par sa modernité, son audace et sa pertinence. Elle veut être, par son modèle éducatif et pédagogique, adaptée au contexte du 21e siècle en milieu urbain, plus spécifiquement à Toronto, métropole canadienne. La citation suivante résume bien la vision exprimée par les fondateurs : « l’excellence dans une économie mondialisée, un monde de plus en plus numérique, pluriel et urbain » (UOF, 2017, p. 9). On peut aussi retenir un énoncé comme le suivant pour illustrer la vision :

En concordance avec la démarche récente de la province au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie, il est important de tirer avantage de cette impulsion et de continuer à investir dans la formation et le développement d’une main-d’oeuvre bilingue français-anglais et plurilingue dans la capitale financière du Canada

Adam & Johnson, 2019

La vision traduit aussi la valeur de partenariats fertiles qui consiste à cerner des possibilités d’affiliation avec un ou plusieurs établissements universitaires. Et ce volet de la vision se traduit même dans la composition des instances de gouvernance, qui se veulent participatives. Ceci laisse entrevoir la possibilité de la constitution d’un réseau d’institutions universitaires co-alimentées par les institutions partenaires.

La vision trouve aussi des assises dans la Loi de 2017 sur l’Université de l’Ontario français, particulièrement dans son préambule : « La constitution d’une université au service de la communauté francophone contribuera à promouvoir une culture francophone forte, dynamique et inclusive qui enrichira encore davantage la vie civique en Ontario » (Gouvernement de l’Ontario, 2017).

Ce préambule dans une loi de l’Assemblée législative revêt une grande importance et montre les attentes du gouvernement quant aux retombées sociétales de l’UOF. Soulignons en particulier l’expression culture francophone forte, dynamique et inclusive. Cet énoncé de vision du gouvernement provincial fait de l’UOF une institution d’intérêt public. La vision devra se traduire à tous les niveaux, tant dans sa gouvernance que dans sa programmation académique. Il faut donner au terme culture un sens anthropologique qui dépasse les manifestations culturelles pour rejoindre une histoire et un mode de vie propres aux Franco-Ontariens.

Cette vision est riche de signification et l’UOF devra l’exploiter tout au long de son évolution.

Les diverses conséquences pour les jeunes Franco-Ontariens de l’absence presque totale de programmes en français au niveau postsecondaire dans le CSO ont mis en lumière les besoins criants de la communauté et des individus. Ceci a alimenté la vision, à caractère identitaire, qui vise à assurer un meilleur avenir à la francophonie ontarienne tout en l’inscrivant dans les enjeux de la francophonie canadienne et internationale.

Nous avons noté dans divers documents de l’UOF une certaine critique du modèle classique adopté par les universités canadiennes « qui consiste à protéger les dépositaires de la connaissance, pour éventuellement les laisser réfléchir, enseigner ou mettre en vitrine leurs connaissances. C’était une vision somme toute peu organique du savoir » (Adam & Johnson, 2019).

Il y a dans la vision de l’UOF une tentative de renouvellement de l’expérience universitaire qui se traduit de la façon suivante :

Au 21e siècle, on est plus enclin à parler de mobilisation des connaissances, une activité collaborative qui consiste à co-créer et à échanger des connaissances entre une variété d’acteurs : professeurs, chercheurs, étudiants, entrepreneurs, décideurs politiques, leaders institutionnels, acteurs communautaires, etc. Cette collaboration avec une gamme d’acteurs du milieu ancre davantage l’activité universitaire dans sa ou ses communautés

Adam & Johnson, 2019

Ces énoncés sont porteurs de sens et de conséquences qui se traduisent dans la programmation académique et l’approche pédagogique. Notons que l’UOF précise son approche dans divers documents, dont l’Université à l’ère des compétences (Johnson, 2020).

Les conditions de mise en oeuvre de cette vision gagneraient à être intégrées dans un document fondateur que le Sénat académique adopterait pour expliciter la philosophie de l’éducation de l’UOF. Ce document aiderait à consolider la cohérence d’une nouvelle équipe de formateurs-chercheurs. Cela soulignerait l’une des différences marquantes de l’UOF. On répondrait ainsi à des questions fondamentales reliées à la conception que l’on se fait du rôle des étudiants dans un nouveau modèle, ou sur le type de citoyens que l’Université veut former, ce qui revient à articuler une conception de l’être humain dans la société. Ceci amènerait aussi à préciser le rôle des disciplines fondamentales dans la formation générale.

Les valeurs et la vision s’articulent dans une mission. Ce qui est particulier dans le cas de l’UOF, c’est que sa mission est inscrite dans sa loi constitutive (Gouvernement de l’Ontario, 2017) :

Mission particulière

L’Université a pour mission particulière de proposer une gamme de grades universitaires et de programmes d’études en français pour promouvoir le bien-être linguistique, culturel, économique et social de ses étudiants et de la communauté francophone de l’Ontario [Partie II, art. 3].

Mission générale

L’Université a pour mission générale de faire ce qui suit :

  1. favoriser la poursuite du savoir par l’étude, l’enseignement et la recherche dans un esprit de liberté de pensée et d’expression;

  2. offrir en français des programmes universitaires innovateurs de premier cycle et de cycles supérieurs qui répondent aux besoins des étudiants, de la communauté et des employeurs et qui font progresser les valeurs de pluralisme et d’inclusion;

  3. soutenir la gouvernance par la communauté francophone et pour la communauté francophone en conduisant ses affaires en français [Partie II, art. 4].

Une mission inscrite dans une loi c’est très précieux, mais c’est aussi très exigeant à l’égard de la reddition de compte! Faut-il rappeler qu’une nouvelle université se développe sur plusieurs décennies avant d’atteindre son rythme de croisière? Ce ne sera que dans un demi-siècle que les impacts sociétaux de l’UOF auront atteint leur pleine mesure.

Bref, les orientations stratégiques de l’UOF ont été articulées clairement dans un souci de cohérence et de pertinence.

4.2 Le modèle académique de l’UOF

Les orientations du gouvernement ontarien pour l’enseignement supérieur ont été énoncées dans un document de politique intitulé Édifier un secteur postsecondaire innovateur et durable, diffusé dans le cadre du budget provincial de 2019 (Gouvernement de l’Ontario, 2019). Le plan académique de l’UOF s’inscrit dans cette vision en prévoyant trois types de programmes pour différentes catégories de clientèle :

  • Volet 1 : Études sur les enjeux du XXIe siècle;

  • Volet 2 : Programmes professionnels;

  • Volet 3 : Certificats de compétence linguistique.

Le volet 1 comprend quatre programmes phares transdisciplinaires :

  • Baccalauréat en études des cultures numériques;

  • Baccalauréat en études de la pluralité humaine;

  • Baccalauréat en études des environnements urbains;

  • Baccalauréat en études de l’économie mondialisée.

Le contenu de ces programmes est présenté en synthèse dans la Figure 5 (Adam & Johnson, 2019).

Figure 5

Les quatre programmes d’Études sur les enjeux du 21e siècle

-> Voir la liste des figures

Ces programmes se penchent sur les grands enjeux du 21e siècle et ils visent à doter les étudiants des compétences requises pour affronter et résoudre les défis qui se posent aux entrepreneurs et aux employés. Ils sont conçus pour développer la pensée critique, la résolution de problèmes, l’innovation, la créativité, l’entrepreneuriat, la connaissance de soi, la collaboration, la communication et la citoyenneté mondiale. Bref, ils ont été pensés pour valoriser une approche expérientielle et par compétences, dans une perspective transdisciplinaire.

Ces compétences ont été mentionnées par de nombreuses grandes organisations telles que le Forum économique mondial et l’OCDE. Au Canada, le Conseil des ministres de l’Éducation et le ministère de l’Éducation de l’Ontario ont systématisé ces compétences que l’on nomme les compétences globales ou transversales du 21e siècle (Adam & Johnson, 2019).

Ces quatre programmes incluent des syllabus de 120 cours de premier cycle. Chaque programme identifie les débouchés sur le marché de l’emploi. Pour créer ces programmes, l’UOF s’est appuyée sur des études de besoins de formation de la main-d’oeuvre à Toronto, destination principale hors Québec de l’immigration francophone mondiale et force d’attraction en raison du dynamisme économique et social des francophones du Canada.

Le deuxième volet consiste à élaborer, en partenariat, des programmes professionnels offerts entièrement en français pour répondre aux besoins pressants de formation dans des secteurs clés pour les collectivités francophones, notamment l’éducation, la santé, le travail social, les finances, le commerce, les communications et la technologie, l’administration publique et le droit. Ces programmes aideront à combler des lacunes de main-d’oeuvre dans des domaines essentiels, ce qui correspond aux engagements de l’Ontario envers la population francophone en vertu de la Loi sur les services en français.

Le troisième volet vise à offrir un certificat de compétence linguistique en français aux étudiants francophones et francophiles inscrits dans les universités de langue anglaise afin qu’ils puissent assurer des services mieux adaptés à la clientèle francophone.

Ce qui précède permet de constater que l’UOF repose sur des fondements solides et cohérents correspondant à une articulation claire entre ses orientations stratégiques et sa programmation académique. L’exercice révèle que le travail a été fait de façon systématique et rigoureuse. Le plan est original, innovateur et bien ancré dans la réalité du XXIe siècle. L’avenir pour l’UOF nous apparaît prometteur. L’université rapportera tant aux communautés franco-ontariennes qu’à l’ensemble de la population de la province.

Il faut noter qu’à cette étape de développement de l’UOF, la documentation consultée met l’accent sur la formation et fait peu état de la recherche. Cependant, rien dans la loi constitutive n’empêche l’UOF de développer la recherche en lien avec ses créneaux phares. L’un des premiers champs de recherche pourrait porter sur l’histoire et la culture de la communauté franco-ontarienne. Ce domaine de recherche pourrait faire partie de la signature de l’UOF.

4.3 Les impacts sociétaux attendus

Les spécialistes de la recherche évaluative et ceux qui s’adonnent à l’évaluation des résultats distinguent différents niveaux de performance. En résumé, on identifie généralement trois niveaux de résultats :

  • Des résultats immédiats qui se manifestent à la suite d’une intervention et se situent souvent au plan individuel. Dans le cas d’une université, il peut s’agir du nombre, de la diversité et de la qualité des diplômes.

  • Des résultats intermédiaires qui se répercutent sur des institutions. Pour une université, on peut penser aux effets des programmes et de la recherche sur une institution, comme le système de santé ou l’éducation.

  • Des résultats globaux, qui ont des impacts sur l’ensemble de la société tels le renforcement d’une culture ou l’amélioration de la compétitivité en matière de commerce international.

Pour estimer les retombées sociétales, il faut aussi prévoir l’évolution et la maturation de l’UOF. Ainsi, au cours de la prochaine décennie, non seulement le nombre de programmes de l’UOF augmentera, mais sa clientèle étudiante aussi. Il faut aussi prévoir que les activités de recherche de l’UOF s’intensifieront avec les années. Les enseignants-chercheurs de l’UOF développeront de nouvelles niches de recherche et les subventions de recherche augmenteront progressivement. Nous présentons les principaux effets sociétaux selon cette logique.

On peut s’attendre à ce qu’un résultat immédiat se manifeste dans le domaine de l’éducation, grâce aux programmes professionnels. L’UOF veut répondre à des besoins spécifiques de formation de la communauté franco-ontarienne en ciblant en particulier la région du CSO, dans un contexte de croissance de la demande, en raison de la croissance démographique et de l’apport de l’immigration francophone. Rappelons que la région du Centre-Sud-Ouest regroupe 41 % de l’ensemble des francophones vivant en situation minoritaire au Canada et que près de la moitié de la population de cette région est issue de l’immigration, généralement très scolarisée (Malatest, 2017).

Dans les premiers programmes offerts, on retrouve la formation des enseignants des niveaux primaires et secondaires détenteurs d’une lettre de permission, ce qui indique qu’ils n’ont pas de certification dans le domaine. Le programme offert sera un baccalauréat alternatif en éducation, selon lequel ils pourront recevoir leur formation en cours d’emploi. Le résultat immédiat sera l’augmentation d’enseignants francophones certifiés. Il y a aussi un nouveau programme prioritaire de l’UOF en pédagogie de l’enseignement supérieur. Cette formation offerte en partenariat avec la Cité collégiale est destinée aux professeurs universitaires et collégiaux. Cette formation sera d’abord précieuse pour l’UOF qui vise à implanter une nouvelle philosophie de l’enseignement supérieur et un nouveau modèle académique et pédagogique.

Les effets du programme de certificat de compétence académique et professionnelle en langue française destiné aux anglophones qui veulent pouvoir pratiquer leur profession en français se manifesteront assez rapidement. Ces effets en matière d’éducation faciliteront, notamment, l’atteinte des exigences de la Loi sur les services en français.

L’accès aux services de santé en français est l’un des principaux enjeux de la communauté franco-ontarienne et fait partie des objectifs de la Loi sur les services en français. Les programmes de l’UOF en matière de services à la personne et aux communautés auront des effets bénéfiques pour les membres de la minorité linguistique de la région, voire de la province, sur l’accès à des services dans leur langue. Un meilleur accès est susceptible d’améliorer la santé globale de cette population.

Un autre effet de l’UOF se fera aussi sentir sur le marché du travail. L’UOF, en se consacrant uniquement à des programmes en français, a le potentiel d’augmenter la proportion de personnes bilingues sur le marché du travail de Toronto, et plus largement de la Francophonie canadienne. Notons que les différents rapports consultés observent une forte demande pour du personnel bilingue.

Les travailleurs spécialisés bilingues auront un meilleur accès à des emplois rémunérateurs dans la nouvelle économie. Les entreprises et autres employeurs dont la main-d’oeuvre bilingue s’inscrira aux programmes de formation continue en cours d’emploi (formation continue des adultes) bénéficieront de l’apport de l’UOF, car la formation offerte augmentera le niveau de compétence de leur personnel et améliorera leur adaptabilité aux tâches et aux conditions changeantes du marché du travail.

Cette prévision se fonde sur deux études (R. A. Malatest & Associates Ltd, 2017; Mercer, 2017) selon lesquelles la demande du marché du travail pour une main-d’oeuvre francophone et bilingue augmentera de 61 % ou 108 772 diplômés francophones supplémentaires, d’ici 2030.

Les effets sur le bilinguisme dans cette région stratégique pour l’Ontario mènent à des résultats de niveau intermédiaire. La consolidation du bilinguisme est structurante pour une province comme l’Ontario et elle aura des effets positifs pour l’ensemble de la minorité francophone du pays. Les effets de l’UOF faciliteront même l’atteinte des objectifs de la Loi sur les langues officielles et de la Charte canadienne des droits et libertés, particulièrement quant aux droits à l’égalité.

En 2012, le Commissariat aux services en français de l’Ontario soulignait dans un rapport intitulé L’état de l’éducation postsecondaire en langue française dans le Centre-Sud-Ouest que « l’importante carence de possibilités d’études postsecondaires en langue française est, d’abord et avant tout, une question d’inégalité » (p. 53). Le même rapport poursuivait en mentionnant que cette inégalité contribuait à l’assimilation :

[…] même si les étudiants francophones préféreraient poursuivre leurs études postsecondaires en français, une majorité d’entre eux décide d’abandonner leurs études en français et de s’inscrire dans un collège ou une université de langue anglaise pour diverses raisons, y compris l’accès à des établissements de langue anglaise jouissant d’une grande réputation et situés plus près du domicile, et qui propose un éventail et une diversité de programmes et de services

Commissariat aux services en français, 2012, p. 53

Dans le même rapport, on trouve également les énoncés suivants :

[…] bon nombre d’étudiants s’identifient comme anglophones s’ils font une demande auprès d’une université anglophone (p. 54);

[…] les francophones diplômés de collèges ou d’universités de langue anglaise feront leur entrée sur le marché du travail en tant que travailleurs de langue anglaise. Après avoir reçu une formation et un enseignement en anglais, ils seront, par exemple, moins à l’aise avec la terminologie en français associée à un domaine de spécialisation particulier (p. 55).

Ces effets prévisibles de la consolidation du bilinguisme en Ontario seront d’autant plus positifs si l’on reconnaît la valeur du bilinguisme dans une économie comme celle de cette province. Deux études du Conference Board du Canada, l’une commanditée en 2018 par l’Assemblée de la Francophonie de l’Ontario (AFO) et l’autre commanditée en 2018 par l’Association des universités et collèges de la Francophonie canadienne (ACUFC) fournissent des faits saillants sur la valeur du bilinguisme.

Ainsi, selon le rapport du Conference Board (2018), commandité par l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne, « le travail des bilingues génère 38 % du PIB du Nouveau-Brunswick et autour de 12 % du PIB de l’Ontario, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard » (p. 2) et « c’est en Ontario que les bilingues produisent le plus en valeur absolue, avec 76 486,7 M$, soit 12,1 % de la production économique ontarienne » (p. 61).

Rappelons que le PIB par habitant est une mesure du niveau de vie d’une population. Le rapport souligne qu’en Ontario, les bilingues gagnent en moyenne environ 9 600 $ de plus par année que les anglophones.

Dans un autre rapport (Goucher & Mainville, 2018), commandité par l’AFO et intitulé L’Ontario, le commerce et les avantages du bilinguisme anglais-français, il est estimé que « les exportations ontariennes vers les pays francophones auraient été inférieures de 58 M$ et les importations, de 1,4 G$ si l’Ontario n’avait pas eu autant d’échanges avec les pays francophones » (p. 7).

En raison des avantages du bilinguisme, les programmes de l’UOF contribueront à augmenter la compétitivité de Toronto dans le commerce international. Soulignons que l’UOF est stratégiquement bien située à Toronto puisque c’est l’une des cinq villes canadiennes où le personnel bilingue est le plus recherché et le plus avantagé, ce qui contribuera à augmenter les échanges internationaux et à améliorer la compétitivité internationale de la province. Bref, l’UOF contribuera à l’avancement socio-économique de la province.

La consolidation du bilinguisme en Ontario dépasse les résultats intermédiaires et ses effets socio-économiques puisqu’elle rejoint un aspect majeur pour la communauté franco-ontarienne, celui de la culture. L’UOF est un puissant instrument collectif relevant de la communauté qui a le potentiel de lutter contre l’assimilation et d’accéder à l’égalité pour la minorité linguistique de langue officielle de la province. L’effet le plus durable pourrait bien être celui qui donne confiance en l’avenir aux francophones de l’Ontario. Les jeunes francophones reçoivent le message fort que faire leur vie en français en Ontario c’est possible; c’est possible d’élever une famille, c’est possible d’accéder à une éducation supérieure et de se bâtir une vie qui correspond à leur identité.

Conclusion

Une université de langue française dans la métropole canadienne aura de nombreuses retombées positives en raison de son rapport au savoir. La mission et les caractéristiques de l’UOF en feront un lieu de réflexion et de débats qui contribuera à consolider le projet de société franco-ontarien. L’analyse des retombées économiques et sociétales possibles de l’UOF promet un bel avenir pour cette université et des impacts positifs pour la province en entier sont attendus.

En 2007, un groupe d’experts de l’OCDE (Garlick et al., 2007), mandaté pour évaluer la contribution au développement régional des institutions d’enseignement supérieur dans les quatre provinces atlantiques a posé le jugement suivant à propos de l’Université de Moncton, à sa 45e année d’existence : « L’Université de Moncton a fait d’importantes contributions à sa région économique immédiate et au Nouveau-Brunswick, et a renforcé la culture en Atlantique Canada et au-delà »[5] [traduction libre]. Espérons que des jugements similaires seront émis par des observateurs externes mandatés par une organisation internationale lorsqu’ils évalueront l’impact de l’UOF dans un demi-siècle!