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Au Québec, des miliers de personnes atteintes d’un trouble mental habitent dans les ressources non institutionnelles en santé mentale. L’objectif principal de ces ressources est d’intégrer ces gens dans la communauté. Les propriétaires et les employés des ressources doivent donc poser des actions pour favoriser l’intégration communautaire de leurs résidents. La relation entre propriétaires, employés et résidents peut alors avoir une importance significative sur la manière dont ces derniers s’intègrent à l’intérieur et à l’extérieur de la résidence. Il s’avère donc pertinent de documenter cette dynamique relationnelle.

Recension des écrits

Au cours des dernières décennies, les soins donnés aux personnes atteintes d’un trouble mental ont considérablement changé au Québec. L’internement et l’isolement en milieu psychiatrique ont laissé place au traitement dans la communauté (Dorvil et coll., 2002). Ce changement, la désinstitutionnalisation, poursuivait deux objectifs : celui d’éviter de « placer » de nouvelles personnes en institution et celui de permettre aux personnes institutionnalisées de se réadapter à la vie sociale grâce à un hébergement approprié (Blanchet, 1987). Cette transformation sociale a impliqué la mise sur pied de ressources d’hébergement pour les personnes vivant avec une problématique psychiatrique sévère, comme les ressources non institutionnelles.

Les ressources non institutionnelles en santé mentale (RNI) visent le maintien et l’intégration dans la communauté des personnes atteintes de trouble mental. Elles se déclinent principalement sous deux formes : les ressources de type familial (RTF) et les ressources intermédiaires (RI)[1]. Elles offrent des services pouvant inclure les repas, la gestion de la médication, les tâches ménagères et le soutien psychologique (Centre de santé et de services sociaux de la Vieille-Capitale, 2013). Ces ressources regroupent la grande majorité des places disponibles dans les services résidentiels en santé mentale au Québec (ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec [MSSS], 2005)[2]. Selon la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), les ressources de type familial visent à offrir à leurs résidents un milieu de vie se rapprochant le plus possible d’un milieu naturel, alors que les ressources intermédiaires visent à favoriser l’intégration sociale des personnes qu’elles hébergent en procurant un milieu de vie adapté à leurs besoins grâce à des services de soutien ou d’assistance. Typiquement, les RI hébergent des sujets nécessitant plus de soutien et d’encadrement que ceux habitant en RTF (MSSS, 2013). Les propriétaires de ces ressources et leurs employés ont pour tâche d’offrir du soutien physique, psychologique et émotif aux résidents pour assurer leur bien-être. Ils doivent favoriser le développement du potentiel des résidents tout en respectant les plans d’intervention individualisés soumis par le réseau de la santé et des services sociaux (MSSS, 2003).

La relation entretenue avec le personnel est présentée par la majorité des résidents ayant participé à l’étude de Lapointe (2014) comme étant une relation d’autorité ou encore de pourvoyeur, c’est-à-dire que les employés sont vus comme étant responsables de subvenir à leurs besoins. Bien qu’ils soient considérés comme étant en position d’autorité par les résidents, Dorvil et Morin (2008) expliquent que les employés des RTF sont souvent perçus comme formant les relations les plus significatives vécues en RTF. Pour leur part, les gens vivant en RI parlent généralement en termes positifs des employés, mais certains dénotent un manque de souplesse et d’empathie chez ces derniers. Ils ne se sentent pas systématiquement respectés par ces personnes et peuvent même s’y sentir subordonnés (Clément et coll., 2009). D’ailleurs, selon Bengtsson-Tops et coll. (2014), les résidents peuvent avoir le sentiment d’être traités injustement par les employés lorsque ceux-ci les surveillent, essaient d’influencer leurs activités ou contreviennent à une entente prise avec eux.

Le fait d’entretenir des rapports positifs avec le propriétaire de l’établissement est important pour les résidents; le sentiment d’appropriation de l’espace physique tend à disparaître lorsque ces rapports sont conflictuels (Dorvil et Morin, 2008). Selon Lapointe (2014), les résidents peuvent percevoir le propriétaire de leur établissement de différentes manières : comme un confident, une figure d’autorité, un pourvoyeur, une figure paternelle ou un ami. Dans les RTF, les résidents rapportent que les propriétaires constituent une source d’encouragement et de soutien moral. Ils sont vus comme étant gentils, patients et humains. Le constat n’est pas très différent en RI, où les gens considèrent vivre dans un milieu de vie respectueux (Clément et coll., 2009).

Néanmoins, cette relation n’est pas exempte de problèmes. Les résidents de RTF soulignent ressentir parfois un manque de respect des propriétaires, se traduisant en préjugés et en manque d’encouragements. Les résidents de RI mentionnent l’existence de préjugés sur la maladie mentale de la part des propriétaires. Ils notent que, par moments, ces derniers agissent de manière trop protectrice, qu’ils pensent et parlent à leur place, et adoptent une attitude hautaine à leur égard (Clément et coll., 2009).

La présence du personnel dans les RNI permet d’assurer un encadrement des pensionnaires. Dans le domaine du logement en santé mentale, le degré d’encadrement offert par la résidence est perçu comme le reflet du degré d’autonomie des résidents. Plus les résidents sont soumis à un grand nombre de règlements, moins ils se sentent autonomes. Dans cette perspective, le logement autonome est souvent vu comme l’idéal à atteindre en matière d’habitation (Browne et Courtney, 2005; Dorvil et coll., 2002; Morin et Dorvil, 2008; Sylvestre et coll., 2007). D’ailleurs, les RNI peuvent être vues comme des milieux contraignants, puisque l’organisation de l’espace physique et temporel échappe en partie aux résidents (Dorvil et Morin, 2008; Dorvil et coll., 2002). Effectivement, les RNI peuvent restreindre la liberté des résidents avec leur réglementation. Par exemple, il est possible qu’une RNI interdise la présence d’une personne de l’autre sexe dans la chambre du pensionnaire (Piat et coll., 2006). Cela est problématique, puisque selon Sylvestre et coll. (2007), la satisfaction à l’égard du logement chez les personnes atteintes d’un trouble mental est liée à la perception d’avoir un contrôle sur son milieu de vie. D’après Sheilheimer et Doyal (1996), les logements offrant le moins de restrictions sont associés à un plus haut degré de satisfaction quant à l’habitation. Cependant, bien que certains considèrent la réglementation de leur établissement comme étant trop sévère ou inappropriée, elle est vue par la majorité des résidents comme étant raisonnable et favorable au rétablissement[3] (Piat et coll., 2012).

Un clivage existe sur la question de l’encadrement. Certains résidents apprécient le fait d’évoluer dans un cadre « serré », plutôt rigide, alors que d’autres aimeraient disposer de plus d’autonomie. Bien que la liberté soit considérée comme un élément favorable au rétablissement, certains sont prêts à en sacrifier une partie au profit de la sécurité offerte par les RNI (Piat et coll., 2012). D’ailleurs, l’appréciation du milieu de vie en RTF découle du sentiment de sécurité fourni par la ressource, et non de celui de liberté (Dorvil et Morin, 2008). Néanmoins, le besoin d’acquérir plus d’autonomie se manifeste à travers certaines attentes. Dans la région de Québec, les résidents souhaiteraient généralement des règlements plus souples, moins de pression à participer à des activités et plus d’autonomie dans les tâches domestiques comme la préparation des repas. De manière plus marginale, certains aimeraient être en mesure d’administrer eux-mêmes leurs avoirs et détenir plus de pouvoir pour prendre des décisions concernant leur état de santé (Clément et coll., 2009).

Au Québec, les écrits concernant les RNI présentent certaines limites. Tout d’abord, une grande proportion des études se sont déroulées uniquement dans la région de Montréal (Dorvil et coll., 2002; Piat et coll., 2005; Piat et coll., 2006; Piat et coll., 2008; Piat et coll., 2012). La situation dans les autres régions reste donc peu documentée. De plus, la plupart des recherches décrivent la perspective des résidents en ne tenant pas compte des autres personnes impliquées dans les services résidentiels, comme les propriétaires et leurs employés (Clément et coll., 2009; Dorvil et Morin, 2008; Dorvil et coll. 2002; Morin et Dorvil 2008; Piat et coll., 2008; Piat et coll., 2012). Pour pallier ces limites, la présente recherche se déroule dans la région de Québec, une région peu explorée dans les textes concernant les RNI. De plus, elle tient compte du point de vue de différents types d’acteurs impliqués dans les RNI sur l’objet de l’étude, c’est-à-dire les interventions des RNI pour favoriser l’intégration communautaire des personnes y habitant. L’objectif de la recherche est donc de déterminer l’impact que peuvent avoir les propriétaires et les employés des RNI sur l’intégration communautaire des résidents.

Cadre conceptuel

Le modèle de l’intégration communautaire de Segal et Aviram (1978)—un modèle directement enraciné dans les ressources d’hébergement en santé mentale —sert de cadre conceptuel à cette recherche. Il permet de comprendre de manière plus complète et nuancée l’intégration communautaire des résidents en la divisant en deux concepts : l’intégration interne et l’intégration externe. L’intégration externe fait référence à l’évolution des résidents à l’extérieur de la résidence, dans une communauté jugée normative. Elle implique l’accès et la participation à la vie communautaire de manière indépendante, sans soutien de la ressource d’hébergement. L’intégration interne fait référence à l’évolution des résidents au sein de la résidence; ce qui comprend les interactions sociales et la consommation à l’intérieur de la résidence, ainsi que l’accès à la vie dans la communauté au travers du soutien de la ressource d’hébergement qui joue alors un rôle d’intermédiaire entre la personne et la communauté.

L’intégration interne et l’intégration externe s’évaluent à partir de cinq dimensions : la présence, l’accès, la participation, la production et la consommation. La présence fait référence au temps passé à l’intérieur et à l’extérieur de la ressource. L’accès consiste en la disponibilité des biens, des services et des contacts sociaux dans un milieu. La dimension de la participation s’évalue au travers de l’implication de la personne dans des activités avec d’autres gens. La production représente la poursuite d’activités permettant l’obtention d’un revenu. Pour terminer, la dimension de la consommation se traduit par le contrôle des revenus pour se procurer des biens et des services. Segal et Aviram (1978) considèrent que trois facteurs agissent sur l’intégration externe d’une personne : les caractéristiques du résident, de la communauté et de la ressource d’hébergement. Cette recherche porte spécifiquement sur les caractéristiques de la résidence, plus précisément sur l’impact que peuvent avoir les propriétaires et les employés sur l’intégration communautaire des résidents. La méthodologie est décrite dans les prochaines sections.

Méthodologie

Cette recherche qualitative a été effectuée dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en service social. Elle adopte une posture constructiviste, ancrée dans l’idée qu’il faut s’intéresser au savoir subjectif que les gens se construisent d’un phénomène social pour le comprendre (Morris, 2006). L’influence des RNI sur l’intégration communautaire des résidents est donc étudiée à partir du point de vue des principaux intéressés. Les modalités entourant l’échantillonnage, de même que celles liées à la collecte des données, leur traitement et leur analyse sont présentés dans les prochaines lignes.

L’échantillonnage

La population à l’étude est constituée de propriétaires, d’employés et de résidents des RNI de la région de Québec. Au moment du recrutement, cela impliquait les résidents occupant les 688 places existantes dans les 43 RI et les 38 RTF de la région de Québec et de Portneuf. Cela incluait aussi l’ensemble des propriétaires et des employés de ces RNI (Centre de santé et des services sociaux de la Vieille-Capitale, 2013). L’échantillon a été obtenu à l’aide de la méthode par contraste. Selon Pires (1997), la diversité des participants est une caractéristique importante de cette méthode d’échantillonnage par cas multiples. L’auteur explique qu’il faut, idéalement, prévoir au moins un représentant de chaque groupe pertinent à l’objet de l’étude dans l’échantillon. Cette diversité ouvre la voie aux comparaisons entre les participants. Pour avoir un échantillon le plus varié possible, trois groupes d’acteurs impliqués dans les RNI ont fait l’objet du recrutement : les résidents, les employés et les propriétaires.

Pour obtenir un échantillon diversifié, les résidents ont été sélectionnés en fonction de l’âge, du sexe et du type de ressource d’hébergement qu’ils habitent. Pour ces personnes, les critères d’inclusion de l’étude ont consisté à : avoir vécu au moins trois mois dans une RNI au cours des cinq dernières années; ne pas être considéré inapte au plan légal; et ne pas présenter des problématiques pouvant nuire à la compréhension du processus de recherche comme la démence. Pour s’assurer que les résidents répondent à ces critères d’inclusion, leur recrutement a été confié aux intervenants du programme des RNI du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de la Capitale-Nationale.

Pour l’échantillon des propriétaires et des employés, l’objectif poursuivi a été d’obtenir la plus grande diversité possible des caractéristiques du milieu d’hébergement auquel ils sont rattachés. Leur recrutement a été réalisé grâce au soutien de l’Association des ressources intermédiaires d’hébergement du Québec (ARIHQ) et du CIUSSS de la Capitale-Nationale. Pour l’échantillon des employés, les critères d’inclusion se limitent à être à l’emploi d’une RNI et au critère d’avoir une expérience de travail de plus de trois mois dans ce type d’établissement.

Technique de collecte des données

L’entretien semi-directif a été la méthode qualitative utilisée pour collecter les données. Ce type d’entretien permet d’organiser les informations à recueillir par thèmes, ce qui facilite la couverture de l’ensemble des dimensions concernées par l’étude (Imbert, 2010). Les entrevues se sont déroulées entre le 3 octobre 2015 et le 14 mars 2016. Généralement, elles avaient une durée variant entre une et deux heures.

Traitement et analyse des données

Les entrevues ont été soumises à une analyse thématique de contenu (Thomas, 2006). Nous avons condensé les informations dans l’objectif de créer un modèle explicatif des actions prises par les propriétaires et les employés des RNI pour favoriser l’intégration communautaire des résidents. Une grille de codage a servi à classifier les données pour en faciliter l’analyse. Pour construire cette grille, une lecture rigoureuse de trois entrevues a été effectuée. Chacune de ces entrevues représentait l’un des trois groupes de personnes concernées par l’étude. La lecture des entrevues a permis d’identifier des segments de texte possédant une signification unique et spécifique, ce qui est appelé des « unités de sens » dans le modèle de l’analyse de contenu de Thomas (2006, cité dans Blais et Martineau, 2006). Les unités de sens ont reçu une étiquette pour former les premières catégories de l’analyse. Les catégories similaires à d’autres ont été fusionnées pour s’assurer qu’elles soient mutuellement exclusives. Ces catégories ont ensuite été regroupées ensemble selon des thèmes généraux, dont certains ont été inspirés par les dimensions de consommation, de production et de participation du modèle de Segal et Aviram (1978). D’autres thèmes ont été créés par induction comme celui des perceptions, des rapports sociaux des résidents, et des interventions du milieu résidentiel.

Résultats

Il est possible de décrire la dynamique relationnelle que les résidents entretiennent avec les propriétaires et les employés des RNI selon trois thèmes : l’autorité, l’autonomie et la protection. Ces thèmes sont présentés à la suite de la description des caractéristiques des participants de l’étude.

Caractéristiques des participants

L’échantillon est diversifié : il comporte cinq résidents, quatre propriétaires et trois employés. Pour préserver l’anonymat des participants, ils se sont vus attribuer un pseudonyme et leur description est peu détaillée.

Les caractéristiques des résidents recrutés sont diversifiées, elles sont présentées au tableau 1. L’échantillon des propriétaires comporte quatre personnes responsables de 83 places dans les RNI de Beauport, Charlesbourg et Limoilou. Elles ont une moyenne d’âge de 51 ans. Leurs caractéristiques sont présentées au tableau 2. Les trois employés recrutés sont tous issus des ressources intermédiaires. Ils ont tous un rôle similaire, celui de coordonnateur de la résidence. Le lieu de travail de deux des participants se retrouve à Beauport, l’autre dans le quartier Saint-Sauveur. La moyenne d’âge des employés est de 30 ans. Leurs caractéristiques sont présentées au tableau 3.

Tableau 1

Caractéristiques des résidents ayant participé à l’étude

Caractéristiques des résidents ayant participé à l’étude

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Tableau 2

Caractéristiques des propriétaires ayant participé à l’étude

Caractéristiques des propriétaires ayant participé à l’étude

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Tableau 3

Caractéristiques des employés ayant participé à l’étude

Caractéristiques des employés ayant participé à l’étude

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Cela conclut la présentation des participants. Les prochains paragraphes décrivent la relation qu’entretiennent les résidents avec les intervenants de leur résidence. L’importance des concepts d’autorité, d’autonomie et de protection dans cette relation fait par la suite l’objet d’une analyse.

Dynamique relationnelle

Pour comprendre l’influence que les propriétaires et les employés ont sur l’intégration communautaire des personnes habitant les RNI, il faut tenir compte du fait que leurs interventions visent généralement deux cibles : l’acquisition d’autonomie par les résidents et leur protection. Une tension existe entre ces deux cibles, c’est-à-dire qu’une action sur l’une amène généralement un effet opposé sur l’autre. Pour mettre en place des interventions relatives tant à l’autonomie qu’à la protection des résidents, l’outil utilisé par les employés et les propriétaires est leur statut d’autorité. Les concepts d’autonomie, de protection et d’autorité sont donc centraux à la compréhension des interventions touchant l’intégration communautaire des résidents. Les particularités de ces concepts sont décrites dans les prochains paragraphes.

L’autorité

L’autorité du personnel permet d’intervenir auprès des résidents pour éviter qu’ils adoptent des comportements jugés inappropriés à la vie de groupe. Ainsi, l’autorité des intervenants favorise l’intégration à l’intérieur de la résidence en permettant d’évoluer dans un milieu de vie respectueux où les conflits sont limités. Pour pouvoir intervenir auprès des résidents, il est nécessaire de les surveiller. Cette surveillance permet de s’assurer que les résidents adoptent une attitude respectueuse envers leurs pairs. Parfois, cette surveillance se poursuit à l’extérieur de la résidence. En effet, certains propriétaires ont mentionné qu’ils visitaient leurs résidents dans les centres de jour pour voir comment ils y évoluent. Si la surveillance peut servir à améliorer les rapports entre les résidents, cela peut aussi avoir pour effet de créer des tensions avec les figures d’autorité de la résidence. À titre d’exemple, un résident, John, déplore avoir vécu de la colère lorsque sa résidence a installé des caméras de surveillance sans l’avertir au préalable :

Ça m’avait dérangé (…) parce que ça me choquait (…) pis parce que je ne voyais pas pourquoi dans une résidence comme ici, [sic] y’ont besoin d’une caméra pour savoir tout là.

John, résident de ressource intermédiaire

Pour maintenir leur statut d’autorité, les intervenants doivent souvent s’abstenir d’avoir une proximité relationnelle trop prononcée avec les résidents. Généralement, un rôle plus autoritaire est attribué aux propriétaires, il est même comparé à un statut parental. Cela les amène à faire des interventions disciplinaires lorsque les employés s’avèrent incapables d’intervenir efficacement auprès des résidents :

Moi, tous les jours (…) je rencontre les intervenants, pis je vois ce qu’il se passe pis si j’ai à intervenir, des fois, pour recadrer certains résidents, parce que les employés, étant donné qu’ils sont constamment avec eux (…) il se crée une certaine familiarité, pis ce n’est pas toujours facile pour eux de les recadrer.

George, propriétaire d’une ressource intermédiaire

L’autorité peut donc amener une certaine distance émotionnelle entre le personnel et les résidents. Cependant, le rapport d’autorité est nécessaire pour aider les résidents à acquérir de l’autonomie et pour assurer leur sécurité.

L’autonomie

Généralement, les propriétaires et les employés voient leur RNI comme un endroit pour faire évoluer les résidents vers plus d’autonomie et leur permettre d’acquérir les habiletés nécessaires à leur intégration communautaire. Cependant, il est important pour eux de respecter leur rythme en ne leur imposant pas des apprentissages qu’ils ne désirent pas. La décision de faire des acquis repose essentiellement sur la volonté des résidents. Leurs choix sont respectés s’ils n’amènent pas de répercussions négatives dans la RNI :

La plupart du temps, on les laisse faire leurs choix, [sic] tsé. Mais on va leur dire de se mettre une tuque pour ne pas qu’ils attrapent la grippe parce que là c’est une conséquence que nous on va devoir gérer, parce que c’est nous qui allons les amener à la clinique.

Éric, employé de ressource intermédiaire

L’objectif d’accroître l’autonomie des résidents découle en partie de la vision que les intervenants ont de ces personnes. Ils les voient comme étant des individus à part entière, avec leurs difficultés d’un côté et leur potentiel de l’autre. Trois propriétaires mentionnent concentrer leurs efforts sur la personne, et non uniquement sur leur problématique pour les faire évoluer vers une plus grande intégration communautaire. Ainsi, les résidents sont vus comme étant en mesure de faire des progrès et d’acquérir de l’autonomie :

Nous, ce qu’on essaie de faire, c’est de gérer une personne, pis enlever un peu le focus de la maladie, [sic] tsé on en prend compte, on le sait, mais ce n’est pas ça qui est important, c’est la personne qui est en avant de nous. Pis croire que la personne, ça, c’est ben important pour nous autres, croire qu’elle puisse s’améliorer, pis qu’elle peut aller mieux. Pis ça, on l’a vu depuis plusieurs années, qu’il a eu beaucoup d’améliorations chez plusieurs parce qu’on y croyait à la base.

Michael, propriétaire de plusieurs ressources intermédiaires

Pour permettre aux résidents d’être plus autonomes, les RNI tentent de leur apprendre à utiliser le transport en commun pour qu’ils puissent se déplacer librement. D’ailleurs, l’une des motivations à organiser des activités à l’extérieur du milieu résidentiel est que cela permet d’enseigner aux résidents comment effectuer des sorties dans la communauté de manière autonome. Il semble donc que l’acquisition de l’autonomie permette essentiellement une intégration à l’extérieur du milieu d’hébergement. L’objectif d’accroître l’autonomie des résidents génère aussi un impact à l’intérieur de la résidence. Une manière de favoriser la bonne entente entre ces personnes consiste à mettre en place un comité dans lequel elles peuvent s’impliquer. Généralement, les intervenants ont pour objectif que ces comités deviennent autonomes, c’est-à-dire fonctionnant sans intervention du milieu d’hébergement, pour que la coopération entre les résidents soit optimale. Malgré la volonté d’accroître l’autonomie des résidents, certains facteurs intrinsèques aux RNI peuvent aller à l’encontre de cet objectif. En effet, certains services offerts ne sont pas de nature à encourager le développement de l’autonomie :

J’veux dire que dans un sens c’est bon, mais à long terme on perd un petit peu d’autonomie étant donné qu’on est servi (…) On n’a pas besoin d’aller faire des commissions, genre notre épicerie, ou faire la cuisine, ou laver la vaisselle, comme on fait dans la vie normale. Ben, on perd pas notre autonomie, mais c’est ça, on s’habitue à certaines conditions.

Mariana, résidente de ressource de désengorgement d’hôpital

L’un des objectifs des RNI est de permettre aux résidents de faire les apprentissages nécessaires pour être en mesure d’aller en appartement supervisé, ou dans un appartement « normal ». Selon les propriétaires et les employés interrogés, seulement une minorité des personnes hébergées disposent d’un état physique et mental leur permettant d’aller en appartement supervisé. Ainsi, les interventions visant l’acquisition de l’autonomie comportent des limites :

(…) j’ai à coeur de leur permettre de voler de leurs propres ailes pis d’aller vivre en appartement, mais (…), ils ne sont pas rendus là dans leur cheminement. (...) Quand on les reçoit ici, on les accepte aussi où y sont rendu dans leur cheminement, on essaie de suivre leur rythme, mais s’ils ne sont pas rendus là dans leur cheminement, ça ne sert à rien de pousser parce que tu vas leur faire faire des affaires par obligation pis ça donnera pas de bons résultats.

Sonia, propriétaire de ressource de type familial

Il semble donc préférable d’aller au rythme des résidents en ne leur imposant pas des apprentissages qu’ils ne désirent pas. S’il n’est pas possible d’amener l’ensemble des résidents en appartement supervisé, les ressources font généralement en sorte de les aider à s’intégrer dans la communauté.

La protection

Les résidents sont souvent perçus comme étant une population vulnérable qu’il convient de protéger. Les ressources tentent de les défendre contre les dangers provenant autant de l’intérieur que de l’extérieur de la résidence. Pour éviter qu’ils s’exposent aux dangers de l’environnement, on peut leur imposer un encadrement limitant leur liberté. Ainsi, le désir de protéger les résidents peut entrer en contradiction avec celui d’accroître leur autonomie.

La mise en place d’interventions restreignant la liberté des résidents diminue la possibilité de voir des conflits émerger au sein des RNI. Effectivement, les comportements de nature à troubler la quiétude des pensionnaires sont proscrits. Par exemple, il est généralement imposé d’éviter de consommer de l’alcool dans les pièces communes de la résidence et d’avoir des activités bruyantes durant la nuit. La volonté de protéger ces personnes se manifeste aussi dans les efforts effectués pour limiter les échanges commerciaux entre elles, puisqu’ils représentent un risque de voir les résidents plus vulnérables se faire exploiter par leurs pairs. Pour éviter les tensions liées à ces échanges, les RNI peuvent gérer le budget de certaines personnes.

Le fait d’éviter que des agissements dérangeants aient lieu dans la résidence facilite l’intégration à l’intérieur de la RNI. Par ailleurs, il est aussi possible d’intervenir pour protéger les résidents contre les effets néfastes de l’isolement social. Par exemple, une ressource a mis en place un cadre pour assurer une présence minimale de certains résidents dans les pièces communes, ce qui favorise les contacts avec les pairs et le personnel :

Il y en a même qu’on a mis un cadre pour leur demander d’être au salon un minimum de temps (…), parce que sinon ils sont dans leur chambre, ils broient du noir [sic] tsé, dans certaines périodes. Alors, dans certains cas, on a mis, avec l’aide de l’éducateur, un programme dans sa journée. Par exemple, j’ai une dame, elle doit être au salon au moins une heure, on l’a responsabilisée de donner à manger à l’oiseau, à arroser les plantes (...)

George, propriétaire de ressource intermédiaire

Bien que, de manière générale, les RNI fassent des efforts pour favoriser la présence des familles auprès des résidents, elles peuvent aussi la limiter lorsque cela représente un danger pour eux. Il peut arriver que des membres de la famille d’un résident essaient de lui soutirer de l’argent et même de maintenir une relation incestueuse avec lui. Dans ce cas, la RNI peut retirer à ses pensionnaires leur autonomie en ce qui a trait à la gestion de leurs rapports familiaux.

Les RNI prennent aussi des mesures pour protéger les résidents contre le coût élevé des biens et des services offerts dans leur environnement. Certains produits et services sont offerts à l’intérieur des RNI, notamment ceux reliés à l’hygiène corporelle comme le savon, le dentifrice, les services de coiffure et de soins de pieds[4]. Bien que ces mesures leur permettent de faire des économies importantes, elles réduisent la nécessité de se procurer des biens et des services de manière autonome dans la communauté, ce qui peut nuire à l’intégration externe. Cependant, cela leur permet de conserver de l’argent pour s’acheter d’autres produits dans la communauté ou effectuer des activités.

Analyse de la relation existant entre ces trois concepts

Pour faire suite à la description des concepts d’autorité, d’autonomie et de protection, il est pertinent d’analyser leur relation. L’usage de l’autorité par le personnel varie en fonction des objectifs de leurs interventions, notamment celui d’accroître l’autonomie des résidents ou celui de les protéger.

L’objectif d’une intervention visant la protection des résidents consiste à éviter que ces personnes s’exposent aux dangers de l’environnement, ce qui implique généralement l’imposition de restrictions; celles-ci réfèrent aux moyens employés pour délimiter ou contraindre les actions des résidents — par exemple, la mise en place d’une réglementation. Ce genre d’intervention découle d’une vision selon laquelle les résidents forment une population vulnérable qu’il faut protéger. Lorsque les propriétaires et les employés effectuent une prise en charge des pensionnaires, leur autorité se manifeste de manière « paternaliste ». À l’intérieur de la RNI, ces interventions visent à harmoniser les rapports entre les résidents par la contenance ou la répression des comportements jugés incompatibles avec la vie de groupe. Cela permet de maintenir un climat favorable à l’intégration interne des pensionnaires. L’imposition de limitations peut toutefois affecter négativement l’autonomie des résidents, ce qui peut être défavorable à leur intégration externe. Il arrive parfois que les interventions limitent les possibilités de faire des sorties de manière autonome pour protéger les résidents des dangers de l’environnement.

Une intervention visant l’acquisition de l’autonomie se base sur l’idée que les résidents sont des personnes à part entière, en mesure de faire leurs propres choix. L’objectif étant de permettre aux résidents d’acquérir plus de liberté au quotidien, et non de leur imposer des restrictions. Les interventions sont basées sur la confiance que manifestent les résidents à l’égard des intervenants. Il s’agit donc de moyens non contraignants qui sont utilisés tels que des encouragements ou des conseils. En acquérant de l’autonomie, les résidents ont plus de possibilités de faire des sorties par eux-mêmes, ce qui favorise leur intégration externe; en revanche, cela augmente aussi le risque de s’exposer aux dangers de l’environnement. Ainsi, la protection que procure la RNI peut diminuer en fonction d’une plus grande marge d’autonomie. Étant donné que ces interventions touchent essentiellement la vie des résidents à l’extérieur de la ressource, il est difficile d’estimer l’impact qu’elles peuvent présenter sur leur intégration interne. Le schéma 1 illustre l’usage de l’autorité dans les interventions visant la protection et l’autonomie des résidents ainsi que leur impact sur leur intégration communautaire.

Schéma 1

Intégration communautaire en ressource d’hébergement : l’usage de l’autorité dans les interventions et son impact sur la protection et l’autonomie des résidents

Intégration communautaire en ressource d’hébergement : l’usage de l’autorité dans les interventions et son impact sur la protection et l’autonomie des résidents

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Interprétation des résultats

L’existence d’une tension entre les interventions visant l’acquisition de l’autonomie et celles visant la protection des résidents a été évoquée. Cette tension fait écho à celle existant entre deux types de besoins des résidents : celui d’être en sécurité et celui d’être libre. Cette ambivalence se retrouve aussi dans les écrits scientifiques. Piat et coll. (2008) mentionnent la présence d’un dilemme entre le désir de construire sa vie à l’intérieur de la ressource d’hébergement et celui de se construire une vie en dehors de ce milieu. Le premier désir est lié au besoin d’être en sécurité et d’obtenir du soutien, tandis que le deuxième est associé au besoin d’acquérir davantage d’autonomie. On peut en déduire que l’intégration interne permet de combler le besoin de sécurité, alors que l’intégration externe permet d’actualiser celui d’autonomie.

Comme cela a été présenté plus tôt, il existe une relation étroite entre le concept d’autonomie et celui de protection dans les RNI. L’action sur l’une de ces deux cibles d’intervention produit généralement un effet inverse sur l’autre. Cette opposition entre ces concepts est aussi reflétée par l’existence de deux visions opposées dans les écrits scientifiques portant sur l’appréciation du milieu résidentiel. Effectivement, certaines recherches considèrent que le sentiment de sécurité que procure la RNI est plus important pour les résidents que celui de liberté, alors que d’autres privilégient l’inverse. D’un côté, les résultats de Dorvil et Morin (2008) montrent que l’appréciation des RTF provient du sentiment de sécurité qu’elles fournissent, et non de celui de liberté. Dans un même ordre d’idées, Piat et coll. (2012) expliquent que certains résidents sont prêts à limiter leur liberté au profit de la sécurité que peut offrir leur résidence. Par ailleurs, si l’importance du sentiment de sécurité pour le rétablissement est relevée par Piat et coll. (2012), ces auteurs considèrent aussi la liberté offerte par la RNI comme un facteur favorable au rétablissement. D’ailleurs, pour Sylvestre et coll. (2007), la perception d’exercer un contrôle sur son milieu de vie est associée à la satisfaction quant à l’habitation. Sheilheimer et Doyal (1996) expliquent que les individus vivant dans une formule d’habitation peu contraignante ressentent généralement une plus grande appréciation de leur milieu de vie que ceux habitant un endroit limitant leur liberté.

Pour continuer sur la tension existant entre les concepts de protection et d’autonomie, il est important d’aborder celui d’autorité. Il a été constaté, dans les résultats de la présente étude, que l’autorité permet de mettre en place des interventions visant soit l’acquisition de l’autonomie des résidents, soit leur protection. La tension entre ces deux objectifs est également perceptible quant à la vision que les intervenants ont des pensionnaires. Selon nos résultats, les résidents peuvent être simultanément perçus comme des personnes vulnérables qu’il convient de protéger et comme des gens pouvant être autonomes. Tout d’abord, en lien avec l’objectif de rendre les résidents plus autonomes, il apparaît que la vision qu’ont les intervenants des pensionnaires est teintée par l’approche du rétablissement en santé mentale. Pour eux, il est important de considérer les résidents comme étant des personnes ayant le potentiel d’être autonomes, et de ne pas les définir uniquement par leur diagnostic de trouble mental. Ainsi, les résidents sont vus comme étant en mesure de développer une identité positive d’eux-mêmes, malgré leur maladie, ce qui correspond à la définition du rétablissement de Kirk (2002). En lien avec cette vision, des interventions sont effectuées pour accroître leur autonomie. Cela confirme les résultats de Piat et coll. (2010) expliquant que les décideurs du domaine de la santé et des services sociaux considèrent que les valeurs et les pratiques des responsables des RNI sont modulées par l’approche du rétablissement. Par contre, cela tranche avec l’étude de Clément et coll. (2009), dans laquelle certains résidents affirmaient ressentir parfois, de la part des propriétaires, l’existence de préjugés quant à la maladie mentale.

Paradoxalement à l’importance accordée au rétablissement, les données indiquent que les intervenants perçoivent que la majorité des résidents ne possèdent pas les habiletés nécessaires pour vivre dans une formule d’habitation permettant plus d’autonomie. Cette perception est problématique puisque l’idéal à atteindre en matière d’habitation est le logement qui permet d’être le plus autonome possible (Browne et Courtney, 2005; Dorvil et coll., 2002; Morin et Dorvil, 2008; Sylvestre et coll., 2007). Ainsi, les résidents sont vus comme disposant d’un potentiel d’autonomie limité, constituant une population vulnérable qu’il importe de protéger. Dans ce cas, les intervenants peuvent utiliser leur statut d’autorité pour exercer un contrôle sur les actions des résidents, ce qui n’est pas exempt d’effets négatifs. Selon Bengtsson-Tops et coll. (2014), les résidents ont parfois l’impression d’être traités injustement lorsqu’ils font face à des manifestations de la relation d’autorité du personnel comme la surveillance, ou lorsqu’on tente d’influencer leurs activités quotidiennes. Ces auteurs mentionnent que la nature autoritaire de ces rapports peut amener les résidents à se sentir subordonnés au personnel.

Conclusion

La présente étude n’est pas dénuée de limites. L’exclusion des résidents considérés inaptes du point de vue légal est problématique puisqu’une grande proportion des personnes vivant en RNI font l’objet d’un mandat d’inaptitude. Cela affecte négativement la représentativité de l’échantillon quant à la population à l’étude. L’utilisation du modèle de l’intégration communautaire de Segal et Aviram (1978) comme cadre conceptuel peut aussi être perçue comme une limite. Selon Wong et Solomon (2002), ce modèle présente une vision réductrice du concept d’intégration communautaire en le limitant à sa dimension physique, sans tenir compte de l’existence de dimensions sociale et psychologique. Ce modèle a cependant été choisi car il permet de distinguer l’intégration ayant lieu à l’intérieur du milieu résidentiel de celle à l’extérieur, ce qui ajoute une nuance à l’analyse des résultats.

L’approfondissement des connaissances concernant les interventions des RNI ouvre la porte à la création d’outils pour favoriser l’intégration communautaire des résidents, tels que des programmes de formation pour le personnel de ces ressources. Pour documenter davantage la situation dans les RNI, de futures recherches pourraient recueillir des points de vue non explorés par la présente étude comme celui des membres de la famille des résidents. De futures recherches pourraient aussi utiliser d’autres méthodes que l’entretien individuel pour recueillir des données, comme la tenue de groupes de discussion ou l’observation sur le terrain. Ainsi, en diversifiant les sources de données, il serait possible d’obtenir un portrait plus complet des interventions effectuées pour favoriser l’intégration communautaire des résidents.