Corps de l’article

Aussi disponible en version anglophone sous le titre Journey Through Qualitative Research: From Design to Reporting (2018), L’aventure de la recherche qualitative. Du questionnement à la rédaction scientifique s’adresse prioritairement aux étudiants à la recherche d’un guide pour les aider à « devenir le chercheur qualitatif autonome, aventureux et rigoureux qu’[ils pourraient] être » (p. xvii). Les chapitres de ce manuel présentent les diverses étapes d’un projet de recherche : choix du projet (chap. 1), modélisation (chap. 2), choix des outils méthodologiques (chap. 4) et analyse des résultats (chap. 7, 8 et 9).

Soulignons quelques outils pédagogiques intéressants. Premièrement, au début de chacun des chapitres, un schéma du processus de recherche présente l’étape qui y sera traitée. Ce schéma facilite l’appropriation des contenus en les intégrant graduellement dans un processus de recherche. Deuxièmement, en fin de chapitre, en plus d’une bibliographie, quelques sources bibliographiques commentées sont présentées. Notons que les ouvrages méthodologiques majeurs côtoient des publications québécoises.

Les contenus sont exposés clairement et régulièrement synthétisés dans des figures et des tableaux, ce qui permet le repérage rapide d’outils pratiques. Par exemple, le tableau 1.2 (chap. 1) offre des mots-clés pour formuler des questions de recherche en fonction des approches inductives et hypothético-déductives et le tableau 2.1 (chap. 2) présente des questions pour guider le chercheur dans la formulation de ses objectifs de recherche.

Certains passages laissent par contre perplexes, et ce, d’autant plus lorsqu’on s’adresse à un public débutant. Notamment, dans le chapitre sur les enjeux éthiques (chap. 7), on peut lire : « Pour notre part, nous excluons rarement des personnes qui tiennent fermement à participer à nos recherches. Nous les rencontrons sans nécessairement utiliser leurs informations » (p. 127). Qu’en comprendra un chercheur débutant ? En nous basant sur le principe éthique du respect des participants, ne devrions-nous pas plutôt faire part du fait qu’un chercheur peut — voire doit — refuser un participant et qu’il peut — voire doit — mettre fin à un entretien non pertinent ? De plus, en nous basant sur les principes méthodologiques de l’induction et de l’itération, ne devrions-nous pas plutôt inviter un chercheur débutant à aborder cette insistance comme une voie d’analyse de son objet de recherche ? Les informations des participants seront alors, au moins, utilisables pour cerner les enjeux et les divergences en présence.

Il est aussi regrettable qu’un ouvrage portant le sous-titre Du questionnement à la rédaction scientifique n’offre pas de chapitre sur la rédaction scientifique. Cette rédaction est incontournable tant en milieu universitaire que professionnel. Elle mériterait donc développement, et ce, tant pour montrer les critiques adressées aux discours anthropologiques — une phase charnière de la discipline — que pour aborder des questions telles que : quelles sont les conventions de l’écriture scientifique ? Comment présenter visuellement des résultats qualitatifs ? Et quels sont les défis de la transmission des résultats de recherche aux participants ?

Nous regrettons aussi la division qualitatif/quantitatif, certes d’usage commun et bien ancrée dans les corpus universitaires, mais qui pose nombre de problèmes. Que faire des recherches mixtes ? Comment faire comprendre à un étudiant que de nombreuses recherches — incluant les recherches « quantitatives » — combinent des phases inductives et déductives ? Mais, surtout, comment se faire une idée d’une situation sans une description préalable qui pourrait fort bien inclure des recensions et des analyses statistiques ?

L’ouvrage souffre de cette division restrictive. À titre d’exemple, le chapitre 4 offre une grille d’observation descriptive (figure 4.5). Étrangement, le dénombrement n’est pas clairement posé comme critère descriptif. Pourtant, les dénombrements peuvent révéler des constantes et des règles porteuses de sens. Combien faut-il de fourchettes pour un couvert digne des grandes réceptions ? Combien faut-il de médailles à son uniforme ou de plumes à sa parure pour que soit reconnu son statut social ? De plus, ces dénombrements et leurs présentations graphiques et statistiques peuvent clarifier la notation des observations. Rappelons-nous un des principes d’observation de Mauss : « [d]es plans, des graphiques, des statistiques pourront remplacer avantageusement plusieurs pages de textes » (2002 : 23).

Finalement, avec cette division qualitatif/quantitatif, de faux pas deviennent quasiment inévitables. À titre d’exemple, dès l’introduction, on lit : « Dans cet ouvrage nous nous pencherons sur la méthodologie qualitative en tant que processus itératif de production de connaissances. Notre définition de la méthodologie qualitative ne dépend pas du type de sources utilisées » (p. 4). Mais, alors, pourquoi ne pas simplement utiliser l’expression « approche inductive » (St-Denis et al. 2015), expression qui a l’avantage de ne pas dépendre du type de sources ?