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1. Introduction

Le sentiment d’efficacité personnelle se définit comme le jugement de l’élève de sa capacité à atteindre un objectif ou à réaliser une tâche (Bandura, 2007). Puisque le sentiment d’efficacité personnelle varie selon les sphères d’activité de l’élève, il doit être évalué dans un contexte spécifique. Pour cette raison, cette étude se concentre sur le sentiment d’efficacité personnelle des élèves à l’égard de leur capacité à effectuer le travail scolaire (utiliser les ressources, s’organiser pour faire un travail, etc.). Un sentiment d’efficacité personnelle élevé favoriserait chez l’élève la persévérance (Schunk et DiBenedetto, 2016), la motivation (Schunk, 1991), l’engagement (Martin et Rimm‑Kaufman, 2015) et la réussite scolaire (Millones, Van Leeuwen et Ghesquière, 2013). Parallèlement, le sentiment d’efficacité personnelle détermine le comportement que l’élève adoptera lors des diverses tâches proposées en classe. Par exemple, les efforts et la persévérance dont fera preuve l’élève face à un obstacle varient selon l’évaluation de ses capacités à réussir ces tâches (Pajares, 1996). Le sentiment d’efficacité personnelle constitue donc un levier à considérer pour soutenir l’apprentissage et le développement des élèves.

Le sentiment d’efficacité personnelle se développe, entre autres, au gré des succès et des échecs vécus dans les expériences. Il est ainsi logique de supposer que l’élève développe son sentiment d’efficacité personnelle à partir des expériences vécues en classe et à partir des interactions avec ses pairs et avec l’enseignant⋅e. Des études témoignent effectivement que certaines interactions en classe influencent le sentiment d’efficacité personnelle. L’étude de Meece, Herman et McCombs (2003) montre notamment que le soutien de l’enseignant⋅e contribue au développement du sentiment d’efficacité personnelle de l’élève. Dans le même sens, Bandura, Barbaranelli, Caprara et Pastorelli (1996) suggèrent que des relations sociales positives avec les pairs favorisent le sentiment d’efficacité personnelle. Ces exemples montrent que la qualité des relations avec les autres acteur⋅rice⋅s de la classe est importante, mais les sources du développement du sentiment d’efficacité personnelle proposées par Bandura (2007) invitent à s’intéresser aux interactions en classe de manière plus large.

Cependant, tou⋅te⋅s les élèves ne rapportent pas vivre des interactions positives en classe ordinaire. Plus particulièrement, les élèves présentant des difficultés comportementales extériorisées, comme des difficultés attentionnelles, d’hyperactivité, d’autocontrôle ou de régulation émotionnelle, mentionnent vivre des relations conflictuelles avec leurs enseignant⋅e⋅s (Cefai et Cooper, 2010), se sentir exclu⋅e⋅s du groupe de pairs (Krull, Wilbert et Hennemann, 2018), intimidé⋅e⋅s par ceux-ci (Cooper et Cefai, 2013) ou stigmatisé⋅e⋅s (Mowat, 2015). Bien qu’il apparaisse logique de croire que les interactions en classe perçues par les élèves présentant des difficultés comportementales peuvent influencer leur sentiment d’efficacité personnelle, aucune étude n’a examiné les relations entre ces variables dans un contexte de classe ordinaire. Quelques études suggèrent tout de même que les stratégies d’enseignement influencent le sentiment d’efficacité personnelle des élèves (van Dinther, Dochy et Segers, 2011) ou que le sentiment d’efficacité personnelle des élèves présentant des difficultés comportementales est plus faible (Martin, Cumming, O’Neill, et Strnadová, 2017), sans nécessairement le comparer à celui des élèves tout venant de la même classe.

Dans un contexte où la scolarisation des élèves présentant des difficultés comportementales doit se dérouler le plus possible en classe ordinaire (ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2015) et où ces élèves sont présent⋅e⋅s dans la majorité des milieux éducatifs (Roskam, 2015), il apparait pertinent d’examiner les relations entre les interactions en classe, le sentiment d’efficacité personnelle et les caractéristiques comportementales des élèves.

2. Contexte théorique

Selon la théorie sociale cognitive de Bandura (1986), les comportements interagissent avec les facteurs personnels et environnementaux et ils s’influencent mutuellement pour déterminer le développement de l’individu. Ainsi, les comportements (engagement, opposition, etc.) sont déterminés par les facteurs personnels (capacités, champs d’intérêt, etc.), mais ils les influencent aussi (par exemple, moins d’engagement nuit au développement des habiletés). Dans le même sens, les comportements (agressivité, etc.) d’un individu influencent les facteurs environnementaux (par exemple, accueil par les pairs) tout comme ces derniers modifient les comportements. Ces interrelations se produisent également entre les facteurs personnels et les facteurs environnementaux.

L’influence relative des facteurs personnels, environnementaux et des comportements varie selon les situations. Bien qu’il existe d’autres processus médiateurs, Bandura (1986) considère que les processus cognitifs, composantes des facteurs personnels, exercent une influence prépondérante sur le développement humain. D’abord, l’influence de la plupart des facteurs environnementaux s’opère dans l’analyse que la personne en fait. Les processus cognitifs déterminent, entre autres, le sens et l’importance des évènements. La personne est alors guidée par la perception qu’elle peut modifier ses pensées, ses émotions et ses actions pour assurer son développement. Grâce à ses processus cognitifs, comme l’autoréflexion, l’autorégulation et l’autoorganisation, elle peut exercer une influence sur elle-même et sur son environnement pour obtenir des résultats souhaités.

Les travaux de Bandura (2007) révèlent que le comportement individuel est largement régulé par l’anticipation des résultats. Ainsi, une personne s’engagera ou non dans une action selon sa perception de sa capacité à produire les résultats escomptés. Par exemple, si un⋅e élève anticipe que ses actions porteront leurs fruits, l’élève adoptera en conséquence des comportements d’autorégulation et d’autocontrôle (Bandura, 1993). Plus le sentiment d’efficacité personnelle est fort, plus l’élève se fixera des objectifs de réussite élevés et plus son engagement à les atteindre sera ferme. À l’inverse, un⋅e élève ayant un faible sentiment d’efficacité personnelle aura tendance à éviter les situations qui lui paraissent difficiles, à abandonner devant les obstacles ou à ressentir du stress ou de la frustration face à l’adversité. Pour ces raisons, le sentiment d’efficacité personnelle s’avère un processus central et critique du développement de l’élève.

Pour développer son sentiment d’efficacité personnelle, l’élève peut compter sur les expériences actives de maitrise, les expériences vicariantes, la persuasion verbale de même que sur les indicateurs physiologiques et émotionnels (Bandura, 2007). Les expériences de maitrise renvoient aux moments au cours desquels l’élève démontre ce qu’elle⋅il est capable d’accomplir. Le traitement cognitif de cette expérience viendra influencer le sentiment d’efficacité personnelle selon que l’élève attribue sa réussite ou son échec à ses capacités ou à des causes extérieures (comme l’aide reçue ou le niveau de difficulté de l’activité). L’expérience vicariante, définie comme l’observation d’une autre personne en train d’exécuter une action donnée, constitue un autre moyen efficace par lequel l’élève peut moduler son sentiment d’efficacité personnelle. L’analyse de la performance des autres peut fournir un indice de ses capacités pour une tâche semblable. La persuasion verbale est une troisième source d’influence du développement du sentiment d’efficacité personnelle lorsque des personnes significatives, par leurs encouragements, persuadent l’élève de sa capacité à réussir une tâche. Enfin, pour évaluer ses capacités, l’élève se réfère en partie aux informations somatiques provenant de son état physiologique et émotionnel. Des indicateurs physiologiques, comme le stress, peuvent moduler le sentiment d’efficacité personnelle en étant perçus comme des signaux indiquant une incapacité.

Ces sources de développement du sentiment d’efficacité personnelle suggèrent ainsi que les interactions en classe avec les pairs et avec l’enseignant⋅e vont influencer le sentiment d’efficacité personnelle de l’élève. Par exemple, les activités d’apprentissage choisies par l’enseignant⋅e contribuent au regard que l’élève porte sur son sentiment d’efficacité personnelle en fonction notamment des succès ou des échecs vécus dans celles-ci. De même, les pairs peuvent également influencer le sentiment d’efficacité personnelle par leurs attitudes réciproques. En conséquence, les interactions en classe doivent être considérées dans l’étude du sentiment d’efficacité personnelle puisqu’elles concourent à moduler l’évaluation que l’élève en fera.

2.1 Sentiment d’efficacité personnelle et interactions en classe

Le Teaching through Interactions, le cadre conceptuel de Hamre et Pianta (2007) qui a été validé, décrit trois domaines d’interactions : le soutien émotionnel, l’organisation de la classe et le soutien à l’apprentissage. Le soutien émotionnel se caractérise par la présence de relations authentiques et d’affects positifs entre les acteur⋅rice⋅s de la classe, de même que par la sensibilité que l’enseignant⋅e manifeste à l’égard des élèves. L’organisation de la classe renvoie aux actions que l’enseignant⋅e effectue en vue de gérer proactivement et subtilement les comportements ainsi qu’à celles liées à la préparation et au déroulement des activités d’apprentissage. Enfin, le soutien à l’apprentissage concerne les pratiques mises en place pour faciliter le développement cognitif et la participation de l’élève dans ses apprentissages.

Bien que des études aient indiqué des liens entre les interactions en classe et l’engagement (Pakarinen, Aunola, Kiuru, Lerkkanen, Poikkeus, Siekkinen et Nurmi, 2014), l’autorégulation (Merritt, Wanless, Rimm-Kaufman, Cameron et Peugh, 2012) et la réussite scolaire (Pianta et Hamre, 2009 ; Reyes, Brackett, Rivers, White et Salovey, 2012) des élèves, seul un petit nombre ont examiné les liens entre les interactions en classe et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves (van Dinther et coll., 2011). L’étude de Patrick, Ryan et Kaplan (2007) montre notamment que le soutien émotionnel de l’enseignant⋅e et le soutien des pairs envers les apprentissages des élèves contribuent positivement à leur sentiment d’efficacité personnelle. Toutefois, elle n’évalue pas les interactions liées aux autres domaines du cadre Teaching through Interactions. Pourtant, les liens théoriques avec les sources de développement du sentiment d’efficacité personnelle laissent penser que les deux autres domaines d’interactions pourraient avoir une influence.

Ainsi, il semble juste de proposer que des interactions positives en classe avec les pairs et l’enseignant⋅e favorisent le développement du sentiment d’efficacité personnelle de l’élève. En contrepartie, les élèves pour qui les interactions s’avèrent plutôt conflictuelles, notamment les élèves présentant des difficultés comportementales, seraient plus susceptibles de développer un sentiment d’efficacité personnelle plus faible en classe.

2.2 Sentiment d’efficacité personnelle et caractéristiques comportementales

De l’avis de Zimmermann, Schütte, Taskinen et Köller (2013), les difficultés comportementales comprennent l’ensemble des comportements dérangeants en classe incluant ceux qui n’atteignent pas un seuil clinique menant à un diagnostic. En effet, les comportements anodins, mais répétés (comme parler sans attendre le droit de parole ou ne pas être assis sur sa chaise), sont perçus comme ceux qui entravent le plus le déroulement de la classe (Sun et Shek, 2012). Ainsi, les élèves présentant des difficultés comportementales dans cette étude sont celles⋅ceux qui ont des réactions comportementales ou émotionnelles différentes des normes associées à leur âge. La fréquence, l’intensité, la durée et la constance de ces réactions entrainent des effets négatifs sur leur rendement scolaire et leur fonctionnement social (ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2015).

Le modèle de Bandura (1986) met en exergue les liens réciproques entre le sentiment d’efficacité personnelle et le comportement de l’élève. Ce modèle permet d’énoncer qu’un⋅e élève ayant un sentiment d’efficacité personnelle élevé est plus susceptible de s’engager dans ses apprentissages et moins enclin⋅e à adopter des comportements déviants ou perturbateurs (Bandura, 1993). À l’inverse, l’élève ayant un sentiment d’efficacité personnelle plus faible aura tendance à éviter une tâche et à adopter des comportements problématiques gênant l’atteinte des objectifs, s’estimant difficilement capable de les accomplir. La similarité de ces manifestations à celles qu’ont les élèves présentant des difficultés comportementales invite à penser que ces dernier⋅ère⋅s sont susceptibles d’avoir un faible sentiment d’efficacité personnelle.

Or, relativement peu d’études ont comparé le sentiment d’efficacité personnelle des élèves présentant des difficultés comportementales à celui des élèves tout venant (Martin et coll., 2017). Celles qui l’ont fait rapportent des résultats contradictoires ; certaines indiquent que les élèves présentant des difficultés comportementales ont un plus faible sentiment d’efficacité personnelle que leurs pairs (Chouinard, Plouffe et Roy, 2004 ; Deacon, 2004), alors que d’autres ne rapportent pas de différence (Fulk, Brigham et Lohman, 1998 ; Gresham, Lane et Beebe‐Frankenberger, 2005 ; Hoza, Pelham, Milich, Pillow et McBride, 1993). Cependant, aucune de ces études ne compare le sentiment d’efficacité personnelle des élèves présentant des difficultés comportementales et tout venant qui sont scolarisé⋅e⋅s dans la même classe ordinaire. Par exemple, les élèves présentant des difficultés comportementales de l’étude de Fulk et coll. (1998) sont scolarisé⋅e⋅s en école spécialisée alors que les élèves ayant des difficultés d’apprentissage ou tout venant le sont en classe ordinaire. Comme le milieu spécialisé offre davantage d’encadrement, ce fait pourrait se traduire par un effet positif sur le sentiment d’efficacité personnelle et expliquer pourquoi les élèves présentant des difficultés comportementales de cette étude n’avaient pas un sentiment d’efficacité personnelle moindre que celui des autres élèves. Par conséquent, ces études ne permettent pas de savoir si les distinctions intergroupes sont liées aux caractéristiques comportementales ou à des interactions différentes au sein de ces milieux éducatifs.

Il est donc probable d’observer des divergences entre le sentiment d’efficacité personnelle des élèves tout venant et celui des élèves présentant des difficultés comportementales. Plus encore, il est possible que les caractéristiques comportementales modifient les liens entre les interactions vécues par les élèves en classe et leur sentiment d’efficacité personnelle. À titre d’exemple, un⋅e élève doit s’estimer semblable au pair pris comme modèle pour que le modelage puisse se traduire par des effets positifs sur son sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1993). Or, il peut être difficile pour l’élève présentant des difficultés comportementales de transposer les expériences de succès de ses pairs à sa propre situation, car son parcours scolaire est plus souvent marqué par des difficultés d’apprentissage (Dumas, 2013) et des échecs scolaires (Gage, Adamson, MacSuga-Gage et Lewis, 2017). Il y a donc lieu de penser que malgré des interactions en classe de qualité, l’effet sur le sentiment d’efficacité personnelle pourrait être différent selon les caractéristiques comportementales des élèves.

En somme, le modèle théorique de Bandura (2007) suggère que les interactions en classe peuvent influencer le sentiment d’efficacité personnelle. Comme ces interactions semblent se vivre différemment par les élèves tout venant et celles⋅ceux présentant des difficultés comportementales, il importe d’examiner le sentiment d’efficacité personnelle de tou⋅te⋅s les élèves. En conséquence, le but de cette étude est d’examiner les liens entre les interactions en classe perçues par des élèves du primaire scolarisé⋅e⋅s en classe ordinaire et leur sentiment d’efficacité personnelle en considérant leurs caractéristiques comportementales. Plus spécifiquement, le premier objectif vise à décrire le sentiment d’efficacité personnelle des élèves et à vérifier si celui des élèves tout venant se distingue de celui des élèves présentant des difficultés comportementales. Le deuxième objectif est d’évaluer la contribution des trois domaines des interactions en classe au sentiment d’efficacité personnelle de l’élève. Le troisième est de vérifier si les caractéristiques comportementales jouent un rôle modérateur dans les relations entre les domaines des interactions en classe et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves.

3. Méthode

Dans cette étude quantitative à devis descriptif explicatif (Fortin et Gagnon, 2016), une collecte de données a été effectuée auprès d’élèves du primaire scolarisé⋅e⋅s en classe ordinaire pour examiner les liens entre les interactions en classe, le sentiment d’efficacité personnelle et les caractéristiques comportementales.

3.1 Sujets

Les participant⋅e⋅s à l’étude sont des élèves de la quatrième, cinquième ou sixième année de 29 classes réparties dans 22 écoles primaires. Ces écoles de la région de l’Estrie et des Bois-Francs sont regroupées dans cinq commissions scolaires. Ces élèves ont été ciblé⋅e⋅s parce que c’est autour de la troisième année du primaire que les élèves commenceraient à avoir une vision plus réaliste de leurs compétences (Bouffard, Markovits, Vezeau, Boisvert et Dumas, 1998). Sur 656 élèves fréquentant ces classes, 78 n’ont pas participé, que ce soit en raison de leur absence, du refus ou du non-retour du formulaire de consentement adressé à leurs parents, ce qui donne un taux de participation de près de 90 %. L’échantillon se compose de 301 filles (52 %) et 273 garçons (48 %) dont l’âge varie entre 9 et 12 ans.

3.2 Instrumentation

3.2.1 Interactions en classe

Le questionnaire « Perception de la qualité des interactions en classe » est un outil élaboré et validé dans le cadre de cette étude (Beaudoin, Nadeau et Lessard, 2019). Conçu à partir de la démarche proposée par DeVellis (2017) et prenant appui sur le Classroom Assessment Scoring System, un modèle théorique d’observation (Pianta, La Paro et Hamre, 2008), ce questionnaire mesure la qualité des trois domaines d’interactions en classe à partir de la perception des élèves. Dix-huit énoncés mesurent le soutien émotionnel (α = 0,88 ; par exemple : Mon enseignant sait si quelque chose me dérange), douze évaluent l’organisation de la classe (α = 0,81 ; par exemple : Mon enseignant est capable de gérer les comportements dérangeants) et treize autres permettent d’estimer le soutien à l’apprentissage (α = 0,85 ; par exemple : Mon enseignant propose du travail stimulant dans cette classe). Les élèves sont invité⋅e⋅s à répondre selon une échelle de cinq points (1 = presque jamais ; 5 = presque toujours). Le score de chaque domaine est obtenu par la moyenne des scores aux énoncés qui le composent. Les analyses factorielles confirmatoires appuient le modèle à trois domaines (X2/dl = 2,534 ; IAC = 0,802 ; ETA = 0,052).

3.2.2 Caractéristiques comportementales des élèves : sociométrie

Les caractéristiques comportementales des élèves ont été évaluées à partir d’une activité sociométrique s’appuyant sur les procédures en vigueur et le construit de comportements problématiques selon un instrument reconnu comme le Pupil Evaluation Inventory (Pekarik, Prinz, Liebert, Weintraub et Neale, 1976). Les participant⋅e⋅s de l’étude devaient surligner dans la liste des élèves du groupe le nom d’un⋅e, deux ou trois élèves qui correspondaient le plus à sept énoncés caractérisant les comportements extériorisés. Commençant par les mots « Identifie l’élève qui », ces énoncés sont : n’attend pas son tour avant de parler, ne respecte pas les règles, se fâche facilement, dérange souvent les autres en classe, frappe ou pousse les autres, se fait le plus souvent chicaner par l’enseignant, bouge souvent sur sa chaise. La somme du nombre de nominations aux sept énoncés a été effectuée avant d’être convertie en score z par rapport à la moyenne de la classe.

Rappelons que les élèves qui correspondent à la notion d’élève présentant des difficultés comportementales manifestent des comportements problématiques dont la fréquence, l’intensité, la gravité et la constance ont des conséquences sur leur personne et sur leur environnement de classe (ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2015). En conséquence, ce sont les élèves de notre échantillon qui présentent un score z très élevé sur l’échelle des caractéristiques comportementales. Dans la courbe de distribution normale, un score z supérieur à 1,65 permet de cibler 5 % des élèves qui se distinguent du reste de la population (Aguert et Capel, 2018). Ce seuil a été retenu en raison de sa cohérence avec la prévalence estimée par certain⋅e⋅s auteur⋅e⋅s (Dworet et Maich, 2007 ; Kauffman et Landrum, 2018).

Dans les 29 classes, un⋅e, deux ou trois élèves par classe obtiennent un score z supérieur à 1,65, pour un total de 55 élèves présentant des difficultés comportementales. Un autre groupe de 24 élèves manifestait des comportements problématiques de façon supérieure à la moyenne, c’est-à-dire que leur score z était compris entre 1 et 1,65. Ces élèves ont été exclu⋅e⋅s des analyses afin d’avoir deux groupes clairement distincts sur le plan de leurs caractéristiques comportementales. Les élèves tout venant (n = 495) présentent un score z inférieur à 1, signifiant qu’elle⋅il⋅s ne se démarquent pas de la moyenne des comportements problématiques observables chez des élèves d’âge primaire.

3.2.3 Sentiment d’efficacité personnelle

Pour décrire le sentiment d’efficacité personnelle des élèves et explorer ses liens avec les autres variables, une version française de l’échelle portant sur l’apprentissage autonome (Bandura, 2009) a été utilisée par l’équipe de recherche et adaptée à l’expérience scolaire actuelle des élèves du primaire. Par exemple, « utiliser la bibliothèque pour obtenir des informations afin de faire mes devoirs » est devenu « Je suis capable d’utiliser les ressources (livres, Internet) pour obtenir des informations ». Cette échelle est composée de neuf énoncés (α = 0,85), qui permettent aux élèves d’évaluer leur sentiment d’efficacité concernant la planification et l’organisation du travail ou leur capacité à réaliser les travaux dans les délais prescrits. Une échelle de mesure de type Likert en cinq points a été utilisée (1 = presque jamais ; 5 = presque toujours). Le score de sentiment d’efficacité personnelle correspond à la moyenne des énoncés ; un score élevé traduit un grand sentiment d’efficacité personnelle.

3.3 Déroulement de l’étude

Les participant⋅e⋅s à l’étude ont été sollicitée⋅s par un courriel transmis à des enseignant⋅e⋅s d’écoles primaires. Ce courriel présentait brièvement le projet de recherche et le rôle des enseignant⋅e⋅s. Les personnes ayant manifesté un intérêt (n = 29) ont reçu la lettre de présentation de l’étude, le formulaire de consentement à l’attention des parents des élèves ainsi que les consignes pour préparer la passation du questionnaire en classe (par exemple, fournir la liste des noms des élèves de la classe pour l’activité sociométrique). Une fois ces étapes effectuées, la chercheuse s’est présentée en classe avec une version papier des questionnaires. Elle a présenté brièvement la tâche aux élèves, expliqué les consignes et leur a demandé de remplir le questionnaire individuellement.

3.4 Méthode d’analyses des données

Les données ont été compilées dans le logiciel IBM SPSS Statistics version 25 (IBM Corporation, 2018). Des analyses préliminaires indiquent que les données manquantes pour chaque échelle sont peu nombreuses (moins de 1 % pour chaque échelle) ; en conséquence, elles n’ont pas été remplacées (Tabachnick et Fidell, 2013). Selon les indices d’asymétrie et d’aplatissement, la distribution des données s’approche de la normalité pour toutes les échelles.

Pour répondre aux objectifs de cette étude, diverses analyses ont été effectuées. D’abord, des analyses descriptives (moyenne, écart type) dressent le bilan du sentiment d’efficacité personnelle pour tous les élèves. Un test t, tenant compte de l’égalité des variances, évalue si les différences observées entre les élèves tout venant et celles⋅ceux présentant des difficultés comportementales sont significatives. Ensuite, les liens entre les domaines des interactions en classe et le sentiment d’efficacité personnelle sont évalués par une régression linéaire multiple. Enfin, des régressions simples permettent de mettre en lumière l’effet modérateur de la variable « caractéristiques comportementales » sur les liens entre chacun des domaines des interactions en classe et le sentiment d’efficacité personnelle. Pour mener ces dernières analyses, le module PROCESS (Procedure for SPSS Version 3.5 par Andrew F. Hayes) a été utilisé.

Pour assurer la validité des régressions, certaines prémisses doivent être respectées. D’abord, la taille de l’échantillon doit être supérieure à 50 plus 8 répondants par variable indépendante (Tabachnick et Fidell, 2013), ce que notre modèle rencontre (574 ≥ 50 + 8*4). Les valeurs d’inflation du facteur de variance (Variance Inflation Factor) ne montrent aucune multicolinéarité importante puisque toutes les valeurs sont inférieures à 3,3. En ce qui concerne la distribution des résidus, l’examen de l’histogramme et du tracé P-P montrent une distribution sensiblement normale. Le nuage de points indique que l’homoscédasticité est acceptable. La valeur de 1,985 de la statistique de Durbin-Watson atteste que les résidus sont indépendants. Toutefois, les résidus présentant une valeur extrême peuvent nuire à l’ajustement du modèle. Par conséquent, cinq participant⋅e⋅s ayant une valeur de résidu supérieure à 3 n’ont pas été inclus⋅es dans les analyses de régression.

Pour évaluer l’effet modérateur, Rascle et Irachabal (2001) recommandent de conserver les scores des variables en valeur continue lorsqu’elles se présentent de cette manière au lieu de les transformer en variable dichotomique (par exemple, pour refléter la présence ou non d’une condition à partir d’un seuil). L’écart type est alors utilisé pour distinguer les participant⋅e⋅s sur la base du score standardisé de la variable modératrice. Un groupe représente les personnes se trouvant sous la moyenne (-1 σ), un autre celles dans la moyenne (σ = 0) et un dernier groupe rassemble celles se trouvant en haut de la moyenne (+1 σ). Dans notre cas, tou⋅te⋅s les élèves ont été évalué⋅e⋅s par rapport à leurs comportements par l’activité sociométrique et ainsi un score z leur a été attribué pour désigner leurs caractéristiques comportementales (zPDC). C’est ce score qui est utilisé pour évaluer l’effet modérateur des caractéristiques comportementales.

3.5 Considérations éthiques

L’étude a été approuvée par le comité d’éthique de l’Université de Sherbrooke. Les parents ont signé un formulaire de consentement, donnant ainsi leur accord à la participation de leur enfant à l’étude. Pour éviter que les élèves se sentent mal à l’aise de répondre à des questions portant sur leur classe, l’enseignant⋅e a été invité⋅e à quitter la classe durant la passation du questionnaire. Un code alphanumérique a été attribué à chacune des copies pour éviter que le nom d’un⋅e élève soit associé à ses réponses.

4. Résultats

4.1 Sentiment d’efficacité personnelle selon les caractéristiques comportementales

Pour répondre au premier objectif de l’étude, les moyennes et les écarts types (σ) du sentiment d’efficacité personnelle ont été calculés pour trois regroupements d’élèves. D’abord, lorsque tou⋅te⋅s les élèves sont considéré⋅e⋅s comme un seul échantillon (n = 574), la valeur moyenne du sentiment d’efficacité personnelle est de 3,95 sur 5 (σ = 0,74). Les élèves tout venant (n = 495) présentent un score de 3,99 (σ = 0,73) comparativement à 3,72 (σ = 0,72) pour les élèves présentant des difficultés comportementales. Pour l’analyse comparative par test t pour échantillons indépendants, le test de Levene révèle d’abord une valeur non significative (F = 0,46, p = 0,83). Les variances entre les groupes peuvent donc être considérées homogènes et la différence entre ces groupes s’avère statistiquement significative (t = 2,57, p < 0,01).

4.2 Effets des interactions en classe sur le sentiment d’efficacité personnelle et effets modérateurs des caractéristiques comportementales

Pour le deuxième objectif, une régression linéaire multiple a servi à déterminer si les domaines des interactions contribuent au sentiment d’efficacité personnelle des élèves. La matrice des corrélations (présentée au tableau 1) indique des corrélations significatives entre les domaines des interactions en classe, le score des caractéristiques comportementales et le score de sentiment d’efficacité personnelle. Les trois domaines (soutien émotionnel, organisation de la classe, soutien à l’apprentissage) sont corrélés positivement au sentiment d’efficacité personnelle, c’est-à-dire que lorsque les valeurs de ces variables sont élevées, le sentiment d’efficacité personnelle a tendance à être plus grand (p < 0,01). À l’inverse, les caractéristiques comportementales sont liées négativement au sentiment d’efficacité personnelle, indiquant que lorsque les difficultés comportementales sont plus grandes, le sentiment d’efficacité personnelle tend à diminuer (p < 0,01).

Tableau 1

Corrélations entre le sentiment d’efficacité personnelle et les variables indépendantes (domaines des interactions en classe, caractéristiques comportementales)

Corrélations entre le sentiment d’efficacité personnelle et les variables indépendantes (domaines des interactions en classe, caractéristiques comportementales)

Note. **p < 0,01 ; *p < 0,05 ; Caractéristiques comportementales : score standardisé des manifestations comportementales extériorisées par rapport à la moyenne de la classe

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Le tableau 2 rapporte les résultats de l’analyse de régression linéaire multiple. Les variables indépendantes sont les trois domaines des interactions en classe et la variable dépendante est le score de sentiment d’efficacité personnelle. Le premier modèle, où les domaines sont examinés simultanément, est significatif (F(3,561) = 121,91, p < 0,001). Ainsi, l’organisation de la classe et le soutien à l’apprentissage expliquent significativement une partie de la variance du sentiment d’efficacité personnelle (39,6 %), alors que le soutien émotionnel n’y contribue pas. Dans un deuxième temps, l’effet modérateur de la variable caractéristiques comportementales (zPDC) a été examiné pour la relation entre chacun des domaines des interactions en classe et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves. Une variable a été créée pour représenter chaque effet d’interaction entre chaque domaine et les caractéristiques comportementales (Int1, Int2, Int3). Les trois modèles (2, 3 et 4 ; tableau 2) sont significatifs (p < 0,000). Chaque analyse indique d’abord le lien entre la variable indépendante prédicatrice (c’est-à-dire, chaque domaine des interactions en classe) et le sentiment d’efficacité personnelle. Comparativement au modèle 1, tous les domaines sont liés significativement au sentiment d’efficacité personnelle lorsqu’ils sont considérés isolément des deux autres. Par la suite, le modèle présente l’effet de la variable d’interaction. Tous les effets modérateurs sont significatifs, comme en témoignent les valeurs de p associées à la statistique t pour ceux-ci.

Tableau 2

Prédiction du score du sentiment d’efficacité personnelle à partir des scores des domaines des interactions en classe et effets modérateurs des caractéristiques comportementales

Prédiction du score du sentiment d’efficacité personnelle à partir des scores des domaines des interactions en classe et effets modérateurs des caractéristiques comportementales

Note. ***p < 0,001, ** p < 0,01, *p < 0,05

Caract. comportementales : score standardisé des manifestations comportementales extériorisées par rapport à la moyenne de la classe ; Int1 : effet d’interaction entre le soutien émotionnel et les caractéristiques comportementales ; Int2 : effet d’interaction entre l’organisation de la classe et les caractéristiques comportementales ; Int3 : effet d’interaction entre le soutien à l’apprentissage et les caractéristiques comportementales.

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Les figures 1, 2 et 3 illustrent plus précisément les effets modérateurs. Dans toutes les relations entre les domaines d’interactions et le sentiment d’efficacité personnelle, l’augmentation du score du domaine correspond à une plus forte augmentation du score de sentiment d’efficacité personnelle pour les élèves qui présentent peu de difficultés comportementales (c’est-à-dire que leur score zPDC est inférieur à 1’écart type de la moyenne, zPDC < -1) comparativement aux élèves qui en présentent davantage (c’est-à-dire que leur score zPDC est supérieur à 1’écart type, zPDC > 1). Formulé autrement, les élèves qui manifestent plus de difficultés comportementales voient leur sentiment d’efficacité personnelle s’améliorer dans une moindre mesure même si leur perception de la qualité des interactions en classe augmente, et ce, pour les trois domaines.

Figure 1

Effet modérateur des caractéristiques comportementales sur la relation entre le soutien émotionnel et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves

Effet modérateur des caractéristiques comportementales sur la relation entre le soutien émotionnel et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves

Figure 2

Effet modérateur des caractéristiques comportementales sur la relation entre l’organisation de la classe et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves

Effet modérateur des caractéristiques comportementales sur la relation entre l’organisation de la classe et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves

Figure 3

Effet modérateur des caractéristiques comportementales sur la relation entre le soutien à l’apprentissage et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves

Effet modérateur des caractéristiques comportementales sur la relation entre le soutien à l’apprentissage et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves

Note pour les trois figures. zPDC < -1 ; zPDC = 0 ; zPDC >1 : score de manifestation de comportements problématiques inférieur à 1’écart type de la moyenne de la classe ; égal à la moyenne de la classe ; supérieur à 1’écart type de la moyenne de la classe.

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5. Discussion

L’étude examinait les liens entre les interactions en classe, le sentiment d’efficacité personnelle et les caractéristiques comportementales des élèves du primaire scolarisé⋅e⋅s en classe ordinaire. Le premier objectif consistait à décrire le sentiment d’efficacité personnelle de tou⋅te⋅s les élèves et à vérifier l’existence de différences entre les élèves tout venant et celles⋅ceux présentant des difficultés comportementales. Le deuxième objectif impliquait d’évaluer les liens entre les domaines des interactions en classe et le sentiment d’efficacité personnelle des élèves. Enfin, le troisième visait à préciser l’effet modérateur des caractéristiques comportementales sur les relations entre chacun des domaines des interactions en classe et le sentiment d’efficacité personnelle. Revoyons ces objectifs et leurs résultats. Un survol des limites associées à cette étude vient clore cette discussion.

La présente étude dresse un portrait plutôt positif du sentiment d’efficacité personnelle des élèves du primaire scolarisé⋅e⋅s en classe ordinaire. La plupart du temps, les élèves s’estiment capables de mener les activités d’apprentissage de manière autonome. Ces valeurs sont de même amplitude que celles rapportées par les 173 participant⋅e⋅s de l’étude de Passiatore, Grimaldi Capitello, De Stasio, Millioni, Gentile et Fiorilli (2017), alors que D’Amours (2009) rapporte dans son mémoire une valeur plus faible pour 56 élèves québécois⋅es de 6e année. Malgré la popularité du concept de sentiment d’efficacité personnelle dans la dernière décennie, il demeure difficile de comparer ce score avec ceux présentés dans d’autres études en raison de la grande variabilité de la population à l’étude ou de l’instrument utilisé. Des concepts comme l’estime de soi sont parfois utilisés d’une manière interchangeable dans certains écrits, alors qu’ils présentent en réalité des différences au plan conceptuel (Fleury-Roy et Bouffard, 2006).

Bien que le score de sentiment d’efficacité personnelle soit passablement élevé, les enseignant⋅e⋅s auraient avantage à développer davantage le sentiment d’efficacité personnelle de leurs élèves vu qu’il exerce une influence significative sur leur réussite (Zuffiano, Alessandri, Gerbino, Kanacri, Di Giunta, Milioni et Caprara, 2013). Le fait de promouvoir les expériences qui permettent aux élèves de réussir ou de voir la réussite de leurs pairs permettrait de consolider leur sentiment d’efficacité personnelle qui serait ainsi moins susceptible d’être ébranlé par les situations adverses pouvant survenir dans le parcours scolaire.

Nos résultats montrent que les mesures de sentiment d’efficacité personnelle des élèves tout venant se distinguent de celles des élèves présentant des difficultés comportementales. L’écart entre ces groupes est significatif : les élèves présentant des difficultés comportementales ont un sentiment d’efficacité personnelle plus faible que les élèves tout venant. Comparativement aux études précédentes dans lesquelles les élèves étaient scolarisé⋅e⋅s dans des milieux différents, ces résultats confirment que la présence de difficultés comportementales a une incidence sur le sentiment d’efficacité personnelle des élèves dans une classe ordinaire. Puisque le sentiment d’efficacité personnelle mesuré renvoie au plan scolaire, les élèves présentant des difficultés comportementales s’estiment donc moins capables de réussir les activités pédagogiques proposées par l’enseignant⋅e et d’effectuer adéquatement leur travail. À cet égard, l’étude de Flynn (2014) menée auprès d’élèves du secondaire suggère que les élèves présentant des difficultés comportementales intériorisent les expériences négatives vécues en classe et ressentent un sentiment d’infériorité par rapport à leurs pairs. Nos résultats suggèrent qu’il pourrait en être de même chez les élèves du primaire.

Même s’il s’avère significatif, l’écart de sentiment d’efficacité personnelle entre les élèves présentant des difficultés comportementales et tout venant est de faible amplitude. Le biais d’illusion positive pourrait expliquer le peu de différence entre les élèves. En effet, certain⋅e⋅s élèves présentant des difficultés comportementales ont tendance à entretenir une image favorable non réaliste d’elles⋅eux-mêmes en dépit de certaines évidences (Gresham et coll., 2005), ce qui serait susceptible d’entrainer une valeur élevée de leur sentiment d’efficacité personnelle. Dans le même sens, les participant⋅e⋅s présentant un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité de l’étude de Hoza et coll. (1993) s’attribuent le mérite de leur succès, mais endossent moins la responsabilité de leurs difficultés comparativement aux participant⋅e⋅s du groupe contrôle. L’évaluation de leur sentiment d’efficacité personnelle pourrait donc elle aussi être biaisée. Or, la revue des travaux sur le biais d’autoévaluation de Bouffard, Pansu et Boissicat (2013) indique qu’un biais d’autoévaluation positif peut produire des effets bénéfiques pour les un⋅e⋅s et délétères pour les autres. S’estimant capables de réussir, certain⋅e⋅s élèves présentant des difficultés comportementales pourraient par exemple entamer une activité sans avoir véritablement envisagé les étapes nécessaires à sa réussite. En conséquence, l’échec qui pourrait résulter du manque de préparation aurait alors une incidence négative réelle sur leur sentiment d’efficacité personnelle. Ces constats invitent à suivre de près les élèves présentant des difficultés comportementales pour les accompagner dans le développement de leur sentiment d’efficacité personnelle.

Notre étude s’intéressait à vérifier si les interactions en classe, telles que perçues par les élèves, pouvaient expliquer le sentiment d’efficacité personnelle. L’organisation de la classe et le soutien à l’apprentissage perçus par les élèves contribuent significativement à leur sentiment d’efficacité personnelle. Ces résultats vont dans le même sens que ce que les quatre sources du modèle de Bandura (2007) laissaient envisager. Schunk et Meece (1992) sont aussi d’avis que l’environnement scolaire et les relations avec les pairs peuvent influer sur le sentiment d’efficacité personnelle des élèves. Notre étude contribue aux connaissances en démontrant qu’il existe un lien entre les interactions en classe (perçues par les élèves) et le sentiment d’efficacité personnelle, ce que peu d’études ont démontré auparavant. Le soutien émotionnel démontre lui aussi des liens avec le sentiment d’efficacité personnelle seulement lorsqu’il est le seul prédicteur. C’est donc dire que lorsque tous les domaines des interactions en classe sont examinés concurremment, l’apport de ce domaine n’explique pas davantage le sentiment d’efficacité personnelle comparativement aux deux autres domaines. Outre les autres retombées positives déjà reconnues, les interactions de qualité en classe favoriseraient donc le développement du sentiment d’efficacité personnelle.

S’il est vrai que l’étude de Patrick et coll. (2007) montre que le soutien émotionnel de l’enseignant⋅e et le soutien des pairs sur le plan des apprentissages contribuent au sentiment d’efficacité personnelle, la nôtre innove en tentant de préciser le rôle que pourraient jouer les difficultés comportementales. Selon nos résultats, les relations entre les interactions en classe et le sentiment d’efficacité personnelle se manifestent différemment selon les caractéristiques comportementales des élèves. Ainsi, même si les élèves présentant davantage de comportements extériorisés que la moyenne attribuent un score élevé à la qualité des interactions, la valeur de leur sentiment d’efficacité personnelle n’est pas aussi élevée que celle rapportée par les élèves ne démontrant pas de difficultés comportementales, et ce, pour tous les domaines. Autrement dit, le sentiment d’efficacité personnelle des élèves présentant plus de comportements problématiques que la moyenne ne se bonifie pas autant que leurs pairs malgré le grand soutien émotionnel fourni par leur enseignant⋅e, une organisation de classe de qualité et un grand soutien à l’apprentissage. Bien que ces élèves reconnaissent la qualité des interactions dans leur classe, leur sentiment d’efficacité personnelle ne s’améliore pas autant que celui des élèves tout venant. Ces résultats peuvent suggérer que les expériences scolaires difficiles vécues par la plupart de ces élèves s’opposent déjà au développement de leur sentiment d’efficacité personnelle en fin de parcours primaire. Des interventions plus intensives auprès de ces élèves seraient donc requises pour pallier cette différence. Somme toute, ces résultats laissent penser qu’il est possible d’agir sur le sentiment d’efficacité personnelle des élèves en modifiant les interactions en classe de manière à offrir un environnement bienveillant, encadrant et stimulant.

Si l’étude se démarque par la taille importante de son échantillon, elle présente certaines caractéristiques qui limitent le transfert des résultats. D’abord, les élèves présentant des difficultés comportementales sont les élèves qui ont été reconnu⋅e⋅s ainsi par leurs pairs. Il aurait été intéressant de valider la perception de l’enseignant⋅e à cet égard. Ensuite, considérant le petit nombre de ces élèves dans chaque classe (un⋅e à trois), il était impossible de comparer leur perception à celles des autres élèves de leur propre groupe. Il a fallu comparer ces élèves, considéré⋅e⋅s comme un seul groupe, à l’échantillon total. Il est donc possible que certaines nuances de l’expérience de chacun⋅e n’aient pas pu être relevées. Aussi, le rendement scolaire antérieur de l’élève est une variable réputée avoir une incidence sur le sentiment d’efficacité personnelle. Il aurait été pertinent d’expliquer la variance de cette variable avant d’examiner l’influence des caractéristiques comportementales. Dans cette étude, les mesures ont toutes été effectuées au même moment. Or, des études longitudinales permettraient de décrire plus précisément l’effet des interactions en classe sur le sentiment d’efficacité personnelle. Finalement, les qualités psychométriques de l’instrument utilisé pour mesurer la qualité des interactions doivent être reproduites dans d’autres études.

6. Conclusion

Toute personne ressent le besoin de se sentir compétente et de vivre des interactions positives avec les personnes signifiantes de l’environnement. Il s’agit là de besoins fondamentaux. Cette étude a examiné les perceptions des élèves à ces égards pour déterminer leur sentiment d’efficacité personnelle et déterminer l’existence de différences entre les élèves présentant des difficultés comportementales et ceux tout venant. Les résultats indiquent que ces variables s’influencent de façon réciproque et que la qualité des interactions est une source d’influence du sentiment d’efficacité personnelle. Plus encore, cette étude montre que les perceptions des élèves présentant des difficultés comportementales, comparativement à celles des élèves tout venant, à l’égard de la qualité des interactions de leur classe, agissent comme modérateur de leur perception de leur sentiment d’efficacité personnelle. À la lumière de ces résultats, l’enseignant⋅e pourrait bonifier le sentiment d’efficacité personnelle de ses élèves par divers moyens, notamment en offrant davantage de soutien émotionnel, en organisation sa classe encore mieux et en proposant un plus grand soutien à l’apprentissage. Pour favoriser le développement du sentiment d’efficacité personnelle, l’enseignant⋅e pourrait, par exemple, confier une responsabilité à l’élève présentant des difficultés comportementales qui maitrise l’habileté, utiliser une gestuelle non verbale complice avec l’élève, ou encore apposer un aide-mémoire sur son bureau et lui offrir des choix à l’égard des conséquences. Les élèves qui présentent un grand sentiment d’efficacité personnelle sont enclin⋅e⋅s à déployer les efforts nécessaires à leur réussite éducative. Une amélioration du sentiment d’efficacité personnelle, favorable à la réussite scolaire, aplanirait les difficultés de comportement.