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1. Introduction et problématique

Le brevet de technicien supérieur est une formation courte de l’enseignement supérieur français déployée dans l’ensemble du territoire national, Outre-mer français inclus. Ce diplôme, le plus important par ses effectifs dans les cycles courts de l’enseignement supérieur français, possède un objectif d’insertion professionnelle immédiate après son obtention. Ainsi, la carte des formations proposées dans chaque région est censée être en relation avec le marché du travail local (Lemistre, 2015). En revanche, les différents textes régissant ce diplôme sont élaborés à l’échelon national, sans qu’il soit prévu de pouvoir les moduler en fonction des contextes locaux d’enseignement et d’insertion professionnelle. Ceci peut faire naitre une forme de tension dans la mise en oeuvre de la formation, en raison de l’hétérogénéité et des particularités des différents territoires français. Nous nous proposons de l’analyser de manière qualitative, sous le prisme des représentations et des pratiques déclarées de professeur⋅e⋅s exerçant en Guadeloupe et préparant les étudiant⋅e⋅s au brevet de technicien supérieur du secteur.

Le choix d’observer en Guadeloupe, région de l’Outre-mer français, des formations tertiaires, où les sciences de gestion jouent un rôle important, a été opéré en raison de la situation socioéconomique fragile de ce territoire. En outre, on y trouve des dispositions particulières, sur le plan social et fiscal (Boudine, 2002), qui visent, par exemple, à protéger la production locale (Baert, 2015). Le caractère dérogatoire de ces dispositions a une incidence sur la gestion des entreprises susceptibles d’accueillir les étudiant⋅e⋅s lors des stages et les futur⋅e⋅s technicien⋅e⋅s, et peut interagir avec l’enseignement des sciences de gestion en brevet de technicien supérieur. De manière générale, peu d’études portent sur le fonctionnement des formations supérieures professionnalisantes dans les Outre-mer français en relation avec les caractéristiques sociales et éducatives de ces territoires. Notre étude apporte ainsi un éclairage inédit sur certaines questions de contextualisation dans l’enseignement supérieur.

Afin de mieux cerner les phénomènes en jeu, nous avons commencé par analyser les prescrits des différents brevets de technicien supérieur du secteur tertiaire. Cette étude met en évidence une sensibilité au contexte dans certains d’entre eux, susceptible d’encourager la⋅le professeure à contextualiser son action pédagogique, par exemple par l’évocation de différents échelons géographiques auxquels une notion peut faire référence. Ainsi, nous avons introduit le concept d’ancrage contextuel des prescrits, développé dans cet article.

Ces éléments nous permettent de préciser notre questionnement : comment les professeur⋅es appréhendent-elles⋅ils l’enseignement en brevet de technicien supérieur, compte tenu de la tension entre les prescrits nationaux et le contexte local ? Tiennent-elles⋅ils compte de ce contexte dans leur enseignement ? Pour répondre à ces questions, nous avons choisi d’interviewer des professeur⋅e⋅s intervenant dans deux brevets de technicien supérieur de profils différents, le profil tourisme, ancré contextuellement, et le profil assistant de manager, qui ne l’est pas, pour identifier, le cas échéant, des représentations et pratiques différenciées chez les professeur⋅e⋅s.

2. Contexte théorique

Cette partie débute par une description du contexte de mise en oeuvre du brevet de technicien supérieur en Guadeloupe. Elle se poursuit par une présentation synthétique du concept de représentations et de ses liens avec les pratiques professorales. Nous présentons ensuite des éléments relatifs à la contextualisation et finissons par l’énoncé des hypothèses de recherche.

2.1 Le brevet de technicien supérieur en Guadeloupe : un diplôme national dans un contexte particulier

La Guadeloupe, qui accueille environ 377 000 habitants (Institut national de la statistique et des études économiques, 2020), jouit dans l’ensemble français du statut de département-région d’Outre-mer. Dans l’organisation administrative française, ce statut fait de ce territoire une région, en charge par exemple de la formation professionnelle et, pour le système éducatif, de la construction et de l’équipement des lycées. En même temps, il s’agit d’un département compétent, par exemple, en matière d’affaires sociales et, sur le plan éducatif, en ce qui concerne la construction et l’équipement des collèges. L’essentiel des lois nationales et des règlements nationaux est applicable en Guadeloupe, en particulier dans le domaine éducatif. Cependant, pour ce domaine, des adaptations mineures sont prévues dans des champs particuliers, dont l’enseignement au collège de l’histoire et de la géographie ainsi que des sciences de la vie et de la terre.

Dans le domaine économique, des particularités légales ou règlementaires locales existent, notamment liées à l’histoire du territoire qui a été une colonie française. Leur objectif – comme nous le signalions plus haut – est surtout de protéger les productions locales (Baert, 2015). En effet, la situation de la Guadeloupe est difficile sur le plan socioéconomique. Par exemple, ce territoire est marqué par un chômage massif : près d’un⋅e actif⋅ive sur deux ne dispose pas d’emploi stable et plus d’un⋅e jeune sur deux est au chômage, soit le double de la moyenne de la France entière (Demougeot, 2018). Enfin, la structure de l’économie est marquée par l’importance des très petites entreprises : 81 % des 47 771 établissements recensés en 2014 en Guadeloupe n’ont aucun⋅e salarié⋅e et seuls 2,7 % en ont plus de neuf, contre 68 % et 6 % au niveau national (Institut d’émission des départements d’outre-mer, 2016). Ces derniers éléments peuvent limiter le nombre de propositions de stages pour les diplômes professionnels et compromettre leur efficacité en termes de formation professionnelle.

Le brevet de technicien supérieur en Guadeloupe est toutefois régi principalement par les prescrits nationaux que nous analysons maintenant. Ce diplôme se prépare par la voie scolaire en deux ans après l’obtention du baccalauréat – diplôme placé à la fin de l’enseignement secondaire en France et ouvrant l’accès aux études supérieures – dans une section ouverte de technicien supérieur dans un lycée. Cette voie représente deux tiers des diplômé⋅e⋅s contre un tiers pour les voies de l’apprentissage et de la formation continue (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2016). Défini par le code de l’éducation française (Code de l’éducation, 2016), ce diplôme est délivré au titre de spécialités faisant chacune l’objet d’un arrêté ministériel spécifique. Ce texte règlementaire comporte plusieurs éléments clés pour notre étude dont, en premier, le référentiel des activités professionnelles, qui décrit les activités et tâches professionnelles que tout⋅e technicien⋅ne doit être en mesure d’exercer, en précisant le degré de maitrise attendu pour chacune d’elles. Ce premier référentiel est complété par le référentiel de certification, qui décline le précédent en termes de compétences à acquérir par l’étudiant⋅e pour accomplir ses activités professionnelles, en indiquant le niveau requis pour valider la formation. Par ailleurs, en lien avec le référentiel précédent, un règlement particulier détaille les conditions de délivrance du diplôme.

Enfin, le brevet de technicien supérieur possède une importance particulière dans les Outre-mer français, où il constitue la principale voie d’accès à l’enseignement supérieur pour les bachelier⋅ère⋅s technologiques et professionnel⋅le⋅s, plus nombreux⋅ses, en proportion, dans ces territoires (56 % contre 49 % dans l’ensemble de la France). Aussi, ce diplôme représente à lui seul environ un tiers de l’ensemble des diplômes de l’enseignement supérieur (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, 2016) délivrés dans les Outre-mer français.

2.2 Représentations (conceptions) et pratiques des professeur⋅e⋅s : logiques et stratégies possibles

Avec l’émergence de l’approche cognitive (Clark et Peterson, 1986), la recherche en éducation s’est tournée vers l’exploration de la pensée des professeur⋅e⋅s en vue de mieux comprendre son influence sur les pratiques. Des termes variés sont employés pour approcher cette pensée. Si les travaux francophones se sont intéressés aux processus cognitifs des professeur⋅e⋅s sous l’angle des représentations (Barthes et Alpe, 2016 ; Gilly, 1980 ; Legardez, 2004 ; Mugny et Carugati, 1985), la recherche anglo-saxonne privilégie l’étude des croyances des professeur⋅e⋅s en employant une terminologie diverse : théories implicites, conceptions, connaissances, préconceptions, perceptions. Dans une note de synthèse récente, Crahay, Wanlin, Issaieva et Laduron (2010) proposent une analyse et une discussion terminologique à ce sujet, en soulignant que les frontières entre les différents termes évoqués restent difficiles à établir. Une distinction est tout de même faite par Crahay et coll., (2010) et par d’autres (Lafortune, Deaudelin, Doudin et Martin, 2003 ; Rateau et Lo Monaco, 2013) entre les termes croyance et connaissance. La croyance renvoie à la conviction ou encore à des suppositions et idéologies alors que la connaissance fait davantage référence à des éléments factuels ou empiriques, et reflète donc le savoir. À partir de telles considérations, Rateau et Lo Monaco (2013) recourent au terme de représentation sociale, définie comme un ensemble d’éléments cognitifs comprenant des connaissances, des croyances, des opinions et d’autres informations. Dans le même ordre d’idées, Thompson (1992) choisit de mettre en avant le terme de conception pour comprendre la pensée des professeur⋅e⋅s et propose une définition semblable à celle donnée par Rateau et Lo Monaco (2013) de la représentation. Ainsi pour lui, la conception est une structure mentale englobant des croyances, des connaissances, des significations et d’autres informations. D’après cette définition, le terme de conception apparait comme étant très proche du terme de représentation et nous pouvons donc les considérer comme synonymes et les utiliser de manière interchangeable.

D’autres chercheur⋅e⋅s optent de même pour l’un ou l’autre des termes évoqués ci-dessus (conception ou représentation), en adoptant une perspective interactionniste et située pour étudier les liens entre la pensée et les pratiques (actions) des professeur⋅e⋅s (Crahay et coll., 2010 ; Leong, 2014). Selon cette perspective, les professeur⋅e⋅s commencent leur carrière avec un ensemble de croyances et de connaissances, façonnées par leurs expériences (scolarité, modèles et valeurs socioculturelles transmises, formation). Cependant, au cours de leurs pratiques professionnelles, d’autres éléments, situés aux niveaux macrocontexuel (politiques éducatives, prescrits nationaux, normes socioéconomiques, culturelles et professionnelles), mésocontextuel (contraintes institutionnelles) et microcontextuel (caractéristiques des élèves, des tâches et leur contenu) continuent à les alimenter. Les interactions entre tous ces éléments sont complexes. Face à des situations d’apprentissage complexes et incertaines, à des contraintes institutionnelles nombreuses et contradictoires ainsi qu’à des prescrits nationaux plus ou moins éloignés de la réalité du terrain, des recherches (Crahay et coll., 2010) montrent que certain⋅e⋅s professeure⋅s cherchent des solutions pragmatiques qui leur permettent de concilier les attentes de différents niveaux contextuels ou qui leur semblent les plus adaptées à la situation de classe et des élèves. Les représentations, et surtout les gestes professionnels qu’elles⋅ils mobilisent alors en action, possèdent un caractère sélectif, organisateur et interprétant (Doise, 1986).

2.3 Contextualisation

En suivant Bolekia-Boleká (2011), nous reprenons l’idée de l’existence d’un champ de recherche visant à la production de connaissances sur les pratiques d’enseignement contextualisées, ce que Delcroix, Forissier et Anciaux (2013) ont appelé l’analyse didactique contextuelle. Ces travaux s’intéressent, en particulier, aux interactions entre les situations d’enseignement et le contexte dans lequel elles se déroulent. Le contexte comprend ici un ensemble de paramètres liés aux éléments sociaux (Duru-Bellat, 2002) ou socioculturels, auxquels s’ajoutent les paramètres estimés pertinents dans la situation étudiée. En relation avec notre sujet d’étude, le régime fiscal spécifique de la Guadeloupe, dans sa dimension sociohistorique, constitue un arrière-plan de l’enseignement des sciences de gestion : par exemple, un effet de contexte (Delcroix et coll., 2013) peut survenir concernant les principes et mécanismes comptables de la taxe à la valeur ajoutée, issu du décalage entre le modèle national (régime fiscal général) et local (régime fiscal applicable en Guadeloupe). La connaissance du modèle national est nécessaire pour obtenir le diplôme et celle du modèle local, pour travailler efficacement en Guadeloupe.

Ces effets de contexte peuvent être pris en compte à trois niveaux. En premier, la noocontextualisation est « opérée par l’institution scolaire sous l’effet de contraintes internes (qui peuvent être liées à son fonctionnement) et externes (plutôt liées aux attentes supposées de la société, aux progrès scientifiques, etc.) » (Delcroix et coll., 2013, p. 149). La contextualisation pédagogique, parfois qualifiée d’authentique (Sauvage Luntadi et Tupin, 2012 ; Vercruysse, Carlier et Paquay, 2007), s’opère dans la classe lorsque la⋅le professeur⋅e dépasse ou complète l’objectif assigné par l’institution (par exemple, connaitre le régime fiscal) et par le paramètre contextuel (en connaitre la déclinaison en Guadeloupe). Enfin, la contextualisation sociocognitive, à laquelle nous ferons moins appel ici, se produit chez l’apprenant⋅e lorsqu’elle⋅il « contextualise ce qu’il apprend au regard de ce qu’il connait » (Delcroix et coll., 2013, p. 155) : il s’agit du mécanisme en jeu lorsque l’apprenant⋅e fréquente des modèles scolaires, culturels, ludiques, qui ne correspondent pas à son observable.

Nous questionnons, relativement aux éléments d’analyse contextuelle précisés ci-dessus, l’existence d’une sensibilité au contexte dans les prescrits relatifs aux brevets de technicien supérieur. En effet, compte tenu de leur définition nationale, les possibilités de noocontextualisation sont à priori limitées. Cependant, il nous semble intéressant de déterminer si, dans ces prescrits, des éléments inducteurs peuvent inciter la⋅le professeur⋅e à pratiquer une contextualisation pédagogique. À cette fin, une analyse de contenu (Ghiglione et Matalon, 1978) des arrêtés des spécialités de brevets de technicien supérieur du secteur tertiaire ouverts en Guadeloupe a été effectuée (Odacre, 2018).

Deux types d’ancrage contextuel des prescrits ont ainsi pu être relevés. L’ancrage contextuel référentiel, issu de l’analyse du référentiel de certification, concerne les éléments qui y évoquent un échelon géographique (local, régional, national, européen, international) dans l’exposé des savoirs-associés aux enseignements et incitent à une comparaison entre ces échelons. L’ancrage contextuel métier se réfère, dans la description des métiers ou des activités professionnelles du référentiel des activités professionnelles, aux éléments relatifs à l’environnement local, que l’on peut également retrouver dans le référentiel de certification.

Comme nous cherchons à étudier les pratiques professorales au regard du contexte de déroulement de la formation, nous avons choisi de considérer des brevets de technicien supérieur aux profils contrastés : d’un côté, le profil tourisme avec un ancrage contextuel fort en raison de l’ampleur des références au contexte relevé dans ses référentiels, probablement compte tenu de l’importance du secteur du tourisme dans l’activité économique en Guadeloupe (Desse, 2013), et de l’autre côté, le profil assistant de manager, qui ne présente aucun ancrage contextuel « référentiel » – autre qu’une référence fréquente à un cadre d’exercice international – et qui s’oppose ainsi au brevet de technicien supérieur tourisme.

2.4 Hypothèses

Comme déjà mentionné, les prescrits des brevets de technicien supérieur ne prévoient pas de dispositions particulières pour faciliter ou imposer la mise en application d’adaptations pédagogiques prenant en compte les caractéristiques des territoires où la formation se déroule dans les institutions locales (académies, lycées) et pour les professeur⋅e⋅s. Or, la Guadeloupe possède une histoire et une situation socioéconomique singulières dans l’ensemble français. Ces caractéristiques, exposées plus haut, peuvent modifier les représentations qu’ont les acteur⋅rice⋅s de la formation et de l’insertion professionnelle, mais aussi affecter leurs pratiques. Ainsi, nous nous sommes posé la question de l’articulation qu’opèrent les professeur⋅e⋅s entre les caractéristiques de ce territoire et les programmes nationaux du diplôme : dans quelle mesure prennent-ils⋅elles en compte le contexte local dans leur enseignement ? Nous formulons ainsi l’hypothèse principale (H) que les professeur⋅e⋅s pratiquent une contextualisation pédagogique limitée par le caractère national des prescrits et par leur crainte de défavoriser leurs étudiant⋅e⋅s lors des examens nationaux. De plus, nous énonçons l’hypothèse secondaire (H’) d’une différenciation des pratiques de contextualisation entre les deux brevets de technicien supérieur retenus pour cette étude, en fonction de leur relation au contexte.

3. Méthodologie

Un recueil de données par entretiens nous a semblé le plus adapté pour obtenir une compréhension fine des pratiques déclarées des professeur⋅e⋅s.

3.1 Sujets

Au moment de l’étude, la formation au brevet de technicien supérieur assistant de manager était proposée dans deux établissements en Guadeloupe : seul⋅e⋅s les professeur⋅e⋅s d’un de ces deux établissements ont accepté d’être enquêté⋅e⋅s. Quant au brevet de technicien supérieur tourisme, il n’était proposé que dans un établissement dont tou⋅te⋅s les professeure⋅s d’économie-gestion concernée⋅s ont accepté d’être interrogé⋅e⋅s. Ainsi, notre échantillon représente la moitié des professeur⋅e⋅s d’économie-gestion intervenant dans la spécialité assistant de manager et la totalité pour la spécialité tourisme, soit trois personnes par spécialité (tableau 1). De plus, nous nous sommes entretenu⋅e⋅s avec un cadre de l’institution, exerçant une charge de mission en Guadeloupe auprès de l’inspection pédagogique.

Tableau 1

Les participant⋅e⋅s

Les participant⋅e⋅s

Note. Les participant⋅e⋅s ont plus de dix ans d’exercice professionnel en brevet de technicien supérieur en Guadeloupe.

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3.2 Instrumentation

Nous avons fait le choix de l’entretien semi-directif (Bardin, 2013), qui présente selon nous deux avantages importants compte tenu des questions de recherche. D’une part, la personne interviewée n’est pas enfermée dans un questionnement rigide, puisqu’elle possède la liberté de développer ses propos. L’entretien semi-directif nous met donc face à « une parole relativement spontanée, à un discours parlé, qu’une personne – l’interviewé⋅e – orchestre plus ou moins à sa guise. Mise en scène libre de ce que cette personne a vécu, ressenti, pensé à propos de quelque chose » (Bardin, 2013, p. 93). D’autre part, les questions de relance permettent de recentrer l’entretien sur ses objectifs principaux et les questions que le sujet n’aborde pas de façon spontanée.

Le guide d’entretien est centré autour de quatre thèmes : 1) le parcours professionnel de la⋅du professeur⋅e ; 2) sa représentation des pratiques de l’enseignement en brevet de technicien supérieur ; 3) sa représentation de l’insertion professionnelle des étudiant⋅e⋅s et des stages professionnels en cours de formation et 4) ses pratiques de contextualisation. Chacun de ces thèmes se décline en questions inductrices, qui peuvent se recouper entre les différents thèmes, pour enrichir les éléments de réponse. Par exemple, dans le deuxième axe thématique, on demande au sujet s’il pense « que la façon d’enseigner l’économie-gestion en Guadeloupe est différente de celle de la Métropole » alors que dans le quatrième axe thématique, on tente de savoir si les différences entre le contexte de la partie européenne du Territoire français (l’Hexagone) et celui de la Guadeloupe possèdent « un impact sur la formation des étudiant⋅e⋅s de la Guadeloupe ». Le guide a été adapté pour l’entretien avec le cadre de l’institution.

3.3 Déroulement

Nos interlocuteur⋅rice⋅s ont tou⋅te⋅s été interviewé⋅e⋅s en dehors de leurs activités d’enseignement (sauf pour la professeure PT2). Chaque entretien a été enregistré et retranscrit dans son intégralité (Odacre, 2018). Cependant, des difficultés techniques ont empêché l’enregistrement intégral d’un entretien (PT2, 15 minutes). Les autres ont duré 42 minutes en moyenne.

3.4 Méthode d’analyse des données

Dans un premier temps, une lecture flottante (Wanlin, 2007) des discours retranscrits a permis d’en relever le sens général. Ensuite, un travail d’analyse de contenu (Bardin, 2013) a été effectué selon les étapes suivantes : découpage du corpus en énoncés, choix et définition des unités d’enregistrement, c’est-à-dire des expressions, mots ou idées exprimés par l’enquêté⋅e. Un système de codage des unités d’enregistrement retenues, réalisé au moyen d’un tableur, a permis de vérifier la cohérence et l’exhaustivité du traitement opéré, puis d’établir des règles d’énumération (fréquence d’apparition, ordre d’apparition) et de décrire le matériel. L’exploitation du matériel a permis de livrer un total de 49 unités d’enregistrement (Odacre, 2018). Les unités d’enregistrement les plus fréquentes structurent la présentation des résultats (le nombre entre parenthèses indique la fréquence d’apparition) : l’encadrement pédagogique au brevet de technicien supérieur (6), la situation socioéconomique locale (8), le contexte externe de la formation (6) et les contraintes didactiques (6). Il faut noter que certaines de ces unités ont pu apparaitre à plusieurs reprises dans le discours d’un⋅e interlocuteur⋅rice donné⋅e. Enfin, le discours des personnes enquêtées montre que celles-ci possèdent une représentation positive, ambivalente ou négative de ces unités. Par exemple, les professeur⋅e⋅s considèrent la situation socioéconomique locale comme une difficulté pour la recherche de stage et pour l’insertion professionnelle des étudiant⋅e⋅s. L’ensemble de ces traitements nous a permis de mieux rendre compte des significations spécifiques (Bardin, 2013) des discours des personnes enquêtées.

3.5 Considérations éthiques

Les personnes interrogées ont été informées au préalable du fait que leur participation s’inscrivait dans le cadre d’une recherche doctorale (Odacre, 2018). Le recueil de données respecte les règles éthiques en vigueur dans l’université de préparation de ce doctorat. En particulier, les personnes interrogées ont été assurées de la préservation de leur anonymat, par le codage de leur nom préalable au traitement des données. Nous avons transmis le manuscrit de thèse aux interlocuteur⋅rice⋅s après sa validation par le jury.

4. Résultats

Nous nous concentrons en premier lieu sur les unités d’enregistrement relatives aux deux entrées les plus liées à la formation, à savoir les représentations qu’ont les professeur⋅e⋅s de l’enseignement en brevet de technicien supérieur (thème 2) et les questions relatives au stage et à l’insertion professionnelle (thème 3). En deuxième lieu, nous nous intéressons aux pratiques de contextualisation.

4.1 Une formation marquée par une proximité déclarée entre l’équipe pédagogique et les étudiant⋅e⋅s

Dans plusieurs réponses, des unités d’enregistrement relatives à l’encadrement pédagogique et à l’accompagnement des étudiant⋅e⋅s en brevet de technicien supérieur montrent, selon les six professeur⋅e⋅s, une différence avec l’enseignement universitaire. Les six professeur⋅e⋅s évoquent un contact permanent entre l’équipe pédagogique et les étudiant⋅e⋅s, à contrario de la situation des pratiques universitaires : « on récupère […] effectivement des étudiants après un échec d’une ou deux années à l’université parce qu’ils étaient un peu perdus dans cette foule […] » (PT3). Les effets de cet encadrement sont ressentis comme étant positifs, ce que montrent plusieurs unités d’enregistrement. En particulier, deux professeur⋅e⋅s expriment l’idée que cet encadrement permet la mise en oeuvre de démarches pédagogiques spécifiques au brevet de technicien supérieur, ce qui le différencie selon elles⋅eux de l’enseignement universitaire : « […] nous ne sommes pas [comme] dans le domaine universitaire où on est de façon très théorique sur les choses : nous allons vraiment vers le concret » (PA2). Le cadre de l’institution (CI) qualifie de « double démarche pédagogique » l’existence de mises en situation d’une part en classe (par exemple au travers des études de cas) et d’autre part au cours des stages professionnels. Les professeur⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s rejoignent Lalancette (2014, p. 38) qui précise que « l’étude de cas se révèle ainsi comme une stratégie pédagogique utile et porteuse de sens » en permettant l’exploitation des trois dimensions d’une compétence (le savoir, le savoir-faire et le savoir être).

Cependant, les représentations des professeur⋅e⋅s sont ambivalentes relativement à cette proximité déclarée. En effet, en soulignant la parenté des conditions d’apprentissage en brevet de technicien supérieur et en lycée, les professeur⋅e⋅s regrettent que ne se construise pas de cette façon l’autonomie des étudiant⋅e⋅s, ce qui conforte une impression de manque de maturité, élément présent chez trois professeur⋅e⋅s. Les effets de l’orientation par défaut des étudiant⋅e⋅s vers telle ou telle section du brevet de technicien supérieur sont aussi mentionnés comme cause de difficulté par trois professeur⋅e⋅s. Il semble en résulter un manque de motivation (souligné par deux professeur⋅e⋅s), voire des abandons, plus importants que lors d’autres années. D’autres motifs de difficultés sont énoncés, notamment en matière d’expression écrite (quatre professeur⋅e⋅s), concernant à la fois la compréhension et la production de documents. Cette difficulté se transpose en difficulté à argumenter : « c’est […] un des éléments que l’on demande […] aux étudiants et qu’ils ont du mal à assimiler et [à] appliquer en tout état de cause » (PA3).

4.2 Les stages professionnels et l’insertion professionnelle sous l’influence du contexte socioéconomique

Concernant les représentations qu’ont les professeur⋅e⋅s des stages et de l’insertion professionnelle de leurs étudiant⋅es, l’unité d’enregistrement dominante est relative aux contraintes du contexte économique local. On la retrouve dans les réponses de cinq professeur⋅e⋅s à la question spécifique à l’insertion professionnelle, et chez trois d’entre elles⋅eux à la question plus générale sur les difficultés rencontrées par les étudiant⋅e⋅s pendant leur formation : « je trouve que les difficultés d’insertion des jeunes ici sont liées vraiment à l’étroitesse du marché de l’emploi » (PA1).

Cet accent mis sur les contraintes socioéconomiques se retrouve dans plusieurs autres unités d’enregistrement. Quatre professeur⋅e⋅s mentionnent que le brevet de technicien supérieur sert de tremplin pour la poursuite d’études en licence professionnelle. Elles⋅ils pensent probablement à la licence professionnelle hôtellerie-tourisme, proposée à l’université des Antilles, en Guadeloupe, qui reste actuellement le premier débouché du brevet de technicien supérieur tourisme (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, 2016). En revanche, la licence professionnelle « Management et gestion des organisations », présente à l’université des Antilles, est moins attrayante pour les diplômé⋅e⋅s du brevet de technicien supérieur assistant de manager. Ainsi, selon quatre des six professeur⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s, la faiblesse de l’offre universitaire en licence professionnelle tertiaire conduit les étudiante⋅s à envisager de quitter la Guadeloupe. D’une façon générale, les difficultés économiques de leurs étudiant⋅e⋅s (cout de la formation, difficulté de transport) semblent influencer les représentations des professeur⋅e⋅s (Crahay et coll., 2010 ; Leong, 2014) qui n’envisagent pas l’insertion professionnelle immédiate de ceux⋅celles-ci.

Néanmoins, des représentations plus positives de la formation et des stages professionnels sont exprimées. Ainsi, trois professeur⋅e⋅s relèvent comme atouts de cette formation l’acquisition de savoir-faire et de savoir-être, par exemple au travers des mises en situations professionnelles : « [les tuteurs de stage] sont étonnés par la maitrise professionnelle d’un certain nombre de compétences de nos étudiants » (PA1). Pour les professeur⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s, cela marque une reconnaissance du diplôme et une différence entre leurs étudiant⋅e⋅s et celles⋅ceux du premier cycle universitaire. Deux d’entre elles⋅eux mentionnent ainsi que l’accompagnement des étudiant⋅es permet une préparation efficace au stage et trois d’entre elles⋅eux, que l’implication des acteur⋅rice⋅s de la formation (professeur⋅e⋅s, étudiant⋅e⋅s) contribue à faire des stages un succès.

4.3 Lorsque les professeur⋅e⋅s comparent les contextes d’enseignement

Lorsque l’on interroge les professeur⋅e⋅s sur les particularités de l’enseignement en brevet de technicien supérieur en Guadeloupe, cinq professeur⋅e⋅s estiment soit ne pas avoir d’éléments pour répondre, soit apportent une réponse négative spontanée. Ainsi, un⋅e des professeur⋅e⋅s indique que le respect du cadre national du diplôme provoque un enseignement et une préparation identiques des étudiant⋅e⋅s quel que soit le lieu de formation. Dans la lignée de Crahay et coll., (2010), les représentations des professeur⋅e⋅s sont en réalité plus complexes. En effet, trois autres professeur⋅e⋅s, après une réponse initiale analogue, apportent des nuances lors des relances et rejoignent ainsi la seule professeure qui s’engage directement dans une explicitation des spécificités du milieu d’exercice. Trois unités d’enregistrement dominent. La première est en lien avec la formation des professeur⋅e⋅s. Certaines actions sont en effet mises en place uniquement dans l’Hexagone, et les professeur⋅e⋅s de Guadeloupe ne peuvent y participer de façon régulière. De ce fait, ces dernier⋅ère⋅s estiment que cela peut provoquer des différences dans l’accompagnement de leurs étudiant⋅e⋅s, par exemple lors d’évolutions des textes de référence. La seconde est liée à une prise en compte du territoire dans la formation des étudiant⋅e⋅s. Nous analyserons davantage ce point ci-dessous. Enfin, en ce qui concerne l’hypothèse principale, une unité d’enregistrement apparue trois fois montre que les professeur⋅e⋅s considèrent que les étudiant⋅e⋅s guadeloupéen⋅ne⋅s peuvent être déstabilisé⋅e⋅s par les ruptures entre le contexte local et le cadre règlementaire du diplôme, par exemple en raison de sujets d’examen non adaptés. En effet, la Guadeloupe appartient à l’hémisphère Nord et suit un calendrier scolaire comparable à celui de l’Hexagone : les examens nationaux sont basés sur les mêmes sujets que ceux de l’Hexagone, avec des horaires modifiés en raison du décalage horaire. À l’inverse, des sujets différents sont prévus pour les Outre-mer français situés dans l’hémisphère Sud, en raison d’un calendrier scolaire adapté aux saisons inversées. Mais ces sujets ne font pas, de manière générale, référence aux contextes de ces territoires.

4.4 Une contextualisation pédagogique sous contraintes

En dépit de représentations contrastées sur les différences entre l’enseignement en brevet de technicien supérieur dans l’Hexagone et celui dans la Guadeloupe, tou⋅te⋅s les professeur⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s intègrent certaines particularités de l’environnement local à leur enseignement « […] parce que beaucoup d’entre eux [les étudiants] vont être amenés à travailler en Guadeloupe » (PA2), ce que ce professeur réalise au travers d’études de cas basées sur le stage. Le cadre de l’institution (CI) confirme qu’il s’agit d’un conseil qu’il donne aux professeur⋅e⋅s « pour donner du sens à l’enseignement », mais qu’il convient ensuite « dans un monde globalisé » d’élargir le point de vue. Ainsi, une des premières justifications à la contextualisation pédagogique est liée à l’insertion professionnelle locale. Une seconde tient à la nécessité de motiver les étudiant⋅e⋅s, répondant ainsi à une des difficultés mentionnées par les professeur⋅e⋅s, relevée plus haut. Le professeur PT3 explicite ce type de pratiques avec l’exemple d’un produit phare de l’agro-industrie de la Guadeloupe, le rhum. Ce dernier note une « évolution des besoins » avec une tendance à « consommer moins d’alcools forts », mais de meilleure qualité. Cependant, il indique qu’en Guadeloupe, on continue à produire du rhum titrant à 55 ou même à 62 degrés d’alcool « parce que ça fait partie de notre patrimoine ». Ainsi peut se construire une réflexion mercatique sur l’offre et la demande autour d’un produit local.

Cet exemple illustre de plus le fait que les professeur⋅e⋅s se questionnent sur la possibilité de pratiquer une contextualisation pédagogique dans toutes les disciplines. Ainsi, le professeur PT3 compare la mercatique (qui s’y prête, selon lui) aux sciences de gestion, pour lesquelles il hésite (un compte de résultat ne lui semble pas contextualisable), ou au droit. Pour ce dernier domaine, le professeur PA3 compare l’enseignement de l’économie, facilement contextualisable selon lui, au droit, pour lequel il estime la difficulté plus grande, la majorité des lois étant nationales en France. Face à la complexité de ces phénomènes, le cadre de l’institution (CI) conseille de s’interroger sur l’utilité « en contexte » de la notion à enseigner : « En entreprise, dans votre vie quotidienne, voire dans votre vie personnelle : ça vous sert à quoi ? ».

En outre, deux professeur⋅e⋅s déclarent des pratiques différentes alors qu’ils interviennent dans la même discipline et dans la préparation au même diplôme. C’est ce qui se produit en sciences de gestion, pour les régimes fiscaux différents entre l’Hexagone et la Guadeloupe. La professeure PT1 se sert de ressources locales pour cet enseignement (« bien sûr je prends des articles locaux et puis je m’en sers ») en étant consciente que « le taux de taxe sur la valeur ajoutée n’est pas le même ici, il y a un octroi de mer qu’il n’y a pas en Métropole », ceci dans le but d’intéresser ses élèves. À l’inverse, de crainte de défavoriser ses étudiant⋅e⋅s pour l’examen terminal, le professeur PT3 adopte la position inverse en enseignant « […] des taux de taxe sur la valeur ajoutée qui sont utilisés en Métropole alors que ce ne sont pas les mêmes qu’on a ici ! On ne parle pas d’octroi de mer, […] c’est un petit peu dommage ! ».

Au-delà des interrogations sur la possibilité de contextualiser certains enseignements, ce professeur mentionne une limite à la contextualisation, l’examen national. La professeure PT1, qui exploite des ressources locales dans son enseignement, indique cette même limite : « […] on n’a pas à trop contextualiser puisque c’est un enseignement, c’est un examen national ». Les unités d’enregistrement relatives à cette limite sont prédominantes en apparaissant dans des réponses spontanées à plusieurs questions (chez quatre professeur⋅e⋅s). Par ailleurs, les professeur⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s regrettent de ne pouvoir aller plus loin dans l’exploitation pédagogique de l’environnement local faute de disposer de ressources suffisantes, ce que le professeur PT3 exprime en disant que « […] les manuels nous obligent à travailler sur des sujets qui sont plus généraux, c’est vrai ».

4.5 Des pratiques différentes entre les deux brevets de technicien supérieur étudiés

En relation avec l’hypothèse secondaire, nous avons de plus relevé les éléments se rapportant à des pratiques différenciées entre les deux brevets de technicien supérieur étudiés ici. Concernant le brevet de technicien supérieur assistant de manager, l’unité d’enregistrement principale est celle de la relation de la formation au contexte international, très présent dans les référentiels relatifs au métier d’assistant de manager. Les professeur⋅e⋅s observent qu’en Guadeloupe « très peu d’entreprises ont véritablement un contact avec l’international » (PA2) en raison d’un « bassin d’entreprises [formé de] vraiment petites et moyennes entreprises/petites et moyennes industries ». L’ouverture vers l’international et la pratique d’une langue étrangère en situation professionnelle se font donc au travers d’un stage à l’étranger « […] ce qui n’est pas […] cité dans le référentiel comme une obligation » (PA2).

Dans la formation du brevet de technicien supérieur tourisme, l’influence du contexte socioéconomique s’exprime de manière différente en fonction des métiers visés. Dans le secteur de la vente de produits touristiques, les professeur⋅e⋅s estiment les stages « pas tellement enrichissants » (PT1), souvent réduits à des ventes de billets « secs » et que ce secteur ne créera que peu d’emploi en agence compte tenu de la mutation vers la vente en ligne : « autant être billettiste par exemple sur un plateau d’affaires » (PT1). Dans le secteur de l’animation et de la gestion touristiques locales, la professeure PT1 mentionne l’existence de « stages très intéressants que ce soit au Parc National, que ce soit chez les réceptifs ». Ainsi, si les deux formations dépendent du contexte socioéconomique, le secteur du tourisme semble offrir, localement, des possibilités plus riches que le brevet de technicien supérieur assistant de manager.

5. Discussion des résultats

En premier lieu, nous souhaitons indiquer que nous sommes conscient⋅e⋅s des limites de notre étude, en raison du faible nombre de personnes interrogées. Néanmoins, les résultats montrent que les six professeur⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s alimentent leurs pratiques d’une réflexion sur les ressources locales, ce qui est la marque d’une volonté de contextualisation pédagogique et de prise en compte du contexte de proximité (Leong, 2014). Leur objectif déclaré est d’intéresser les étudiant⋅e⋅s et de les motiver pendant le déroulement de la formation. Deux professeur⋅e⋅s ajoutent que pour elleseux, il est important de faciliter l’insertion professionnelle des étudiant⋅e⋅s en les rendant sensibles à l’environnement socioéconomique du territoire. Par ailleurs, deux autres professeur⋅e⋅s évoquent de façon spontanée, comme frein à la contextualisation, les examens nationaux. Nos résultats rejoignent le constat effectué par Delcroix et coll., (2013) qui font remarquer que cette limite se retrouve dans tous les concours nationaux français, comme ceux qui recrutent des professeur⋅es. Ainsi notre hypothèse principale (H) semble partiellement vérifiée, certain⋅e⋅s professeur⋅e⋅s identifiant bien l’examen national comme limite principale à la contextualisation.

Par ailleurs, d’autres contraintes sont également apparues dans le discours des professeur⋅e⋅s, en particulier d’ordre didactique : l’absence de ressources pédagogiques (manuels, notamment) basées sur l’environnement local contraint deux professeur⋅e⋅s à utiliser les manuels nationaux, beaucoup plus généraux. Ainsi, si l’institution accordait la possibilité d’adapter au contexte les prescrits des brevets de technicien supérieur, la question de la production de ressources pédagogiques, de même que celle de l’évaluation, resteraient posées pour rendre plus effectives des pratiques en accord avec l’environnement du territoire. En effet, un professeur de notre étude se questionne sur une possible inadaptation des sujets nationaux à la diversité des publics rencontrés en brevet de technicien supérieur. Le professeur PT3 donne ainsi un exemple d’un sujet portant sur une étude économique concernant le ski de fond qui a dérouté les candidat⋅e⋅s de Guadeloupe, tout comme « une étude de cas de quatre heures sur les préoccupations de la Guadeloupe » risquerait de perdre les étudiant⋅e⋅s « de là-bas ». Ainsi, une territorialisation du curriculum (Leite, Fernandes et Mouraz, 2014) devrait s’accompagner d’une réflexion sur une évolution de l’évaluation terminale des brevets de technicien supérieur. Enfin, contextualiser ne serait pas renoncer à enseigner le cadre national. En effet, d’une part, comme le font remarquer trois professeur⋅e⋅s, les étudiant⋅e⋅s ne travailleront pas nécessairement en Guadeloupe. D’autre part, une professionnel⋅le doit maitriser, en fait, les éléments relatifs au contexte national et au contexte local pour être efficace, ne serait-ce que compte tenu des relations économiques fortes avec l’Hexagone. En accord avec Crahay et coll., (2010) et Doise (1986), ces résultats montrent que les professeur⋅e⋅s construisent des solutions pragmatiques en tentant de concilier les exigences nationales et locales.

En relation avec l’hypothèse secondaire (H’), nous avons noté peu de différences dans les pratiques pédagogiques courantes des professeur⋅e⋅s de sciences de gestion des deux brevets de technicien supérieur, ce qui pourrait conduire à la rejeter. Cependant, la différenciation entre les deux formations s’effectue ailleurs, en relation profonde avec le contexte socioéconomique de la Guadeloupe. D’un côté, pour le brevet de technicien supérieur assistant de manager, l’impossibilité de réaliser les exigences du référentiel en termes de maitrise d’une langue vivante étrangère en situation professionnelle conduit l’équipe pédagogique à imposer un stage à l’étranger. Le caractère peu ouvert sur l’international de la quasi-totalité des entreprises présentes en Guadeloupe est ici en cause. L’équipe pédagogique du brevet de technicien supérieur assistant de manager met en place une forme originale de noocontextualisation « territoriale », pratiquée de manière assumée par le lycée porteur de la formation. Elle s’inscrit dans une perspective de territorialisation du curriculum, cependant non prévue par un texte règlementaire national, à l’inverse des adaptations des programmes scolaires à l’école au collège ou au lycée spécifiques aux Outre-mer dans certains domaines (langues régionales, histoire et géographie, sciences de la vie et de la terre). Cette contextualisation est de plus pédagogique, car il s’agit de répondre aux exigences des référentiels qui ne peuvent, selon les professeur⋅e⋅s, être satisfaites par un stage en Guadeloupe. De l’autre côté, les professeur⋅e⋅s du brevet de technicien supérieur tourisme considèrent le terrain de la Guadeloupe comme propice à des stages professionnels de qualité au moins dans le domaine de l’animation touristique et n’évoquent pas la même nécessité de l’ouverture internationale. On peut penser que l’accueil de touristes étranger⋅ère⋅s dans une structure touristique peut de fait constituer une mise en situation professionnelle, obligeant à pratiquer une langue vivante étrangère. Leurs pratiques de la contextualisation s’inscrivent dans une perspective avant tout pédagogique en s’appuyant sur les ressources locales (presse, stages professionnels). C’est ici que s’exprime la relation au contexte du brevet de technicien supérieur tourisme : les prescrits de cette formation sont ancrés contextuellement et le secteur visé par la formation, le tourisme, bénéficie de représentations plutôt favorables chez les acteurs économiques en Guadeloupe.

6. Conclusion

Notre étude montre que les professeur⋅e⋅s interviewé⋅e⋅s déclarent recourir à des pratiques de contextualisation pour faciliter la motivation et l’intérêt des élèves et favoriser leur insertion professionnelle dans l’environnement proche, ce qui est une vocation des brevets de technicien supérieur. Cependant, dans le système éducatif français, restant fortement centralisé, ces pratiques ne sont pas toujours encouragées par les textes définissant les diplômes et restent limitées, compte tenu des modalités d’évaluation définies au plan national. Nous restons cependant prudent⋅e⋅s dans nos conclusions, compte tenu du nombre de professeur⋅e⋅s interrogé⋅e⋅s. Nous envisageons donc d’étendre cette étude à des professeur⋅e⋅s préparant les étudiant⋅e⋅s à d’autres brevets de technicien supérieur, en jouant cette fois sur deux variables apparues ici significatives, la discipline enseignée et le brevet de technicien supérieur dans lequel elles⋅ils enseignent. Par ailleurs, il serait aussi intéressant de comparer les pratiques observées dans cette formation professionnelle courte en France, parfois qualifiée de « petit enseignement supérieur » (Orange, 2009), et dans un autre pays où existent plusieurs institutions contribuant à la délivrance de diplômes postsecondaires, comme dans la province de Québec au Canada, avec les collèges d’enseignement général et professionnel et les universités.

Notre enquête nous semble aussi montrer que la question de la contextualisation n’est pas simple et ne doit pas être une fin en soi : l’enjeu est de pouvoir répondre à des objectifs de formation et d’insertion professionnelle. Pour s’inscrire dans les pratiques, la contextualisation nécessite de produire des ressources pédagogiques qui explicitent les différences constatées entre les contextes en jeu (dans notre étude, ceux de l’Hexagone et de la Guadeloupe) avec, par exemple, pour les sciences de gestion, une lecture sociohistorique des différences contextuelles. Enfin, l’évaluation doit être intégrée au processus d’adaptation des enseignements (Mottier Lopez, 2016) pour permettre aux professeur⋅es de s’appuyer sur l’environnement local sans risquer de désavantager leurs étudiant⋅e⋅s. En reprenant l’expression du cadre de l’institution éducative que nous avons interrogé, c’est à ce prix que les territoires « en marge » pourront former les technicien⋅ne⋅s dont leur économie a besoin pour se développer.