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1. Introduction

Au Québec, à l’éducation préscolaire cinq ans, il peut y avoir jusqu’à 20 enfants par classe, ce qui constitue un milieu éducatif riche en expériences interactionnelles pour l’enfant, tant avec son enseignant⋅e qu’avec ses pairs. En effet, l’horaire type d’une journée comprend plusieurs activités (causerie, activités dirigées, collation, ateliers, jeux libres), à l’intérieur desquelles les occasions d’interagir avec les autres sont nombreuses, complexes et diversifiées (Bouchard, Coutu et Landry, 2012). Ces interactions sont d’ailleurs essentielles aux apprentissages et au développement de l’enfant à cet âge (Mashburn, Pianta, Hamre, Downer, Barbarin, Bryant et Howes, 2008 ; Vygotski, 1978).

À titre indicatif, certaines activités offertes, comme un atelier de jeu symbolique, un bricolage, une construction de blocs de bois ou la période de jeux libres, sont autant de contextes où des interactions peuvent survenir en sous-groupes de pairs. De même, la causerie, qui s’effectue souvent en grand groupe, requiert que les enfants interagissent non seulement entre elles⋅eux, mais également avec l’enseignant⋅e. On parle alors de dynamiques interactionnelles composant l’écologie de la classe, soit l’ensemble des interactions ayant cours entre l’enfant, son enseignant⋅e et ses pairs (Curby, Downer et Booren, 2014).

À la lumière des travaux de Bronfenbrenner (2005), nous savons que ces dynamiques s’influencent mutuellement et de façon complexe. Ces influences vont de l’enseignant⋅e vers les enfants de la classe, de l’enfant vers l’enseignant⋅e et de l’enfant vers ses pairs notamment (Curby et coll., 2014). Un corpus important de recherches établit le rôle fondamental de la fréquence et de la qualité des interactions en classe (Booren, Downer et Vitiello, 2012 ; Burchinal, Howes, Pianta, Bryant, Early, Clifford et Barbarin, 2008 ; O’Connor, 2010 ; Pianta, Downer et Hamre, 2016). De façon plus précise, le soutien émotionnel offert, qui réfère à la sensibilité et la réceptivité de l’enseignant⋅e à l’égard des enfants, a été identifié comme essentiel à la qualité de ces interactions (Brock et Curby, 2016 ; Castro, Granlund et Almqvist, 2017). En plus du rôle de l’enseignant⋅e dans les dynamiques interactionnelles, celui de l’enfant semble tout aussi important, notamment son engagement dans différentes interactions ayant cours en classe (Pianta et coll., 2016). L’engagement de l’enfant, défini comme le temps que les enfants passent en interactions avec les adultes, les pairs et les activités (McWilliam, Scarborough et Kim, 2003), constitue une pierre angulaire des interactions en classe (Reschly et Christenson, 2012 ; Vitiello, Booren, Downer et Williford, 2012).

La classe d’éducation préscolaire cinq ans constitue ainsi un terreau fertile d’interactions diverses entre l’enseignant⋅e, l’enfant et les pairs et il s’avère important de mieux comprendre le sens et la réciprocité de celles-ci (Bierman, 2011 ; Bronfenbrenner, 2005). Or, encore peu de travaux abordent l’étude simultanée et réciproque des interactions entre les enseignant⋅e⋅s, les enfants et les pairs en classe (Hughes et Im, 2016 ; Pianta et coll., 2016). De manière novatrice, cette recherche souhaite répondre à la question suivante : quelles sont les dynamiques interactionnelles en classe à l’éducation préscolaire cinq ans, composées du domaine et des dimensions du soutien émotionnel et de l’engagement de l’enfant, et comment s’influencent-elles mutuellement ?

2. Contexte théorique

2.1 Le soutien émotionnel dans les dynamiques interactionnelles en classe à l’éducation préscolaire cinq ans

Le soutien émotionnel offert en classe permet de témoigner d’une relation chaleureuse et de proximité entre l’adulte et l’enfant, qui amène ce⋅cette dernier⋅ère à s’engager activement et de façon positive dans des interactions avec les autres et ses apprentissages en classe (Pianta, 1994). Un soutien émotionnel de qualité permet de sécuriser les enfants (Brock et Curby, 2014) et les aide à mieux anticiper la nature de leurs interactions avec leur enseignant⋅e et leurs pairs, ce qui, en retour, est susceptible de favoriser leur engagement dans ces interactions (Cooper, Fleischer et Cotton, 2012 ; Curby, Brock et Hamre, 2013). Inversement, un soutien émotionnel de moindre qualité rend les enfants plus inquiet⋅ète⋅s car il est plus difficile pour elles⋅eux d’anticiper les réactions de l’enseignant⋅e et des pairs, ce qui a tendance à modifier les interactions en classe (Brock et Curby, 2016).

La qualité du soutien émotionnel offert en classe est liée à la qualité des interactions que l’enfant entretient avec ses pairs en première, troisième et cinquième année du primaire selon l’étude de Gest et Rodkin (2011). Dans le même sens, Castro et ses coll. (2017) ont étudié l’influence de la qualité des interactions, dont le soutien émotionnel fait partie, sur l’engagement de groupes d’enfants âgé⋅e⋅s de un à cinq ans, à l’aide de l’outil Classroom Assessment Scoring System (Pianta, La Paro et Hamre, 2008). Dans cet outil largement utilisé, le soutien émotionnel se mesure à l’aide des dimensions et indicateurs suivants : climat positif (affect positif, communication positive, respect, etc.), climat négatif (affect négatif, contrôle punitif, sarcasme/irrespect, etc.), sensibilité de l’enseignant⋅e (conscience/vigilance, sensibilité, réponse aux problèmes et confort des enfants, etc.), prise en considération pour le point de vue de l’enfant (attention centrée sur l’enfant, soutien de son autonomie, expression des enfants, etc.).

Les résultats de Castro et coll. (2017) démontrent que le soutien émotionnel est le meilleur prédicteur de l’engagement positif des enfants dans leurs interactions avec leur enseignant⋅e et leurs pairs. Il serait non seulement crucial afin de prédire cet engagement des enfants en classe, mais également pour son maintien tout au long de l’année scolaire. Toutefois, selon Pianta et coll. (2016), précisons qu’une mesure de l’engagement non pas du groupe, mais de chaque enfant, permettrait de comprendre de façon plus fine les interactions en classe, car l’engagement de chaque enfant pourrait être distinct, certain⋅e⋅s étant plus enclin⋅e⋅s que d’autres à s’engager dans des interactions avec leur enseignant⋅e et leurs pairs.

2.2 L’engagement (positif et négatif) de l’enfant et les dynamiques interactionnelles en classe

Dans leurs travaux sur l’outil Individual Classroom Assessment Scoring System, Downer, Booren, Lima, Luckner et Pianta (2010) ont initialement étudié l’engagement de l’enfant dans ses interactions en classe, à partir de trois domaines (engagement envers l’enseignant⋅e, engagement envers les pairs et engagement dans les apprentissages). Au fil du temps, d’autres travaux les ont subdivisés en quatre domaines afin de rendre compte de façon plus précise du caractère positif ou négatif de l’engagement de l’enfant en classe (Sabol, Bohlmann et Downer, 2018 ; Williford, Bulotsky-Shearer, Bichay, Reilly et Downer, 2018). Le premier domaine est l’engagement positif de l’enfant envers son enseignant⋅e, qui est composé de deux dimensions : 1) l’engagement positif envers l’enseignant⋅e et 2) la communication avec l’enseignant⋅e. L’enfant engagé⋅e positivement envers son enseignant⋅e recherche sa proximité et est sensible à sa présence. Elle⋅il lui témoigne cette sensibilité par des manifestations d’affects positifs. Elle⋅il prendra parfois l’initiative de la communication et saura maintenir des discussions avec elle⋅lui (Downer, Booren, Lima, Luckner et Pianta, 2010 ; Sabol et coll. 2018).

Pianta et Stuhlman (2004) ont démontré que l’engagement positif de l’enfant envers son enseignant⋅e favorise le développement d’interactions de qualité avec ce⋅cette dernier⋅ère, et ce, dès l’âge de trois ans. Le recours par l’enfant à son enseignant⋅e comme source de soutien, le fait de la⋅le questionner lorsqu’elle⋅il ne comprend pas une consigne par exemple, est lié à des interactions de meilleure qualité avec elle⋅lui (Burchinal, Peisner-Feinberg, Pianta et Howes, 2002 ; Howes, Phillipsen et Peisner-Feinberg, 2000 ; Pianta et Stuhlman, 2004).

Outre l’engagement positif envers son enseignant⋅e, l’enfant s’engage positivement envers les autres enfants de la classe, soit ses pairs ; il s’agit du deuxième domaine mesuré. Les dimensions suivantes composent ce domaine : 1) la sociabilité ; 2) la communication avec les pairs ; 3) l’affirmation de soi. L’enfant engagé⋅e positivement envers ses pairs recherche leur proximité et sa compagnie est également recherchée par ces derniers. Elle⋅il coopère, tout en ayant des échanges d’affects positifs avec eux. De plus, elle⋅il peut prendre l’initiative de communiquer et de maintenir une discussion avec ses pairs.

Selon plusieurs chercheur⋅se⋅s (Rubin, Bukowski, Parker et Bowker, 2008 ; Vitiello et Williford, 2016 ; Yoder, Williford et Vitiello, 2019), l’engagement positif de l’enfant dans ses interactions entre pairs s’avère important puisqu’il permet à l’enfant de développer et acquérir une multitude d’habiletés sociales qui influenceront sa compétence sociale future. La capacité d’initier des relations positives avec les pairs et à les maintenir, en adoptant des comportements positifs de communication (par exemple, initier ou maintenir une conversation), d’affirmation de soi (par exemple, prendre l’initiative de l’interaction) et de leadeurship (par exemple, organiser un jeu), serait un facteur déterminant de la qualité de celles-ci (Downer, Sabol et Hamre, 2010). Des recherches démontrent que plus l’enfant s’engage tôt dans des interactions avec ses pairs, plus elle⋅il démontre de compétences à interagir avec eux (Howes et Phillipsen, 1998 ; Spivak et Howes, 2011).

Le troisième domaine aborde l’engagement de l’enfant dans ses apprentissages. Il est circonscrit par les dimensions suivantes : 1) engagement dans les activités et 2) autonomie dans les activités (Sabol et coll., 2018). Ce domaine n’est toutefois pas étudié dans cette recherche. Finalement, le quatrième et dernier domaine, l’engagement négatif en classe, est constitué de trois dimensions : 1) conflits avec l’enseignant⋅e ; 2) conflits avec les pairs ; 3) contrôle comportemental (score inversé) (Sabol et coll., 2018). La dimension des conflits avec l’enseignant⋅e mesure le niveau d’interactions caractérisées par de la tension, de la résistance et de la négativité entre l’adulte et l’enfant. La dimension des conflits avec les pairs évalue à quel degré les interactions de l’enfant avec ses pairs sont caractérisées par de l’agression, l’affect négatif, la recherche négative d’attention et la confrontation. Enfin, le contrôle comportemental, qui n’est pas abordé dans cette recherche puisque l’accent est mis sur les conflits en classe, évalue la capacité de l’enfant à contrôler et ajuster ses mouvements et ses interventions verbales aux attentes de l’enseignant⋅e.

Selon certain⋅e⋅s chercheur⋅se⋅s, les relations conflictuelles sont liées à des niveaux inférieurs d’engagement en classe (Hughes, Wu, Kwok, Villarreal et Johnson, 2012). La présence de conflits en début d’année scolaire entre l’enfant et son enseignant⋅e est liée à des difficultés d’adaptation et d’engagement scolaire au cours de cette même année selon Silver, Measelle, Armstrong et Essex (2005). L’engagement négatif, notamment la présence de conflits entre l’enseignant⋅e et l’enfant, aurait également des effets à long terme sur les dynamiques interactionnelles en classe. En effet, Hughes et coll. (2012) ont démontré que la présence de conflits entre l’enseignant⋅e et l’enfant durant une année scolaire influençait négativement la qualité de l’engagement de l’enfant envers son enseignant⋅e dans les années subséquentes. Dans le même sens, une étude de Lee et Bierman (2018) portant sur les variations dans les relations enseignants⋅e⋅s-élèves au fil des années rapporte une certaine stabilité dans les interactions conflictuelles entre l’enfant et l’enseignant⋅e, de l’éducation préscolaire à la troisième année du primaire. On peut voir là l’importance d’étudier l’engagement négatif de l’enfant envers son enseignant⋅e dès l’éducation préscolaire. L’engagement négatif de l’enfant envers ses pairs est quant à lui associé à un risque accru d’exclusion sociale et de désengagement scolaire (Ostrov et Keating, 2004 ; Rubin et coll., 2008). Dans ce type d’engagement, les altercations sont plus fréquentes et mènent souvent à l’isolement social, privant ainsi l’enfant de l’apport des interactions positives avec ses pairs sur son développement social (Holmes, Kim-Spoon et Deater-Deckard, 2016).

2.3 Liens réciproques entre le soutien émotionnel et l’engagement (positif et négatif) de l’enfant en tant que dynamiques interactionnelles en classe

Bien que l’importance du soutien émotionnel et de l’engagement de l’enfant pour le développement d’interactions de qualité en classe ait été démontrée de part et d’autre, encore peu de recherches s’attardent aux liens réciproques entre ces variables (Sabol et coll., 2018), notamment à l’éducation préscolaire cinq ans. Pourtant, si le soutien émotionnel influence l’engagement (positif et négatif) de l’enfant dans ses interactions avec son enseignant⋅e et ses pairs, tel que présenté précédemment, il est alors possible de penser que l’engagement de l’enfant module aussi la qualité du soutien émotionnel, du moins, jusqu’à démonstration du contraire.

Une étude de Curby et ses collègues (2014) s’est d’ailleurs penchée sur les dynamiques interactionnelles composées du soutien émotionnel en classe, mesuré avec l’outil Classroom Assessment Scoring System Pre-K (Pianta et coll., 2008), et de l’engagement des enfants de quatre ans dans leurs interactions avec l’enseignant⋅e et les pairs, mesuré avec l’Individual Classroom Assessment Scoring System (Downer et coll., 2010). Leurs données ont été recueillies auprès d’un échantillon considérable d’enseignant⋅e⋅s (n = 314) et auprès d’en moyenne deux enfants (= 606) par classe. Leurs résultats indiquent une relation bidirectionnelle significative entre le soutien émotionnel en classe, qui est de niveau moyen, et l’engagement de l’enfant envers son enseignant⋅e, qui est de niveau faible. Ainsi, plus le niveau de soutien émotionnel est élevé, plus le niveau d’engagement positif de l’enfant envers son enseignant⋅e l’est aussi. L’inverse est également vrai.

Fait à noter, l’effet « enseignant⋅e » serait plus important que l’effet « enfant », c’est-à-dire que le soutien émotionnel exercerait une influence plus importante sur l’engagement positif de l’enfant envers son enseignant⋅e que ne le ferait l’engagement positif de l’enfant envers son enseignant⋅e sur le soutien émotionnel en classe. Leurs résultats démontrent aussi que le soutien émotionnel favorise l’engagement positif de l’enfant dans ses interactions auprès de ses pairs et que cet engagement n’influence pas la qualité du soutien émotionnel offert en classe. Rappelons que les données de l’étude de Curby et ses collègues (2014) ont été recueillies auprès de seulement deux enfants par classe environ, ce qui pourrait expliquer, selon elles⋅eux, l’effet « enfant » moins important que celui « enseignant⋅e ». Selon ces auteur⋅e⋅s, observer un plus grand nombre d’enfants par classe s’avèrerait nécessaire afin de dégager un portrait plus juste des influences réciproques entre les dynamiques interactionnelles en classe.

En somme, plusieurs recherches antérieures étudient soit la qualité du soutien émotionnel en classe, soit l’engagement (positif et/ou négatif) de chaque enfant envers l’enseignant⋅e et les pairs. Très peu d’études portent sur l’examen des dynamiques interactionnelles en classe (Sabol et coll., 2018), soit ces variables étudiées de façon multidimensionnelle (au niveau de la classe et de l’enfant comme individu) et multidirectionnelle (sur le plan du soutien émotionnel de l’enseignant⋅e envers les enfants et de l’engagement de l’enfant envers l’enseignant⋅e et les pairs) (Chien, Howes, Burchinal, Pianta, Ritchie, Bryant et Barbarin, 2010 ; Williford, Maier, Downer, Pianta et Howes, 2013). C’est d’ailleurs l’objectif général poursuivi par cette étude.

2.4 Objectifs de la présente étude

De façon plus précise, cette recherche vise à étudier les liens réciproques entre le soutien émotionnel en classe, l’engagement positif et négatif (notamment les conflits en classe) de l’enfant dans ses interactions avec son enseignant⋅e et celles avec ses pairs. Trois objectifs spécifiques en découlent : 1) mesurer le niveau de soutien émotionnel en classe d’éducation préscolaire cinq ans ; 2) décrire l’engagement (positif et négatif) de l’enfant envers son enseignant⋅e et ses pairs ; 3) étudier les associations réciproques entre le soutien émotionnel et l’engagement (positif et négatif) de l’enfant envers son enseignant⋅e et ses pairs en classe.

3. Méthodologie

Les données de la présente étude sont tirées d’une recherche subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (Bouchard, Sylvestre, Bigras, Coutu, Cantin et Charron, 2010-2014).

3.1 Sujets

L’échantillon à l’étude comprend 113 enfants (66 filles et 47 garçons) âgé⋅e⋅s de cinq et six ans (M = 73,41 mois, σ = 4,08) provenant de 12 classes d’éducation préscolaire cinq ans. Ces classes comprennent, en moyenne, 17 enfants et sont réparties dans six écoles de la région de Québec et une école de la Beauce (n = 7). Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des enfants participant⋅e⋅s et leurs familles. La majorité des répondant⋅e⋅s est composée des mères des enfants (86,61 %) et les enfants proviennent de familles où près de 80 % des répondant⋅e⋅s détiennent un diplôme d’études professionnelles, collégiales ou universitaires. Les répondant⋅e⋅s travaillent majoritairement à temps plein (69,64 %) et elles⋅ils sont marié⋅e⋅s ou ont un⋅e conjoint⋅e de fait (66,96 %). Plus de 62,7 % des familles vivent avec un revenu familial brut de plus de 50 000 $ par année, alors que 26,4 % d’entre elles vivent avec un revenu entre 15 000 $ et 50 000 $ par année et 10,9 % avec moins de 15 000 $.

Tableau 1

Caractéristiques des participant⋅e⋅s à l’étude

Caractéristiques des participant⋅e⋅s à l’étude

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L’échantillon se compose également de 12 enseignantes à l’éducation préscolaire cinq ans qui sont en moyenne âgées de 35,92 ans (σ = 8,53). Elles détiennent, en moyenne, 11,99 années d’expérience en enseignement, dont 8,44 à l’éducation préscolaire cinq ans (σ = 5,45). Parmi les enseignantes participantes, 36,4 % ont complété une technique en éducation à la petite enfance (études collégiales) avant de poursuivre des études universitaires de premier cycle. De plus, 20 % des enseignantes ont terminé des études de deuxième cycle universitaire.

3.2 Instrumentation

3.2.1 Soutien émotionnel

L’outil d’observation Classroom Assessment Scoring System (Pianta et coll., 2008) mesure la qualité des interactions en classe selon trois domaines : 1) soutien émotionnel ; 2) organisation de la classe et 3) soutien à l’apprentissage. Dans le cadre de cette étude, seul le domaine du soutien émotionnel est retenu (cohérence interne (α) = 0.91). Il est assorti de quatre dimensions, chacune évaluée sur une échelle de classement continu (1, 2 et 3 = niveau faible ; 4 et 5 = niveau moyen ; 6 et 7 = niveau élevé) et reliée aux indicateurs comportementaux suivants : 1) le climat positif (relation, affect positif, communication positive et respect) ; 2) le climat négatif (affect négatif, contrôle punitif, sarcasme/irrespect et sévère négativité) ; 3) la sensibilité de l’enseignante (conscience/vigilance, sensibilité, réponse aux problèmes et confort des enfants) et ; 4) la considération pour le point de vue de l’enfant (souplesse et attention centrée sur l’enfant, soutien de l’autonomie et du leadeurship, expression des enfants et restriction de mouvements).

Afin de déterminer le niveau de qualité du soutien émotionnel offert en classe, une observatrice certifiée (http://teachstone.com) s’est rendue dans les classes afin d’effectuer quatre cycles d’observation de 20 minutes, suivis de 10 minutes de cotation (durée totale de l’observation = 2 heures), pour chacune des enseignantes observées. À la suite de chaque cycle, elle attribuait un résultat pour chacune des quatre dimensions du soutien émotionnel sur l’échelle de classement continu en sept points.

3.2.2 Engagement de l’enfant dans ses interactions en classe

Rappelons que l’outil d’observation Individual Classroom Assessment Scoring System (Downer, Booren, Lima, Luckner et Pianta, 2010) évalue le niveau d’engagement de l’enfant dans ses interactions en classe selon quatre domaines : 1) engagement positif envers l’enseignante ; 2) engagement positif envers les pairs ; 3) engagement positif dans les apprentissages ; 4) engagement négatif en classe. Pour les besoins de la présente étude, seuls les domaines « engagement positif envers l’enseignante » (α = 0,64), « engagement positif envers les pairs » (α = 0,76) et les dimensions relatives aux conflits avec l’enseignante et aux conflits avec les pairs, du domaine de l’engagement négatif en classe (α = 0,59) ont été conservés. La cotation de chaque dimension s’effectue selon une échelle de classement continue variant entre 1 et 7 (1, 2 et 3 = niveau faible ; 4 et 5 = niveau moyen ; 6 et 7 = niveau élevé).

La structure factorielle et la fiabilité de cet outil ont été largement soutenues (Bohlmann, Downer, Williford, Maier, Booren et Howes, 2019 ; Booren et coll., 2012 ; Slot et Bleses, 2018 ; Suchodoletz, Gunzenhauser et Larsen, 2015 ; Williford, Vick Whittaker, Vitiello et Downer, 2013). Conçu pour les enfants de trois à cinq ans, l’Individual Classroom Assessment Scoring System est utilisé dans le cadre de cette recherche auprès d’enfants âgé⋅e⋅s de cinq et six ans, au même titre que dans Slot et Bleses (2018) qui ont étudié et confirmé la validité de cet outil auprès d’enfants âgé⋅e⋅s entre 36 et 79 mois (par exemple, la structure factorielle, la fiabilité test-retest et la fidélité interjuges).

Quatre cycles d’observation d’une durée de 15 minutes (dix minutes d’observation et cinq minutes de cotation) ont été effectués en alternance entre les enfants par deux observatrices certifiées, pour un total de 60 minutes par enfant. Les observatrices ont suivi une formation de deux jours qui abordait le contenu de l’instrument, le codage de cinq vidéos de formation et le codage de cinq vidéos de fiabilité. Le critère de fiabilité de la certification était l’obtention minimale de 80 % de fiabilité à chacune des 10 dimensions, et ce, à plus ou moins un point du code maitre. Un accord interjuges a été mené sur 20 % des observations effectuées et a atteint le seuil de fidélité exigé de 80 % et plus pour chacune des sept dimensions notées.

3.3 Déroulement

Les données de cette recherche ont été recueillies à l’hiver et au printemps d’une même année scolaire. Les participant⋅e⋅s ont été recruté⋅e⋅s à l’aide de lettres d’informations envoyées dans des écoles des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (Québec, Canada). Le formulaire de consentement destiné aux parents et le questionnaire sociodémographique leur ont été remis en janvier. Ces documents ont été complétés à la maison et retournés à l’école par l’entremise des enfants. Le processus de recrutement a été complété au mois de février et les observations en classe ont débuté à ce moment et ont pris fin au printemps.

3.4 Méthodes d’analyses des données

Six variables (communication avec l’enseignante, communication avec les pairs, affirmation avec les pairs, engagement négatif, conflits avec l’enseignante et conflits avec les pairs) présentaient une asymétrie et/ou un aplatissement supérieur suite aux analyses préliminaires. Les analyses menées à la fois avec les variables originales et celles transformées (racine carrée, logarithme et winsorisation) ayant produit des résultats similaires, les variables originales ont été conservées dans l’optique d’utiliser des données le moins altérées possible. Dans le but de répondre aux deux premiers objectifs, des analyses descriptives ont été menées. Afin de déterminer si le soutien émotionnel prédit les niveaux d’engagement de l’enfant en classe (troisième objectif), trois régressions multiples ont été réalisées. Chacune avait comme variable dépendante un domaine de l’engagement de l’enfant (engagement positif envers l’enseignante, engagement positif envers les pairs et engagement négatif) et, comme variables indépendantes, les dimensions du soutien émotionnel (climat positif, climat négatif, sensibilité de l’enseignante et considération pour le point de vue de l’enfant).

Finalement, afin d’évaluer si les niveaux d’engagement de l’enfant prédisaient la qualité du soutien émotionnel, une analyse de régression hiérarchique a été effectuée avec le domaine du soutien émotionnel comme variable dépendante et les dimensions de l’engagement de l’enfant comme variables indépendantes. Comme premier bloc de prédicteurs, les dimensions de l’engagement positif envers l’enseignante (communication et engagement) ont été incluses, conformément au modèle théorique de l’Individual Classroom Assessment Scoring System. Dans un deuxième bloc, les dimensions de l’engagement positif envers les pairs (sociabilité, affirmation de soi et communication) ont été ajoutées. Dans un troisième et dernier bloc, les dimensions de l’engagement négatif (conflits avec l’adulte et conflits avec les pairs) ont été incluses. Toutes les analyses de l’étude ont été réalisées à l’aide du logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS Version 20.0 ; IBM Corp, 2011). Le seuil alpha (α) a été fixé à 0,05.

3.5 Considérations éthiques

Cette recherche ainsi que tous les outils utilisés (formulaires de consentement, questionnaires, outils d’observation) ont été approuvés par le comité éthique de l’Université Laval.

4. Résultats

4.1 Le niveau de soutien émotionnel en classe (objectif 1)

Le tableau 2 présente les statistiques descriptives et l’étendue reliées au soutien émotionnel offert en classe. On y constate qu’il est de niveau moyen (= 4,91, σ = 0,58) et que l’étendue s’étend de 4,13 à 5,88 sur 7, donc, que la dispersion autour de la moyenne de ce domaine est faible. En ce qui concerne chacune des dimensions qui composent ce domaine, tant le climat positif (M = 4,81, σ = 0,88) que la sensibilité (= 4,75, σ = 0,77) et la considération pour le point de vue de l’enfant (= 3,92, σ = 0,73) sont d’un niveau moyen, c’est-à-dire parfois observés en classe. Le climat négatif (= 1,83, σ = 0,61) est la seule dimension ayant un niveau faible, ce qui va dans le sens attendu.

Tableau 2

Statistiques descriptives des domaines et dimensions du soutien émotionnel (N = 12) et de l’engagement de l’enfant avec l’enseignante et les pairs (N = 113)

Statistiques descriptives des domaines et dimensions du soutien émotionnel (N = 12) et de l’engagement de l’enfant avec l’enseignante et les pairs (N = 113)

Note. Les domaines sont écrits en gras. = moyenne ; σ = écart-type.

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4.2 Les niveaux d’engagement (positif et négatif) de l’enfant dans ses interactions en classe (objectif 2)

Le tableau 2 dévoile également les statistiques descriptives associées aux domaines et aux dimensions de l’Individual Classroom Assessment Scoring System. Les scores associés à chaque domaine sont de niveau moyen-faible et s’étendent de 2,22 à 3,02. Ils présentent de faibles écarts-types (entre 0,29 et 0,88), ce qui témoigne de faibles dispersions des scores autour des moyennes. De façon précise, le domaine de l’engagement positif de l’enfant envers son enseignante est de niveau faible, tout comme ses dimensions « engagement » et « communication ». Quant au domaine de l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs, il présente un niveau moyen-faible et il est le plus élevé des trois domaines. La dimension reliée à la sociabilité de ce domaine présente un score moyen-faible et les dimensions de la communication avec les pairs et l’affirmation de soi s’avèrent de niveau faible. Finalement, les deux dimensions reliées aux conflits en classe, issues du domaine de l’engagement négatif, présentent les niveaux les plus bas, chacune des dimensions étudiées (conflits avec l’enseignante et conflits avec les pairs) étant considérées de niveau faible.

4.3 Les associations réciproques entre le soutien émotionnel et l’engagement de l’enfant (objectif 3)

Le premier modèle de régression multiple évalue les liens prédictifs entre les dimensions du soutien émotionnel et l’engagement positif de l’enfant envers son enseignante (voir tableau 3). Les résultats démontrent que les dimensions du soutien émotionnel ne permettent pas de prédire l’engagement positif de l’enfant envers son enseignante, F(4, 108) = 1,60,= 0,180.

Tableau 3

Régression multiple entre les dimensions du soutien émotionnel (VI) et le domaine de l’engagement positif de l’enfant envers l’enseignante (VD ; N = 113)

Régression multiple entre les dimensions du soutien émotionnel (VI) et le domaine de l’engagement positif de l’enfant envers l’enseignante (VD ; N = 113)

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Le deuxième modèle de régression (tableau 4) étudie les liens prédictifs entre les dimensions du soutien émotionnel et, cette fois, l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs. Les dimensions du soutien émotionnel prédisent significativement l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs, F(4, 108) = 3,72, p = 0,007, expliquant environ 12 % de sa variance. La dimension du climat positif est la seule à y contribuer significativement (β = 0,47 ; p = 0,014). Ainsi, plus le climat positif de la classe est élevé, plus l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs l’est également.

Tableau 4

Régression multiple entre les dimensions du soutien émotionnel (VI) et le domaine de l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs (VD ; N = 113)

Régression multiple entre les dimensions du soutien émotionnel (VI) et le domaine de l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs (VD ; N = 113)

Note. * < 0,05 ; ** < 0,01

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Le troisième modèle de régression permet d’étudier les liens prédictifs entre les dimensions du soutien émotionnel et les dimensions « conflits avec l’enseignante » et « conflits avec les pairs » de l’engagement négatif de l’enfant en classe (tableau 5). Les dimensions du soutien émotionnel prédisent de façon significative l’engagement négatif de l’enfant, F(4, 108) = 3,77, p = 0,007. Environ 12 % des différences individuelles dans l’engagement négatif des enfants sont expliquées par le soutien émotionnel offert en classe. Chaque dimension du soutien émotionnel prédit l’engagement négatif de façon significative, soit le climat positif (β = 0,60,= 0,003), le climat négatif (β = 0,59, = 0,001), la sensibilité envers l’enfant (β = -0,49, = 0,006) et la considération pour le point de vue de l’enfant (β = 0,57, = 0,000). Ainsi, plus « le climat positif », « le climat négatif » et « la considération pour le point de vue de l’enfant » sont élevés, plus l’engagement négatif de l’enfant est élevé. Par ailleurs, plus la sensibilité de l’enseignante est élevée, moins l’engagement négatif de l’enfant l’est.

Tableau 5

Régression multiple entre les dimensions du soutien émotionnel (VI) et le domaine de l’engagement négatif de l’enfant (VD ; N = 113)

Régression multiple entre les dimensions du soutien émotionnel (VI) et le domaine de l’engagement négatif de l’enfant (VD ; N = 113)

Note. ** < 0,01 ; *** < 0,001

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Finalement, les résultats d’une analyse de régression hiérarchique (tableau 6) démontrent que l’engagement de l’enfant envers son enseignante (premier bloc) ne permet pas de prédire le soutien émotionnel en classe, F(2, 110) = 0,25, p = 0,78. L’ajout de la variable de l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs (deuxième bloc) ne permet pas davantage de prédire le soutien émotionnel, F(5, 107) = 2,04, p = 0,08, ni l’insertion de l’engagement négatif de l’enfant en classe (troisième bloc), F(7, 105) = 1,54, p = 0,16. Ainsi, les niveaux d’engagement de l’enfant ne prédisent pas le niveau de soutien émotionnel en classe.

Tableau 6

Régression hiérarchique entre les dimensions de l’engagement de l’enfant (VI) et le domaine du soutien émotionnel (VD)

Régression hiérarchique entre les dimensions de l’engagement de l’enfant (VI) et le domaine du soutien émotionnel (VD)

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5. Discussion des résultats

L’objectif de cette étude consistait à décrire les niveaux de soutien émotionnel et d’engagement (positif et négatif) des enfants en classe à l’éducation préscolaire cinq ans, puis à étudier leurs liens réciproques. Relativement au premier objectif, le niveau modéré de qualité du soutien émotionnel relevé (M = 4,91, σ = 0,58) signifie que des indices ont parfois été observés indiquant que les enseignantes et les enfants vivaient des relations chaleureuses et attentives, que l’enseignante offrait du soutien aux enfants démontrant des besoins, que ces dernier⋅ère⋅s recherchaient son soutien et qu’il y avait place aux idées des enfants pouvant alors s’exprimer et démontrer de l’autonomie.

Ce niveau modéré de soutien émotionnel s’avère légèrement inférieur à ceux obtenus dans d’autres recherches. Par exemple, aux États-Unis, Brock et Curby (2014) ont observé une moyenne de 5,74 (σ = 0,70) sur 7 dans une étude sur les liens entre le soutien émotionnel et les comportements d’enfants de quatre et cinq ans, alors qu’en Suède, Castro et ses collègues (2017) ont rapporté des niveaux de soutien émotionnel de 5,66 (σ = 0,74) et de 5,93 (σ = 0,82) sur 7 lors de deux temps de mesure auprès d’enfants âgé⋅e⋅s de cinq ans. Bien que le faible nombre de classes observées ne permette pas la généralisation de nos résultats à l’ensemble des classes à l’éducation préscolaire cinq ans au Québec, le niveau modéré de soutien émotionnel relevé met en lumière l’importance de poursuivre l’étude de celui-ci, considérant son importance avérée dans les interactions de l’enfant en classe (Brock et Curby, 2016 ; Castro et coll., 2017), elles-mêmes impliquées dans ses apprentissages et son développement.

En lien avec le deuxième objectif, les faibles niveaux d’engagement positif de l’enfant envers son enseignante (M = 2,22, σ = 0,53) et ceux moyens-faibles de son engagement envers ses pairs (M = 3,02, σ = 0,77) témoignent que lors des observations, peu d’indices ont été observés à l’effet que les enfants partageaient leurs émotions avec leur enseignante, recherchaient sa proximité, démontraient une synchronie relationnelle avec elle et initiaient ou menaient une conversation avec l’enseignante. En ce qui concerne les interactions avec leurs pairs, les enfants démontraient occasionnellement le désir d’être en leur présence, partageaient certains affects positifs avec eux, se préoccupaient parfois d’eux et semblaient à l’occasion s’accueillir chaleureusement entre elles⋅eux. Aussi, les enfants communiquaient peu entre elles⋅eux, n’avaient pas de conversations soutenues et amorçaient peu d’interactions entre elles⋅eux.

Ces résultats sont néanmoins similaires à ce qui a été observé lors d’autres études menées à l’international. Par exemple, Slot et Bleses (2018) ont identifié des niveaux d’engagement positif envers l’enseignant⋅e de 2,26 (σ = 0,95) et 2,03 (σ = 1,05) lors de deux temps de mesure chez des enfants danois⋅es âgé⋅e⋅s entre trois et six ans, toujours à partir de l’Individual Classroom Assessment Scoring System. Aux États-Unis, Williford et ses collègues (2018) ont relevé des niveaux faibles d’engagement positif envers l’enseignant⋅e (= 2,81, σ = 0,91) et envers les pairs (M = 2,65, σ = ,91) chez des enfants âgé⋅e⋅s de trois à cinq ans. Ces faibles niveaux observés soulèvent la nécessité, dans les prochaines années, d’identifier des pistes favorisant un engagement de meilleure qualité chez les enfants.

Il faut toutefois nuancer ces résultats, car les niveaux d’engagement observés avec l’outil Individual Classroom Assessment Scoring System sont susceptibles de varier selon le contexte. Par exemple, lorsque l’enfant effectue une tâche individuelle, lors d’une activité dirigée par l’enseignant⋅e, un score faible sera attribué relativement à son engagement envers les pairs. Ainsi, les faibles niveaux obtenus peuvent témoigner d’enfants qui s’engagent peu, mais aussi de contextes qui ne se prêtent pas à l’engagement envers l’enseignant⋅e ou les pairs. D’ailleurs, certaines études notent l’influence des contextes de classe sur la qualité de l’engagement des enfants, qui varie selon ces contextes (Booren et coll., 2012 ; Vitiello et coll., 2012) ou selon la présence ou non de l’enseignant⋅e à proximité de l’enfant (Acar, Hong et Wu, 2017). D’autres études permettant de préciser les niveaux d’engagement en fonction des différents contextes sont nécessaires.

Le troisième objectif de cette recherche visait à étudier les liens réciproques entre le soutien émotionnel et l’engagement (positif et négatif) de l’enfant. Certains résultats saillants méritent d’être soulignés à cet effet. D’abord, la contribution du soutien émotionnel, de façon unidirectionnelle, sur l’engagement de l’enfant envers ses pairs, s’avère un résultat similaire à celui obtenu par Curby et ses collègues (2014). Le climat positif, la seule dimension de ce domaine ayant une contribution significative, semble prédire 12 % de la variance associée aux scores d’engagement positif envers les pairs. Ces résultats démontrent l’importance de la dimension reliée au climat positif en classe, nous permettant d’anticiper la façon dont l’enseignant⋅e peut influencer, même indirectement, les interactions entre les pairs.

Le référencement social, qui renvoie au fait que les jeunes enfants observent les actions de l’adulte qui prend soin d’elles⋅eux afin d’orienter leurs propres comportements dans différentes situations (Gest et Rodkin, 2011 ; Walden et Ogan, 1988), pourrait expliquer ce résultat. Ainsi, lorsque l’enseignant⋅e de la classe offre un soutien émotionnel de qualité, notamment un climat de classe positif, où elle⋅il établit des relations caractérisées par la présence d’affects positifs, de communication positive et de respect, elle⋅il favorise indirectement le jugement positif des élèves entre elles⋅eux, ce qui suscite l’engagement de celles⋅ceux-ci envers leurs pairs (Hughes et Kwok, 2006). De plus, la qualité du climat positif permet à l’enfant de se sentir en sécurité et d’effectuer divers apprentissages, notamment des apprentissages sociaux (Curby et coll., 2014).

Notons également que l’engagement positif et négatif de l’enfant envers son enseignant⋅e n’a pas prédit le niveau de soutien émotionnel. Ce constat va à l’encontre de travaux qui notent une influence bidirectionnelle entre ces variables, ainsi qu’une contribution plus grande de l’enseignant⋅e vers l’enfant que de l’enfant vers l’enseignant⋅e (Castro et coll., 2017 ; Cooper et coll., 2012 ; Curby, Brock et Hamre, 2013 ; Gest et Rodkin, 2011). Par contre, rappelons que dans l’étude de Castro et ses collègues (2017), c’est l’engagement du groupe et non de chacun⋅e des enfants qui est évalué. De même, l’étude de Gest et Rodkin (2011) a été effectuée auprès d’enfants plus vieux soit de la première, troisième et cinquième année du primaire.

Dans l’étude de Curby et ses collègues (2014), cette relation bidirectionnelle entre le soutien émotionnel et l’engagement positif et négatif de l’enfant s’avère plus importante de l’enseignant⋅e vers l’enfant que l’inverse. Sachant que le soutien émotionnel observé par Curby et ses collègues (2014) était légèrement plus élevé que dans la présente étude, soit en moyenne de 5,11 (σ = 1,00), il est possible que celui-ci ait contribué de façon plus notable à façonner les comportements des enfants en classe. Toutefois, comme l’étude de cet engagement au niveau individuel avec l’outil Individual Classroom Assessment Scoring System demeure récente (Pianta et coll., 2016), d’autres recherches devront être menées sur de grands échantillons afin de préciser les liens réciproques entre le soutien émotionnel et l’engagement de l’enfant envers l’enseignant⋅e.

L’étude de la contribution des dimensions du soutien émotionnel sur l’engagement négatif de l’enfant en classe révèle une association prédictive négative entre la dimension de la sensibilité de l’enseignante et les dimensions des conflits avec l’enseignante et avec les pairs (engagement négatif). De manière plus précise, dans les classes où l’enseignante présente une sensibilité plus élevée, on observe un niveau plus faible d’engagement négatif. Par ailleurs, plus les dimensions du climat positif et de la considération pour le point de vue de l’enfant sont de niveaux élevés, plus l’engagement négatif de l’enfant l’est aussi. Ces résultats étonnent. Néanmoins, Curby et ses collègues (2014) ont également fait ressortir l’influence du soutien émotionnel sur l’engagement négatif de l’enfant en classe. Toutefois, les niveaux et l’influence des différentes dimensions associées au soutien émotionnel n’ont pas été précisés dans leur étude.

Rappelons que l’engagement négatif réfère notamment aux comportements conflictuels de l’enfant en classe. Le programme à l’éducation préscolaire cinq ans prévoit d’ailleurs que l’enfant apprend en classe à reconnaitre et à exprimer différentes émotions, de même qu’à résoudre des conflits interpersonnels afin de s’adapter aux différentes contraintes liées à la vie de groupe (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2006). Sachant que le soutien émotionnel et certaines de ses dimensions (climat positif et considération pour le point de vue de l’enfant) contribuent au sentiment de sécurité des enfants en classe (Cooper et coll., 2012 ; Curby, Rimm-Kaufman et Abry, 2013 ; Searle, Miller-Lewis, Sawyer et Baghurst, 2013 ; Skinner et Belmont, 1993), il est possible de penser qu’ils permettent à ces dernier⋅ère⋅s d’exprimer autant leurs émotions négatives que positives.

Par le fait même, l’enfant pourrait cheminer dans ses apprentissages liés à la résolution de conflits interpersonnels, donc se sentir libre d’expérimenter et d’exprimer ses émotions négatives envers les autres en classe. Il s’agirait là d’une piste potentielle d’explication entourant la relation positive entre le climat positif, la considération pour le point de vue de l’enfant et l’engagement négatif de ce dernier en classe. Toutefois, ce résultat pourrait aussi être un artefact statistique attribuable au fait que la variable de l’engagement négatif ne présentait pas une courbe normale. Il est ainsi possible qu’il ne soit pas représentatif de la réalité effective en classe à l’éducation préscolaire cinq ans.

Par ailleurs, la qualité du soutien émotionnel a permis de prédire de façon unidirectionnelle l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs et son engagement négatif en classe. Ce résultat atteste que l’enseignante arrive à offrir le même niveau de soutien émotionnel, peu importe les enfants et leurs niveaux d’engagement, ce qui appuie l’idée que l’influence de l’enseignant⋅e sur les enfants est supérieure à celle des enfants sur l’enseignant⋅e (Curby et coll., 2014). Par contre, comme l’engagement positif de l’enfant envers l’enseignant⋅e et l’engagement négatif de l’enfant sont d’un faible niveau, il est aussi plausible qu’ils ne puissent être suffisamment en mesure d’influencer le soutien émotionnel. Dans les prochaines études, il serait ainsi intéressant de valider l’influence d’un engagement positif et négatif de l’enfant de niveaux moyen et élevé sur la qualité du soutien émotionnel en classe.

6. Conclusion

Cette recherche avait pour objectifs de décrire la qualité du soutien émotionnel en classe à l’éducation préscolaire cinq ans et les niveaux d’engagement (positif et négatif) de l’enfant envers son enseignant⋅e et ses pairs, afin d’étudier les liens réciproques entre ces variables. Le Classroom Assessment Scoring System (Pianta et coll., 2008) et l’Individual Classroom Assessment Scoring System (Downer et coll., 2010) ont été utilisés afin d’observer douze enseignantes et 113 enfants âgé⋅es de cinq et six ans du Québec. Les résultats indiquent un soutien émotionnel d’un niveau moyen, un engagement positif de l’enfant envers son enseignante d’un niveau faible, celui envers ses pairs d’un niveau moyen-faible et un engagement négatif en classe d’un niveau faible. Les régressions multiples menées révèlent que le soutien émotionnel est un prédicteur de l’engagement positif de l’enfant envers ses pairs. Néanmoins, aucune des variables reliées à l’engagement (positif et négatif) de l’enfant ne prédit le soutien émotionnel en classe.

Ces résultats mettent en lumière l’importance de poursuivre l’étude des facteurs favorisant la qualité du soutien émotionnel en classe, considérant le niveau moyen-faible observé et l’importance de son rôle dans la qualité de l’engagement de l’enfant envers ses pairs notamment. Des projets de recherche liés au développement professionnel des enseignant⋅e⋅s pourraient être mis en place dans les classes à l’éducation préscolaire cinq ans au Québec, afin de bonifier le niveau de soutien émotionnel. Des projets tels Making the Most of Classroom Interactions ou My Teaching Partner, développés par les auteurs du Classroom Assessment Scoring System (www.teachstone.com), ont d’ailleurs mené à des gains quant au niveau de qualité du soutien émotionnel observé suite au soutien offert aux enseignant⋅e⋅s (Early, Maxwell, Ponder et Pan, 2017).

En ce qui concerne les faibles niveaux d’engagement observés, qui peuvent sembler préoccupants, une étude sur un plus grand échantillon tiré de classes à l’éducation préscolaire cinq ans au Québec devrait être réalisée afin d’avoir un portrait juste de la situation. De plus, considérant que ces résultats peuvent être attribués à la présence ou non de l’enseignant⋅e et des pairs lors de l’observation, il serait pertinent de mettre en parallèle les résultats de l’Individual Classroom Assessment Scoring System avec le contexte d’activités en cours et la présence ou non de l’enseignant⋅e et des pairs lors de l’activité afin de mieux comprendre les facteurs pouvant influencer l’engagement de l’enfant en classe et ainsi le favoriser.