Corps de l’article

Cet ouvrage ne se contente pas de raconter l’histoire des pharmaciens du Québec. Il décrit aussi l’organisation professionnelle et les relations de pouvoir entre les élites professionnelles et leurs gouvernants. Sa lecture nous permet de suivre l’évolution du rôle des médecins, des pharmaciens et des religieuses hospitalières, notamment lors du passage du régime français au régime anglais. On voit comment changent jusqu’à ce jour les frontières des monopoles conférés aux fabricants de médicaments, aux importateurs et aux détaillants, qu’ils soient pharmaciens ou non. L’auteur explique bien d’où vient la féminisation récente des professions. On comprend que l’emprise du capital modifie le portrait de l’offre de services en pharmacie, comme on a pu l’observer au Québec dans les domaines de la quincaillerie ou de l’épicerie. Les étapes et difficultés du transfert de responsabilité des associations aux universités pour la formation des pharmaciens sont bien notées. Le lecteur voit bien l’impact de la juxtaposition des pouvoirs du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral. Un exemple du rôle des pharmaciens du Québec, notamment Pierre Robert, est la campagne médiatique qu’ils ont menée pour amener le gouvernement canadien à l’abolition des « formules secrètes » des médicaments brevetés. Si l’origine de l’aménagement physique actuel des pharmacies est bien documentée, il n’est pas précisé au lecteur que la « partie commerciale » de la pharmacie n’en fait pas du tout partie et constitue en réalité un « commerce adjacent ». L’image de commerçant qu’on associe au pharmacien propriétaire va survivre longtemps si cette ambigüité est entretenue. Il en va de même pour le concept des chaines et bannières, même si l’auteur mentionne qu’il s’agit parfois de coopératives. Si on peut suivre l’évolution des titres universitaires et professionnels, j’observe en 2021 que les pharmaciens n’utilisent pas leur titre de « docteur » alors que plusieurs pourraient le faire. Le principal mérite de ce livre est de faire mention, dans le texte ou en bas de page, des personnes impliquées dans l’évolution de la profession. Trop d’ouvrages historiques mettent l’accent sur le médicament et oublient les individus. Un autre point fort du livre est de s’attarder sur les différents rapports et commissions d’enquête qui ont jalonné le parcours de la profession. On peut compter sur les doigts de la main les pharmaciens qui ont consulté ces écrits depuis la Commission Hall en 1964 jusqu’à la Politique du médicament en 2007. Les explications sur le rapport Bernier (p. 357-358), d’une clarté exemplaire, renseignent sur les fondements de notre système professionnel québécois. La genèse du Régime général d’assurance médicaments est bien décrite également, ainsi que ses répercussions pour les pharmaciens. Les renvois aux projets de loi sont aussi de grande utilité pour ceux qui veulent faire un retour vers les notes explicatives du texte d’origine. Autre domaine d’actualité en 2021, le livre montre la concentration à Montréal de l’industrie pharmaceutique internationale du Canada pendant des décennies; la mention de Roger Larose, d’Hubert Martel et de Guy Beauchemin rappelle que plusieurs pharmaciens d’industrie québécois ont fait carrière sur le plan international. L’auteur souligne avec justesse les nombreux rebondissements du dossier des techniciens en pharmacie. Son aboutissement récent a chevauché la parution du livre qui n’en fait donc pas mention. On peut en dire autant des contenus des projets de lois 31 et 43 adoptés en 2020 ; tout en modifiant les frontières de la pratique de la pharmacie et des soins infirmiers, ces deux lois signent la fin d’un contrôle excessif du Collège des médecins sur d’autres professionnels, contrôle longtemps exercé par la « délégation d’actes » dans les années 1970 et beaucoup moins aléatoire depuis le rapport Bernier. L’auteur fait état en long et en large des obstacles au contenu du dossier du patient, encore trop souvent appelé dossier médical; demeurent encore problématiques à ce jour la disponibilité et la précision de l’information sur le diagnostic et sur l’intention thérapeutique du prescripteur. Quant aux avancées sur le front de la multidisciplinarité, je déplore que le projet PEPS de la pharmacienne Rachel Rouleau du CIUSSS de la Capitale-Nationale, pourtant reconnu et primé en 2018, ne soit pas mentionné comme modèle d’organisation du travail des professionnels de la santé que sont les infirmières, les médecins et les pharmaciens. Merci à l’auteure pour les nombreux renvois à l’ouvrage de Bussières et Marando sur la pharmacie d’hôpital[1]. Les diplômés de l’Université Laval auront probablement remarqué que l’appellation École de pharmacie est présente jusqu’à la fin du livre même si un changement de nom est intervenu en 1997 sous la gouverne du professeur Gilles Barbeau.