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La Confédération et la dualité canadienne est un ouvrage collectif dirigé par Valérie Lapointe-Gagnon, Rémi Léger, Serge Dupuis et Alex Tremblay Lamarche qui s’intéresse aux rapports entre les communautés anglophones et francophones au Canada. D’entrée de jeu, les auteurs soulignent qu’il est possible de situer le phénomène de la dualité au temps de la Nouvelle-France. À cet égard, la Proclamation royale de 1763 marque un moment important dans l’histoire canadienne puisqu’elle place les premières assises politico-juridiques balisant la question du binationalisme.

Toutefois, ce livre analyse la dualité par-delà le binationalisme; il nous invite à réfléchir aussi à son expression à travers le bilinguisme. S’inscrivant dans l’héritage intellectuel de la commission Laurendeau-Dunton, les auteurs abordent cet enjeu sous le prisme de la relation Québec-Canada et des minorités linguistiques hors Québec. Ainsi, l’objectif principal des chercheurs est de « faire le point sur la dualité canadienne autant dans les débats intellectuels qu’elle a suscités que dans ses représentations institutionnelles » (p. 17). Il est aussi question de proposer une réflexion rétrospective et d’actualité sur la dimension proprement linguistique de la dualité qui est, selon les auteurs, « en filigrane de l’histoire du pays » (p. 9). Ce choix est d’autant plus pertinent dans une perspective sociale puisque le statut de la langue française au Canada est au coeur de dossiers récents tels que le financement des universités francophones hors Québec et le Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes prévu pour juin 2021.

Cet ouvrage portant sur la dualité canadienne se divise en cinq parties traitant respectivement des fondements historiques et légaux, des perspectives autochtones, des débats dans les années 1960, des perspectives hors Québec et des enjeux actuels. Dans la première partie, Martin Pâquet et Pierre Foucher ouvrent le bal en proposant chacun un chapitre consacré à la dualité en tant que concept, à ses fondements normatifs et descriptifs, tout en accordant une attention particulière aux acteurs politiques et à la jurisprudence. On peut donc dire que le concept de dualité est complexe et polysémique car il est non seulement tributaire des contextes historiques et des observations empiriques, mais aussi des intérêts de ceux qui le promeuvent. Cependant, bien que toujours pertinente sur le plan politico-juridique, cette notion, étroitement liée à la théorie du fédéralisme multinational, est progressivement éclipsée en faveur d’une conception fonctionnaliste et territoriale du Canada.

Dans la deuxième partie, Nathalie Kermoal, Xavier Bériault et Élena Choquette poursuivent en présentant quelques critiques autochtones mettant à l’épreuve le bien-fondé de la thèse du dualisme canadien. En raison de son héritage colonial, les différentes contributions proposent, à leur façon, de le reléguer à un second plan afin de penser le Canada comme fédération postcoloniale et pour donner un meilleur ancrage institutionnel aux revendications autochtones occupant une place importante dans l’espace public depuis les années 1970. Dans la troisième partie, Lucie Terreaux, Daniel Poitras, Serge Miville et François-Olivier Dorais s’intéressent aux discours marquants des années 1960 portant sur la dualité. À ce propos, mentionnons que la réflexion collective sur le bilinguisme et le binationalisme entamée par la commission Laurendeau-Dunton a été vite écartée au profit de débats sur le nationalisme québécois et le multiculturalisme canadien, bien que des figures comme Jean-Charles Bonenfant et John Robarts lui aient accordé une place particulière au sein de leurs propres travaux.

Dans la quatrième partie, Joël Belliveau, Serge Dupuis et Claude Couture discutent de l’utilisation du bagage symbolique et politique de la dualité par les Acadiens, les Franco-Ontariens, les Franco-Albertains et les Franco-Saskatchewanais cherchant à défendre le bilinguisme hors Québec. Cela a fait avancer la cause du bilinguisme mais parfois fragilisé la présence du français au Canada, notamment après le jugement de la Cour suprême dans l’Affaire Caron-Boutet. Dans la dernière partie, Rémi Léger, Martin Normand, Félix Mathieu et Dave Guénette signent des textes portant sur la réactualisation de la thèse du dualisme comme piste de solution aux défis du vivre-ensemble au Canada. Si la dualité en tant qu’horizon de représentation des Canadiens a souvent été discréditée par le passé, elle pourrait servir de point de départ à l’élaboration d’un nouveau projet politico-constitutionnel bénéfique aux communautés francophones canadiennes.

En définitive, soulignons que l’apport scientifique de La Confédération et la dualité canadienne est double. D’abord, cet ouvrage propose une importante clarification conceptuelle et théorique sur la notion de dualité et ses déclinaisons – nationale, linguistique et religieuse. Ensuite, il présente un regard historiographique très novateur sur les moments intellectuels et institutionnels les plus notoires de l’histoire de la dualité linguistique canadienne. Penser la dualité en termes sociolinguistiques est aussi une manière originale d’enrichir la réflexion académique au sujet du Canada et de sa réalité multinationale. L’ouvrage dirigé par Valérie Lapointe-Gagnon et ses collègues s’ajoute ainsi avec brio au répertoire des contributions incontournables en histoire et sociologie politiques traitant de la dualité canadienne.