Corps de l’article

Fondé à Bathurst en 1972, le Parti acadien, un parti politique qui n’a jamais réussi à faire élire de députés, mais qui a quand même eu une influence sur la population acadienne et sur certaines décisions prises par le gouvernement du Nouveau-Brunswick, est disparu sans faire trop de bruit et sans soulever des passions après les élections provinciales de 1982. Depuis, des historiens, des politologues et des sociologues s’y sont intéressés pour différentes raisons : pour faire un portrait sociohistorique du parti politique, pour tenter de comprendre son positionnement idéologique (notamment le débat qui a eu lieu entre les membres plutôt nationalistes et les membres davantage socialistes), pour voir comment d’autres acteurs (notamment des acteurs de la société civile acadienne, mais également le gouvernement du Nouveau-Brunswick) ont récupéré ses idées dans leurs revendications et leurs réalisations, pour comprendre les relations de pouvoir entre l’élite et les jeunes, pour tenter de voir de quelle étoffe était fait le mouvement nationaliste et néonationaliste acadien et même pour saisir le vide laissé par la disparition du parti chez la population acadienne du Nouveau-Brunswick.

Le livre Le Parti acadien et la quête d’un paradis perdu de Michael Poplyansky apporte un complément aux travaux qui ont été menés sur le Parti acadien jusqu’à présent, puisqu’il propose de situer le néonationalisme acadien dans un contexte qui dépasse largement les frontières du Nouveau-Brunswick. C’est dans cette perspective que l’ouvrage se démarque de celui de Roger Ouellette[1] en 1992. Si ce dernier cherchait également à faire le portrait sociohistorique du Parti acadien en brossant un portrait des moments clés, en expliquant sa structure interne et son mode de fonctionnement, en analysant ses programmes politiques et en proposant une analyse des résultats obtenus dans le cadre des élections générales pour lesquelles des candidats du parti se sont présentés, Poplyansky tente d’établir des ponts entre des moments marquants du néonationalisme acadien et les mouvements sociaux qui sont observables un peu partout dans le monde occidental, et notamment au Québec, entre la fin des années 60 et le début des années 80.

Il le fait en s’attardant spécifiquement au contexte sociohistorique dans lequel est né le Parti acadien, en décrivant l’idéologie dont il faisait la promotion et en tentant de comprendre pourquoi, contrairement à ce qui s’est produit pour d’autres mouvements nationalistes du même genre ailleurs dans le monde, la population acadienne du Nouveau-Brunswick n’a pas réussi à récupérer, après son départ de la scène politique, le travail qu’il avait effectué pendant ses quelques années d’existence. Pour y arriver, Poplyansky mobilise un nombre impressionnant de sources (dont des livres, des articles scientifiques, des documents récupérés dans des fonds d’archives, des entrevues, des documentaires et des extraits de journaux) qui lui permettent non seulement de faire une rétrospective assez complète des évènements qui ont mené à la création du Parti acadien et des moments décisifs de son histoire, mais également de saisir les divergences d’idées, d’opinions et de regards qui circulent au sein même du parti politique, sur la place publique (notamment dans les pages des journaux et des revues) et au sein des cercles indépendantistes québécois avec lesquels certains membres entretiennent des liens.

L’ouvrage de Poplyansky se démarque également des autres travaux qui l’ont précédé puisqu’il s’attarde non seulement aux liens qui existent entre les Acadiens et les Québécois à l’époque, mais également à l’influence exercée par le mouvement indépendantiste québécois sur la population acadienne du Nouveau-Brunswick qui est témoin des transformations sociales et politiques qui ont lieu dans la province voisine dans les années 60 et 70 (notamment en lien avec la progression de l’État-providence, les efforts de modernisation de l’appareil gouvernemental et la victoire du Parti québécois). D’ailleurs, il rappelle qu’avant la création du Parti acadien (et même avant que l’idée de la création d’une province acadienne fasse son chemin), certains Acadiens voyaient l’annexion des comtés du nord du Nouveau-Brunswick au Québec comme un moyen de mettre fin à la bonne entente entre l’élite acadienne et l’élite anglophone qui empêchait la population acadienne d’intégrer les structures sociales, politiques et économiques existantes ou même d’obtenir des concessions de la part de la majorité anglophone.

Si Poplyansky inscrit également le déclin et la disparition du Parti acadien dans un contexte plus large marqué par la décentralisation, le libéralisme et la reconnaissance de la diversité au sein des États les plus influents du monde, il porte moins d’attention à leur incidence sur le monde politique néo-brunswickois. Par exemple, il fait très peu référence aux résultats obtenus par les candidats dans le cadre des trois campagnes électorales menées au cours de son histoire et aux répercussions de ses positions sur les décisions gouvernementales et sur la société civile acadienne. Malgré tout, l’ouvrage est une référence incontournable pour toute personne qui s’intéresse au néonationalisme acadien et au Parti acadien.