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Bon après-midi, tout le monde ! J’ai écouté nos deux conférenciers juste avant moi. Je trouve ça tout le temps un peu difficile de parler après deux conférenciers parce que, souvent, quand j’écoute les conférenciers, je me mets à réfléchir à toutes sortes d’affaires et j’ai l’impression que ce que j’avais comme plan de match, ça tombe un peu à l’eau, mais ce n’est pas grave. Mon but aujourd’hui, étant donné que vous êtes des universitaires, des chercheurs, c’est vraiment de vous donner de la façon la plus simple possible l’expérience que j’ai en tant que Grand Chef et surveillant de la négociation globale ; là, on parle de négociation de traités aujourd’hui, on parle d’autodétermination. On a beaucoup parlé également de colonisation, de colonialisme. Je pense que j’abonde dans le même sens que mes confrères ici, cet après-midi. C’est une question qui n’est pas facile. Juste en commençant, pour ceux qui ne le savent pas, je suis le Grand Chef de la Nation atikamekw. Sûrement qu’il y en a certains ici qui se demandent : « Eh bien, il y a des Chefs, il y a des Grands Chefs : c’est quoi la différence ? Des fois il y a des Chefs, des fois il y a des Grands Chefs, et il y a des Grands Manitous aussi, des fois ». Je ne sais pas si quelqu’un a la réponse dans la salle. Moi, en tant que Grand Chef, c’est quoi ma position dans le cadre légal canadien ? Y a-t-il quelqu’un qui pourrait répondre ?

Femme atikamekw dans l’assistance : Dans le fond, de ce que je sais, il y a des Chefs. Les conseils de bande, ça a été créé par la Loi sur les Indiens alors que le Conseil de la Nation atikamekw, ç’a été créé par nous-mêmes, à notre initiative.

Constant Awashish : Oui, en quelque sorte, tu as tout à fait raison. Mais le Conseil de la Nation atikamekw, premièrement, c’est une corporation ; c’est une corporation de biens et services. Moi, je suis Grand Chef, mais président également de la corporation du Conseil de la Nation atikamekw. Grand Chef, c’est mon chapeau politique. Mais comme elle disait plus tôt, les conseils de bande des communautés [ce sont] des chefs de la Loi sur les Indiens, des Chefs de la loi coloniale qui a été créée en 1869, si je me souviens bien. Moi, comme Grand Chef, il n’y a aucune loi fédérale, il n’y a aucune loi provinciale qui a créé ma position, sauf le côté président de la corporation que j’ai. Je suis élu au suffrage universel par tous les membres, contrairement à autrefois, où c’était souvent par nomination sur la base des capacités de chasse et [la capacité] de subvenir aux besoins du groupe des Autochtones qui occupaient le territoire. C’était la façon ancestrale de décider c’est quoi un Chef, mais, aujourd’hui, il faut comprendre également que les Autochtones aussi ont le droit d’évoluer. L’important, c’est vraiment de garder nos racines, de connaître notre identité, mais surtout notre histoire et notre langue. Et, d’ailleurs, je me sens un peu mal parce que, normalement, je commence toujours en atikamekw, ça fait que… Tawok a ota ka nehiromotcik ?

Femme atikamekw dans l’assistance : Ehe.

Constant Awashish : Tanto e taciekw ? Nicto ? New? (Rires.) Ni mirerten ote e ki peican, e ki pe wicamikik... ocamtcik euh... wicamiskik nekik anotc. Tapwe ariman, nta micta mirerten e nehiromowan masowe e arimotaman nihe. Aric ki kistertenawaw, nama tapwe takon nihe itewina nihe otci ke arimotcikatek. Enko tca ni patom micikw kekotc ni akrecamon kekotc ni emtcikocimon. Enko tca nihe anotc tca ke arimotcikatek « les traités modernes » acitc tca « l’autodétermination[6] ».

Ce que je disais dans ma langue : nous n’avons pas tous les mots nécessaires pour pouvoir exprimer l’administration et le droit dans notre langue. Souvent, nous pourrions trouver des mots, mais ça serait une description de la situation. D’autres fois, ça pourrait prendre un paragraphe au complet pour expliquer un mot juridique.

Donc, pour revenir au sujet d’aujourd’hui, on m’a demandé de venir ici parler de traités, parler de l’autodétermination et de la subjugation. Qu’est-ce que c’est que ça ? Premièrement, ce qu’il faut comprendre, c’est que le droit inhérent à l’autodétermination, c’est très subjectif comme sujet. C’est très subjectif dans le sens que chaque individu ici, dans la salle, chaque universitaire, chaque chercheur, chaque Chef, chaque Grand Chef également aurait sa propre conception de l’autodétermination actuellement. On pourrait dire qu’il existe une échelle entre deux extrêmes. L’extrême à gauche, on va dire à ma gauche, c’est l’autodétermination totale. Il n’y a pas de cadre légal canadien, il n’y a pas de cadre légal provincial par ce fait même : c’est vraiment l’application des lois des Autochtones. C’est la gestion, l’exploitation faite par les Premières Nations, pour les Premières Nations et selon les valeurs et les besoins des Premières Nations, mais également de ceux qui occupent le territoire. L’autre extrémité, c’est aussi l’autodétermination, mais dans le cadre légal international, dans le cadre légal canadien. Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui sont enthousiastes avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mais au sujet de cette déclaration, il y a quelque chose qui m’agace, là-dedans. Oui, c’est encourageant, c’est l’appréciation de la culture autochtone, c’est vouloir protéger la culture autochtone, mais de façon déguisée, parce que, dans la déclaration de l’ONU, ils disent que l’autodétermination est possible, mais dans le cadre légal des États souverains – c’est ce que ça dit : l’État souverain canadien. Donc, oui, en quelque sorte, on est protégé, mais on est comme mis de facto ; on exerce l’autodétermination pour nous ici, au Canada, dans le cadre légal canadien. C’est ce que ça vient dire, mais comment on articule ça ? Bien là, c’est à chacun d’entre nous de le déterminer. Pour comprendre cette situation-là, je sors un peu de mon plan de match comme je l’ai mentionné plus tôt.

Je voulais parler au début des différents régimes : du régime français, du régime anglais. Rapidement, le régime français, à l’époque jusqu’en 1763, il avait besoin en quelque sorte des Autochtones pour pouvoir vivre. Il avait besoin d’alliés militaires ; c’était ça les besoins à l’époque : ils avaient besoin de nous. Ça fait que, en quelque sorte, ils accommodaient la place des Autochtones, mais il y a une chose qui est importante là-dedans : ce n’est pas qu’ils reconnaissaient nécessairement le droit autochtone, parce qu’un Autochtone qui se mariait ou une Autochtone qui se mariait avec un Français, à l’époque, il devenait citoyen français, donc il était comme assimilé au régime français. En quelque sorte, les Autochtones, à l’époque du régime français, c’était des sauvages, c’était des moins que rien. On avait besoin d’eux sur le plan militaire, on avait besoin d’eux pour la survie. C’était ça, en quelque sorte, dit de façon crue.

Par la suite, il y a eu les conquêtes entre anglophones et francophones ; il y a eu les guerres, le Traité de Paris (1763), la Proclamation royale (1763), etc. Dans la Proclamation royale, on reconnaît l’importance des Autochtones. Les Anglais ont aussi besoin des Autochtones sur le plan militaire, donc ils n’ont pas le choix de s’allier avec eux, ils n’ont pas le choix de reconnaître qu’il y a une certaine puissance et une certaine emprise des Autochtones sur le territoire. Ils ne peuvent pas nécessairement s’approprier le territoire sans que les Autochtones le donnent directement à la Couronne ; c’était ça, le but. C’est tout le temps stratégique. Il faut revenir un peu dans l’histoire et il faut essayer de voir entre les lignes c’est quoi les intérêts de l’époque et, souvent, à cette époque-là, l’intérêt était militaire ; c’était pour s’assurer qu’on avait une certaine sécurité sur les territoires et qu’on avait comme complices les Autochtones.

Par la suite, les Autochtones se développent jusqu’en 1867, dans ces environs-là ; mais là, le colonialisme a pris beaucoup d’importance : il y a de plus en plus de non-Autochtones – je n’aime pas utiliser le mot « colon », je vais donc dire des « non-Autochtones ». Il y a donc de plus en plus de non-Autochtones à cette époque-là et ils se rendent compte que les Autochtones sont, en quelque sorte, problématiques. Oui, tantôt on a parlé de frères[7] ; oui, ils reconnaissent qu’on devrait être tous des frères sous la Couronne britannique ; la Reine, c’est la kokoom (grand-mère) de tout le monde. À ce moment-là, eux, ils sous-estiment, ils ne reconnaissent pas, ils regardent les Autochtones d’en haut comme si c’étaient des gens ignorants, sans aucune connaissance et comme si leurs connaissances ne valaient rien. C’est ça, l’esprit de l’époque. Pendant très longtemps on n’entendra pas parler des Autochtones jusqu’à la décision St. Catharines Milling and Lumber Company [c. R. (1888)]. C’était une histoire de coupe de bois, dans le nord de l’Ontario, mais on ne reconnaissait pas le droit des Autochtones à cette époque-là, on faisait juste mentionner qu’il y avait des Autochtones.

Jusque dans les années 1970, où là, c’est l’explosion de tous les droits : explosion des droits de la femme, des droits des enfants, des droits de l’homme, des droits autochtones également.

C’est là que je veux en venir : il y a une différence entre le droit autochtone et le droit des Autochtones. Le droit autochtone, c’est ce que la Cour suprême et la Constitution canadienne ont développé et octroient aux Autochtones actuellement. Mais il y a le droit des Autochtones qui existe également. Et ça, c’est le droit qui est, dans les termes juridiques, sui generis, qui est précolombien, qui a existé à l’époque avant l’arrivée des non-Autochtones. Pour nous, chez les Atikamekw, nous avons un certain avantage et c’est quelque chose dont nous sommes très fiers. Il y a d’autres nations également qui sont dans de très bonnes positions. Notre culture est très forte, chez les Atikamekw, notre langue est très forte également, nos histoires, nos légendes sont très fortes. Mes prédécesseurs, les gens également avant moi, ont eu l’idée de génie d’immortaliser ces histoires-là. Tout ce qui concerne le territoire, l’occupation du territoire, les premiers contacts avec les non-Autochtones, nous avons tout ça dans des bandes sonores, et nous avons nos aînés qui racontent différentes sortes d’histoires. Dans ces légendes-là, c’est là-dedans que notre droit est expliqué, c’est là-dedans qu’ils nous disent comment nous comporter avec les autres, c’est là-dedans qu’ils nous disent comment traiter le territoire, comment résoudre des conflits entre nous, etc. Il y a toutes sortes d’enseignements et c’est à travers nos aînés que nous découvrons notre droit autochtone en tant qu’Atikamekw.

Plus tôt, je vous ai parlé également du droit inhérent à l’autodétermination. Qu’est-ce qu’on fait ? C’est ça, en réalité, que je viens vous poser aujourd’hui comme question. J’aime ça en profiter, venir devant des chercheurs, des gens, des penseurs, des gens qui peuvent révolutionner l’avenir. C’est ce que vous êtes, en réalité, à mes yeux : vous êtes des gens qui peuvent changer la pensée des gouvernements. Peut-être que, plus tard, vous allez faire partie des gouvernements, peut-être un parmi vous va être premier ministre, on ne sait pas. Aujourd’hui… comment je pourrais expliquer ça ? Aujourd’hui, on reconnaît le droit inhérent à l’autodétermination. En allant étudier en droit, j’ai découvert beaucoup de choses sur les Autochtones, des choses qu’on nous a faites, en réalité, et pendant que j’étais aux études je suis devenu militant. J’étais enragé, je me disais : « Les Blancs, ci ; les Blancs, ça. Ils nous ont eus, ils ont pris notre territoire, ils nous ont volé notre territoire. On devrait quasiment les envoyer en Europe ». Mais, après avoir pris un peu de recul, après avoir rationnalisé, surtout après avoir eu des enfants, je me suis dit : « Bon, voilà la situation aujourd’hui : il y a 36 millions de Canadiens, on est 8000 Atikamekw ; qu’est-ce qu’on fait, nous, pour pouvoir survivre en tant qu’Atikamekw ? »

C’est vrai que nous n’avons jamais vendu, nous n’avons jamais cédé notre territoire ; nous n’avons jamais échangé ou statué sur notre territoire ; c’est ça, la réalité aujourd’hui. Mais, en même temps, notre territoire a été usurpé ; nous avons perdu un certain contrôle sur notre territoire. Puis, c’est tout le temps la question que je me pose en tant que Grand Chef : quelle est la meilleure décision ? Oui, en 2014, on a fait une Déclaration de souveraineté – bien, j’espère que vous allez poser des questions, je sens la pression, ici.

Il y a deux façons de pouvoir s’affirmer en tant qu’Atikamekw : soit on utilise les outils qui existent aujourd’hui dans le cadre légal canadien pour pouvoir s’épanouir, pour pouvoir protéger notre langue, protéger notre culture, protéger notre identité, mais protéger notre territoire également ; pouvoir participer aux décisions et s’assurer que, dans tout ce processus-là, on n’éteint pas notre droit de regard et notre droit d’appartenance sur notre territoire ; ça, c’est très important. Mais il y a l’autre façon aussi : soit utiliser nos propres outils – mais c’est difficile, avec tout le sous-financement qui existe dans nos communautés – et s’affirmer, et créer notre propre souveraineté en tant que Nation atikamekw. Qu’est-ce qu’on fait pour créer notre propre souveraineté ? Là, je vais vous donner une recette que j’offre tout le temps à mes membres, à mes jeunes. Mais qu’est-ce qu’il faut ? Il faut s’éduquer, il faut parler le même langage qu’eux parce que c’est ce qui les rend, de fait, supérieurs. Mais ça, ça ne veut rien dire parce que nos aînés, malgré qu’ils ne soient pas allés à l’université, ce sont des gens très brillants, très éduqués, mais à l’université de la forêt. Ici, j’ouvre une parenthèse. J’ai déjà parlé avec un aîné : il me racontait la création, comment la vie est née et tout ça. Rapidement, il me parlait de six ères de glaciation. Il n’a pas lu un livre, il n’a pas étudié en physique, il n’a pas étudié en anthropologie ou en astronomie, mais il racontait ces histoires-là. Il racontait qu’il y a très longtemps, il y avait des animaux immenses ; je me suis dit qu’il parlait des dinosaures. Cet aîné, il n’a pas lu de livres ; c’est un gars qui a appris de bouche à oreille, de génération en génération. Il y a beaucoup de connaissances des Premières Nations qu’on aimerait partager.

Là, je reviens à ma souveraineté. Pour arriver à notre souveraineté, c’est soit dans le cadre légal canadien, soit par l’affirmation. Mais alors, il faut s’éduquer, il faut s’organiser, il faut mettre en place nos structures qui vont rivaliser avec les structures gouvernementales actuelles ; c’est ce qu’il faut faire aujourd’hui en tant que Premières Nations. Mais ça devient difficile, parce que les Premières Nations, nous survivons, actuellement. Il y a un manque d’espoir dans nos communautés et c’est ce que nous tentons de casser actuellement. Quand ce manque d’espoir va être cassé, les gens vont vouloir s’épanouir, nos jeunes vont s’éduquer, ils vont aller chercher des connaissances, on va être de plus en plus écoutés. C’est ça, l’important, et c’est ça que nous voulons faire en parlant de souveraineté atikamekw. Je suis rendu seulement à la moitié de ce que je voulais dire, mais ça m’a fait plaisir. Si vous avez des questions, je vais pouvoir vous répondre.

Merci, mikwetc !