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Alors que les pouvoirs et les compétences des municipalités du Québec sont encore trop souvent associés à l’urbanisme, à l’aménagement et aux services de proximité, l’ouvrage L’action municipale en matière de développement économique participe – dès sa première de couverture – au dépassement de cette vision réductrice. Issue de son mémoire de maîtrise en droit à l’Université Laval, la publication de l’avocat Philip Cantwell décrit de quelle façon les municipalités ont investi depuis déjà plusieurs décennies le terrain du développement économique aux côtés des autres paliers de gouvernement.

La première partie de l’ouvrage pose de manière classique les prémices utiles au dessein des multiples facettes de l’interventionnisme économique municipal. Des précisions conceptuelles sont livrées sur les différentes notions se rapportant au « développement économique » territorial, local, régional ou encore à toute autre expression associée à l’action des municipalités québécoises dans ce domaine. Ce travail préliminaire de définition est complété par une description de l’organisation des institutions municipales, suivie d’une présentation de l’évolution de l’étendue des pouvoirs municipaux. L’auteur y souligne le passage de l’interprétation judiciaire stricte des pouvoirs des municipalités à une interprétation contemporaine plus large (p. 25), notamment avec les arrêts Produits Shell Canada ltée c. Vancouver (Ville)[1] ou Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd.[2]

L’autonomie municipale est le fondement théorique retenu ici pour expliquer cette évolution. Ce principe aux multiples acceptions consisterait essentiellement, d’après la définition proposée par l’ancien ministre des Affaires municipales, Pierre Laporte, « en l’absence d’ingérence gouvernementale dans les domaines que le législateur attribue aux municipalités » (p. 29). L’autonomie municipale est régulièrement invoquée tant par les municipalités et leurs organisations, qui souhaiteraient qu’elle soit davantage effective, que par les instances gouvernementales, qui affichent leur volonté d’y accorder plus d’attention, mais qui confèrent encore timidement aux municipalités les pouvoirs nécessaires à la pleine matérialisation du principe. Cantwell reconnaît d’ailleurs la portée souvent politique du principe. Si la force de l’autonomie municipale comme fondement juridique du développement économique n’apparaît pas clairement à partir des arguments théoriques de l’auteur, il faudrait voir dans ce principe une « idée fondamentale, objet d’un large consensus, qui sous-tend les lois municipales » (p. 32).

L’ouvrage lève ensuite le voile sur les acteurs institutionnels du développement économique territorial qui ont été mis sur pied pour « stimuler » ce dernier et créer un environnement propice à l’émergence et à la croissance des entreprises locales et régionales. Parmi eux, les commissariats industriels et les corporations de développement économique (CDE) ont vu le jour au cours des années 60 et 80 pour appuyer l’action des municipalités locales. Le développement économique supralocal, quant à lui, a évolué par l’entremise de structures, de taille équivalente à celle des régions administratives qui travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement, ayant davantage des allures d’organismes déconcentrés que réellement décentralisés. Pendant les années 70, le Québec s’est par exemple appuyé sur les conseils régionaux de développement (CRD), qui ont été remplacés en 2003 par les conférences régionales des élus (CRÉ), des structures qui, comme le suggère leur dénomination, ont revalorisé le rôle des municipalités à titre d’organe décisionnel en matière de développement régional avant d’être finalement supprimées en 2015. Du même souffle, toutes les dispositions législatives attribuant expressément des responsabilités aux centres locaux de développement (CLD), bien connus en tant qu’organismes de soutien à l’entrepreneuriat, ont été abrogées. Ces modifications rappellent à quel point les cartes qui définissent les acteurs du développement économique territorial sont régulièrement rebattues. En effet, les organismes de développement font fréquemment l’objet de réformes législatives qui viennent les transformer ou les abolir au gré de la vision du développement territorial portée par les gouvernements en place. La centralité des acteurs gouvernementaux est enfin soulignée, tant du fait de l’importance des programmes financiers qu’ils proposent pour les activités de développement économique des municipalités qu’en raison des autorisations ministérielles requises pour exercer certains pouvoirs.

La toile de fond ainsi exposée, la deuxième partie de l’ouvrage dépeint les principaux modes d’intervention des municipalités en matière de développement économique. Le rôle des municipalités dans la planification économique territoriale est d’abord relevé, notamment celui des municipalités régionales de comté (MRC). Cantwell examine également les pouvoirs octroyés aux municipalités pour faire la promotion et l’attractivité de leur territoire. Dans ce domaine, la loi autorise les municipalités à construire et à exploiter des équipements et des infrastructures stratégiques, comme des centres de congrès, des foires, des marchés publics ou des embranchements ferroviaires (p. 71). Les municipalités peuvent aussi allouer une aide financière pour relocaliser sur leur territoire une entreprise commerciale et offrir des programmes de réhabilitation de l’environnement ou de revitalisation.

Les municipalités sont habilitées à soutenir l’activité économique privée à travers la mise à disposition d’espaces pour aménager leur établissement, comme un parc industriel municipal, en vue de permettre l’implantation d’entreprises exerçant des activités « industrielles, para-industrielles ou de recherche » (p. 82). On note de surcroît la possibilité de créer des « bâtiments industriels locatifs », communément appelés des « incubateurs d’entreprises », ce qui consiste à mettre à disposition des locaux aux petites et moyennes entreprises (PME) afin d’améliorer leurs chances de survie. Cantwell rappelle que les municipalités locales disposent d’un pouvoir général d’expropriation qui leur permet de « s’approprier tout immeuble ou partie d’un immeuble ou servitude dont [elles ont] besoin pour toutes fins municipales » (p. 87), ce qui inclut les « expropriations nouvelle génération » à des fins industrielles. Par ailleurs, les municipalités peuvent accorder une aide technique pour le démarrage ou la croissance d’entreprises, le tout consistant, par exemple, à mettre en place un service d’appui à la réalisation d’un plan d’affaires ou d’une étude de marché.

Des financements sous forme de prêts, de subventions ou de crédits de taxes peuvent en outre être attribués par les municipalités. Concrètement, les crédits de taxes foncières permettent à une municipalité d’alléger le fardeau fiscal d’une entreprise ou de se porter garante pour une entreprise. Si certains de ces pouvoirs ont été initialement créés afin que les petites municipalités puissent venir en aide aux commerces de proximité en difficulté, de plus en plus de grandes municipalités y ont recours, notamment en raison de l’augmentation des seuils des montants en jeu. Les « projets de loi d’intérêt privé » qui prévoient des exemptions de taxes au profit des entreprises privées de plusieurs secteurs (biomédicales, des nouvelles technologies, aérospatiales, etc.) sont nombreux et éveillent, précise l’auteur, des craintes sur les risques de mauvaise gestion des deniers publics. Les activités économiques directes sont une autre voie ouverte aux municipalités. Ces dernières peuvent entreprendre des activités de production ou fournir des services de nature commerciale dans le but de réaliser du profit, telles l’exploitation d’entreprises de production d’énergie électrique, la création d’entreprises touristiques ou la mise en place de sociétés d’économie mixte. Enfin, des pouvoirs particuliers en matière de développement économique ont été concédés à des municipalités dans leur charte. Ces pouvoirs peuvent être assimilés à des pouvoirs d’expérimentation ou à des pouvoirs particuliers justifiés par la situation économique de la municipalité qui en a l’initiative, par exemple des programmes de relance.

En résumé, les municipalités disposent de nombreux pouvoirs, largement dispersés dans les lois et souvent attribués au cas par cas à quelques-unes d’entre elles. L’énumération de ces pouvoirs par l’auteur est une démarche d’intérêt au regard de la place occupée par l’entrepreneuriat et les PME dans l’économie du Québec et de l’apport méconnu des municipalités pour les soutenir. Elle s’avère aussi opportune dans un contexte inédit de relance économique « post crise sanitaire » où l’action municipale est attendue.

L’ouvrage se termine par une troisième partie consacrée aux limites de l’action municipale en matière de développement économique. Cantwell y souligne le paradoxe des autorités gouvernementales québécoises, qui réside dans le fait de vouloir accorder plus d’autonomie aux municipalités tout en continuant à exercer de nombreux points de contrôle. L’attribution au cas par cas de pouvoirs municipaux pour éviter la généralisation de certains pouvoirs de nature économique en est une parfaite illustration. La Loi sur l’interdiction de subventions municipales[3] constitue également une limitation importante à l’action municipale en matière de développement économique. Cette loi aux origines lointaines interdit en principe les aides des municipalités à « un établissement industriel ou commercial », soit à une entreprise ou à tout autre organisme visant à faire du profit. Aussi, les investissements, les subventions, les prêts, les cautionnements ou les exemptions de taxes sont en principe interdits. Il existe toutefois de nombreuses exceptions à la loi. Les mécanismes de planification conjointe et les ententes de partenariat peuvent de plus traduire cette volonté gouvernementale de maintenir un regard étroit sur les municipalités. De même en est-il de l’exercice de pouvoirs d’approbation ou d’autorisation ministériels dont l’objet consiste à maintenir un contrôle d’opportunité sur les actes municipaux.

Pour conclure, l’auteur invite à plus de concertation, de clarté et de cohérence dans l’attribution aux municipalités de pouvoirs en matière de développement économique. Une conclusion laconique à l’image des dimensions analytique et théorique effacées dans l’ouvrage, mais qui participent, somme toute, à le rendre accessible. Assurément, Cantwell réalise ainsi un travail particulièrement utile de description du cadre juridique de l’action municipale en matière de développement économique et participe à offrir un regard contemporain sur les pouvoirs municipaux.