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Curieux pays que la France qui dispose, alors que la quasi-totalité de ses citoyens l’ignorent, d’une institution habilitée à représenter toutes les familles et à parler en leur nom : l’Union nationale des associations familiales (UNAF). Regroupant l’ensemble des associations familiales, qu’elles soient spécifiques ou à caractère général, sur une base départementale et nationale, l’UNAF dispose, par la loi, de l’exclusivité de la représentation des familles de France auprès des pouvoirs publics. Bien que relevant de la loi de 1901 sur les associations, l’UNAF a en effet été instituée par ordonnance le 3 mars 1945, et ses missions figurent dans le Code de l’action sociale et des familles[1].

L’UNAF s’exprime sur l’ensemble des sujets ayant à voir de manière directe ou indirecte avec la famille. Elle est sollicitée régulièrement par le Parlement pour donner son avis sur les projets de loi. Elle représente enfin les familles dans plus de 100 instances d’organismes divers [2] : Caisse nationale des allocations familiales, Conseil économique social et environnemental, Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, Conseil d’administration de France Télévisions, etc.

Les Unions Départementales des Associations Familiales (UDAF) qui regroupent le mouvement familial sur une base départementale disposent quant à elles de représentations dans 20 000 organismes ! Enfin, les UDAF gèrent de très nombreux services : tutelle aux majeurs, mesures d’aide à la gestion du budget familial, haltes-garderies, services de médiation familiale, etc.

L’Union nationale des associations familiales est dirigée par les représentants élus des Unions départementales et par ceux des sept fédérations d’associations à recrutement général, c’est-à-dire ne représentant pas une catégorie spécifique de familles. Il s’agit, par ordre d’importance numérique, de Familles rurales, de Familles de France, de la Confédération syndicale des familles (CSF), de la Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC), du Conseil national des associations familiales laïques (CNAFAL), de l’Union des familles laïques (UFAL) et des Associations familiales protestantes (AFP).

À la fois force de proposition associée à l’élaboration des politiques familiales, mandataire disposant de pouvoirs au sein d’autres organismes et délégataire de service public, l’UNAF et ses UDAF constituent une institution sans équivalent en Europe.

Cette particularité trouve son origine dans le fait qu’en France, la famille n’est « pas seulement un objet de politiques publiques, mais une catégorie politique à part entière » (Martin, 2008), et ce, depuis la fin du XIXe siècle.

De l’émergence d’une idéologie à la structuration d’un mouvement…

Le fait que la famille soit devenue ici, et pas ailleurs, une catégorie politique, justifiant donc une politique spécifique, la politique familiale, implique qu’ait été constituée une idéologie spécifique, nommée de manière consensuelle familialisme par historiens et sociologues. Mais pour que cet ensemble de représentations puisse se forger, il fallait qu’il s’appuie sur une pratique sociale qui est celle des associations familiales. C’est cette relation que nous entreprendrons d’étudier, par une mise en perspective historique s’appuyant sur la littérature consacrée aux évolutions démographiques, juridiques, sociales et politiques. L’analyse de documents produits par le mouvement familial et d’entretiens réalisés avec quelques-uns de ses acteurs clés nous permettront de voir comment il a réagi à la crise du modèle familial qu’il portait et de nous interroger sur l’avenir de l’institution qui le structure.

Genèse des courants qui constitueront l’UNAF

Les premières associations familiales sont nées au tournant du XIXe siècle et se sont massivement développées jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’alors ignorée des pouvoirs publics, la question de la famille devient une préoccupation majeure. Plusieurs éléments y concourent.

La révolution industrielle suscite l’exode rural et la prolétarisation d’un nombre croissant de paysans. À partir de 1851, la population agricole (représentant alors 65 % de la population active) ne va cesser de décroître (Molinier, 1977) au profit du prolétariat urbain. Gouvernants, mais aussi scientifiques et hommes d’Église s’inquiètent de la situation misérable et des mœurs supposées dissolues de la classe ouvrière. L’intérêt croissant pour la famille est parallèle à celui des élites pour la lutte contre le paupérisme ou la promotion de l’hygiène. D’autant que l’émergence du socialisme est perçue comme une redoutable menace. Une nouvelle doctrine, le catholicisme social, va chercher à contrer son influence.

Sur le plan politique, l’avènement de la IIIe République en 1870 n’empêche pas la persistance d’un fort courant politique ultra qui fait de la famille la base de l’État et lie sa défense à la lutte pour la restauration monarchique. Ce courant sera d’ailleurs majoritaire à l’Assemblée pendant les premières années du nouveau régime.

Au lendemain de la guerre de 1870, perdue par la France, la période est aussi à l’inquiétude quant à la crise démographique, sur fond de rivalités avec les autres puissances européennes, à commencer par l’Allemagne. Même si la population s’accroit régulièrement, le taux de natalité est en baisse depuis la fin du XVIIIe siècle et pendant tout le XIXe (Van De Walle, 1986). Vers 1900, il est de 22 naissances pour mille habitants, alors que celui de l’Allemagne est de 35 pour mille. La France compte 36 millions d’habitants et le vainqueur de la guerre plus de 56 millions.

Enfin, après 1905, les catholiques entendent défendre les prérogatives familiales face à l’anticléricalisme qu’exprimeraient entre autres la loi de séparation des Églises et de l’État et l’enseignement public.

Une idéologie, le familialisme

L’ensemble de ces préoccupations, distinctes mais se recoupant assez largement, conduisent à la constitution, à un rythme de plus en plus soutenu, de mouvements ayant en commun de considérer la famille comme la « cellule de base » de la société (Lenoir, 2005) et font de sa défense une priorité politique. Nait alors une idéologie spécifique, portée par des organisations de masse et des groupes de pression, qui va permettre à la famille de devenir une catégorie politique. Cette idéologie, le familialisme, s’incarne dans deux tendances principales : les familiaux (tels qu’ils se nomment eux-mêmes) et les natalistes ou, pour reprendre la terminologie de Rémi Lenoir le familialisme d’Église et le familialisme d’État . Les deux courants vont être influencés par l’émergence de nouvelles sciences : la sociologie et la démographie. On pense, entre autres, à l’influence de Frédéric Le Play, penseur conservateur et nostalgique des valeurs de l’ancien régime, mais aussi réformateur social.

Dans le contexte du tournant du siècle, le familialisme s’oppose au marxisme naissant qui critique le mariage bourgeois basé sur l’héritage, l’intérêt et l’asservissement des femmes ; le couple conjugal ouvrier n’ayant selon lui que l’amour en partage (Engels, 1966 [1884]). Mais son ennemi principal est le malthusianisme, très présent au sein de l’élite économique qui cherche à éviter les partages successoraux, préfère l’épargne et limite volontairement les naissances. Pour les familialistes, la décadence menace.

L’association emblématique du familialisme d’État est l’Alliance nationale pour la croissance de la population française [3] (Thébaud, 1985), fondée en 1896. Elle a des visées essentiellement natalistes et recrute dans la fraction républicaine de la classe dominante. Son fondateur, Jacques Bertillon, est un démographe, d’inspiration positiviste.

Le familialisme d’Église prend lui son essor avec des œuvres consacrées à l’entraide sociale comme la Confédération générale des familles et les Œuvres du Moulin Vert créées par l’abbé Viollet. En réaction à la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État sont réunies nationalement les Associations catholiques de Chefs de Famille (ACCF) pour « maintenir à l’école le culte du patriotisme et de la neutralité religieuse » (Talmy, 1962). En 1908, le capitaine Simon Maire fonde la Ligue populaire des pères et mères de familles nombreuses qui devient rapidement un mouvement de masse comptant plusieurs centaines de milliers d’adhérents. À l’issue de la Première Guerre mondiale, de nouvelles organisations émergent : Ligue pour la vie fondée par un disciple de Le Play, La plus grande famille initiée par des patrons traditionalistes. En 1920, Auguste Isaac, éphémère ministre du Commerce et de l’Industrie et membre de la Fédération républicaine (droite républicaine, conservatrice et libérale), fonde la Fédération des familles nombreuses .

Enfin, l’appartenance des dirigeants familiaux aux classes supérieures incite des anciens de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et de la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF) à poursuivre leur travail d’évangélisation en milieu ouvrier de manière indépendante. En 1934, ils créent une nouvelle association : la Ligue ouvrière chrétienne, un mouvement d’action catholique basé non sur l’individu mais sur la famille.

Familialisme d’Église et familialisme d’État divergent sur les moyens à mettre en œuvre. Le premier insiste sur la nécessaire réforme morale et la rechristianisation du pays. Le second s’attache aux aides matérielles que l’État peut mettre en œuvre pour aider les familles et inciter à leur croissance. La natalité primant, il peut être plus indulgent, par exemple, avec les mères célibataires (Garcia, 2009). Des congrès sont organisés en commun, dont celui de 1920 qui produit une « Déclaration des droits de la famille ». Mais l’intransigeance de certains secteurs de l’Église empêche l’unité de perdurer.

… à l’émergence d’un appareil étatique

Les pressions des militants familiaux sont relayées au Parlement par un groupe de défense des familles nombreuses. Ses efforts portent leurs premiers fruits en 1913, avec le vote de la première loi d’assistance aux familles nombreuses nécessiteuses. En décembre de la même année sont votées des allocations aux militaires pères de famille et en 1914 des déductions d’impôts pour les familles nombreuses. À partir de 1918, quelques employeurs créent sur une base volontaire des caisses de compensation versant des allocations familiales. En 1920, le gouvernement met en place un Conseil supérieur de la natalité, dont la présidence est accordée à Auguste Isaac. En 1932, le gouvernement Tardieu [4] instaure le premier sursalaire familial, pour les salariés de l’industrie et du commerce. Obligatoire, sa gestion est opérée par des caisses indépendantes et les montants sont variables selon les branches professionnelles et les régions. En novembre 1938, le gouvernement Daladier [5] fixe par décret-loi un taux minimal d’allocations en fonction du salaire moyen départemental et institue une caisse nationale de compensation ( JORF , 1938). En 1939, le quatrième gouvernement Daladier publie un décret-loi instituant le Code de la famille et de la nationalité française ( JORF , 1939). C’est la première formulation d’une politique familiale globale. Il renforce la progressivité des allocations familiales et crée une allocation pour mère au foyer. Les attendus sont clairement natalistes alors que la guerre menace : il s’agit « de soutenir les familles nombreuses du point de vue matériel et de protéger la cellule familiale du point de vue moral ».

L’idée d’une représentation des familles auprès des pouvoirs publics existe dès les origines du mouvement familial. Elle a été proposée dès 1920 par la Confédération générale des familles et la même année dans la « déclaration des droits de la famille » lors du congrès (unitaire) des associations familiales. Mais elle reste secondaire, car la priorité pour l’ensemble des associations est une revendication qui irait beaucoup plus loin : l’instauration du suffrage familial[6] qui ferait non du citoyen isolé mais de l’unité familiale représentée par son chef la base du système démocratique.

En 1940, la défaite face à l’Allemagne permet l’accession au pouvoir de l’aile la plus réactionnaire de la bourgeoisie, regroupée autour de Pétain et « qu’on entend murmurer “plutôt Hitler que Blum” » pour reprendre l’expression d’Emmanuel Mounier (1938) [7] . D’inspiration contre-révolutionnaire, le régime de Vichy accorde tout naturellement une place prépondérante à la famille. Mais c’est la représentation des familles plus que le vote familial [8] qui est considérée comme prioritaire. En décembre 1942, le « corps familial » est institué par la loi Gounot, du nom de son auteur, par ailleurs président de la Ligue des familles nombreuses. Les associations familiales doivent fusionner au niveau communal, puis être fédérées par département et nationalement. Les efforts de propagande de Vichy sur la thématique de la famille sont considérables, à tel point qu’ils demeurent encore dans la mémoire collective. Pour autant, les moyens alloués sont faibles et les mesures minces, essentiellement un durcissement des dispositifs anti-avortement antérieurs. Les difficultés économiques liées à l’occupation et à l’absence des prisonniers et des ouvriers requis pour travailler en Allemagne [9] provoquent un net recul de la natalité.

À la libération, les préoccupations natalistes sont donc toujours à l’ordre du jour. L’institutionnalisation de la famille esquissée par Vichy est non seulement confirmée mais systématisée. Une politique familiale globale est mise en place, en lien avec la création de la sécurité sociale et, avant toute chose, le nouveau régime s’attache à la structuration du corps familial.

Concernant la représentation des familles, le choix fait n’est pas de rompre avec la logique de la loi Gounot mais de la réformer, en la démocratisant. Dès le 3 mars 1945, une ordonnance crée l’UNAF et les UDAF. Les associations familiales peuvent exercer librement leurs activités, à tous les niveaux, mais elles sont regroupées dans des instances départementales et une instance nationale commune. La logique de représentation unique des familles demeure donc, ainsi que la mission de représentation de leurs intérêts matériels et moraux et celle de participation à la gestion de services publics qui leur sont destinés : « Leur mission, définie par le Code de l’action sociale et des familles [10] , a pour corollaire un financement partiellement public et la délégation de services publics » (Minonzio et Vallat, 2006).

Quant aux représentants des mouvements familiaux, dont la plupart ont bruyamment soutenu le régime pétainiste, ils ne sont pour la plupart pas inquiétés.

Le 24 octobre 1945, une autre ordonnance crée l’Institut national d’études démographiques (INED) dont la finalité est l’étude des « moyens matériels et moraux susceptibles de contribuer à l’accroissement quantitatif et à l’amélioration qualitative de la population » et d’assurer « la diffusion des connaissances démographiques » (Drouard, 1992).

Un Haut comité de la population et de la famille est créé. Rattaché au président du conseil, il a pour charge « de donner au gouvernement des avis sur l’ensemble des grands problèmes de population au niveau national » (Drouard, 1999).

Dans le même temps, les bases de la politique familiale sont jetées avec l’intégration des caisses d’allocations familiales dans le nouveau dispositif de sécurité sociale. Des dispositions fiscales suivent avec la mise en place du quotient familial. En 1946, la loi définit les prestations qui seront versées par la CNAF (Caisse nationale d’allocations familiales) au titre de la branche famille de la sécurité sociale : allocations prénatales, allocation de maternité, allocation de salaire unique dès le premier enfant, allocations familiales versées sans condition de ressources dès le deuxième enfant. La volonté nataliste est marquée aussi par des dispositions comme la progressivité des allocations en fonction du nombre d’enfants.

À partir de 1951, un « fonds spécial » alimenté par un pourcentage des prestations familiales finance l’UNAF.

S’ouvre alors pour l’UNAF et le courant majoritaire en son sein, d’inspiration familialiste, une période faste. Les mouvements issus du familialisme d’Église dominent très largement l’institution. On y trouve les trois principales fédérations, toujours largement majoritaires plus de 70 ans après : CNAFC, Familles rurales et Familles de France. La Confédération nationale des associations familiales catholiques (CNAFC), réputée liée aux courants les plus conservateurs de l’Église, est issue des Associations catholiques de chefs de famille fondées en 1905. La fédération des Familles rurales est quant à elle issue de la corporation paysanne de Vichy, dont les principaux dirigeants ont été laissés en place. Enfin, la Fédération des familles nombreuses a donné naissance à Familles de France en 1947. La nouvelle fédération a absorbé La plus grande famille et les Œuvres du Moulin Vert. C’est cette héritière de l’aile la plus conservatrice du mouvement familial qui va diriger l’UNAF pendant plus de 50 ans (1945-1996).

Quant au familialisme d’État, il est désormais au pouvoir, comme en témoigne le choix du démographe et populationniste militant Alfred Sauvy pour prendre la direction de l’INED (Dumont, 2013). Son expression autonome, incarnée par l’Alliance nationale contre la dépopulation [11] , décline alors progressivement [12] .

À la libération, le christianisme ouvrier se radicalise considérablement, jusqu’à se voir retirer son mandat d’action catholique par l’épiscopat. Cette mouvance à l’histoire complexe donne naissance à la Confédération syndicale des familles (CSF) et à la Confédération nationale des Associations Populaires familiales (CNAFPF) [13] qui rompent rapidement avec l’UNAF.

Enfin, à la fin des années 1960, des militants proches de la gauche créent le Conseil national des associations familiales laïques [14] (CNAFAL) dont l’objectif principal est de briser le monopole de représentation des familles par la droite catholique et conservatrice.

Mais la radicalisation politique de l’après-guerre, culminant en 1968, retombe et la tentation des gauches chrétiennes et laïques de créer une structure alternative à l’UNAF est abandonnée.

Sous les auspices du gouvernement, l’UNAF est réformée et l’unité du champ familial est parfaite en 1975. Les associations familiales laïques apparues dans les années 1960 et celles dirigées par des « chrétiens de gauche » intègrent ou réintègrent l’UNAF. Moyennant quoi, les « mouvements à recrutement général » sont désormais associés à la direction de l’institution.

Depuis, l’ensemble du champ est unifié organiquement et idéologiquement puisqu’après délibération interne, l’UNAF, qu’on a appelée le « parlement des familles », parle d’une seule voix et au nom de l’ensemble des familles du pays.

Mutations de la famille

Si l’après-guerre a été le moment de l’institutionnalisation de la famille, il a été également celui de la réforme morale (Lenoir, 1985b) sur une question fortement liée : le statut des femmes dans la société. Le 21 avril 1944, une ordonnance du Comité français de libération nationale (confirmée en octobre par le gouvernement provisoire) accorde le droit de vote et d’éligibilité aux femmes. Le préambule de la Constitution de 1946 proclame comme premier de ses principes que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » [15] . Dès lors, les jours de la puissance paternelle sont comptés. En 1965, la femme est autorisée à travailler sans l’autorisation de son mari. En 1967, la loi Neuwirth légalise la contraception [16] . En 1970 est instaurée l’autorité parentale conjointe (Verdier et Sellenet, 2013). En cinq ans, l’homme perd l’autorité sur sa famille et la maîtrise de la procréation.

Mais, au-delà de la place de chacun en son sein, c’est le modèle familial existant qui est bousculé. À partir de 1965, le mode d’organisation familiale entame une véritable mutation : recul du mariage, augmentation du taux de divorce, des unions libres et des naissances hors mariage, multiplication des familles monoparentales et des familles recomposées… Les démographes et sociologues décrivent un processus de « désinstitutionnalisation » (Roussel, 1989) du mariage ou de « démariage » (Théry, 1993). Le « repli de la mort » avec la chute de la mortalité maternelle et infantile (Yonnet, 2006) serait à l’origine d’un changement social majeur, marqué par l’individualisation et la « privatisation » de la famille (Gauchet, 2010). Ce processus qui a maintenant plus de 50 ans n’est toujours pas achevé, comme en témoignent les statistiques annuelles de l’INSEE.

À titre d’exemple, les divorces, de l’ordre de 7 % en 1970, atteignent 44 % en 2002, pourcentage toujours actuel. La cohabitation avant le mariage, marginale entre 1960 et 1969 avec 8 %, atteint 57 % en 1985. L’âge au mariage recule sans discontinuer. En 1966, l’âge moyen au mariage est de 27 ans pour les hommes et 24 ans pour les femmes ; en 2018, il a atteint 38 ans pour les hommes et 36 ans pour les femmes [17] . Les naissances hors mariage augmentent constamment, de 6 % en 1965 à 8,5 % en 1975, 18 % en 1984… pour dépasser 60 % en 2018 [18] . Bien que la France ait des taux de natalité supérieurs à ses voisins, celle-ci recule : la descendance totale des femmes est de 2,82 pour la période 1963-67 mais n’atteint plus que 1,82 en 1985 (Roussel, 1989).

Les explications de ces évolutions sont multiples. Elles sont certainement en lien avec le recul des valeurs religieuses, l’augmentation de la durée des études et leur féminisation… Des éléments culturels sont sans doute également à prendre en compte, la première génération ayant grandi après la Seconde Guerre mondiale expriment un rejet des valeurs familiales antérieures, comme partie d’une contestation plus globale. La transition vers un nouvel ordre productif plus explicitement libéral, au début des années 1980, n’a fait qu’accélérer le processus.

La « famille conjugale » est en crise, et par là même l’ensemble des appareils qui l’instituent. Car, comme l’ont exposé chacun à leur manière Durkheim (1975 [1882]) et Bourdieu (1993), c’est bien la présence active de l’État qui en fonde la légitimé voire l’existence. Par voie de conséquence, on constate l’exacerbation des contradictions au sein des institutions familiales depuis l’UNAF jusqu’aux organismes de protection de l’enfance. Des représentations normatives de la famille héritées des traditions chrétiennes, mais aussi de la psychanalyse freudienne, se confrontent aux conséquences des reconfigurations, et en particulier à la relativisation de la place du père dans la famille, si ce n’est son absence dans certains cas (Delumeau et Roche, 2000 : 398). Phénomène paradoxal, car dans le même temps apparaissent les « nouveaux pères » et une proximité nouvelle des pères auprès de leurs jeunes enfants commence à se diffuser (Neyrand, 2000).

La base sociale du « familialisme » s’est rétractée en France dans les années 1960-70 (déclin de l’Église catholique, déclin de la paysannerie et des entreprises familiales, accroissement de la scolarisation et du travail salarié des femmes, montée du mouvement féministe [Lenoir, 2005]). Les évolutions qui se font jour heurtent les convictions philosophiques majoritaires au sein de l’UNAF pour laquelle la famille a vocation à être stable et basée sur le mariage. À titre d’exemple, si la loi Neuwirth sur la contraception est acceptée, l’UNAF s’inquiète que le « libre usage » puisse « devenir licence » (Bulletin de liaison de l’UNAF, décembre 1966) et réclame une interdiction de sa publicité. Concernant l’autorité parentale conjointe, l’UNAF l’approuve sans réserve, estimant qu’elle s’inscrit dans son « idée de constante extension des droits de la femme mariée et de protection de l’incapable » [souligné par nous] (Bulletin de liaison de l’UNAF, janvier 1970).

Pour autant, le mouvement familial a maintenu ses positions et conservé ses équilibres internes, sachant passer des compromis et in fine se faire le relais des positions de l’État. Régulièrement, l’UNAF a réaffirmé quelques-uns de ses principes fondateurs : rôle spécifique de la famille dans la société, défense des prestations familiales comme politique de solidarité (et non politique sociale), etc.

À chaque fois que les liens avec les pouvoirs publics se sont trouvés distendus et l’UNAF enfermée dans une image conservatrice et dépassée, les moyens ont été trouvés de renouer le partenariat par une légitimation réciproque, moyennant des concessions de forme et une augmentation des ressources (Minonzio et Vallat, 2006).

Ainsi, lorsque la gauche a accédé au pouvoir en 1981, elle a su à la fois affirmer la prise en compte de la diversité des configurations familiales, rassurer l’UNAF sur son avenir et faire un geste financier spectaculaire en augmentant de 25 % le montant des allocations familiales.

Au-delà des intérêts matériels, on trouve aussi une forme de convergence entre les principes catholiques – subsidiarité, autonomie sociale locale – et l’évolution des politiques publiques nationales et européennes avec la décentralisation, la politique de la ville, etc. (Chauvière, 2010). Le modus vivendi réalisé avec l’État, malgré les évolutions sociales et au-delà des alternances politiques, a fait que les oppositions se sont généralement exprimées de manière feutrée, au nom des associations membres, via du lobbying parlementaire ou hors du cadre de l’UNAF. D’autant que les associations les plus conservatrices disposent de leurs propres relais parlementaires.

Organisme ayant pour fonction d’unifier idéologiquement la représentation des familles, l’UNAF est le lieu de débats, voire de luttes d’influence internes. Deux clivages politiques essentiels se sont manifestés depuis son unification de 1975. Le premier oppose les mouvements – ultra majoritaires – issus du christianisme social dans ses différentes formes et les organisations laïques. Il s’exprime principalement sur les questions éthiques et morales, en lien avec la définition donnée de la famille et de son rôle dans la société. Le second clivage a correspondu au clivage droite-gauche tel qu’il s’exprime sur le plan parlementaire, portant sur la responsabilité individuelle et la nécessité d’aides matérielles accrues aux couches défavorisées. Dans cette configuration, la Confédération syndicale des familles a souvent joué un rôle charnière, s’opposant par exemple au Pacte civil de solidarité (PACS) en 1999, mais axant ses revendications sur les aides matérielles aux familles populaires. Elle dirigera l’UNAF de 1996 à 2015.

Une forme de consensus a toujours été trouvée avec les gouvernants, les débats concernant la famille ayant ceci de particulier qu’ils ne recoupent pas totalement les clivages partisans traditionnels. Ce sont donc des majorités composites qui ont adopté les grandes réformes, si ce n’est des votes unanimes (Lenoir, 1986). La République semble avoir au final réussi à « incorporer » la souveraineté familiale (Chauvière, 2010).

L’État prend régulièrement en compte les évolutions sociales comme en témoignent la loi sur l’autorité parentale conjointe (2002) [19] ou l’ordonnance supprimant la notion de filiation légitime (2005), voire les anticipe en partie, par exemple avec le mariage entre personnes de même sexe (2013) [20] . Bousculée dans ses modes d’organisation traditionnelle, la famille n’est pourtant pas remise en cause par l’État comme destinataire ès-qualités de politiques publiques spécifiques. Si des changements considérables ont eu lieu dans le domaine du droit civil, le familialisme « est inscrit fondamentalement dans des pans entiers de la protection sociale » (Strobel, 2008). Le « modèle social français » étant en crise et les moyens d’action de plus en plus limités, l’État « redécouvre les vertus de la famille, ses fonctions de protection, de solidarité, d’encadrement » (Martin, 2004). Alors que s’expriment partout des interrogations sur l’articulation entre individualisme et solidarité, l’État cherche à trouver une solution impliquant la famille, au minimum en tant qu’opérateur. S’il parle désormais de famille au pluriel [21] , l’État s’attache à institutionnaliser les nouvelles formes familiales. En découle la mise en avant de la thématique de la « parentalité » et un « recentrage sur une partie seulement des rapports familiaux » (Neyrand, 2015). Cette remise au goût du jour des vertus familiales réalise un certain consensus politique, les divergences entre gouvernements successifs portant sur la méthode d’accompagnement (ou de contrôle) des familles en difficulté, l’accent étant mis tantôt sur la répression (Bruel, 1997) et tantôt sur le soutien. Mais on peut constater « un écart croissant entre le modèle libéral et privatif que les catégories moyennes et supérieures revendiquent pour leurs comportements familiaux et éducatifs et la normalité accrue, voire les mesures tutélaires qui semblent devoir s’imposer aux familles et aux jeunes en difficulté » (Strobel, 2008). Une nouvelle idéologie émerge, le parentalisme , hybride de familialisme et d’individualisme, prenant en compte le nombre désormais considérable de familles monoparentales ou recomposées [22] tout en maintenant une injonction éducative à chaque parent biologique. Le champ d’action directe de l’UNAF s’en est trouvé élargi, intégrant depuis 2004 l’aide aux parents, la médiation familiale et les Points Information Famille.

Pourtant, la période est troublée et les incertitudes s’expriment. Si les pouvoirs publics ont semblé manœuvrer en retraite pendant la seconde partie du quinquennat de François Hollande, avec entre autres l’abandon de la « loi famille » devant ouvrir notamment des droits aux beaux-parents, une forte tension demeure autour de questions comme l’ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) à des couples de femmes ou la gestation pour autrui. La société se pose des questions sur l’identité profonde de ses membres et, finalement, les débats sur la famille renvoient à une interrogation morale plus générale (Séraphin, 2013).

Résilience du familialisme, jusqu’à quand ?

Il y a plus de dix ans maintenant, Michel Chauvière publiait un article déplorant le manque de recherches sur « les dimensions collectives, publiques, institutionnelles du fait familial » au profit de celles sur « les contenus de l’expérience familiale » (Chauvière, 2007). Les choses n’ont malheureusement guère évolué depuis, les principaux travaux sociologiques ou socio-historiques disponibles portant sur « le familial » (et non « les familles ») étant ceux de Chauvière lui-même ou de Rémi Lenoir, qui travaille sur le sujet depuis la seconde partie des années 1980. Depuis cette alerte, l’institution familiale, telle qu’incarnée par l’UNAF, a pourtant été percutée par un débat de première importance sur la filiation (ouverture du mariage aux couples de même sexe) et a été l’objet de questionnements récurrents sur sa pertinence, sur fond d’affaiblissement constant de ses effectifs.

En 2012, la mise en place du premier gouvernement du socialiste François Hollande, avec Dominique Bertinotti comme ministre déléguée à la Famille, a été marquée par de très vives tensions avec l’UNAF. À peine trois semaines après sa prise de fonctions, la ministre est chahutée à l’assemblée générale de Toulon. Quand arrive le débat sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, la tension est à son comble. Pourtant, si la majorité des associations familiales sont très hostiles au projet de loi, elles se mobilisent peu ès-qualités. Opposée à la loi, l’UNAF se déclare néanmoins « favorable à l’ouverture de nouveaux droits aux couples de personnes de même sexe » et formule une proposition d’union civile [23] . Lors du débat parlementaire, plusieurs élus socialistes se livrent à des attaques frontales contre l’institution, réclamant sa suppression.

L’opposition à la loi prend la forme de très imposantes manifestations de rue, chapeautées par une structure ad hoc , la « Manif pour tous ». À l’exception de la CNAFC et de personnalités comme Henri Joyeux de Familles de France qui « gravitent » [24] autour, le mouvement s’est construit hors des associations familiales. Il s’est appuyé sur d’autres réseaux [25] et trouve son débouché dans de nouvelles formes associatives ou directement politiques qui entendent défendre la famille hors des cadres traditionnels : Manif pour tous, Avenir pour tous, Veilleurs, Printemps français, Sens Commun…

Au sein de l’UNAF, les débats se focalisent sur la question de l’adhésion de l’Association des parents et futurs parents gais et lesbiens (APGL). Celle-ci est proposée par le gouvernement comme une forme de compensation offerte au mouvement associatif gai, la loi n’ayant pas répondu pleinement à ses attentes [26] . L’agrément de l’APGL donnera lieu à de multiples débats et ne sera effectif qu’en juin 2016, soit trois ans après l’adoption de la loi.

Mais au lendemain de l’instauration du « mariage pour tous », un véritable choc en retour a pu être observé dans le mouvement familial. Héritier d’un catholicisme social aux tonalités contre-révolutionnaires et des ligues de pères de familles nombreuses, le mouvement Familles de France a débarqué sans ménagements son président Henri Joyeux en 2013. Il insiste désormais sur son caractère inclusif et politiquement modéré.

Au sein du mouvement familial, les divisions héritées du passé semblent faire de moins en moins sens. La diversité des modes d’organisation familiale a été acceptée par la quasi-totalité des mouvements qui se revendiquent tous d’une forme de laïcité. Les Associations familiales catholiques sont désormais isolées et ont opté pour un retour aux sources, axé sur la réflexion sur le couple et la conjugalité.

Le recentrage de l’UNAF est confirmé par l’accession à la présidence de Marie-Andrée Blanc, issue du principal mouvement, Familles rurales, mais élue comme indépendante avec le soutien de nombreuses unions départementales. Figure relativement consensuelle au sein de l’institution, Marie-André Blanc s’emploie, habilement, à tenter de maintenir son rôle auprès des pouvoirs publics.

Si les fortes tensions entre le gouvernement et l’UNAF au moment du « mariage pour tous » se sont estompées, des doutes demeurent sur l’avenir d’une institution qui a fait l’objet de charges violentes de la Cour des comptes (2004), celle-ci mettant en doute sa gestion mais surtout sa représentativité. Les effectifs sont tombés de 797 000 adhérents en 2002 à 668 000 en 2015. Et nombre d’associations comptabilisent les bénéficiaires de leurs prestations comme adhérents. La Cour préconise donc l’exclusion des associations dont l’activité relève majoritairement de la prestation de services. Elle vise explicitement des structures comme l’Aide à domicile en milieu rural ou les Maisons familiales rurales. Mais si l’on considère les sept mouvements à recrutement général, supposés plus « politiques », celui qui propose le plus de services, Familles rurales, représente à lui seul plus de la moitié des effectifs.

Paradoxalement, la tendance lourde dans la relation entre l’État et le mouvement familial a été celle d’une contractualisation de plus en plus poussée, au service d’une délégation croissante de services. Depuis 2005 [27] , 20 % du fonds spécial finançant l’UNAF est affecté à des actions définies par convention entre l’État et l’UNAF. La conséquence a été une gouvernance de l’UNAF de plus en plus technocratique. Les mouvements les plus marqués idéologiquement (CNAFAL ou CNAFC) reprochent depuis longtemps l’autonomisation de l’appareil central de l’institution. En 2004, la Cour des comptes pointe le fait que les moyens d’expertise de l’UNAF sur la question familiale (études, colloques, observatoires…) sont supérieurs à ceux de l’État lui-même.

Organisme peu connu, y compris parmi ceux qui bénéficient éventuellement de services fournis par les associations membres, l’UNAF voit ses effectifs baisser sans discontinuer. Les valeurs fondatrices du mouvement familial sont en recul. La diminution du recrutement n’épargne pas les associations laïques, idéologiquement moins conservatrices. Est-ce à dire que c’est l’engagement militant sur la thématique de la famille qui parait désormais sans objet aux jeunes générations ? Si on a pu observer un renouveau des Associations familiales protestantes avec l’arrivée des évangélistes, elles demeurent un courant très minoritaire. Quant au développement de l’Islam, parfois observé avec inquiétude, il n’a pour l’instant quasiment pas eu d’incidence sur le mouvement familial.

Pourtant, bien qu’ayant fortement évoluée dans ses modes d’organisation, la famille est toujours une institution plébiscitée par les Français [28] qui considèrent à 90 % qu’elle est le premier lieu de la solidarité, incarnant des valeurs qui ne sont ni de droite ni de gauche. Et les efforts consentis par l’État en ce domaine sont considérés comme insuffisants.

Un avenir incertain, sur fond de changement de paradigme

Institution donnant « une personnalité civile collective » aux familles, l’UNAF est l’expression d’une « incorporation étatique sans égale » (Chauvière, 2005). La caractérisation de cet organisme a été un sujet polémique, certains de ses opposants utilisant le terme de « corporatisme ». Ce terme a été contesté dans la mesure où le corporatisme est une doctrine politique basée sur la représentation par métier. Mais il y a bien dans l’idée d’une représentation familiale la notion de « corps », au sens d’ensemble qui a une fonction dans l’État. À travers l’UNAF existe en tout état de cause un appareil, institué par l’État, qui exerce avant tout une fonction idéologique exprimée par les deux premières missions qui lui sont assignées par le Code de l’action sociale et des familles : 1° donner avis aux pouvoirs publics sur les questions d’ordre familial et leur proposer les mesures qui paraissent conformes aux intérêts matériels et moraux des familles ; 2° représenter officiellement auprès des pouvoirs publics l’ensemble des familles et notamment désigner ou proposer les délégués des familles aux divers conseils, assemblées ou autres organismes institués par l’État, la région, le département, la commune. Pendant des décennies, la sensibilité dominante au sein de l’UNAF était résolument familialiste et les associations laïques sont restées marginalisées. Cette sensibilité a correspondu à celle dominant au sein des gouvernements successifs, avec des inflexions selon les alternances.

Depuis 1945 existe un consensus sur le maintien du familialisme (même sous des formes rénovées) et par conséquent sur la pérennité des organismes qui l’incarnent. Du côté de ses partisans au sein du mouvement familial, les contradictions se résorbaient dans l’opposition à ce qui pouvait le contrarier : individualisation exacerbée (de type néo-libéral) ou à l’opposé immixtion excessive de l’État dans la sphère familiale.

Mais quand l’UNAF a été créée, les pouvoirs publics avaient des préoccupations explicitement natalistes et l’exposé des motifs de l’ordonnance du 3 mars 1945 témoigne d’une volonté de continuité avec la « large politique de la famille française » incarnée dans le code de 1939. Il s’agissait de répondre à « la crise démographique qui menace la substance même de notre peuple et risque de le réduire à la population d’une nation de second rang ». Pour ce faire, les autorités ont pris des mesures, par exemple dans le domaine des allocations familiales, mais cela ne suffisait pas :

«  Pour réaliser la politique audacieuse, qui sera seule capable d’enrayer le fléau de la dénatalité, elles devront jouir du soutien sans réserve de l’opinion familiale, depuis longtemps alertée sur l’étendue du mal, et permettre à cette opinion de s’exprimer avec vigueur. C’est à grouper ces familles et à rassembler leurs voix éparses en un faisceau, d’autant plus riche qu’il sera, à sa source, plus diversifié et plus spontané, que tend la présente ordonnance [29] . »

Trois quarts de siècle plus tard, ces phrases peuvent sembler formulées dans un vocabulaire désuet, mais surtout exprimer des idées qui n’ont plus les faveurs de la majorité politique. Quel est alors l’intérêt de maintenir un « corps familial » [30] dont par ailleurs le recul de l’implantation est constaté depuis plus de 30 ans (Lenoir, 1985a) ?

Si la politique familiale elle-même n’est pas ouvertement remise en cause, force est de constater que les moyens qui lui sont alloués sont en diminution régulière. Ainsi, la disposition familiale phare qu’est le quotient familial [31] a subi une série de coups de rabot, son plafond passant de 2 326 € en 2012 à 1 500 € en 2014. En 2014 toujours, le montant de la Prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) a été gelé et le montant modulé en fonction des revenus. En 2018, le montant de l’allocation de base a été diminué, ainsi que le plafond de ressources y ouvrant droit. Au total, on compterait 30 % de familles n’y ayant pas droit. Selon l’UNAF, le gouvernement aurait ainsi économisé 500 millions d’euros, pour seulement 40 millions d’euros de dépenses supplémentaires pour les familles monoparentales ; les réformes sont directement pointées comme cause de la baisse de la fécondité [32] .

Avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron [33] , les restrictions budgétaires entamées par ses prédécesseurs se poursuivent, mais d’autres interrogations émergent. En premier lieu, les corps intermédiaires sont réputés ne pas avoir les faveurs présidentielles. Des menaces explicites pèsent par exemple sur le Conseil économique, social et environnemental, dépeint par Emmanuel Macron comme une des « institutions de la République que le temps a figées dans des situations acquises » [34] . Une caractérisation que l’on pourrait appliquer sans difficulté à l’UNAF. Par ailleurs, chacun a pu remarquer l’indifférence présidentielle envers la question familiale : la partie « famille » de son programme portait exclusivement sur la défense du « mariage pour tous », la gestation pour autrui (GPA) et la PMA, et les mesures relevant des politiques familiales étaient disséminées ailleurs. L’absence, inédite depuis 1978 avec son installation par Simone Veil [35] , d’un ministère ou d’un secrétariat d’État dédié à la famille en a été perçue comme un symbole.

De fait, la sensibilité dominante au sein de l’élite politique semble avoir rompu les amarres avec le « familialisme ». Alors que la droite en est traditionnellement l’expression dans le champ politique, les dernières échéances électorales ont montré qu’une fraction significative de son électorat s’est reporté sur le camp « progressiste ». Au sein du mouvement familial lui-même, chacun semble prendre grand soin de se démarquer d’idées qui ne sont plus guère portées que par les associations catholiques. Dès lors la question de la nécessité de maintenir un appareil paraétatique dédié à leur promotion est posée et on peut se demander si les jours de l’UNAF ne sont pas comptés. Deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, aucune menace explicite n’a encore été exprimée quant à l’avenir de cet organisme singulier. Pour combien de temps ?