Corps de l’article

Introduction

Étant donné la puissance des phénomènes évaluatifs, qui agissent de manière plus ou moins souterraine, dans toute situation sociale, il y a un enjeu épistémique fort à les expliciter (Vial, 2012). Nous tentons une telle explicitation à travers la reprise d’une recherche collaborative (RC) à visée de transformation des pratiques évaluatives vers l’évaluation-soutien d’apprentissage (ESA) conduite pendant deux ans avec deux équipes pluridisciplinaires d’enseignants et enseignantes du second degré au sein de deux collèges[1] de la Région Auvergne-Rhône-Alpes[2].

Cette recherche initiale (RI) a été conduite dans un contexte où le ministère de l’Éducation nationale soutenait les classes « sans notes » et une « évaluation bienveillante » fondée sur un contrat de confiance (Genelot et al., 2016). Elle constitue ainsi le contexte de la métarecherche[3] présentée dans cet article. À partir de l’étude à postériori du corpus constitué, nous tentons de saisir les dynamiques évaluatives à l’oeuvre de manière tant « implicite » qu’« explicite » dans la RI, ainsi que leur rôle dans les processus de développement professionnel individuel et collectif.

Cadre théorique

Entre référentialisation et subjectivation-intersubjectivation

Les dynamiques évaluatives sont abordées sous l’angle d’un cadre théorique qui met en synergie référentialisation et subjectivation-intersubjectivation.

Référentialisation

La référentialisation peut être définie comme un processus continu de construction/déconstruction de référents communs qui requiert la constitution d’un milieu in situ, dans lequel les individus échangent par rapport à la détermination des objectifs, des procédures et des stratégies à privilégier (Figari, 2001 ; Figari et Remaud, 2015). Toutefois, de tels objectifs restent difficiles à réaliser, étant donné la multiréférentialité[4] de l’évaluation en tant que pratiques, normes, valeurs, et discours, lesquels varient selon les contextes professionnels et personnels (Mottier Lopez, 2013 ; Mottier Lopez et Dechamboux, 2017).

Multiréférentialité

Cette multiréférentialité s’inscrit cependant dans deux cultures antagonistes, sources de tensions professionnelles. D’une part, une culture de l’évaluation scolaire fortement polarisée par le contrôle sommatif, dans un contexte de pression évaluative accrue, particulièrement dans l’enseignement secondaire (Merle, 2018). D’autre part, une culture de l’évaluation formative élargie (Allal et Mottier Lopez, 2005) ou soutien d’apprentissage (Allal et Laveault, 2009) en classe et en formation met l’accent sur la création d’une dynamique d’évaluation plus collaborative quant aux sens, cadre, objectifs et critères de l’évaluation et à son inscription dans une dynamique de progression personnelle. La question du travail des tensions entre ces différents référents nous amène à considérer que le processus de référentialisation reste à élucider du point de vue des entrelacs entre subjectivation et intersubjectivation de l’évaluation.

Subjectivation

La subjectivation est le processus par lequel un individu s’approprie ses expériences de manière à transformer à la fois sa personne et son rapport au monde (Tisseron, 2013). Selon Vanhulle (2005), la « subjectivation » des savoirs professionnels et didactiques consiste à poser un regard à la fois personnel et distancié sur ces discours et leurs applications ou implications pratiques, là où l’appropriation réfère plutôt à des « savoirs en actes ».

Intersubjectivation

Ces transformations ne sont pas seulement une affaire individuelle. Elles mettent en jeu des interactions sociales complexes, intersubjectivantes, renvoyant à la fois à une prise en compte et à une distanciation des points de vue des autres. C’est donc au travers d’une dialectique subjectivante et intersubjectivante que les individus se construisent les uns par rapport aux autres. Cette dialectique, particulièrement prégnante dans l’évaluation, a conduit à proposer le concept d’évaluation subjectivante (Younès et al., 2016).

Évaluation subjectivante

Dans l’optique de l’évaluation subjectivante sont prises en compte à la fois les dimensions culturelles et identitaires, sociales et individuelles, cognitives et affectives du sens donné à l’évaluation, qui construit et/ou déconstruit tant les individus et les groupes que les apprentissages et les développements professionnels. En effet, l’évaluation peut être destructive quand elle représente une menace des apprentissages et de l’identité. À contrario, elle est constructive quand elle est orientée vers la progression, dans une dynamique d’étayage, d’encouragement, de réflexivité et de collaboration qui vise à susciter des formes d’appropriation centrées sur des parcours singuliers et sur la reconnaissance de sujets auteurs (Jorro, 2007 ; Vial, 2012). Cette évaluation subjectivante participerait ainsi au développement professionnel défini comme transformations individuelles et collectives des identités et des compétences (Barbier et al., 1994 ; Beckers, 2007 ; Jorro, 2013 ; Vanhulle, 2009).

Le dispositif interprofessionnel élaboré dans une perspective subjectivante-intersubjectivante a été mis en place en 2015 à l’occasion d’une recherche collaborative reprise dans cette métarecherche. Cette recherche collaborative initiale (RI) (Younès et Faidit, 2018, 2019) s’inscrivait dans le courant des recherches collaboratives sur l’enseignement (Cole et Knowles, 1993 ; Desgagné, 1997, 2007), plus spécifiquement sur l’évaluation formative (Mottier Lopez et al., 2010 ; Morrissette, Mottier et al., 2012).

Dans la métarecherche, il s’agit de considérer la place de l’évaluation dans un milieu situé qui met en interaction des dynamiques collectives et individuelles. Cette métarecherche s’inscrit dans une épistémologie constructiviste et pragmatique suivant laquelle la connaissance s’élabore en lien avec l’action des individus en étroite relation avec leur environnement culturel, social, physique et technique. La signification de la pratique est ainsi tributaire d’un contexte d’usages, d’un environnement social et d’une expérience en cours. Elle se construit dans l’enquête, dans l’identification des discours et des effets pratiques de l’action[5] (Dewey, 1993). L’accent est mis sur la nature multifacette de la réalité, en fonction des positions de chacun à partir des diverses formes de partage et de reconnaissance de l’individu. L’individu est considéré non seulement sur le plan épistémique, mais également sur le plan de ses affects, buts, énonciations, temporalités et expériences singulières. Les différences peuvent être source de tensions qu’il ne s’agit pas d’éliminer, mais de travailler afin qu’elles deviennent des ressources pour des transformations individuelles et collectives (Mertens, 2017). Le rôle du chercheur ou de la chercheuse est alors de concevoir des dispositifs permettant l’expression et la visibilité des différences et des terrains d’entente.

Méthodologie

Nous présentons tout d’abord le dispositif collaboratif de la recherche initiale (RI), puis la méthodologie de la métarecherche autour de l’analyse des dynamiques évaluatives dans la RI.

Dispositif collaboratif de la recherche initiale

La RI a impliqué huit enseignants de deux collèges, un étudiant du master en formation de formateurs d’enseignants de l’Université Clermont Auvergne ainsi que deux chercheuses, dont une expérimentée (première auteure) et l’autre apprentie (seconde auteure)[6]. Dans cet article, les données traitées sont principalement celles concernant le groupe d’un collège.

Une enseignante avait 30 ans d’expérience dans le métier et exerçait depuis 10 ans dans cet établissement (Nicole, EPS). Trois avaient environ 15 ans d’expérience (Pascal, histoire-géographie ; Muriel, mathématiques ; Laure, lettres) et un (Olivier, arts plastiques) enseignait seulement depuis deux ans. Enfin, une jeune enseignante-documentaliste débutante a vite abandonné le groupe, qui ne répondait pas à son attente de pistes, plus directement opérationnelles sur le plan professionnel.

Cette recherche collaborative s’est déroulée dans sa phase initiale sur trois ans (six rencontres la première année, trois la deuxième et une la dernière année[7]) et s’est poursuivie par une métarecherche avec l’une des enseignantes de la RI[8] pendant deux ans, suivant ce déroulement chronologique (voir Tableau 1) :

L’expérimentation dans la classe et la mise en oeuvre d’une démarche discursive de questionnement, de reformulation, d’explicitation, voire de théorisation de la pratique (Mukamurera et al., 2006) y ont été privilégiées. Enseignants et chercheuses se sont engagés de façon volontaire dans cette recherche en ayant conscience de participer à la construction de données visant à faire avancer les connaissances sur l’évaluation (visée épistémique) et à soutenir le développement professionnel des enseignants (visée transformative). L’ensemble des acteurs a été impliqué dans les prises de décision tout au long de la RI en tentant de respecter le critère méthodologique de la double vraisemblance (Dubet, 1994). Cette dernière consiste à concilier les préoccupations de la communauté de professionnels et celles de la communauté scientifique à chacune des trois étapes du modèle de la recherche collaborative : cosituation, coopération et coproduction (Desgagné, 1997, 2007) (voir Figure 1).

Tableau 1

Déroulement chronologique de la RI et de la métarecherche

Déroulement chronologique de la RI et de la métarecherche

Tableau 1 (suite)

Déroulement chronologique de la RI et de la métarecherche

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Figure 1

Schématisation des trois étapes itératives de la recherche collaborative d’après Desgagné (1997, 2007) adaptée à notre RI

Schématisation des trois étapes itératives de la recherche collaborative d’après Desgagné (1997, 2007) adaptée à notre RI

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Méthodologie de la métarecherche

La métarecherche a porté sur l’étude des dynamiques évaluatives à partir du repérage des traces de l’activité évaluative dans le corpus constitué par la RI.

Corpus

Nous avons eu recours à de multiples sources de données : notes des chercheuses (26 pages), enregistrement systématique des discussions (48 heures d’enregistrement ; 230 pages de retranscriptions) ainsi que des supports déposés par les enseignants et les chercheuses sur un espace de travail en ligne. Ces derniers pouvaient être en lien direct avec l’enseignement (8 fiches de préparation, productions d’élèves dans quatre classes, 3 extraits vidéo de séances filmées en classe) ou avec la recherche collaborative en cours (analyses des productions d’élèves des quatre classes, articles scientifiques, notes de synthèse, autoévaluations et écrits réflexifs à chaque intersession, 60 pages).

Analyses

L’étude des dynamiques évaluatives s’est faite à travers une analyse de l’activité évaluative à chacune des trois étapes de la RI : la cosituation, la coopération et la coproduction. Cette activité est appréhendée par une approche compréhensive et interprétative, selon une méthode inductive à partir de ses traces observables et du sens construit par les parties prenantes (Blais et Martineau, 2006). Nous avons analysé les écarts et les convergences de sens (Bednarz et al., 2012) dans une perspective synchronique et diachronique, par l’intermédiaire d’une analyse des discours et des traces de l’activité produite.

En liaison avec notre cadre théorique, nous avons pris comme indicateurs des processus de référentialisation et de subjectivation-intersubjectivation en cours la mise en évidence, au fil du temps, des récurrences de motifs dans les discours et les pratiques au sujet de l’ESA ; l’expression de décalages ou de convergences de sens entre les parties prenantes ; ainsi que des changements dans les conceptions, préoccupations, pratiques, engagements et rôles des participants à la recherche.

Deux types de triangulation ont été mobilisés : 1) entre les différentes sources de données collectées au cours des deux années de la RI et 2) entre les deux chercheuses (Denzin, 1978). Ces triangulations ont permis d’accroitre la pertinence et la validité des analyses ; de dévoiler les multiples facettes de l’activité ; et de mieux comprendre les dynamiques évaluatives et leurs effets dans le développement professionnel des acteurs de la RI. Enfin, la soumission d’une version intermédiaire de l’article aux enseignants impliqués dans la RI a permis de s’assurer, dans une certaine mesure, d’une forme de compréhension partagée.

Résultats

Les analyses de la métarecherche mettent en perspective les constats issus des trois étapes de la RI, au regard des processus de référentialisation et de subjectivation-intersubjectivation de l’ESA.

Analyse des échanges à l’étape de cosituation : le travail des tensions comme levier de référentialisation de l’ESA

Alors que la RI se limitait à rendre compte de l’émergence et de la confrontation de modèles d’évaluation, les analyses de la métarecherche nous amènent à mettre en évidence comment en cosituation, c’est le travail des tensions produites par le décalage et la confrontation de ces différents modèles sous-jacents qui conduit à une construction intersubjectivante permettant un premier niveau de référentialisation de l’ESA.

L’émergence de tensions révélatrices des décalages dans les approches de l’évaluation entre contrôle et développement

Une première tâche a engagé les enseignants à produire un discours sur l’ESA à travers une discussion faisant suite à la lecture d’un article sur l’évaluation formative. L’analyse des discours met en lumière les différentes approches de l’évaluation dans le groupe. Notamment, l’étudiant soutenait qu’évaluation formative et évaluation sommative s’opposaient, alors que les enseignants maintenaient l’existence d’une porosité entre ces évaluations, convoquant leurs savoirs expérientiels au regard desquels le discours normatif sur l’évaluation formative apparaissait difficilement supportable. En soutenant de façon théorique cette porosité, ce qui légitimait les énoncés des enseignants, la cochercheuse rendait possible l’établissement de conditions propices à un début de référentialisation, qui se traduisait notamment progressivement par l’appropriation d’un vocabulaire commun entre chercheuses et enseignants.

La seconde tâche invitait les enseignants, à partir des traces de leur activité, à s’interroger sur leurs pratiques évaluatives et sur celles de leurs pairs, au regard d’un cadre d’analyse présenté par la cochercheuse (voir Annexe). Cette tâche a cristallisé un noeud de tensions important, repérable par la manifestation d’un malaise, d’une frustration et d’une difficulté.

Un malaise quand l’évaluation contrôle est redoutée

La cochercheuse n’a pas parlé d’évaluation des pratiques évaluatives, mais d’analyse de ces pratiques. Il était question de « cadre d’analyse », « d’interroger les pratiques ». Les enseignants ont pourtant perçu la tâche comme une évaluation implicite de leurs pratiques face à une nouvelle norme, l’ESA. Cette évaluation a dès lors été diversement interprétée. Pour certains, la tâche a été perçue et pratiquée comme une activité plus ou moins illégitime de contrôle, de jugement, inconfortable et potentiellement menaçante, comme le révèle cette réflexion d’une enseignante après les deux premières journées de la RI :

Je suis assez mal à l’aise avec la posture qu’il me faut prendre pour analyser le travail de mes collègues. Heureusement, nous nous apprécions, nous nous connaissons, nous savons le travail que nous menons. Mais cette position de juge que nous prenons à tour de rôle, qui nous amène à aller gratouiller ce qui ne va pas chez les autres, ce qui n’est pas clair, ce qui est confus n’est pas confortable. Je ne me sens pas la légitimité pour analyser la pratique de mes collègues. Je ne me sens pas l’assurance pour endurer les demandes de justification de mes collègues sur mon travail. J’ai l’impression que nous jouons à nous « cuisiner » les uns les autres à tour de rôle et ça m’interroge… N’est-il pas possible de construire une réflexion ensemble dans la douceur, sans passer par cette mise à la question ?

Laure, septembre 2015

Ce sentiment assez violent exprimé dans un courrier adressé à la cochercheuse a donné lieu à des échanges dans le groupe révélant qu’il était plus ou moins partagé.

Une frustration quand l’évaluation contrôle est attendue

Sur un autre plan, certains ont exprimé le souhait d’avoir des retours de la cochercheuse, ce qui a créé une autre source de tension :

J’attends à un moment donné un retour de votre part pour faire évoluer un petit peu notre vision des choses. Parce qu’on peut essayer d’avoir un regard distancié, mais notre regard a une limite. On ne peut pas sortir totalement de nos cadres et être vierge complètement de préjugés, d’idées reçues ou d’idées qu’on a construites au fur et à mesure. Et c’est vrai qu’honnêtement je suis un peu frustré à ce niveau.

Pascal, décembre 2015

Tout en reconnaissant que les échanges sur les pratiques ont été la source d’un développement, les échanges entre pairs ont été perçus comme insuffisants pour une transformation plus conséquente.

Ainsi, dans les premiers temps de la RI, certains enseignants redoutaient l’analyse des pratiques, perçue comme un contrôle menaçant et illégitime, tout en étant en attente d’un retour évaluatif et formatif de la cochercheuse. D’autres n’étaient pas dans cette attente de validation externe de leurs pratiques, ni de la part de la cochercheuse, ni de la part de leurs pairs. Ils intégraient des éléments de l’ESA pour analyser leur activité évaluative, pour agir sur elle et pour se projeter dans de nouvelles actions à court, moyen ou long terme :

Je ne comprends pas que certains collègues soient dans le « c’est bien » ou « c’est pas bien », alors qu’on est en train de réfléchir pour mieux comprendre pourquoi on fait ça comme ça ou comme ça.

Nicole, juillet 2015

Dans ces tensions s’exprimait la confrontation entre un modèle de l’évaluation normalisante et contrôlante et la mise en place implicite d’une autre forme d’évaluation, subjectivante, où l’évaluation s’inscrit dans la compréhension, l’horizontalité, l’ouverture de sens, le développement et une approche globale du sujet (Younès et al., 2016).

Une réticence à s’engager dans la tâche, signe d’une difficulté à intégrer l’ESA

Analyser individuellement ses propres pratiques évaluatives au regard du cadre d’analyse durant l’intersession s’est révélé difficile à réaliser, ce qui a suscité une double situation critique, génératrice de doutes et de remises en question. Lors d’une séance dédiée à la discussion du cadre d’analyse, plusieurs commentaires évoquant des problèmes de compréhension de la tâche ont été exprimés :

Je n’ai pas compris l’objectif et la deuxième chose, les mots je les comprends, mais je ne comprends pas leur croisement… J’étais dans la peau de l’élève qui n’a pas compris les consignes.

Pascal, décembre 2015

Critères de réalisation, critères de réussite ; ce n’est pas clair pour moi, la distinction.

Pascal, décembre 2015

Je rejoins complètement ce que dit Pascal, c’est-à-dire que je ne comprends pas ce que ce tableau est censé expliquer ou, en tout cas, ce qu’on est censé en tirer.

Nicole, décembre 2015

La cochercheuse, qui avait sous-estimé l’impact sociocognitif de la tâche, s’est retrouvée également dans une forme d’embarras et d’incertitude quant au positionnement à adopter. Fallait-il tenter de réduire l’inconfort des enseignants ou laisser perdurer le malaise ? Fallait-il adopter une posture de formatrice induisant une forme de verticalité dans la relation potentiellement incompatible avec le projet collaboratif horizontal ?

Des régulations sociales et cognitives comme ressources

Interroger les pratiques au regard de l’ESA requiert des approches et concepts alternatifs aux us et coutumes de l’établissement, lesquels sont assez étrangers à l’univers professionnel des enseignants, dans lequel le modèle de l’évaluation certificative et du contrôle est prédominant, tout comme un « modèle applicationniste » des directives en matière d’enseignement. En visant une subjectivation-intersubjectivation de l’ESA, plutôt qu’une application, la cochercheuse semble avoir prescrit indirectement un modèle alternatif qui entre en collision avec cette culture évaluative, ce qui a suscité des difficultés et des remises en question, mais aussi des formes de redéfinition de la tâche. Le travail des tensions qui se sont exprimées dans la première période de la RC s’est manifesté à travers deux types de régulation apparaissant particulièrement déterminantes dans la résolution de ces tensions : les régulations langagières et l’exemplification de la tâche par la cochercheuse.

– Les régulations langagières

La médiation langagière fondée sur les approches non directives (Blanchet, 1985) est fondamentale pour le travail des tensions. La cochercheuse, qui s’inscrit dans ce courant, a appliqué par moments la méthode d’écoute active de l’entretien non directif, puis a mis en place des règles utilisées dans les groupes d’analyse de pratiques, par exemple « comprendre sans juger », la « contribution de tous », le « respect des différences et de la confidentialité de ce qui est énoncé » (Blanchard-Laville et Fablet, 1998 ; Tourmen, 2014 ; Colognesi et al., 2017). Assez rapidement, une parole libre s’en est suivie, ce qui a permis à chacun d’exprimer ses opinions, ses doutes et ses malaises, de partager ses incompréhensions, de développer ses capacités réflexives ainsi que d’élaborer progressivement des compréhensions et des constructions collectives de sens.

Ces régulations langagières, qui s’inscrivent dans un contrat réflexif au sens de Bednarz et ses collaborateurs (2012), apparaissent dans la métarecherche comme déterminantes dans la résolution et le dépassement des tensions, et comme indicatrices d’une référentialisation et d’une subjectivation de l’évaluation en cours.

– L’exemplification de la tâche par la cochercheuse

Malgré une hésitation témoignant d’une réticence à se présenter comme une enseignante experte, la cochercheuse a décidé d’adopter ponctuellement, face à la difficulté de la tâche, la posture d’enseignante prescrite en analysant sa propre pratique d’évaluation à l’aide du cadre de l’ESA. Ainsi, elle a présenté l’évaluation mise en oeuvre dans son enseignement dans un master en formation de formateurs en insistant sur la démarche de construction collective d’une grille d’évaluation critériée. Cette grille articule évaluations formative et certificative en mobilisant l’évaluation par les pairs et la coévaluation.

Bien que la cochercheuse en ait souligné les limites et précisé que cette présentation n’avait pas valeur de modèle, nous en avons pourtant constaté par la suite le caractère modélisant dans le groupe. En effet, la dynamique de référentialisation s’est stabilisée provisoirement avec l’élaboration collective d’un référent commun autour de la construction et de l’usage par les élèves de grilles d’évaluation critériées à fonction formative. Ce référent met en résonance l’ESA et les expériences des uns et des autres dans une forme proche de la pratique présentée par la cochercheuse.

Analyse des échanges à l’étape de coopération : d’un référent normatif permettant un passage à l’action en classe à une subjectivation de l’ESA

Dans la RI, ces grilles critériées semblaient une réduction instrumentale limitant l’ESA dans la classe. La métarecherche met en évidence que ce référent normatif commun – en ce sens qu’il oriente les expérimentations d’ESA en classe de tous les enseignants de la RC – fonctionne comme un « passage obligé » opératoire dans la conception d’une démarche d’ESA en classe. Cependant, ce construit se décline de façon différente pour chaque enseignant. C’est ensuite dans l’expérimentation et sa mise en discussion que s’ouvrent de nouvelles compréhensions et perspectives aboutissant à la subjectivation de l’ESA et à un élargissement de sa référentialisation.

Une réduction instrumentale de l’ESA : les grilles critériées comme premier référent commun

L’étape de coopération s’organise autour de l’élaboration d’une grille critériée avec les élèves et de son utilisation pour s’évaluer entre élèves, après que plusieurs enseignants eurent manifesté leur intérêt pour se centrer sur une telle élaboration « afin que les élèves puissent se situer dans leurs apprentissages par rapport aux attendus » (Pascal, décembre 2015). Un consensus s’établit sur cette formalisation, qui apparait comme la traduction opérationnelle d’un élève acteur de l’ESA qui comprend et s’approprie les critères de l’évaluation dans une perspective de progrès. Les grilles conçues par les enseignants témoignent de cette première conceptualisation collective, qui, sous une forme prototypique, devient un référent commun. L’exemple donné par la cochercheuse est donc devenu un modèle d’action fonctionnant comme un référent normatif provisoire dans le groupe.

Une construction personnelle hybride entre référent, expérience et prise de conscience

Ce nouveau référent se décline différemment en fonction des pratiques disciplinaires, des expériences dans le métier et de la formation à l’évaluation, dans un double mouvement d’appropriation et de distanciation qui témoigne d’une forme de subjectivation des conceptualisations de l’ESA. Nous présentons ici, à partir des projets et analyses des expérimentations de deux enseignantes, les constructions individuelles différenciées qui s’élaborent.

– Le cas de Muriel : enseignante de mathématiques

Muriel présente une grille critériée où les élèves sont placés en position d’évaluateurs. Des critères généraux sont déclinés en indicateurs contextualisés différents, selon trois niveaux de réussite.

Une spécificité de Muriel est de partir de productions d’élèves, soit des figures fausses, pour concevoir la grille avec les élèves. En effet, l’erreur est au centre des préoccupations de Muriel, qui a souligné, dès le départ en 2015, « l’importance de l’erreur pour qu’élèves et enseignants puissent revenir sur certains points ». À partir des erreurs et de leur discussion en classe, elle infère les sources de difficultés d’apprentissage des élèves afin de modifier les situations d’enseignement.

Lors de la présentation de sa séquence expérimentale (juillet 2016), Muriel rejette la proposition de la cochercheuse d’utiliser un papier-calque pour que les élèves évaluent les productions de leurs camarades, car « les élèves vont alors juste vérifier sans analyser la production, c’est-à-dire sans chercher à comprendre la source de l’erreur ». Elle réaffirme sa volonté de travailler avec les élèves autour de figures comprenant des erreurs afin qu’ils identifient les différents degrés de maîtrise d’une compétence (explicitation des indicateurs de réussite) :

Ce que j’aimerais, c’est qu’ils arrivent à une figure avec des erreurs, justement. Je trouve ça très intéressant parce que, souvent, on leur demande de faire une figure juste, mais, au final, ce qui est bien, c’est aussi de leur dire : ce serait quoi, une figure fausse, pour eux ? […] Ils n’ont pas de références, donc, du coup, je travaille beaucoup sur les erreurs.

Muriel, juillet 2017

L’élaboration de l’expérimentation semble avoir permis à Muriel de clarifier les critères de réalisation de la figure. L’expérimentation en classe lui permet de réaliser que l’utilisation de la note empêche les élèves de s’engager dans un travail collaboratif sur les erreurs :

Quand il y a la note, ça transforme l’attitude de l’élève. Il se focalise sur la note couperet.

Muriel, juillet 2017

– Le cas de Laure : enseignante de lettres

Pour Laure, il est important que les élèves puissent se positionner, c’est-à-dire repérer ce qu’ils savent faire ou pas, et qu’ils puissent identifier les pistes pour améliorer leurs productions. L’erreur est perçue comme un élément important à travailler. Laure fait part de ses précédentes expériences en matière « de grilles ». Elle a passé beaucoup de temps à produire, avec des collègues, des grilles de compétences, qui se sont révélées peu opératoires et peu valides. Cependant, au regard des pratiques de ses pairs et/ou du « modèle » montré par la cochercheuse, elle propose de tester de nouveau une grille de critères de réussite.

Dans le cas de Laure, contrairement à Muriel, l’expérimentation de la grille de critères avec évaluation par les pairs se révèle un échec. Pourtant, elle se déclare prête à poursuivre dans ce sens, mais la cochercheuse ouvre le jeu :

Laure : Ce serait possible, mais il faudrait que je revoie complètement ma manière d’enseigner.

Cochercheuse : L’objectif de la RC n’est pas d’appliquer une méthode, mais de voir en quoi le processus d’ESA est vecteur de questionnements. […] C’est important de reconnaitre qu’un outil/référent collectif fonctionne pour certains, et pas pour d’autres.

septembre 2015

Les grilles de critères élaborées par les enseignants se heurtent à des difficultés qui relèvent tant de leur conception que de leur usage. Le premier écueil tient à la nature des critères. Plus centrés sur des dimensions formelles et génériques que sur des dimensions spécifiques des savoirs en jeu, les critères définis peuvent entrainer des « effets de leurre ». Par exemple, les élèves sont engagés dans une activité évaluative qui masque les enjeux de savoir, des dérives déjà constatées par Pasquini (2017). De plus, la réduction de cet outil à une simple feuille de vérification peut empêcher son usage comme médiation pour les apprentissages.

La déclaration d’une enseignante lors de la dernière rencontre minimise l’impact de la forme « avec ou sans grille » : « C’est expliciter et partager les critères et indicateurs avec les élèves qui est important » (Muriel, juillet 2017). Cette déclaration témoigne d’une prise de conscience par Muriel de l’une des caractéristiques de l’ESA, décrites par William et Thompson (2007). Après cet échange, Laure sollicite la cochercheuse pour obtenir des articles en didactique du français, s’inscrivant comme Muriel dans un projet de clarification des critères et des indicateurs de réussite sur le plan didactique, et abandonne l’idée de les formaliser sous la forme d’une grille.

Variations dans l’élargissement conceptuel et opératoire de l’ESA

Ainsi, un élargissement conceptuel et opératoire de l’ESA se produit progressivement à la suite des expérimentations dans les classes et de leur débreffage dans le collectif (voir Figure 2). Les échanges ont amené à des prises de conscience, quand les normes/règles d’action construites sont confrontées aux expériences vécues en classe et dans la RC. Il ne s’agit pas des mêmes prises de conscience pour tous. L’élargissement de la construction conceptuelle de l’ESA ne se produit pas de la même manière ni au même rythme, en fonction des connaissances préalables et des engagements des uns et des autres.

Figure 2.

Évolution de la référentialisation et de la subjectivation- intersubjectivation de l’ESA au cours de la RI et de la métarecherche

Évolution de la référentialisation et de la subjectivation- intersubjectivation de l’ESA au cours de la RI et de la métarecherche

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Toutefois, dans le cas où les enseignants n’ont pas expérimenté l’ESA en classe ni débreffé sur leur expérience, l’élargissement conceptuel (visible dans la RC) semble rester plus limité. Ainsi, Olivier en reste à la première forme stabilisée dans le groupe (la grille critériée). Après deux ans de RC, alors qu’une discussion remet en question l’usage des grilles, il manifeste une réaction d’incompréhension :

J’avais compris l’établissement de grilles comme élément fondamental du travail dans le groupe et, si là on les remet en question, je ne comprends plus.

Olivier, février 2017

L’intériorisation d’un nouveau référent (élaboration d’une grille de critères « par » les élèves et évaluation mutuelle) a créé un réel collectif qui a facilité l’implication du participant dans la transformation de ses pratiques évaluatives. Or, ce n’est que dans l’expérimentation individuelle, partagée et approfondie par les autoconfrontations croisées collectives que s’effectue une prise de conscience de l’importance de l’activité conjointe des enseignants et des élèves pour l’efficacité de cet outil. Cette prise de conscience est indicatrice d’un approfondissement de la référentialisation en cours. Dans le cas de Pascal, ce sont les passages successifs d’une fiche-méthode[9] à des grilles critériées, puis à une réflexion sur la place de l’erreur qui témoignent de ce processus de subjectivation-intersubjectivation de l’ESA.

Ainsi, une forme d’émancipation se produit vis-à-vis des grilles critériées et de l’évaluation par les pairs, qui apparaissent progressivement comme des formes non obligatoires pour inscrire ses pratiques dans l’ESA. Muriel supprimera l’indication d’une note chiffrée dans ses grilles formatives, tandis que Laure abandonnera l’usage de la grille dans la suite du travail pour se concentrer sur le feedback collectif. D’autres enseignants exploreront d’autres formes et dimensions de l’ESA autour des critères de réalisation, des indicateurs de réussite, des feuilles de route, de nouvelles postures d’accompagnement, etc.

Dans les processus individuels et collectifs de notre RC, nous observons la construction du concept d’ESA dans ses différentes facettes référentielles, conceptuelles et opératoires. L’essentiel des dispositifs expérimentés et du cadre théorique de l’ESA est progressivement identifié, ce qui permet aux enseignants de ne pas la réduire à sa dimension instrumentale. Cette évolution traduit un élargissement de la référentialisation de l’ESA dans le sens d’une intégration des différentes conceptions. Une trajectoire référentielle s’élabore à partir de l’évaluation prescrite jusqu’à l’évaluation subjectivante, qui met l’accent sur la part de liberté du participant et sur son irréductibilité. Ce dernier niveau de référentialisation critique de l’ESA est visible dans les productions de l’apprentie chercheuse, investie à la fois dans la RI et la métarecherche (voir Figure 2).

Analyse des dynamiques à l’étape de coproduction : l’enjeu de la reconnaissance sociale, levier et frein dans la référentialisation de l’ESA

Alors que les enjeux de reconnaissance sociale à l’extérieur de la RC, qui sont très vite devenus prégnants, ont pu apparaitre dans la RI comme entrainant un arrêt du processus de référentialisation de l’ESA, la métarecherche tend à montrer que l’imbrication de ces enjeux peut aussi soutenir le processus.

Les chefs d’établissement souhaitaient que le groupe communique sur les résultats de la recherche alors même que celle-ci démarrait. Dès la deuxième année, l’institution a requis des interventions de la part de l’académie[10] dans la formation de formateurs ; à l’échelle nationale dans la formation des chefs d’établissement ; à l’échelle des établissements dans les formations des enseignants. Ces injonctions ont eu un effet sur les dynamiques collectives et individuelles de la RI en orientant les discussions sur ces objectifs de communication, devenus rapidement prioritaires au détriment de l’enjeu de la recherche, notamment dans la conception, la mise en oeuvre et la réflexion autour de l’ESA dans la classe. Toutefois, elles ont aussi produit des dynamiques positives collaboratives et stimulantes pour les enseignants qui s’y sont engagés (p. ex., réalisation de capsules vidéo pour les chefs d’établissement et pour la formation des enseignants, production d’articles professionnels, participation à des formations d’enseignants). Cela a permis une stabilisation et un ancrage des savoirs construits, indicateurs de la poursuite d’une subjectivation de l’ESA.

Au coeur de la recherche, les enjeux identitaires sont tout aussi puissants que les enjeux de savoirs. Ainsi, pour Olivier, débutant dans le métier, respecter les prescriptions primaires et être reconnu par ses pairs et par l’inspecteur constituent un leitmotiv. Cet enseignant a souvent été absent lors des rencontres du groupe, et a peu donné à voir de ses pratiques évaluatives et de leur analyse. Cependant, c’est lui qui a communiqué à l’École supérieure de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESEN)[11] au nom de la RC, qui a intégré le premier un groupe de formateurs sur l’évaluation et qui s’est investi rapidement dans une formation de formateurs au CAFA[12]. Tout se passe comme si la participation à ce groupe avait été un accélérateur ou avait contribué à une reconnaissance professionnelle de soi par soi et par autrui :

Olivier : Ça nous donne plus de crédit. Enfin, moi, je sais que j’ai parlé de cette recherche à mon inspecteur et c’est un point tout à fait positif dans ma carrière. […]

Cochercheuse : Plus de crédibilité aux yeux de tes pairs ou à tes yeux ?

Olivier : Les deux. Moi, je suis dans une phase où c’est un outil que je suis en train d’apprendre. Mes pratiques, je suis en train de les construire et j’ai besoin d’être rassuré. Enfin, je doute beaucoup […] et, effectivement, participer à ça, ça me rassure quelque part et, en même temps, ça me rend plus crédible quand… Enfin, moi, j’ai certaines ambitions. Je n’ai pas envie d’être seulement prof ici. Voilà, c’est une pièce supplémentaire dans la construction de mon CV, je peux dire ça.

février 2017

Dans le cas de Pascal, à un moment, approfondir l’apprentissage de l’ESA n’est plus la priorité et semble même devenir contreproductif, dans une phase où le besoin de reconnaissance institutionnelle passe par la « bonne pratique », qu’il s’agit de formaliser et de communiquer. Sollicité par son inspecteur, il passera plusieurs mois à écrire un article professionnel sur l’évaluation et à inviter le groupe de la RC à l’aider dans cette écriture, ce qui a aussi produit de nouveaux développements de ses compétences évaluatives.

Ainsi, les enjeux épistémiques et de développement des compétences ne sont pas les seuls enjeux d’une RC. Ils ont partie liée avec les enjeux identitaires et institutionnels, qui semblent agir à la fois en complémentarité et en concurrence avec les premiers. L’évaluation subjectivante renvoie donc non seulement à la subjectivation de l’ESA sur le plan épistémique, mais également à des questions de reconnaissance sociale à l’intérieur et à l’extérieur de la recherche collaborative, en lien avec des enjeux psychosociaux.

Conclusion

Dans cette métarecherche, nous avons cherché à comprendre en quoi l’étude de l’activité évaluative, induite de façon explicite et implicite par le dispositif de recherche collaborative, permet de mettre à jour les développements professionnels en cours à travers l’étude des processus observables de référentialisation et de subjectivation-intersubjectivation.

Tout d’abord, cet article révèle la prégnance de l’activité évaluative dans la recherche collaborative, dans ses formes spontanées comme dans ses formes instituées. La mise en relation dynamique de l’expérience et du référentiel externe (ESA), dans une démarche réflexive et critique mais aussi prospective, dans les inconforts qu’elle crée et dans les perspectives qu’elle ouvre, est productrice à la fois de référentialisation et de subjectivation-intersubjectivation comme processus complémentaires du développement individuel et social.

Notre recherche permet de mettre en évidence des indicateurs de la construction d’une culture évaluative partagée, c’est-à-dire de référents communs dans l’approche de l’ESA en analysant le processus de référentialisation comme coconstitution référentielle dynamique, qui s’opère tout au long de sa conceptualisation et de son opérationnalisation (Mottier Lopez et Dechamboux, 2019). Le cheminement passe par des phases de tensions ainsi que de réduction et d’élargissement du concept d’ESA, au fil de reconceptualisations et de renormalisations successives, individuelles et collectives (Schwartz, 2000, 2020) confortées ou bousculées par l’expérience et par son partage dans le collectif.

Il apparait que les processus de référentialisation et de subjectivation-intersubjectivation sont interreliés. La réflexion collective ainsi que les expérimentations partagées et mises en débat permettent à chacun de se situer et de construire à la fois un référentiel commun et propre à chacun à même de contribuer à faire évoluer les conceptions et pratiques de l’ESA. C’est parce qu’il y a construction collective d’un référent commun de l’ESA que le participant peut à la fois s’en nourrir et s’en distancier. La recherche collaborative crée un contexte nouveau qui permet de penser et de voir autrement l’évaluation, d’enrichir à la fois l’individu et le collectif. Chacun et chacune peut s’interroger encore, sous la « pression » de l’autre, sur le sens de ses choix.

Selon Jorro (2016), offrir aux enseignants l’occasion d’analyser leurs pratiques évaluatives leur permet de développer une nouvelle culture de l’évaluation, d’autres postures et gestes professionnels ainsi que de nouvelles compétences évaluatives. Les processus de subjectivation-intersubjectivation sont liés au pouvoir d’agir des individus et des collectifs, à leur capacité à donner du sens à leur milieu et à se reconnaitre dans les prises de décision. Il y a diverses façons de se considérer comme sujet. C’est toujours dans une forme d’échappatoire à la pression des savoirs constitués et des pouvoirs dominants que s’expriment ces processus de subjectivation. La création d’un collectif professionnel d’expérimentation et d’analyse offre un espace d’observation privilégié aux constructions collectives et individuelles qui ne sont pas séparées. L’autre devient un miroir dans lequel on se reconnait plus ou moins ou pas du tout, une source d’inspiration ou de distanciation, mais aussi une ressource pour la construction collective d’un genre et d’un style professionnels (Clot et Faïta, 2000). Ceux-ci ne sont pas indépendants du processus d’intersubjectivation créé par le dispositif collectif, qui se manifeste dans la construction progressive d’un sens partagé de l’ESA, mais aussi de nouvelles règles de métiers et d’autres normes d’action profondément ancrées dans les trajectoires individuelles et sociales des individus.