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Introduction

Québec fait partie des villes désignées par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) pour accueillir tous les ans des personnes réfugiées prises en charge par le gouvernement provincial. Depuis 1978, les personnes reconnues réfugiées sont autorisées d’emblée à s’établir de manière permanente au Canada. Elles constituent environ 10 % de l’ensemble des immigrants admis au pays, pour une moyenne annuelle de 30 106 personnes réfugiées accueillies entre 2008 et 2017 (IRCC, 2017 ; 2018). À l’échelle québécoise et pour la même période, la moyenne annuelle se situe à 5797 individus, alors que dans la région de la Capitale-Nationale, qui nous intéresse plus spécifiquement dans cet article, elle est de 420 personnes (MICC, 2013 ; MIDI, 2018). Cette région comptait en 2016 un total de 37 290 personnes immigrantes et 5190 personnes résidentes temporaires, constituant 6,2 % de la population totale (Statistique Canada, 2016). Ces réfugiés, au cours de la dernière décennie, provenaient du Bhoutan, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la République centrafricaine, de la République démocratique du Congo et de la Syrie (Centre multiethnique de Québec, 2016 ; 2018). Nous nous sommes intéressées à cette population et avons cherché à mieux comprendre comment des activités musicales interculturelles pratiquées en groupe en compagnie de Canadiens ou de résidents permanents pouvaient favoriser l’intégration sociale et le bien-être psychologique de ces personnes réfugiées. Nous présentons ici notre démarche et nos analyses.

Le bien-Être et l’intÉgration des RÉFUGIÉS : ce que la recherche en dit

Les défis à l’insertion des réfugiés

Les personnes réfugiées sélectionnées à l’étranger par le Canada possèdent officiellement, dès leur arrivée, les mêmes droits dont jouissent les citoyens, à l’exception de ceux de voter, d’être élues et de posséder un passeport canadien. Néanmoins, on remarque que de nombreux obstacles et défis persistent et entravent une intégration satisfaisante pour de nombreux réfugiés, tant sur le plan de la langue, de l’emploi, du vécu social que de la santé mentale.

Plusieurs chercheurs ont constaté que la connaissance, ou même la maîtrise de la langue officielle d’un pays, sont indispensables à une intégration globale réussie puisque ce capital humain permet de faire reconnaître ses compétences et ses expériences (Lanoie, 2018 ; Sorgen, 2015). Par ailleurs, l’étude de Gauthier et al. (2010) montre bien que l’acquisition de la langue du pays d’accueil ne saurait garantir à elle seule une intégration satisfaisante et qu’elle peut même parfois se révéler une nouvelle source de marginalisation, alors que les « allophones se perçoivent souvent en situation de déficience par rapport à l’autorité naturalisée des locuteurs natifs », et que le français acquis est souvent jugé inutilisable par les autres locuteurs (Roussel, 2018, p. 85).

L’accès à un emploi est un second facteur fréquemment évoqué comme favorisant l’intégration des immigrants et des réfugiés à leur nouvelle société, mais de nombreux obstacles à cet égard ont été documentés encore récemment au Canada (Béji et Pellerin, 2010 ; Chicha et Gil, 2018 ; Eid, 2012). On connaît assez bien les difficultés rencontrées par les nouveaux arrivants quant à la reconnaissance de leurs diplômes scolaires et de leur expérience de travail obtenus à l’extérieur du Canada, particulièrement lorsque les personnes sont originaires de pays dits du Sud (Chicha et Gil, 2018), tout comme la discrimination basée sur le nom lors des processus d’embauche (Eid, 2012). De plus, au Québec et dans la ville de Québec, les taux de chômage des immigrants demeurent largement supérieurs à ceux des non-immigrants et les revenus des premiers largement inférieurs à ceux des seconds (Statistique Canada, 2016).

Sur un autre plan, le fait de compter sur des liens sociaux, par lesquels expérimenter une reconnaissance ontologique et au sein desquels trouver le soutien nécessaire à la résolution des défis quotidiens, est reconnu comme besoin humain universel. Combler ce besoin chez les personnes réfugiées apparaît particulièrement crucial, vu la rupture souvent abrupte vécue avec le pays d’origine et les drames caractérisant leur vécu prémigratoire. La violence organisée dont ces personnes ont été victimes a justement cherché à fragiliser leurs liens sociaux (Rousseau, 2000). Fortement susceptibles de vivre de l’isolement physique et social en exil, les réfugiés cherchent à reconstruire des réseaux sociaux pour le rétablissement de leur bien-être (Beirens et al., 2007). Le sentiment d’inclusion sociale joue fortement sur le bien-être des réfugiés. Dans cette ligne, la perception de vivre de la discrimination et de l’intimidation a été identifiée comme étant le facteur entravant le plus fortement leur bien-être (Correa-Velez, Gifford et Barnett, 2010).

La détresse psychologique touche de nombreuses personnes réfugiées, en raison de la persécution et des traumatismes vécus avant l’exil, mais aussi des conditions souvent adverses auxquelles elles font face dans le pays d’accueil (Carlsson et Sonne, 2018 ; Miller et Rasmussen, 2016). Parmi les conditions d’accueil les plus nocives semble se trouver la détention souvent utilisée envers les demandeurs d’asile. Même de courte durée, elle entraîne des taux de symptômes de stress post-traumatique, de dépression et d’anxiété supérieurs à ceux des demandeurs d’asile non détenus (Cleveland et Rousseau, 2013) et peuvent avoir des conséquences à long terme, même chez les enfants (Kronick, Rousseau, et Cleveland, 2015). L’isolement, la discrimination et l’exclusion sociale font partie des réalités influençant négativement la santé psychique des personnes réfugiées ou en situation semblable. Or, au Canada, on a justement documenté une augmentation marquée de la discrimination perçue par les Arabes musulmans et non musulmans ainsi que par les Haïtiens à Montréal depuis les attentats au World Trade Center en 2001. En corollaire, on a aussi observé une augmentation de la détresse psychologique chez ces personnes (Rousseau et al., 2011). En somme, bien que les réfugiés établis au Canada comptent sur une stabilité et une sécurité ontologique fournies par un statut légal accordant une panoplie de droits, leur inclusion sociale ne va pas de soi.

Le pouvoir de la musique

Plusieurs recherches réalisées en ethnomusicologie, en musicothérapie et en ethnologie notamment ont étudié la manière dont la participation à des activités musicales peut aider des réfugiés dans leur vie. Ces études mettent en lumière quatre aspects principaux. Premièrement, il semble bien établi que la musique peut contribuer au bien-être général de personnes réfugiées. Plusieurs recherches réalisées auprès de populations réfugiées ont démontré la capacité de la musique à atténuer leurs émotions négatives, à réduire leur niveau de stress, à améliorer la qualité de leur sommeil, à rétablir leur sentiment de sécurité et à renforcer leur capacité de résilience (Choi, 2010 ; Crawford, 2017 ; D’Ardenne et Kiyendeye, 2014 ; Hunt, 2005 ; Jespersen et Vuust, 2012 ; Lenette et al., 2015 ; Marsh, 2017 ; Millar et Warwick, 2019 ; Orth, 2005 ; Sunderland et al., 2015).

Deuxièmement, les pratiques artistiques, dont celle de la musique, agissent positivement sur l’identité culturelle de réfugiés et d’immigrants, notamment sur l’affirmation, la valorisation et la transformation identitaires (Kenny, 2018 ; Talmon, 2004). Pour qu’un immigrant s’intègre culturellement dans son nouveau milieu de vie, il doit maintenir son identité culturelle tout en contribuant et en intégrant des éléments de la culture dominante, mais pour y arriver, la société d’accueil doit lui offrir des lieux d’affirmation et de mise en valeur de son identité culturelle en vue de favoriser un contact social interculturel (Lewis, 2015 ; Talmon, 2004). Des chercheurs québécois ont expérimenté, à ce titre, des pratiques de médiations interculturelles par le biais du théâtre, de la danse et de la musique et ils ont tous observé des retombées positives sur l’ouverture à l’autre, sur le rapprochement interculturel et sur le développement d’un sentiment d’appartenance à la société d’accueil (Guilbert, 2009 ; Lapointe Therrien, 2008 ; Talmon, 2004).

Troisièmement, participer à des activités musicales favoriserait la compréhension mutuelle et la reconnaissance de l’autre, facilitant ainsi la sensibilisation de la population locale à l’égard des réfugiés (Crawford, 2017). La Norvège a implanté des programmes musicaux interculturels visant à contrer le racisme dans plusieurs écoles qui ont renforcé les relations entre les divers groupes culturels étudiés (Bergh, 2010 ; Skyllstad, 1997). Ailleurs, des projets musicaux réalisés dans un camp palestinien ont permis aux participants, des étudiants en enseignement de la musique, de mieux comprendre la réalité des réfugiés (Broeske-Danielsen, 2013).

Quatrièmement, la participation à des projets musicaux contribuerait à la construction de nouveaux réseaux sociaux et à une meilleure connexion avec la population de la société d’accueil (de Quadros et Vu, 2017 ; Kjaersti Raanaas, Ørstavik Aase et Huot, 2019). Choi (2010) a démontré que des ateliers musicaux axés sur le chant, l’improvisation, l’écoute musicale et l’analyse de chansons ont aidé des réfugiés nord-coréens à modifier leur façon d’entrer en relation avec les autres et à développer un sentiment d’appartenance sociale. Toutefois, pour favoriser l’émergence de tels résultats, les activités musicales devraient être non dirigées et réalisées à partir de l’intérêt musical des participants ; avoir des objectifs communs stimulant l’engagement et la coopération ; permettre des rencontres répétées et prolongées entre les individus ; offrir des espaces de discussion après les activités musicales et établir des liens avec la communauté (Bergh, 2010).

Si les projets musicaux recensés ont montré de nombreux résultats favorables en regard de l’intégration des réfugiés, Bergh (2010) met par ailleurs en garde à l’effet que la musique n’aurait pas un pouvoir en soi, et aurait peu de portée, lorsqu’elle est déconnectée du contexte global de vie des personnes.

Comment appréhender les notions de bien-être psychologique et d’intégration ?

Les notions de bien-être psychologique et d’intégration des réfugiés sont au coeur de notre démarche. Dans les deux cas, nous nous sommes inscrites dans un paradigme constructiviste et nous avons adopté une approche axée sur la subjectivité des participants et sur les représentations fournies par ceux-ci. En ce qui concerne plus spécifiquement la notion de bien-être psychologique prise en compte dans cet article, nous avons voulu saisir la perception des personnes face au sentiment d’être bien lors des activités musicales de groupe, sans cadrage prédéterminé. Nous leur avons demandé ce que le projet leur avait apporté, et notamment ce qu’il leur avait apporté de bon, de positif ou d’agréable. Quant à l’intégration, nous nous sommes inscrites en cohérence avec la définition promue au Québec par la Table de concertation des organismes au service des personnes immigrantes et réfugiées. Dans cette perspective, nous envisagions l’intégration comme un processus multidimensionnel, bidirectionnel, graduel, continu, individuel et encadré (TCRI, 2005). En ce sens, l’intégration implique plusieurs sphères de la vie (linguistique, économique, sociale, culturelle, politique et religieuse) et elle évolue souvent de manière différenciée selon ces sphères, et ce, tout au long de la vie. Ce processus implique à la fois les nouveaux arrivants et les individus et les structures de la société d’accueil. Finalement, ce processus est vécu de manière unique par chacun et est influencé par un contexte familial et sociétal spécifique aussi à chacun. C’est donc à l’intérieur de ce large cadre que nous avons questionné les participants sur l’intégration.

MÉthodologie de la recherche

Notre recherche voulait identifier et mieux comprendre les principaux aspects d’une démarche musicale de groupe qui favorisent l’intégration sociale et le bien-être psychologique des personnes réfugiées. Pour y arriver, nous avons développé une démarche de groupe composé de Québécois de longue date, natifs ou non, et de réfugiés nouvellement arrivés. La démarche s’est déroulée au Laboratoire de recherche en formation auditive et didactique instrumentale (LaFARDI) de la faculté de musique de l’Université Laval, un espace doté de nombreux instruments musicaux et d’outils technologiques de pointe pour la pratique, l’écoute et l’enregistrement de la musique, un espace qui s’est révélé très propice pour nos activités.

Le groupe était composé de vingt adultes, dont dix réfugiés arrivés depuis moins d’un an, à l’exception d’une femme arrivée depuis quatre ans (trois femmes et sept hommes), et dix Québécois de longue date (quatre femmes et six hommes). Les participants québécois ont été recrutés au sein de chorales de la ville et par le bouche à oreille. Les participants réfugiés ont été recrutés par des annonces dans les organismes communautaires fréquentés par cette population. Ils devaient 1) avoir un intérêt marqué envers la musique et 2) avoir le désir de réaliser des activités musicales en groupe, sans nécessairement posséder des compétences musicales. À ce titre, si la plupart des participants québécois pratiquaient régulièrement la musique en amateur mais de façon organisée, ce n’était pas le cas chez les réfugiés, à deux exceptions près. Le groupe s’est réuni à dix reprises pendant deux heures, les samedis matin de l’automne 2017, en plus de quelques rencontres de nature récréative, par exemple à l’approche de Noël. Le nombre de participants moyen présents aux rencontres fut de 16 personnes. Les rencontres étaient animées par trois personnes-ressources, deux centrées sur la dimension musicale, l’autre sur la dimension sociale, et se déroulaient selon le plan suivant : d’abord une activité de réchauffement physique et vocal, suivi de la présentation de chants par les participants, d’une pause pour socialiser davantage, de jeux instrumentaux selon le goût des participants et d’une activité de composition collective, suggérée par les participants à partir de la quatrième rencontre. Les enfants des participants étaient aussi admis et bénéficiaient d’animations, en parallèle ou conjointement aux activités du groupe d’adultes. Cette stratégie, comme celle d’instaurer une formule de covoiturage entre les personnes possédant une voiture et celles n’en ayant pas, a amélioré l’accessibilité de l’activité.

Nous avons adopté une approche de recherche mixte, impliquant des données qualitatives et quantitatives. Trois entrevues individuelles semi-dirigées ont été réalisées auprès des 20 participants avant le début de la démarche, vers la fin de la démarche et environ neuf mois après la fin de la démarche. Quelques entrevues ont été réalisées avec l’aide d’un interprète. Deux mesures de bien-être ont aussi été passées avec chacune des personnes : le Perceivend community support questionnaire de Herrero et Gracia (2007) et le Questionnaire Warwick-Edinburgh mental well-being scale (Tennant et al., 2007) avant et après la démarche d’intervention. De plus, les rencontres de groupe ont été filmées intégralement grâce à un système d’enregistrement intégré au LaFARDI, afin de permettre une observation fine des interactions. Par ailleurs, les données utilisées dans le cadre de cet article sont essentiellement qualitatives et issues des entrevues individuelles semi-dirigées. Elles ont été analysées selon la logique de l’analyse de contenu (Bardin, 1977) avec l’aide du logiciel Nvivo.

Comment une dÉmarche musicale interculturelle de groupe influence-t-elle le bien-Être psychologique et l’intÉgration des rÉfugiÉs ?

L’intervention musicale de groupe a rassemblé 20 personnes originaires de Syrie (8), du Québec (6), d’Algérie (2), du Maroc (2), de Birmanie (1) et du Congo (1). Les participants réfugiés étaient âgés dans la vingtaine et dans la trentaine, alors que les participants québécois de longue date étaient âgés entre la trentaine et la soixantaine, la moitié étant des personnes retraitées. La démarche a donné lieu, à la suggestion des participants, à la composition collective d’une chanson intitulée « La langue de nos âmes » (dont la musique a été composée par l’animatrice musicienne), à son enregistrement dans les studios universitaires, à la production d’un vidéo-clip[1] et à la présentation de cette chanson dans plusieurs événements publics dans la région de Québec, comme lors des commémorations, en janvier 2018, du premier anniversaire de la fusillade survenue au Centre culturel islamique de Québec.

Aucun des participants n’était un professionnel de la musique et leurs compétences dans le domaine variaient considérablement d’un participant à l’autre, mais tous en avaient une représentation préalable très positive. Ils ont été nombreux à associer la musique à la « joie », à la « bonne humeur », à la « lumière », aux « rapprochements », à une « langue universelle », au « coeur et à l’âme » et aux « sentiments heureux ».

Le sentiment de bien-être

Lors des deuxième et troisième entrevues individuelles, nous avons demandé aux participants ce que le projet leur procurait. Il est clairement apparu de leurs propos que la participation au groupe musical interculturel a contribué à améliorer le sentiment de bien-être chez une majorité d’entre eux et en particulier chez la totalité des réfugiés et des autres résidents permanents du groupe. Les interlocuteurs issus de l’immigration ont à l’unanimité affirmé que cette participation leur avait procuré le sentiment d’être « heureux », « chanceux », « joyeux », « énergiques », « contents », « à sa place », « bien », « relax » ou « en confiance ». Chez les personnes québécoises natives, l’amélioration du sentiment de bien-être n’a pas été ressentie par toutes. Certaines ont affirmé avoir intégré la démarche par devoir moral envers les réfugiés et non pour elles-mêmes, et donc n’ont pas ressenti le besoin d’une telle activité pour améliorer leur propre bien-être. En ce sens, elles n’ont pas ressenti de modifications à leur sentiment de bien-être, mais plutôt une satisfaction face au devoir accompli.

La perception d’intégration

Tel que mentionné précédemment, nous avons abordé l’intégration de manière subjective et ouverte, afin de laisser place aux représentations. À la question de ce que signifie pour elles l’intégration, quatre dimensions sont ressorties, dont deux prédominantes et deux mineures. Tous les répondants réfugiés et une majorité des répondants Québécois de longue date ont insisté sur une (1) dimension cognitive de l’intégration et presque tous les participants des deux sous-groupes ont aussi insisté sur une (2) dimension relationnelle et émotive. Les dimensions ressorties avec moins d’appui touchaient (3) la participation et (4) la normativité. Notons que toutes ces dimensions apparaissent reliées et complémentaires. La dimension cognitive importante pour les participants regroupe toutes les affirmations touchant à la nécessité de connaître et de comprendre la société québécoise, notamment son système, sa culture, sa langue de communication et ses modes de vie. Il s’agit ici pour eux d’en comprendre ses différentes sphères, ce qui renforce le sentiment de compétence chez les personnes réfugiées, mais non d’en adopter les paramètres. La dimension relationnelle aussi prioritaire chez nos répondants regroupe pour sa part tous les énoncés traitant des liens interpersonnels et de l’acceptation, du respect et de l’appréciation mutuels, dans la différence. La dimension participative réfère au fait de pouvoir réaliser un projet de vie, de participer aux activités de la société ou d’avoir un emploi. Finalement, la dimension normative regroupe les affirmations touchant l’adoption de la culture et des valeurs québécoises, le fait d’agir en cohérence avec les gens, de ne pas créer de discordes et de parler français tel qu’attendu par autrui. Cette dernière dimension est surtout apparue dans les propos des Québécois natifs. En somme, chez les personnes rencontrées, se sentir intégrées au Québec tient, en ordre d’importance, aux faits de comprendre la société dans laquelle elles se trouvent, d’être en relation respectueuse avec ses citoyens, d’y participer activement et, surtout pour des Québécois de longue date, de se conformer à différentes normes sociales ambiantes.

À la question subséquente de comment une telle activité pouvait contribuer à l’intégration des réfugiés à la société, les éléments variaient selon les Québécois de longue date et les réfugiés nouvellement arrivés. Pour les Québécois, l’expérience aurait surtout permis de développer leur ouverture d’esprit, de connaître et d’écouter davantage de musique de partout, de mieux comprendre le vécu des réfugiés, de développer de l’empathie à leur endroit et finalement de mieux connaître et comprendre la culture des autres. Une femme et un homme québécois l’ont exprimé en ces termes : « Je dirais que la plus grosse différence est l’ouverture d’esprit et la compréhension envers les réfugiés » (Québécoise native 3). « Ça a élargi ma vision des réfugiés. Ça m’a permis de parler davantage du sujet des réfugiés avec mes amis, beaucoup, beaucoup » (Québécois natif 8).

Chez les réfugiés, l’expérience a permis de développer plusieurs facteurs jugés favorables à leur intégration, notamment d’établir des liens avec des gens du Québec, de communiquer malgré la limite de la langue, de se sentir épanouis, d’en connaître davantage et de mieux comprendre les réalités québécoises. En effet, établir de nouveaux liens avec des gens du Québec est perçu comme contributif à l’intégration dans le contexte où de tels liens apparaissent difficiles à créer :

[Au début] on se sentait distant et on n’arrive pas à affronter notre peur pour aller vers quelqu’un et aller vers les gens, mais c’est grâce à ce projet-là qu’il y a eu des échanges et on s’est vraiment approché des Québécois et nous avons une très belle image des Québécois alors que si on reste loin, on serait resté sur une image [mauvaise]

réfugiée 8

Les liens établis sont particulièrement appréciés alors que la musique fait vibrer l’ensemble des participants. Certains ont exprimé avoir enfin pu, grâce à la musique, communiquer malgré la limite linguistique. Finalement, les notions d’acquérir des connaissances, mais surtout de mieux se comprendre mutuellement font écho à la notion d’intégration pour les réfugiés, comme chez celui-ci :

À l’intérieur de ce groupe, il a pu comprendre, avoir des outils pour mieux s’intégrer. Il dit qu’on comprend de près la façon de voir les choses, la façon dont les autres réfléchissent et cela l’a aidé à comprendre la culture québécoise

réfugié 2

Nous regroupons dans le tableau suivant les éléments de la démarche ayant contribué à alimenter les quatre dimensions de l’intégration formulées par les répondants.

Tableau 1

Éléments ayant contribué à l’atteinte des quatre dimensions de l’intégration

Éléments ayant contribué à l’atteinte des quatre dimensions de l’intégration

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L’élément charnière : la création collective

Dans la démarche, un élément s’est révélé particulièrement efficace pour l’apparition de sentiments positifs face à la démarche : la création collective sur laquelle les participants ont travaillé à partir de la quatrième semaine du projet. La composition de la chanson, avec la construction d’un message collectif centré sur le vivre-ensemble dans une société où s’installent des réfugiés fuyant la guerre et la persécution, a été très puissante. Les participants québécois et réfugiés l’ont exprimé de diverses manières, comme ces deux personnes : « Le top, top, c’est la chanson que nous avons faite. La chanson avec l’enregistrement, c’était vraiment wow ! ! » (Québécoise immigrante 9). « La meilleure chose, c’est la création, la chanson, nous avons chantée ensemble. En studio c’était magnifique. Nous sommes une vraie équipe, le même esprit » (réfugié 9).

Globalement, l’expérience a permis l’amélioration du sentiment de bien-être, non seulement des réfugiés participant au projet, mais aussi d’une majorité des Québécois de longue date. Elle a également permis d’améliorer le sentiment d’intégration à la société des participants.

Discussion autour de l’intÉgration et du bien-Être des rÉfugiÉs grÂce À la pratique de la musique en groupe interculturel

Quelques constats à la lumière des écrits scientifiques les ayant précédés au sujet de l’intégration et du bien-être des réfugiés ainsi que du rôle de la musique. Tout d’abord, notre approche axée sur la subjectivité des participants a fait émerger des représentations moins tangibles de l’intégration, surtout ancrées sur la compréhension et la relation, s’écartant des facteurs économiques et linguistiques souvent placés à l’avant-plan de la littérature scientifique sur l’intégration des immigrants et des réfugiés. Nos observations nous permettent notamment de renchérir sur les propos de Gauthier et al. (2010) voulant que la maîtrise de la langue, bien que souhaitée par la plupart, ne peut à elle seule mener vers une intégration satisfaisante. Plus encore, nous notons un intérêt plus utilitaire qu’affectif ou identitaire à l’égard de la langue de la majorité des personnes qui font mention de son importance, ce qui vient nuancer des observations déjà colligées au sujet du rapport à la langue par d’autres auteurs comme Grenier et Nadeau (2010) et Sorgen (2015).

Nos observations nous amènent aussi à relativiser davantage la préséance souvent accordée à l’accès à l’emploi dans la littérature scientifique comme indicateur d’intégration. À ce sujet, les répondants ont très peu fait mention des aspects économiques ou professionnels liés à l’intégration, pour privilégier nettement des aspects moins tangibles comme ceux liés à la connaissance et à la compréhension de la société et aux relations respectueuses avec ses citoyens. Pour eux, c’est le sentiment de comprendre la société dans laquelle ils se trouvent et d’être compris et acceptés par ses citoyens qui contribue le plus à leur sentiment d’être intégrés.

Sur le plan du bien-être, nous pouvons avancer que les participants réfugiés à notre projet avaient tous vécu une fragilisation importance de leurs liens sociaux en raison de la violence organisée dont ils ont été les proies avant leur arrivée au Canada (Rousseau, 2000). Cette participation a contribué à la reconstruction nécessaire de leurs réseaux sociaux et, par ricochet, à l’amélioration de leur bien-être (Beirens et al., 2007). En brisant l’isolement vécu, voire l’exclusion sociale ressentie, cette initiative contribue à l’amélioration des conditions d’accueil, en substituant l’isolement ou l’exclusion vécue par un sentiment d’inclusion sociale favorable à leur bien-être (Correa-Velez, Gifford et Barnett, 2010), d’autant plus que les réfugiés et les résidents permanents participants étaient en grande majorité arabes ou musulmans et qu’il a été démontré que cette population est particulièrement touchée par la discrimination au Canada (Rousseau et al., 2011).

L’atout que représente l’usage de la musique en groupe pour améliorer le bien-être général des personnes réfugiées a aussi été mis en évidence et nos constats renforcent ceux déjà faits à cet égard dans d’autres études, dont certaines menées récemment (Crawford, 2017 ; Marsh, 2017 ; Millar et Warwick, 2019). Au cours de notre démarche, les participants réfugiés et résidents permanents, plus que les Québécois natifs, ont exprimé avoir davantage de pensées positives et moins de stress qu’à l’habitude depuis leur arrivée au pays. Le partage de chansons et de musiques issues des univers culturels des réfugiés a contribué à leur affirmation et à leur valorisation (Kenny, 2018), ce qui a par ricochet alimenté le sentiment d’être reconnus et d’être bien. Leur déficit à cet égard était plus important que chez les participants québécois natifs. Ces participants y ont donc trouvé un lieu d’affirmation et de reconnaissance de leur identité culturelle propice aux rapprochements interculturels déjà vantés par des auteurs comme Guilbert (2009), Lewis (2015) et Talmon (2004).

Il semble donc que la dimension interculturelle du groupe ait joué positivement sur l’intégration et sur le bien-être des participants. La mise en relation étroite de participants issus de la société d’accueil et de nouveaux arrivants réfugiés a rendu possible un processus de sensibilisation et de reconnaissance mutuelle entre les personnes de ces deux sous-groupes. Les participants québécois ont, par exemple, exprimé avoir mieux compris la réalité des réfugiés grâce au temps partagé avec eux. Les retombées vont à ce chapitre dans le même sens que d’autres études partageant la dimension interculturelle ou les contacts étroits avec l’Autre (Crawford, 2017 ; Guilbert, 2009 ; Lapointe-Therrien, 2008 ; Marsh, 2017 ; Prévost, 2012). Cette mise en relation a de surcroît permis la consolidation de connexions significatives avec des membres de la société d’accueil de laquelle découle l’apparition d’un sentiment d’appartenance sociale auparavant inexistant.

Pour terminer cette discussion, il apparaît incontournable de se pencher sur le point saillant de la démarche tel qu’identifié unanimement par les participants, soit la création collective qui en a résulté. Son caractère si déterminant au coeur de la démarche, selon l’appréciation des répondants, semble tenir étroitement à la présence des éléments déterminants formulés par Bergh (2010), c’est-à-dire que le projet : 1) reposait sur une idée musicale proposée et partagée par tous les participants ; 2) proposait un objectif partagé par tous et qui engageait une grande dose de coopération ; 3) comprenait des rencontres répétées et prolongées entre les participants et, finalement ; 4) permettait des discussions et des rencontres hors des activités musicales à proprement parler ainsi que des liens avec la communauté.

Conclusion

La réalisation du groupe musical interculturel composé de 20 Québécois et réfugiés visait à comprendre comment une telle démarche pouvait favoriser l’intégration sociale et le bien-être psychologique de réfugiés nouvellement arrivés à Québec. Les propos recueillis auprès des participants, avant, pendant et après les activités, démontrent clairement qu’une telle démarche peut effectivement améliorer le sentiment de bien-être des réfugiés et des autres participants ainsi que contribuer à certains aspects de l’intégration des réfugiés à leur nouvelle société. Aux yeux des participants, le projet a permis une plus grande ouverture d’esprit et une meilleure empathie face à l’Autre, un sentiment d’avoir trouvé une place dans la société et une connaissance et une compréhension de l’Autre qui se déploient dans une meilleure appréciation et un plus grand respect de l’Autre. De surcroît, plusieurs ont vécu cette expérience avec une grande fierté : « C’est une fierté d’avoir participé à un si beau projet et ça va marquer une bonne partie de ma vie » (Québécoise native 3), et pour certains, elle a eu un impact important sur leur vie : « Il y avait beaucoup de choses difficiles pour moi, ma famille, mes parents, pour la météo, le climat, la langue. Il y a beaucoup de changements, et le fait de venir ici [au projet], ma vie a totalement changé » (réfugiée 8). En somme, ce projet musical de groupe et interculturel a permis l’amélioration du bien-être et de l’intégration des participants, en raison précisément de son caractère groupal, de sa composition interculturelle, de son fonctionnement flexible et prolongé, marqué par la coopération et la reconnaissance mutuelle et mettant la culture et les idées des participants à l’avant-plan.