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L’hétérosexualité est un objet de débats parmi les féministes radicales et les lesbiennes depuis les années 70, et à ces discussions s’ajoutent les queers au tournant des années 90. Malgré leurs divergences, ces perspectives contestent la réduction de l’hétérosexualité à une orientation sexuelle naturalisée, parce qu’elles mettent au jour ses dimensions subjectives, normatives et politiques. En ce sens, l’intérêt du présent article est de mettre en évidence, à partir de la philosophie politique, les idées maîtresses de ces théorisations de l’hétérosexualité pour en revaloriser la pertinence au bénéfice des féministes de l’époque actuelle. Je m’interrogerai sur l’apport intrinsèque et les limites des théorisations féministes lesbiennes, lesbiennes radicales et queers à la compréhension de l’hétérosexualité, peu importe l’orientation sexuelle.

Deux formes de contribution aux champs des études féministes dans la francophonie sont visées. La première est d’ordre théorique et retrace les principales problématisations de l’hétérosexualité. En fait, des démarches similaires, mais plus retreintes sur la période étudiée et pas du point de vue des personnes hétérosexuelles, peuvent être consultées dans des versions anglophones (Jackson et Scott 2010; Richardson 1996), à l’exception d’une traduction vers le français d’un texte de Stevi Jackson (1996) et de l’ouvrage de Jonathan Ned Katz (2001) sur l’invention de l’hétérosexualité.

La seconde forme de contribution est d’ordre politique et discute des usages, du point de vue des personnes hétérosexuelles, des moyens d’action proposés dans ces théories à l’encontre des aspects hiérarchiques et hégémoniques de l’hétérosexualité. Considérant la persistance des inégalités entre les partenaires d’orientation hétérosexuelle, il me semble nécessaire de reconnaître, comme le proposent les lesbiennes et les queers, le rôle structurel de l’hétérosexualité dans le maintien de ces réalités, mais aussi de s’interroger sur la part attribuable aux personnes investies dans ces relations. Je n’insinue pas que les couples non hétérosexuels seraient exempts de rapports de pouvoir de classe ou de race. Par exemple, il est documenté qu’il existe un accroissement des inégalités entre les partenaires au moment de devenir parents (Goldberg 2010). L’hétérosexualité reste une norme à laquelle ces couples doivent faire face, comme c’est le cas des personnes dont les identifications sexuelles et de genre ne correspondent pas aux stéréotypes du féminin et du masculin, qu’il soit question des lesbiennes, des homosexuels, des queers ou des trans*[2] (Banerjea et autres 2019; Chetcuti 2010; Fidolini 2017). En somme, l’hétérosexualité demeure hégémonique et coextensive aux systèmes de domination, comme le sexisme, le racisme, le capitalisme avancé et le capacitisme.

Malgré cela, je me propose ici de discuter des formes de contribution et des usages des théories des lesbiennes et des queers pour les hétérosexuelles. Pour ce faire, je présenterai d’abord les principales théories de l’hétérosexualité. Ensuite, je ferai état des problématisations offertes par les féministes hétérosexuelles. Enfin, je me pencherai sur les moyens d’action proposés à l’encontre de l’hétérosexualité.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’estime que des explications de méthodes s’imposent. La présente discussion s’insère dans un travail plus vaste d’une thèse de philosophie politique sur l’agentivité féministe dans l’hétérosexualité contemporaine en Occident (Mayer 2018). Dans ce contexte, j’ai élaboré une cartographie pour recenser et analyser, selon une approche d’analyse critique des discours (Peñafiel 2013; Van Dijk 2001), les idées maîtresses des théories proposées par des féministes, des lesbiennes et des queers de 1970 à 2017[3]. Je n’expose dans les pages qui suivent qu’une partie de ce travail en m’attachant aux modifications dans les manières de problématiser l’hétérosexualité. Ma démarche met en évidence les textes d’Adrienne Rich, de Monique Wittig, de Judith Butler et de Stevi Jackson, dont l’influence est aussi reconnue par d’autres (Dean et Fischer 2019; Jackson et Scott 2010; Katz 2001; Richardson 1996). Cependant, ces débats vont au-delà de ces quatre théoriciennes, si l’on considère le nombre d’intervenantes et d’intervenants (je ne mentionne ci-dessous que quelques figures bien connues sur la soixantaine de textes analysés) et leur dynamique qui est tantôt sous le signe du dialogue, tantôt marquée d’acrimonie[4]. Dans mon analyse, je m’intéresse aux définitions proposées de l’hétérosexualité, aux aspects désignés comme problématiques et aux actions envisagées à l’égard de ces enjeux. En somme, je tiens compte de la perspective théorique des auteures et des contextes politiques afin d’exposer la trame historique de ces débats sur l’hétérosexualité.

De la « contrainte à l’hétérosexualité » à la « matrice hétérosexuelle »

Il est intéressant de rappeler que le psychologue étatsunien James G. Kiernan est le premier, en 1892, à employer le mot « hétérosexualité » pour désigner une sexualité qualifiée de perverse et dépravée, lorsqu’elle n’est pas strictement reproductrice. Si le mot apparaît, l’hétérosexualité n’est pas nécessairement relevée par les féministes du début du xxe siècle[5] qui montrent pourtant les liens entre les inégalités de genre et les structures sociales comme le mariage, la famille et le droit. Ce sont plutôt les années 70 qui s’avèrent propices à la critique de l’hétérosexualité en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Il faut considérer les effets convergents suivants : le destin biologique des femmes est remis en doute (Beauvoir 1949); les enquêtes sur la sexualité contestent la naturalité de certaines pratiques et exposent leur diversité (Gagnon et Simon 1973; Masters et Johnson 1966); la révolution sexuelle s’oppose à la morale et critique la fidélité et le mariage bourgeois (Giami et Herkma 2015); les mouvements de libération gais et lesbiens contribuent alors à une lente acceptation de l’homosexualité permettant sa décriminalisation (Demczuk et Remiggi 1998; Weeks 2007). Ce faisant, les années qui suivent seront charnières pour l’essor de théories de l’hétérosexualité dont je présente les trois phases majeures dans la première partie de mon article.

C’est au sein du féminisme radical des années 70 que sont proposées les premières critiques de l’hétérosexualité, mouvement visant la radicalisation de la frange libérale du féminisme en dirigeant l’attention sur des enjeux du privé. Les tendances radicales qui se consolident des deux côtés de l’Atlantique sont plurielles certes[6], mais partagent une révolte contre les systèmes qui instrumentalisent la nature différenciée pour légitimer l’oppression des femmes et la suprématie des hommes. L’analyse radicale moniste du patriarcat fait l’objet de contestation et de bonification par, entre autres, le Combahee River Collective (1978), organisation radicale étatsunienne féministe lesbienne qui relie les oppressions hétérosexuelle, raciste et capitaliste. Le féminisme radical anglo-américain rend possible la critique de l’hétérosexualité par la politisation qu’il induit des rapports intimes entre les femmes et les hommes (Firestone 1972). Par exemple, cela permet de dénoncer le caractère phallocentré de la sexualité[7], ses dimensions violentes comme le viol (Millett 1970) et les formes d’exploitation du corps des femmes par la pornographie ou la prostitution (Dworkin 1981). Cependant, pour faire apparaître plus clairement la dimension « hétéro » de la sexualité et la relier au patriarcat, il a fallu que des féministes lesbiennes, plus visibles dans les mouvements de libération des femmes aussi associées à une perspective radicale, contestent la présomption d’hétérosexualité dans les discours féministes sur « la » sexualité. En 1972, elles sont les premières à employer le terme « hétérosexisme[8] » (Herek 2004). Les perspectives féministes radicales et féministes lesbiennes sur l’hétérosexualité se rapprochent de la proposition d’Adrienne Rich, poétesse et théoricienne étatsunienne publiée d’abord en 1980 : « Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence ». Dans le texte d’Adrienne Rich (1981 : 20), l’hétérosexualité est une « institution politique » du patriarcat qui contraint toutes les femmes au mariage, exploite leur travail, impose une sexualité et invisibilise l’existence lesbienne. Penser l’hétérosexualité comme une institution suggère qu’elle ne peut pas être une préférence naturelle, mais une réalité « répandu[e] par la propagande et maintenu[e] par la force » d’après Rich (1981 : 31). Cette dernière en appelle à reconnaître et à dénoncer l’imposition, ce qui demande du courage, surtout pour les « hétérosexuellement identifiées », selon ses termes, mais permet de se libérer des hommes. Dans la première phase des débats, une contradiction s’établit entre le féminisme radical et l’hétérosexualité, car il devient suspect pour des féministes radicales d’être en relation intime avec des hommes considérant que cela n’est pas naturel, à l’origine d’oppressions, et que d’autres avenues sont proposées.

Durant les années 80 et 90, les lesbiennes radicales prolongent la critique de l’hétérosexualité suivant la perspective matérialiste près de la tradition française[9] et radicale issue du contexte anglo-américain (politisation de la sexualité). Les féministes radicales et les féministes lesbiennes n’iraient pas assez loin dans leurs analyses du privé et de l’antagonisme femmes-hommes en ne condamnant pas l’hétérosexualité, les hétérosexuelles et leurs oppresseurs (Groupe de Jussieu 1981; Jeffreys 1990; Turcotte 1998). Il est insuffisant de concevoir l’hétérosexualité comme une institution du patriarcat (tel que le suggère Rich). Les lesbiennes radicales convergent vers une définition de l’hétérosexualité en tant que « régime politique » autonome du patriarcat, pour reprendre les mots de Monique Wittig, romancière et théoricienne française faisant carrière aux États-Unis, dans son texte : « On ne naît pas femme » (1980), dont la contribution est déterminante. L’antagonisme entre les « classes de sexe[10] » repose sur l’hétérosexualité qui occupe un rôle central en société. Les lesbiennes radicales déplacent les luttes contre les formes patriarcales de l’hétérosexualité vers l’abolition de l’hétérosexualité et des catégories femmes-hommes (Jeffreys 1990). L’objectif d’abolir ces catégories repose sur l’idée selon laquelle les femmes sont « re-construites idéologiquement en un groupe naturel » (Wittig 1980 : 75) : être femme est la marque de l’oppression et les femmes ne sont des femmes que dans la société hétérosexuelle. De plus, les lesbiennes radicales insistent sur l’objectivation et la soumission des femmes dans la sexualité et sur les pouvoirs exercés par les hommes au moment de la pénétration. Ces propos apparaissent dans Love your Enemy? The Debate between Heterosexual Feminism and Political Lesbianism écrit à l’intention des hétérosexuelles par Leeds Revolutionary Feminist Group (1981), organisation anglaise lesbienne radicale. Cette conception négative de la sexualité cristallise la posture antisexe lors des controverses féministes sur le sexe (sex wars[11]) durant les années 80, associant hétérosexualité, violences des hommes et déplaisirs des femmes. Par ailleurs, les lesbiennes radicales contestent la légitimité des désirs hétérosexuels compris comme une « érotisation du pouvoir de la différence » (Jeffreys 1990 : 300) pour les femmes en général, mais pour les féministes en particulier. Des lesbiennes radicales croient que l’amour dépolitise les rapports antagoniques, ce qui pousserait les femmes à abandonner les luttes pour la libération les accusant de « collaborer avec l’oppresseur » (Groupe de Jussieu 1981 : 87). Dans la deuxième phase des débats, la pensée lesbienne radicale s’accompagne d’une injonction à quitter l’hétérosexualité, autrement dit la société « straight » comme la qualifie Wittig (2007), pour devenir lesbienne (une non-femme). Selon certaines, le maintien d’une relation hétérosexuelle est le signe d’une « conscience féministe dominée » (Turcotte 1998 : 374) faisant obstacle aux luttes de libération (Jeffrey 1990). C’est d’ailleurs l’incompatibilité entre les visées qui pousse les lesbiennes radicales à s’autonomiser du féminisme (Turcotte 1998).

À partir des années 90, les queers poursuivent la critique de l’hétérosexualité en fonction d’une perspective poststructuraliste, d’abord dans l’espace anglo-américain puis dans la francophonie où elles deviennent populaires. Les queers introduisent le concept d’hétéronormativité[12] problématisant d’une manière nouvelle, et déterminante pour la suite, la construction historique des normes et des discours sur l’hétérosexualité. Par le terme hétéronormativité, les queers désignent « l’ensemble des normes qui font que l’hétérosexualité semble naturelle ou normale et qui organisent l’homosexualité comme son opposé binaire » (Corber et Valocchi 2003 : 4; ma traduction). L’hétéronormativité va au-delà des préjugés ou des discriminations à l’encontre des gais, des lesbiennes et des minorités sexuelles et de genre[13] : elle produit tous les aspects de la vie sociale en se posant comme standard (Varela et Dhawan 2011 : 94). Les queers contribuent également à la compréhension du système hétéronormatif en montrant la cohérence stabilisée des grands concepts à la base de ce système : sexe, genre et sexualité. Dans son ouvrage Gender Trouble paru en 1990, Judith Butler, philosophe féministe et théoricienne queer étatsunienne, conçoit la cohérence stabilisée entre les concepts comme une « matrice hétérosexuelle » obligatoire et naturalisée. Cette matrice présuppose « un rapport causal entre le sexe, le genre et le désir [qui] implique que le désir reflète ou traduit le genre, et que le genre reflète ou traduit le désir » (Butler 2005 : 95). Critiquer la cohérence des termes permet de contester leur alignement naturalisé, mais aussi de dénoncer leur opposition binaire. Par ailleurs, la critique de la pensée binaire révèle que les catégories de l’hétérosexualité s’appuient sur des formations historiques stables (Corber et Valocchi 2003 : 3), par exemple : féminin/masculin; femme/homme; personne homosexuelle/ hétérosexuelle. Les queers contestent aussi l’exclusivité de ces binarités, leur incapacité à représenter la diversité par-delà les pôles opposés de la matrice hétérosexuelle (par exemple, le sexe n’est pas obligé d’induire le genre ou un genre ne doit pas obligatoirement désirer son opposé) ainsi que la hiérarchisation entre les deux termes (par exemple, l’hétérosexualité est préférable à l’homosexualité). Enfin, les queers critiquent précisément la dichotomie de l’orientation homosexuelle/ hétérosexuelle, et font ainsi apparaître des orientations sexuelles qui n’existent pas, surtout dans les discours, selon l’opposition traditionnelle (par exemple, les personnes bisexuelles ou pansexuelles). Contournant l’impasse des controverses sur le sexe, les perspectives queers deviennent un espace plus propice pour penser les plaisirs sexuels et pour célébrer une diversité de pratiques jusqu’alors exclue ou inconnue du plus grand nombre. Dans la troisième phase des débats, les queers introduisent avec succès le concept d’hétéronormativité illustrant les logiques dichotomiques qui privilégient les personnes qui y correspondent, au premier chef celles qui sont hétérosexuelles, et masquent l’existence d’articulations entre le sexe, le genre et les désirs qu’il faut rendre visibles en dérangeant ce régime du normal.

L’apport intrinsèque de ces théories lesbiennes et queers de l’hétérosexualité peut être synthétisé en quatre points :

  1. le processus historique stabilisé et le caractère normalisé de l’hétérosexualité sont dénoncés;

  2. l’hétérosexualité repose sur la cohérence naturalisée entre l’assignation sexuelle d’une personne, son expression de genre et ses désirs;

  3. les sociétés sont hétérosexistes et hétéronormatives, et elles se caractérisent par une hiérarchie entre les genres, les formes d’identités et de sexualités;

  4. les rapports de pouvoir dans l’hétérosexualité sont compris comme des privilèges pour le groupe social des hommes à l’encontre des femmes et pour les personnes hétérosexuelles au détriment de celles qui font partie de la communauté LGBTQ[14].

De ce dernier élément, il est permis de convenir du caractère équivoque de la position sociale des hétérosexuelles qui se dégage des idées politiques présentes dans ces théories. En fait, les hétérosexuelles se trouvent dans une position sociale marquée au sceau du patriarcat et de l’hétéronormativité. D’un côté, ces dernières maintiennent (ou engagent) une relation intime avec ceux que l’on désigne comme le groupe dominant – les hommes –, même s’il a été démontré par les féministes lesbiennes et les lesbiennes radicales que l’hétérosexualité n’a rien d’une préférence, mais résulte d’une obligation politique. De l’autre, elles se voient privilégiées par des normes hétéronormatives qui leur sont généralement invisibles et auxquelles leurs identifications subjectives correspondent (cohérence sexe, genre, désirs), ce qui contribue à la stabilité de l’hétérosexualité[15].

Il importe également de relever la posture d’« extériorité » à partir de laquelle les lesbiennes et les queers théorisent l’hétérosexualité. Sans être nécessairement hors des rapports de pouvoir, ces postures impliquent une distance à l’égard de liens interpersonnels hétérosexuels et d’identifications subjectives normatives, ce qui offre une force critique indéniable. Considérant cela, il est possible de suggérer que les théories proposées à partir de ces postures captent les conséquences de l’hétérosexualité sans pourtant parvenir à saisir certaines dimensions de l’expérience que font les personnes hétérosexuelles de l’hétérosexualité. Incontestablement, il n’y a pas que celles-ci qui font l’expérience de l’hétérosexualité; les lesbiennes, les gais et les queers subissent aussi son hégémonie. Toutefois, on peut entrevoir l’apport de certaines hétérosexuelles à une théorisation de l’hétérosexualité, à partir d’un point de vue situé (Harding 2004), tâche à laquelle des féministes se sont heureusement attaquées.

Le questionnement des féministes sur leur hétérosexualité : oppressions et privilèges

Les féministes hétérosexuelles interviennent en moins grand nombre sur la nature oppressive et hégémonique de l’hétérosexualité. En fait, peu d’hétérosexuelles remettent en question la dimension hétérosexuelle de leur identité et ses incidences sur les injustices subies. Ici, l’expression « féministe hétérosexuelle » désigne des féministes qui s’identifient comme hétérosexuelles ou sont engagées dans des rapports hétérosexuels. La deuxième partie de mon article porte sur les théories de l’hétérosexualité proposées par ces féministes.

Au cours des années 80 et 90, les féministes hétérosexuelles en viennent à répondre, en Europe occidentale et en Amérique du Nord, à des théories qui mettent l’accent sur les aspects dangereux et violents de l’hétérosexualité. Elles interviennent à partir de perspectives féministes radicale, matérialiste ou socialiste, en employant le « nous », et elles adhèrent à une conception de l’hétérosexualité comme une institution du patriarcat, à la suite de Rich. À leur avis, le problème n’est pas l’hétérosexualité, mais l’obligation d’être hétérosexuelle (Lesseps 1980) et le contenu patriarcal imposé (Hollway 1993; Segal 1994; Smart 1996; Valverde 1989). Leurs interventions convergent autour des trois éléments suivants.

Premièrement, les féministes hétérosexuelles refusent d’être délégitimées comme féministes sur la base de leur hétérosexualité et récusent l’accusation de « collaboration » au patriarcat (Dhavernas 1996; Lesseps 1980; Segal 1994). Elles adhérent à l’idée d’antagonisme entre les classes de sexe, mais plaident en faveur d’intérêts communs aux femmes dans le féminisme indépendamment de l’orientation sexuelle. Deuxièmement, elles défendent la validité du « choix » d’être hétérosexuelles. Même s’il y a des avantages à être lesbienne et que le lesbianisme est une avenue politique, cela n’est pas la seule façon de combattre le patriarcat (Dhavernas 1996). L’hétérosexualité n’est pas un destin : elle pourrait être « un choix si notre société était pluraliste et plus souple », souligne Mariana Valverde (1989 : 66). Les hétérosexuelles n’ont pas choisi la mauvaise orientation sexuelle (Lesseps 1980), mais avouent que c’est une contrainte qu’il faut repousser. Troisièmement, un correctif est apporté à la conception négative de la sexualité. Les féministes hétérosexuelles évoquent la diversité des expériences sexuelles (Lesseps 1980; Hollway 1993; Smart 1996; Valverde 1989), et il est suggéré d’employer le pluriel : « les hétérosexualités » (Segal 1994). Leurs désirs ne se réduisent pas à l’« érotisation du pouvoir de la différence », comme le croit Jeffreys (1990), même si elles concèdent qu’il faut interroger les représentations de l’érotisme dans le patriarcat (Lesseps 1980; Valverde 1989). Certaines font intervenir, sur la base de leurs expériences, la notion d’amour et de plaisir, comme Wendy Hollway (1993) et Lynne Segal (1994) qui abordent la complicité ressentie durant le coït pour faire contrepoids à la conception négative qui circule. Cela ne mène pas forcément à un nouveau dialogue tel que Carol Smart (1996 : 170; ma traduction) le relate, car les lesbiennes étaient accusées « de faire abstraction des aspects positifs de la sexualité des femmes hétérosexuelles », tandis que « les féministes hétérosexuelles étaient accusées de parler de plaisir face à un système d’exploitation et de violences sexuelles ». Il se dégage de leurs propos une sorte de culpabilité, ce qui laisse croire à une adhésion à l’idée que le lesbianisme serait plus cohérent avec le féminisme. Cela est clair dans l’ouvrage de Sue Wilkinson et Celia Kitzinger, intitulé Heterosexuality. A Feminism and Psychology Reader (1993), qui porte sur l’incidence de l’hétérosexualité sur leur féminisme. Certaines manifestent leur malaise relativement à l’étiquette d’hétérosexuelles (Rowland 1993), ce qui fait dire à Hollway (1993) et Segal (1994) que l’intention des éditrices était d’exposer, une fois encore, la « misère des hétérosexuelles ». D’ailleurs, les théoriciennes déplorent le manque d’outils pour parler de l’expérience hétérosexuelle sans se culpabiliser (Gill et Walker 1993), pour ne pas intervenir sur le ton de la confession honteuse (Smart 1996) et pour la penser de manière critique (Hollway 1993; Valverde 1989). En somme, les féministes hétérosexuelles abordent la sexualité, l’amour et le couple à partir de leur point de vue situé pour nuancer les théories antérieures, sans pour autant offrir des ajouts substantiels sur le plan des idées.

Cependant, les années 2000 sont sous le signe d’un renouveau dans les réflexions féministes sur l’hétérosexualité, principalement dans le monde anglo-américain, et ce, dans le sillage de la théoricienne féministe matérialiste anglaise Stevi Jackson qui publie Heterosexuality in Question (1999), où elle problématise l’hétérosexualité sans se concevoir telle une « féministe ratée » (1999 : 123; ma traduction). Autrement dit, elle a la volonté que soient contournées l’impasse, la culpabilité et les accusations des décennies passées. Ce renouvellement est marqué d’une articulation entre les perspectives radicale, poststructuraliste et queer, et veut complexifier la compréhension des ramifications de l’hétérosexualité (Beasley, Heather et Holmes 2012; Hockey, Meah et Robinson 2007; Jackson 1999). On observe alors des théories qui combinent la critique féministe radicale et matérialiste des rapports antagoniques avec les critiques poststructuralistes et queers de l’hétéronormativité (Richardson 1996 et 2000). L’expérience hétérosexuelle doit être contextualisée, et ne peut pas être universelle, car elle est imbriquée au racisme (Hoagland 2007; Stokes 2005) et au capitalisme avancé (Ingraham 2005). Cette analyse n’est pas tout à fait nouvelle eu égard à la critique du Combahee River Collective, mais elle est produite, cette fois, du point de vue des personnes hétérosexuelles. La théorie de l’hétérosexualité proposée par Jackson (1999 : 123-134) est déterminante et rassemble les éléments suivants : la structure macrosociale institutionnalisée liée à l’État et aux lois; les discours, les normes, les symboles associés au genre et à la sexualité; les pratiques relationnelles qui constituent un procédé réitératif; et, enfin, les expériences émotionnelles qui ont du sens pour les individus les constituant comme sujets genrés et sexués. La définition de Jackson capte mieux les différentes dimensions de la vie touchées par le fait d’être une personne hétérosexuelle ou en relation hétérosexuelle.

Une partie des travaux de cette période porte sur les pratiques quotidiennes qui assurent la (re)production de l’hétérosexualité. Par exemple, ils documentent les effets du sentiment amoureux sur la complicité et la résistance à l’égard des rapports hétérosexuels (Jackson 1999; Jònasdòttir et Ferguson 2014) ou ils étudient les formes d’agentivité des femmes à l’endroit des dimensions oppressives de la sexualité (Beasley, Heather et Holmes 2012; Jeppesen 2012; Hockey, Meah et Robinson 2007), pour montrer qu’elles ne sont pas juste des victimes. Ces travaux s’intéressent à la mise à l’épreuve de l’hégémonie hétérosexuelle par l’émergence d’identifications plus fluides, notamment l’« hétéroflexibilité » (ne pas être exclusivement hétéro) ou les subjectivités hétérosexuelles trans* (Dean et Fischer 2019 : 1-17).

En somme, l’hétérosexualité devient, pendant les années 2000, un objet d’étude en soi[16], et les théories ne sont plus nécessairement formulées à partir d’un point de vue situé des hétérosexuelles ou en employant le « nous », contrairement à celles qui ont été proposées au cours des deux décennies précédentes. Dans le sillage de Jackson, mais aussi de Richardson, la contradiction entre hétérosexualité et féminisme ne semble plus être une préoccupation.

Des réflexions sur les moyens d’action proposés à l’encontre de l’hétérosexualité

Si l’hétérosexualité n’est pas naturelle et qu’elle entraîne des préjudices d’ordre personnel et politique, il est possible de convenir que le monde serait mieux ou plus vivable sans elle. Par conséquent, les moyens d’action proposés par les lesbiennes et les queers s’inscrivent principalement, bien que cela se fasse de manière différente[17], dans une logique de « rupture » avec l’hétérosexualité. Dans la troisième partie de mon article, j’examine d’abord les moyens d’action envisagés par les lesbiennes et les queers; ensuite, leurs usages pour les hétérosexuelles.

Les perspectives radicales féministes, féministes lesbiennes et lesbiennes radicales convergent autour d’une conception révolutionnaire du changement social. Le système patriarcal (et les autres systèmes de domination) ne peut pas être réformé, mais plutôt aboli; le même sort est réservé à l’hétérosexualité. Il est préconisé de faire sans l’hétérosexualité et les hommes sur le plan politique, et aussi, idéalement, personnel. Les féministes radicales et les féministes lesbiennes adhèrent à une conception de l’action qui va dans le sens de « l’identification-aux-femmes », comme le propose Rich (1981 : 39). L’identification aux femmes peut, dans un large registre, prendre la forme d’une solidarité, d’un amour ou d’une sexualité, ce que Rich (1981 : 32) appelle le « continuum lesbien », libérant ainsi une énergie féminine « stoppée et gaspillée sous le règne de l’institution hétérosexuelle » (ibid. : 39). Dans cette lignée, certaines féministes radicales proposent la vie en collectivité de femmes pour contrer le patriarcat hétérosexuel au quotidien (Johnston 1973). Pour leur part, les lesbiennes radicales croient qu’il faut cesser toutes relations avec l’oppresseur et s’identifier comme lesbienne. Le lesbianisme constitue à leurs yeux le moyen politique pour vivre dans une société non hétérosexuelle (Jeffreys 1990; Turcotte 1998). Le lesbianisme politique suppose l’exclusion des hommes, une vie entre lesbiennes et, éventuellement, une sexualité lesbienne (la seule qui soit libérée, selon Jeffreys), mais cela n’est pas une obligation qui rallie toutes les adhérentes. Selon cette perspective, les lesbiennes sont des fugitives (Wittig 2007) et incarnent la plus claire menace à la société hétérosexuelle en refusant d’être hétérosexuelles et les femelles des hommes (Turcotte 1998; Wittig 2007).

Les queers suggèrent des moyens d’action pour déjouer l’hétéronormativité, et l’identification comme queer représente une menace à cette hégémonie. Les queers envisagent l’action politique dans les limites des relations de pouvoir, car celui-ci ne peut pas être aboli[18]. Néanmoins, c’est une entreprise de critique et de déconstruction des significations hétéronormatives pour déstabiliser la matrice hétérosexuelle. Au départ, Butler (2005 : 36) développe l’idée de la performativité pour expliquer la (re)production des identités de genre : « la performativité n’est pas un acte unique, mais une répétition et un rituel, qui produit ses effets à travers un processus de naturalisation ». Cela ouvre sur de nouveaux moyens d’action. Par exemple, la parodie du genre (par les drags, notamment) illustre que ce dernier n’est « [qu’]une imitation sans original » (Butler 2005 : 261) et que, par le jeu, il est possible de créer du trouble dans la cohérence naturalisée de la matrice. Les queers ambitionnent, par la mise en scène d’une diversité de pratiques et d’identités, d’aménager de l’espace dans la matrice « au-delà des restrictions hétéronormatives » (Valera et Dhawan 2011 : 22; ma traduction) pour plus d’inclusivité.

En résumé, les invitations à s’identifier comme lesbiennes ou queers et les moyens d’action proposés ont altéré la contrainte à l’hétérosexualité et instauré un « régime de tolérance » (Borrillo et Mécary 2019 : 3-10) à l’égard des personnes non hétérosexuelles en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Des changements sont advenus en faveur de l’égalité des personnes de la communauté LGBTQ, car des pressions ont été faites sur l’État afin qu’il mette en place des politiques, change les lois discriminatoires et institue de nouveaux droits (Demczuk et Remiggi 1998; Weeks 2007). Si ces luttes sont loin d’être terminées, elles ont rendu plus inclusives les sociétés visées.

Ces avancées sociales considérées, il importe de discuter des usages de ces moyens d’action du point de vue de celles qui sont dans des liens intimes avec des hommes. D’abord, il faut envisager l’usage de la logique de rupture. Pour leur part, les féministes hétérosexuelles – même les radicales – ne jugent pas obligatoire l’abandon des liens hétérosexuels pour l’avancée des luttes féministes (Dhavernas 1996; Lesseps 1980; Jackson 1999; Valverde 1989). Néanmoins, on trouve des moyens d’action qui s’inscrivent dans une logique similaire, mais seulement à l’égard de moments clés de l’hétérosexualité qui sont à l’origine d’inégalités entre les partenaires. Par exemple, le célibat peut être envisagé comme une condition choisie faisant infraction au patriarcat. Au départ, le collectif radical étatsunien Cell 16, actif de 1968 à 1973, a eu pour programme le célibat sans obligation d’engager des relations lesbiennes (séparation des hommes qui ne collaborent pas à l’émancipation des femmes) et la pratique du karaté (Echols 1989). Le célibat contraste avec les représentations normatives de la féminité et redéfinit l’identité sans la nécessaire complémentarité avec les hommes (Reynolds 2008). Ensuite, on invite à refuser de cohabiter avec un homme, ce qui évite généralement aux femmes la prise en charge des tâches domestiques des hommes (Martin, Cherlin et Cross-Barnet 2011). De plus, le refus d’avoir des enfants est envisagé comme un moyen pour échapper à cette réalité familiale qui cristallise des injustices entre les partenaires qui sont parents (Debest 2014). Enfin, plusieurs féministes usent de la non-mixité (organisation politique sans les hommes) pour mener des luttes amenuisant les conséquences associées à l’expérience de l’hétérosexualité : l’égalité civique des partenaires, l’accès à des moyens de contraception, le droit au divorce, la criminalisation des violences conjugales, le partage du patrimoine familial, les congés de parentalité, les services de garde.

Voyons maintenant l’usage des identifications comme lesbiennes et queers. Avant tout, il faut admettre que la visibilité grandissante des lesbiennes dans les mouvements féministes à partir des années 70 et des queers après les années 90 a facilité la transition vers des identités de genre plus fluides ou d’autres orientations sexuelles pour les personnes hétérosexuelles qui le désiraient. Par contre, les usages de ces identifications demeurent limités pour les hétérosexuelles, bien que ce soient les figures qui semblent les plus cohérentes et engagées. Elles considèrent que l’identification comme féministes est déjà en décalage avec les attentes de la société et qu’elle constitue une condition minimale aux actions à accomplir dans leur intimité comme hétérosexuelles (Dhavernas 1996; Lesseps 1980; Segal 1994; Valverde 1989). La position sociale d’hétérosexuelle, ou l’identité d’hétérosexuelle, même pour les féministes, soulève des enjeux si elle sert de base à l’action politique, contrairement aux identités lesbiennes ou queers, parce qu’elle est justement une « norme institutionnalisée du patriarcat » (Jackson 1996 : 175). Par contre, les hétérosexuelles ont davantage fait usage de l’identification comme queer ou de l’introduction de pratiques queers, notamment pour « queeriser » la sexualité en y intégrant des désirs ou des pratiques qui repoussent les frontières dichotomiques du féminin et du masculin hétérosexuels en vue de contribuer à plus de liberté et de plaisir (Beasley, Heather et Holmes 2012; Jeppesen 2012).

Il est possible de considérer que les moyens d’action proposés par les lesbiennes et les queers se sont avérés d’un usage relatif pour les hétérosexuelles. Il revient donc à ces dernières d’envisager des moyens appropriés, ce qu’elles font de manière circonspecte. Plusieurs se rejoignent autour de la proposition de « guérilla quotidienne » (Lesseps 1980). Ce sont en fait des pratiques de confrontation dans le quotidien de la vie conjugale et sexuelle en vue de conquérir plus de liberté, d’amoindrir les relations de pouvoir dans le couple, de « changer » le conjoint et les contenus imposés de l’hétérosexualité (Dhavernas 1996; Smart 1996). Il se dégage une confiance à l’égard de la malléabilité de ces relations, comme l’allègue la féministe Joanne Kates (1982 : 78; ma traduction) : « Je me dispute plus avec l’homme que j’aime, justement parce que c’est avec lui que les disputes sont les moins dangereuses ». Pour le dire simplement, la « guérilla quotidienne » reste un mince et complexe programme politique. Ce travail est nécessairement individuel, et les résultats encourageants peuvent difficilement être mis en commun, tandis que les échecs sont subis privément. La persistance des inégalités entre les femmes et les hommes qui sont attribuables, en partie, au fait de partager une vie intime organisée sur la base de l’hétérosexualité se révèle accablante. On peut penser aux travaux qui documentent l’écart persistant entre les genres en matière d’orgasme (Frederick et autres 2017), les enjeux d’ordre affectif largement attribuables aux comportements genrés (Jònasdòttir et Ferguson 2014), les injustices dans les ententes économiques des couples (Belleau et Lobet 2017), la prise en charge inégalitaire des tâches domestiques et parentales (Hamelin 2017; Moyser et Burlock 2018) et les violences conjugales à l’encontre des femmes (Burczycka 2016). Ici, l’idée n’est pas d’exposer la « misère des hétérosexuelles », pour reprendre l’expression employée par Hollway (1993) et Segal (1994), mais de rappeler toute l’actualité des luttes féministes au sujet de l’hétérosexualité qui ne peuvent pas se limiter, sans les exclure, aux responsabilités individuelles et aux pouvoirs de négociation des partenaires dans l’intimité.

La persistance des inégalités dans l’hétérosexualité

Les efforts de théorisations lesbiens et queers des 50 dernières années sont riches et ils constituent un héritage précieux sur le plan des idées politiques, car ils fournissent d’importants éléments de compréhension des dimensions encore invisibles, hégémoniques et naturalisées de l’hétérosexualité. Pour les féministes de l’époque actuelle, il existe une pertinence à retourner aux premières formes de contribution féministes radicales et lesbiennes de l’hétérosexualité qui ont structuré la logique de ces débats ainsi que les mouvements féministes au sein desquels leurs problématisations radicales ont concouru à mettre en tension le fait d’être hétérosexuelle et l’identification comme féministe. À vrai dire, les lesbiennes et les queers font valoir avec justesse le rôle déterminant de l’hétérosexualité dans l’organisation patriarcale et hétéronormative de la vie des personnes dans les sociétés actuelles, ce qui contribue à placer les hétérosexuelles, particulièrement les féministes, devant une acception grave de l’adage « le personnel est politique », ce qui n’est certainement pas inutile. Toutefois, le sentiment de culpabilité ou d’incohérence politique éprouvé par certaines féministes hétérosexuelles des années 80 et 90 n’a pas été en substance très fécond sur le plan des idées politiques, car il n’a conduit qu’à des correctifs défensifs aux théories existantes.

La contradiction entre le fait d’être hétérosexuelle et féministe mène, selon moi, à une impasse. Le féminisme constitue une nourriture essentielle à la capacité critique et agentive des hétérosexuelles, tout comme à celle des hommes qui souhaitent établir des relations égalitaires avec elles. Or, il me semble indispensable de reconnaître le caractère équivoque, inconfortable et sensible de la position sociale des hétérosexuelles qui adhèrent au féminisme parce qu’il faut admettre qu’encore trop souvent l’hétérosexualité et les comportements de nombreux hommes (amant, conjoint, ex-conjoint) font quotidiennement obstacle aux avancées sociales pour l’égalité dans la vie personnelle. Ce constat ne s’applique pas avec la même intensité dans tous les couples, n’élude pas l’éventualité que les inégalités soient à la défaveur de certains conjoints, pas plus qu’il n’invalide l’existence de manières de vivre plus égalitaires adoptées par certains couples.

Du point de vue des hétérosexuelles, les théories lesbiennes et queers de l’hétérosexualité fournissent tous les outils pour politiser leur position sociale marquée de rapports de domination patriarcaux, mais aussi de privilèges hétéronormatifs. Or, les mêmes théories offrent peu pour soutenir les formes d’action depuis cette posture d’hétérosexuelles. Des théoriciennes comme Lesseps, Hollway et Valverde font l’hypothèse que la participation moindre des féministes hétérosexuelles à ces débats a certainement nui à la constitution d’un vaste éventail d’outils appropriés et concrets pour apporter des changements en profondeur dans les manières de vivre des personnes hétérosexuelles. Somme toute, il revient aux féministes de l’époque actuelle et celles qui viendront de clarifier les formes concrètes par lesquelles se déploie la « guérilla quotidienne » et, éventuellement, de les collectiviser afin que les avancées individuelles vers plus d’égalité puissent bénéficier au plus grand nombre, ce qui présuppose, d’ailleurs, une convergence solidaire avec les batailles en cours contre l’hétérosexisme et l’hétéronormativité des personnes de la communauté LGBTQ.