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Introduction

L’influence du loisir sur le développement social et communautaire a été maintes fois étudiée et analysée, et ce, dans différents pays (Spracklen et al., 2017). Il a en effet été démontré que le loisir pouvait être un outil d’intégration important, notamment pour les populations vulnérables (Magill-Evans et al., 2003; Smith & Hseih, 2017; Trussel & Mair, 2010). Le loisir, défini comme temps libre, activité, état d’esprit ou expérience, est principalement caractérisé par les notions de liberté, de plaisir et de motivation intrinsèque. Il peut, à travers ses activités, l’expérience qu’il engendre, mais aussi par la notion d’éducation qui lui est rattachée, devenir un outil d’intégration culturelle et sociale pour les nouveaux arrivants, notamment à travers son rôle de production et d’acquisition culturelles (Spracklen et al., 2017). Il nous apparaît toutefois fondamental de définir la notion d’intégration sociale, une notion qui a été fortement critiquée dans différents milieux de recherche et d’intervention (Fortin, 2000). Nous la définissons comme un ensemble de processus et d’interactions fonctionnels, culturels et sociaux permettant à une personne nouvellement arrivante de se reconnaître et de trouver sa place dans la société d’accueil (Drudi, 2010, 2012; Fall & Buyck, 1995). On rejoint ici des principes de reconnaissance et d’émancipation propres au nouvel arrivant qu’il va pouvoir s’approprier et développer (Drudi, 2010; Stodolska et al., 2017). Même si le terme intégration ne fait pas consensus dans la communauté scientifique, on relève toutefois que ces processus d’intégration sociale sont envisagés sur le long terme et sont engageants pour la personne nouvellement arrivante et la société d’accueil.

Si plusieurs études tendent à faire le lien entre le loisir et l’intégration des nouveaux arrivants dans les sociétés où le paradigme de multiculturalisme domine, il en est tout autre pour les sociétés ayant plutôt choisi la voie de l’interculturalisme (Roult et al., 2018). Ces deux approches d’intégration culturelle visent des aspirations bien différentes. Alors que la première cherche à créer une société qui insiste sur l’importance de reconnaître l’existence de différentes traditions (linguistiques, religieuses, culturelles) au sein d’une même société multiethnique (Kymlicka, 2010), la seconde met l’accent sur la recherche d’une culture commune publique basée sur la promotion d’interactions positives entre les personnes d’ici et d’ailleurs (White, 2017). Il existe des écrits considérables sur le multiculturalisme comme paradigme politique et comme imaginaire social, mais également sur la spécificité de l’interculturalisme et sur ce qui permettrait de distinguer entre les deux modèles une source d’inspiration pour les politiques publiques (Rocher & Labelle, 2010; Rocher & White, 2014; White, 2019b, 2019c). Une des plus grandes différences entre les deux paradigmes est le fait que le multiculturalisme est enchâssé dans les lois et structures politiques à l’échelle du gouvernement fédéral, tandis que l’interculturalisme n’a jamais fait l’objet d’une loi ou d’une politique officielle au Québec. Si le multiculturalisme met l’accent sur la reconnaissance des différents groupes qui composent les sociétés contemporaines, l’interculturalisme vise à faciliter les interactions positives entre eux.

Afin de répondre à ce manque d’études portant sur le rôle du loisir dans l’intégration des nouveaux arrivants à l’intérieur des sociétés dites « interculturelles », la mise en place d’une recherche empirique et exploratoire est apparue pertinente. Dans l’optique d’un tel besoin de connaissances, le Québec devenait un cas d’étude intéressant et significatif puisque : 1) Le Québec possède une longue tradition de loisirs formels et informels; 2) Le Québec est l’un des rares territoires nord-américains à s’être engagé dans un paradigme d’interculturalisme par rapport à ses stratégies d’intégration des immigrants et des nouveaux arrivants; 3) Le Québec, à l’image d’autres sociétés, a fait de l’immigration un élément important de sa lutte au déclin économique et à la pénurie de main-d’oeuvre, principalement en ce qui a trait à ses régions.

L’objectif de cette recherche exploratoire était d’analyser l’importance que le loisir peut avoir en tant que facteur d’intégration en contexte interculturel, et ce, autant pour les nouveaux arrivants que pour la société d’accueil. De façon plus précise, cette étude a comme question principale : quelle est la relation entre la pratique du loisir et l’intégration sociale des nouveaux arrivants dans un contexte interculturel? De cette question découlent trois sous-questions de recherche :

  1. Quelles sont les problématiques liées à la participation des nouveaux arrivants aux loisirs?

  2. Quels sont les enjeux organisationnels liés à la participation des nouveaux arrivants aux loisirs?

  3. Quelle est la capacité du loisir à contribuer au sentiment d’appartenance et à la cohésion sociale?

Afin de répondre à ce questionnement de recherche et de présenter adéquatement nos résultats et de les discuter, nous allons tout d’abord dresser une recension des écrits sur cette problématique puis présenter notre cadre méthodologique. Par la suite, nous présenterons nos résultats que nous discuterons dans la section suivante pour finalement conclure notre article en faisant état de certaines pistes d’intervention.

1. Recension des écrits

Les recherches dans le domaine ont démontré qu’il existe certains facteurs facilitant la participation des nouveaux arrivants à des activités de loisir. Tout d’abord, il est évident que l’offre de loisir doit répondre aux besoins de ces populations, tout comme elle doit répondre aux besoins et aux attentes de la population en général (Forde et al., 2015; Hasmi et al., 2014). Cette idée prend davantage d’importance pour les nouveaux arrivants, alors que les services de loisir des municipalités sont bien souvent le premier agent de liaison entre le nouvel arrivant et la culture récréative locale. Ainsi, les services de loisir locaux jouent un rôle essentiel dans l’intégration des personnes et familles nouvellement arrivées (Forde et al., 2015; Magnusson, 2011; Stodolska, 2015). Cependant, ceci n’est possible qu’à travers une connaissance approfondie des réalités (linguistiques, religieuses, culturelles, économiques, etc.) de ces nouveaux arrivants. Dans cette perspective, ce n’est que par une analyse des besoins et des contraintes de ces populations que les services de loisir pourront adapter leurs services, tout en cherchant à offrir des activités d’initiation permettant de mieux connaître la société d’accueil (Forde et al., 2015; Hasmi et al., 2014; Neider, 1990; Stodolska, 2015). Au-delà d’une adaptation des stratégies de programmation, une telle réalité demande également un changement en ce qui a trait aux stratégies de communication (Forde et al., 2015; Neider, 1990; Stodolska, 2015). À ce titre, la présence d’individus issus de l’immigration dans la gestion et l’offre de la programmation en loisir tend à faciliter l’intégration des nouveaux arrivants de même origine ou de culture similaire (Arnaud, 2002). En lien avec cette idée, l’implication des immigrants et des nouveaux arrivants[1] dans la gestion des organisations de sports ou de loisirs au sens large semble également permettre une intégration sociale et affective, en plus de mener vers une meilleure compréhension des codes et des référents socioculturels de la société d’accueil (Andersson, 2002; Bradbury, 2011; Chung & Lim, 2016; Hanlon & Coleman, 2006; Spaaij, 2012; Walseth, 2016). Finalement, la pratique du loisir semble aussi être un facteur facilitant la participation à d’autres activités sportives ou récréatives (Allison, 1982; Kim, Heo et al., 2016; Kim, Park et al., 2016; Tirone et al., 2010). En ce sens, l’engagement du nouvel arrivant dans des activités de loisir en lien avec sa culture d’origine a le potentiel, grâce aux échanges sociaux et à l’évolution de sa compréhension et de sa connaissance de son nouveau milieu de vie, d’ouvrir son champ des possibles vers d’autres types d’activités liées aux référents culturels de la société d’accueil.

S’il existe des facilitants qui viennent aider l’intégration du nouvel arrivant dans la sphère sportive et récréative de la société d’accueil, à l’inverse, il y a aussi certaines contraintes, vécues ou perçues, qui peuvent freiner cette participation. La recension des écrits permet de faire ressortir six principaux types de contraintes vécues par les immigrants et les nouveaux arrivants lorsqu’il est question d’activités sportives et récréatives (Aizlewood et al., 2006; Alamri, 2013; Amara & Henry, 2010; Bolla et al., 1991; Coughlan et al., 2014; de Munter et al., 2012; Elling & Claringbould, 2005; Harinen et al., 2012; Hasmi et al., 2014; Kim, 2012; Jiménez Martín et al., 2011; Olliff, 2008; Rublee & Shaw, 1991; Spracklen et al., 2015; Stodolska, 1998, 2015; Tirone et al., 2010) :

  1. Les contraintes d’ordre personnel, soit un manque de temps, d’énergie, d’argent, une mauvaise connaissance ou maîtrise de la langue ou des pratiques de loisir ou un isolement social;

  2. Les contraintes d’ordre familial, alors que les nouveaux arrivants s’efforcent de satisfaire les besoins familiaux avant leurs besoins de loisir. Ainsi, le travail prend énormément d’importance pour ces populations.

  3. Les contraintes d’ordre religieux, par exemple les normes et coutumes dans certaines cultures qui restreignent la présence des femmes dans l’espace public ou qui limitent l’interaction entre les sexes;

  4. Les contraintes d’ordre interculturel, alors que plusieurs nouveaux arrivants ont tendance à se refermer dans leur groupe ethnoculturel et n’ont pas la capacité d’agir en contexte pluriethnique;

  5. Les contraintes d’ordre sociétal, soit une sous-représentation de certaines minorités ethniques dans le secteur associatif du loisir ou certaines formes de discrimination (Manai, 2015);

  6. Les contraintes d’ordre structurel, soit un manque d’accessibilité géographique ou économique à certains équipements ou certaines activités, un manque de programmes répondant aux besoins des populations immigrantes ou une faiblesse dans la communication de l’offre de loisirs proposée.

Il est donc peu surprenant d’observer une plus grande participation dans les activités sportives et récréatives chez les célibataires que chez les couples, principalement ceux ayant des enfants (Aizlewood et al., 2006; Elling & Claringbould, 2005).

Au-delà des facilitants et des contraintes, le loisir procure aux populations immigrantes, comme à la plupart des individus, des bienfaits physiques, psychologiques, mais également sociaux (De Martini Ugolotti, 2014; de Munter et al., 2012; Iwasaki, 2007; Kim, 2012; Olliff, 2008; Stack & Iwasaki, 2009; Stodolska, 2015; Tirone et al., 2010; Zhang, 2007). En effet, le loisir devient un moyen pour les immigrants et les nouveaux arrivants de tisser des liens de confiance avec les intervenants, les institutions et les organismes locaux (Hasmi et al., 2014; Kim, Heo et al., 2016; Olliff, 2008; Stack & Iwasaki, 2009; Stodolska, 2015; Zhang, 2007) et d’améliorer leur compréhension du fonctionnement de la société d’accueil. Encore plus important, la pratique du loisir contribue à sortir les nouveaux arrivants de certains « microcosmes identitaires » et de s’ouvrir à une participation sociale qui va au-delà de leur propre communauté culturelle (Olliff, 2008; Stodolska, 2015). De cet engagement apparaissent deux conséquences. Premièrement, le loisir et la participation sociale permettent aux nouveaux arrivants d’étendre leurs réseaux en entrant en contact avec de nouveaux individus d’horizons ethniques différents (Hasmi et al., 2014; Iwasaki, 2007; Kim, 2012; Le et al., 2015; Lee & Funk, 2011; Long et al., 2014; Stodolska, 2015). Il est par contre nécessaire de noter que plusieurs recherches ont démontré que les immigrants pratiquant des activités sportives et récréatives uniquement dans leur propre communauté culturelle développent aussi un réseau social important (Amara & Henry, 2010; Le et al., 2015; Li et al., 2015; Kim, 2012; Tirone et al., 2010; Zhang, 2007). Néanmoins, selon certaines études ce type de participation pourrait avoir l’effet d’augmenter l’exclusion sociale (Amara & Henry, 2010; Burdsey, 2008). Deuxièmement, les activités sportives et récréatives permettent aux nouveaux arrivants d’acquérir une certaine connaissance de la culture d’accueil, notamment à travers la consultation des médias et la consommation de biens culturels (Elias et al., 2011; Ito et al., 2011; Lee & Funk, 2011). Ainsi, la création et le développement d’un nouveau réseau de contacts culturellement élargi, couplés à une meilleure compréhension des référents culturels locaux contribuent à la diminution, voire à l’élimination de certaines contraintes personnelles et structurelles (Hasmi et al., 2014; Kim, 2012; Stodolska, 2015). Au-delà de l’acquisition de référents et de codes culturels, le sport et le loisir permettent également au nouvel arrivant de communiquer et d’affirmer sa propre culture, notamment à l’occasion de tournois ou d’évènements spéciaux (Allen et al., 2010; Amara, 2013; Bradbury, 2011; Burdsey, 2008; De Martini Ugolotti, 2014; Krouwel et al., 2006; Rich et al., 2015; Spaaij, 2012; Spracklen et al., 2015). Ce type de manifestations tend aussi à renforcer les liens familiaux chez les nouveaux arrivants (Stack & Iwasaki, 2009) et, chez les plus jeunes, à créer un « pont » entre la culture d’origine et la culture d’accueil (Campbell et al., 2016; De Martini Ugolotti, 2014; Elias et al., 2011; Hertting & Karlefors, 2013; Walseth, 2016).

2. Méthode

De façon à atteindre notre objectif de recherche et d’optimiser notre collecte de données, l’équipe de recherche a décidé de se pencher sur le cas montréalais. Cette décision concernant le territoire à l’étude est principalement motivée par la présence importante de nouveaux arrivants, mais aussi par la particularité géopolitique de la métropole québécoise. En effet, Montréal est divisée en 19 arrondissements. Ce sont ces instances territoriales qui sont maîtres d’oeuvre du loisir public local. Ainsi, il est possible à travers une étude comparative d’obtenir un portrait plus large du phénomène observé. En tout, huit arrondissements montréalais ont été choisis en raison de leur diversité et du nombre substantiel de personnes immigrantes et nouvellement arrivantes. Ces choix ont été effectués notamment à partir de l’étude de Dansereau et al. (2011) qui a dressé un portrait assez fin de la diversité ethnique dans l’agglomération montréalaise à travers une analyse statistique de la population immigrante, des connaissances des langues officielles, de la période d’immigration et des lieux de naissance. Ainsi, les huit arrondissements choisis étaient : 1) Ahuntsic–Cartierville; 2) Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce; 3) Montréal-Nord; 4) Pierrefonds-Roxboro; 5) Rosemont–La-Petite-Patrie; 6) Saint-Laurent; 7) Saint-Léonard; 8) Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension. De ces huit arrondissements, seul Pierrefonds-Roxboro a été exclu faute d’intérêt pour cette recherche de la part des acteurs locaux.

Cette recherche exploratoire se base sur une approche qualitative à travers laquelle 13 entrevues semi-dirigées ont été effectuées auprès de professionnels du milieu du loisir (public, associatif et communautaire) travaillant sur le terrain avec des populations de nouveaux arrivants, et ce, dans une perspective interculturelle. Il est à noter que ces 13 participants travaillant dans ces différents milieux de loisir considèrent ou voient globalement cette perspective interculturelle comme des échanges soutenus et de découverte mutuelle entre eux et de nouveaux arrivants dans un espace précis, soit celui des activités de loisir proposées. Il est aussi à mentionner que seuls 4 de ces 13 professionnels sont issus de communautés minoritaires, les autres étant issus de la société majoritaire. Le choix des participants s’est basé sur la nature de leur travail (c.-à-d. en lien avec le loisir), sur la mission et le mandat de l’organisme pour lequel ils oeuvrent (c.-à.-d. offrir un service de loisir ou du moins l’utilisation du loisir dans le cadre des actions mises en place par l’organisme et dans une perspective interculturelle) et sur la population ciblée par l’organisme (c.-à-d. les nouveaux arrivants). Les entrevues étaient d’une durée moyenne de 55 minutes. Les entretiens ont été effectués entre les mois d’avril et juillet 2018 par deux membres de l’équipe de recherche. Ils ont été réalisés en face à face ou par téléphone, enregistrés, puis retranscrits intégralement. Le guide d’entretien comprenait une soixantaine de questions subdivisées en six thématiques : 1) les enjeux et contextes territoriaux; 2) les enjeux organisationnels; 3) la participation des nouveaux arrivants aux activités de loisir; 4) le ou les loisirs comme vecteur d’intégration des nouveaux arrivants; 5) les pratiques inspirantes; 6) les modes d’évaluation de la programmation. Les questions du guide étaient le fruit de réflexions effectuées au sein de l’équipe de recherche, mais aussi d’éléments centraux issus de la recension des écrits.

Chaque entrevue a été retranscrite intégralement selon un protocole de transcription défini préalablement. Par la suite, à l’aide du logiciel Nvivo, un arbre de codification et un préclassement thématique ont été réalisés. Ce préclassement prenait sa source de la structure du guide d’entrevue. Ensuite, trois chercheurs ont analysé séparément ces données qualitatives de manière à affiner l’analyse thématique préliminaire. Puis, une mise en commun de ces analyses a été effectuée entre les trois chercheurs en vue d’en arriver à une structure analytique faisant consensus. Cette phase d’analyse a permis ainsi de produire les résultats de l’étude. Cette technique d’analyse avait également pour finalité de diminuer les biais analytiques et interprétatifs en impliquant différents chercheurs (Gibbs, 2007; Paillé & Mucchielli, 2016). Il est finalement important d’indiquer que cette recherche a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université de rattachement du chercheur principal de cette étude.

3. Résultats

Nous présentons dans cette section les résultats obtenus à travers les entrevues effectuées avec les professionnels du milieu municipal et associatif. Ces résultats sont divisés en cinq thématiques : 1) le profil des répondants et des organismes rencontrés; 2) les enjeux et le contexte socioterritorial; 3) les enjeux organisationnels et d’action; 4) la participation et la vision du loisir chez les nouveaux arrivants; 5) la place et le rôle du loisir dans le quotidien de ces derniers. Pour chacune des thématiques, nous rendons compte dans un premier temps des résultats de l’étude puis, dans un second temps, de la perception d’un des répondants sur la question soulevée.

3.1 Profil des répondants et portrait des organismes

En tout, sept femmes et six hommes ont été interviewés. Sept d’entre eux travaillent dans le milieu associatif/communautaire et les autres dans les services de loisir des arrondissements. La très grande majorité des personnes rencontrées ne travaillent pas pour des organismes ou institutions qui offrent des activités de loisir réservées aux nouveaux arrivants, mais visent plutôt la population locale en général. Ainsi, aucun organisme n’a pour clientèle unique de nouveaux arrivants. Cette population entre plutôt dans une catégorie plus large nommée « population vulnérable ». Ce type de population est défini par une vulnérabilité sociale et économique. Sont donc incluses dans cette catégorie les populations économiquement défavorisées, les personnes handicapées, les aînés, etc., ainsi que les nouveaux arrivants. L’offre d’activités est habituellement assez large (physiques et sportives, culturelles, sociales, etc.) et elle est répartie et programmée en fonction de l’âge des participants (enfants, adolescents, adultes, aînés, etc.). Il est également important de mentionner qu’une bonne majorité des répondants issus du milieu municipal affirment que le service des loisirs de l’arrondissement sous-traite avec des organismes à but non lucratif locaux pour l’organisation de certaines activités de loisir.

3.2 Enjeux et contexte socioterritorial

Lorsqu’on interroge les participants sur les principaux enjeux d’action auxquels ils doivent faire face quand ils souhaitent interpeller les nouveaux arrivants au sujet de leur offre de loisirs, plusieurs éléments sont considérés comme cruciaux. Tout d’abord, la question de l’accessibilité géographique et économique des espaces et des équipements récréatifs revient constamment dans les discussions. Cet enjeu semble être une priorité lorsqu’il est question de sports et de loisirs et tend à engendrer une mobilisation des acteurs locaux afin d’y répondre.

On a une politique en accessibilité universelle à la Ville qui est déclinée en arrondissements avec du soutien financier pour rendre nos installations accessibles universellement. Je pensais à ça, mais ce n’est pas juste de rentrer, c’est d’être capable de s’y rendre, de s’y promener et aussi, nous, on a un souci de l’accessibilité financière aux activités. Donc, oui, quand on met notre offre de services, on réfléchit beaucoup à l’accessibilité financière parce que, comme je disais, leur priorité aux nouveaux arrivants, c’est la base de la pyramide de Maslow, ils ont besoin de se nourrir, de se loger, de se vêtir avant de se divertir

Participant 2, professionnel(le) d’arrondissement

La question linguistique semble également être un enjeu majeur lorsqu’il est question d’offre de loisirs pour cette population. Le manque de maîtrise de la langue française, voire même anglaise, crée un faussé entre les prestataires d’activités de loisir et ces nouveaux arrivants. La présence de multiples langues et variantes linguistiques dans certains arrondissements complique encore davantage la tâche de ces professionnels. Cette situation mène ces derniers à réfléchir à de nouvelles stratégies de communication.

On parle 60 dialectes dans [notre arrondissement], il faudrait être ouvert à faire des communications dans plusieurs langues et accepter ça comme un fait. Puis, ça ne veut pas dire qu’on est moins québécois francophone parce qu’on accueille nos nouveaux citoyens dans leur langue [pour leur permettre] de s’intégrer dans les services. Pour moi, il y a là un enjeu important

Participant 2, professionnel(le) d’arrondissement

Malgré le bon vouloir de ces professionnels, il existe des facteurs hors de leur contrôle qui semblent freiner la mise en place de nouvelles stratégies. L’un des éléments mentionnés a été le statut unilingue francophone de la très grande majorité des arrondissements montréalais[2]. Ce statut, stipulé dans l’article 1 de la Charte de la Ville de Montréal, oblige les services de ces arrondissements à n’utiliser que le français dans leurs communications officielles. Ainsi, il est difficile pour les professionnels travaillant pour ces municipalités de communiquer avec les populations non francophones. De plus, le manque de ressources humaines et financières empêcherait la mise en place d’une mobilisation suffisante pouvant faire le lien entre les nouveaux arrivants et les services de loisir.

Sur ce plan, certains participants mentionnent qu’il est essentiel de disposer à la fois d’intervenants sur le terrain et de mécanismes de concertation entre les organismes locaux afin de bien cerner les enjeux et de pouvoir agir en conséquence. On est ici réellement dans la nécessité de miser sur le capital territorial de chaque arrondissement ou de chaque quartier pour intervenir auprès de ces populations souvent vulnérables, qu’elles soient d’origine étrangère ou non. Ce lien entre les nouveaux arrivants et les prestataires de services de loisir tend souvent à être plus fort dans les territoires où les communautés immigrantes sont déjà mobilisées et sont parties prenantes de ces services.

Parce que même les ressources humaines qui travaillent dans ce milieu-là sont aussi de différentes origines, donc, ce n’est pas quelque chose, sans que ça soit péjoratif, ce n’est pas blanc, ce n’est pas tout blanc, ce n’est pas juste des Québécois pure laine. Si je prends l’exemple de notre organisme, si je prends les personnes, qu’ils soient enseignants, travailleurs, responsables de programmes, coordonnateurs, etc., on voit tout de suite que les Québécois représentent le tiers, parfois le quart [des ressources humaines]

Participant 4, professionnel(le) d’un organisme communautaire

Cependant, malgré tous ces efforts, les participants notent également qu’ils doivent faire face à des territoires d’intervention très hétérogènes en raison de divers facteurs qui complexifient de facto leurs interventions : les disparités économiques, la diversité ethnique et culturelle, les différentes générations d’immigrants, le vieillissement de la population, le phénomène d’embourgeoisement des quartiers et la présence de pôles industriels.

3.3 Enjeux organisationnels et d’action

Les participants à cette étude mentionnent clairement que les partenariats avec d’autres acteurs locaux sont nécessaires afin de permettre une offre de loisirs variée, de qualité et répondant aux besoins et aux attentes des populations résidentes, particulièrement en ce qui concerne les immigrants et les nouveaux arrivants. Ces partenariats semblent principalement orientés sur la communication et la promotion, l’utilisation de salles et de plateaux sportifs, et l’obtention de soutiens financiers pour réduire le tarif, voire rendre certaines activités gratuites. Du côté des instances municipales, ces partenariats permettent de mieux cerner les besoins et les attentes de ces populations, ainsi que de créer un contact que l’on espère ne pas être éphémère.

[I]l y a, d’entrée de jeu, l’enjeu qu’on doit desservir l’ensemble de la population. Mais c’est surtout l’enjeu de comment on va communiquer avec les différentes clientèles. Puis, comment on va aussi entrer en contact avec elles. Donc, on a en place des mécanismes pour entrer en contact avec elles. Entre autres, en ayant des liens avec des organismes qui sont financés par le ministère de l’Immigration [et] qui accueillent les nouveaux arrivants

Participant 2, professionnel(le) d’arrondissement

Pour les organismes communautaires, ces partenariats leur permettent à la fois de mieux positionner leur offre en loisir et d’augmenter le niveau d’accessibilité à ces activités à travers des stratégies de financement.

[O]n essaie vraiment de diversifier nos partenaires et nos collaborations selon les expertises de chacun. Puis, on va se coller à ça et on essaie de travailler en complémentarité et dans le même sens, et pas travailler l’un contre l’autre. Par exemple, j’ai trois autres collègues dans l’arrondissement qui offrent des activités de loisir et ils ont la même mission que nous, donc, du coup, on tente de travailler en étroite collaboration. On se limite à certaines rues pour justement ne pas être en compétition, mais travailler en complémentarité

Participant 5, professionnel(le) d’un organisme communautaire

Par ailleurs, une majorité de participants indique qu’un des enjeux organisationnels les plus importants est le recrutement de bénévoles dont certains sont de nouveaux arrivants. Ils estiment que c’est un défi récurrent qui exige beaucoup d’implication, en partie à cause des écarts dans la communication interculturelle. Cependant, certains répondants ont voulu mettre de l’avant durant les entretiens de quelle manière le bénévolat peut être bénéfique pour ces nouveaux arrivants. Selon eux, le bénévolat est souvent perçu par ces derniers comme une manière de s’intégrer, de faire valoir leurs compétences et d’obtenir une première expérience de travail dans la société québécoise.

On a un cuisinier qui arrive du Bangladesh. Il était cuisinier dans son pays. Il arrive, il ne parle pas français, il ne parle pas anglais, il ne peut pas se trouver un emploi de cuisinier. Mais, il va chercher de l’aide dans une cuisine collective, il regarde dans la cuisine, il pointe, « je peux donner un coup de main? ». Bah oui! Tu peux donner un coup de main! La bouffe [qu’il fait] est délicieuse. Là, il apprend, il prend connaissance des ressources autres que la francisation, etc. Le bénévolat sert de véhicule pour amener les nouveaux arrivants à, premièrement, retrouver un peu d’estime de soi parce qu’ils peuvent faire profiter de leur expertise, mais faire connaître l’ensemble des services disponibles et puis, finalement, arriver à intégrer la terre d’accueil de façon optimale

Participant 1, professionnel(le) d’un organisme communautaire

De façon concomitante, les personnes interviewées estiment avoir du personnel suffisamment ouvert d’esprit pour comprendre les réalités sociales, culturelles et économiques des populations nouvellement arrivantes, surtout si ces employés sont eux-mêmes issus de l’immigration. Elles reconnaissent toutefois que cette ouverture à l’égard des nouveaux arrivants, basée principalement sur leur expérience personnelle, ne signifie pas forcément qu’elles doivent accepter toutes leurs demandes, au risque de créer des clivages culturels et des formes d’isolement social.

À ce titre, de nombreux répondants, principalement issus du milieu municipal, affirment que leurs employés reçoivent des formations pour pouvoir évoluer et travailler en contexte interculturel. Ces formations semblent souvent centrées sur la question des accommodements raisonnables et la communication avec certaines communautés ethniques, ce qui représente des limites dans l’acquisition de compétences qui permettraient de mieux intervenir en contexte pluriethnique.

[C]e n’est pas pour rien qu’on donne des formations cette année, entre autres, sur les accommodements raisonnables. Parce que là-dessus, il y a peut-être pour certaines personnes des ajustements à apporter, une meilleure compréhension de ce que c’est

Participant 1, professionnel(le) d’arrondissement

Cependant, si certains services de loisir municipaux utilisent ces formations afin de compléter la formation de leurs professionnels, d’autres ne semblent même pas en connaître l’existence. Pourtant, ces formations s’attachent à vouloir répondre aux enjeux d’action auxquels les participants disent faire souvent face, notamment le respect de certains accommodements demandés par différentes populations nouvellement arrivantes tout en évitant de les stigmatiser aux yeux des autres groupes minoritaires ou majoritaires.

Certains répondants précisent aussi qu’ils évaluent régulièrement leurs activités afin de s’assurer qu’elles puissent satisfaire le plus grand nombre de pratiquants. Toujours dans cette perspective, la majorité des répondants indiquent qu’il leur serait nécessaire d’être mieux informés sur les besoins en matière de loisirs de ces populations nouvellement arrivantes, voire d’augmenter leurs connaissances en ce qui a trait à la culture et aux modes de vie de ces populations.

Connaître les réalités, la réalité concrète d’une personne qui vient d’arriver. Je peux avoir une idée, mais d’être sensibilisé là-dessus, ça peut grandement aider. Ensuite, savoir exactement où référer les familles s’ils ont besoin d’aide plus approfondie que l’on ne peut malheureusement pas leur offrir. Donc, de la formation, de la sensibilisation, puis plus d’informations en fait. […] Si le moindrement tu as réussi à rejoindre une personne, elle peut après ça en parler à ses collègues, à ses amis. Alors, du coup, après, on a rejoint les familles comme ça par le biais d’une seule personne qui elle fait la promotion de nos services

Participant 5, professionnel(le) d’un organisme communautaire

3.4 Participation des nouveaux arrivants aux activités récréatives et vision du loisir

Pour les répondants, le loisir est indéniablement un facteur d’intégration pour les nouveaux arrivants puisqu’il leur permet de tisser un réseau social, d’apprendre et de maîtriser la langue française, et de mieux comprendre les valeurs et le fonctionnement de la société québécoise tout en s’ouvrant à la différence culturelle. Ainsi, pour certains répondants, il serait nécessaire de bien comprendre que le loisir n’est pas qu’une expérience hédoniste. Il joue un rôle sérieux dans le quotidien des nouveaux arrivants.

[I]l y a l’aspect un peu culturel dans le sens où le loisir ne doit pas être perçu comme une perte de temps, donc c’est vraiment quelque chose pour se réaliser et se faire plaisir. Alors, si on a ce que j’appelle cette culture du loisir, c’est sûr que la culture du loisir, vous n’allez pas l’avoir chez les réfugiés. Il y a d’abord les besoins primaires de Maslow. […] parce qu’on l’a remarqué, au niveau du sexe, les hommes sont plus enclins, à ce que j’appellerais le loisir utile. C’est-à-dire si le loisir leur permet d’apprendre, de pouvoir trouver plus facilement du travail et si le loisir est vu comme élément d’intégration et de mieux comprendre, là, ils vont les prendre. Quand un nouvel arrivant arrive, c’est bien quand on lui dit que c’est important d’avoir un réseau. Ils pensent toujours réseau, le réseau c’est pour travailler, pour avoir une bonne école pour mes enfants, c’est un réseau utile. On oublie de leur dire qu’on peut avoir un réseau à travers le loisir

Participant 4, professionnel(le) d’un organisme communautaire

Parallèlement, de nombreux répondants indiquent que la participation aux loisirs pour les nouveaux arrivants se fait principalement à travers leurs enfants qui participent aux activités proposées. En amenant ces derniers à ces activités, leurs parents ou même leurs grands-parents échangent avec d’autres parents présents et vont peut-être s’initier à certains loisirs. On est ici dans un véritable processus transactionnel enfants-parents où les premiers vont pousser et sensibiliser les seconds à certaines réalités sociales et culturelles de la société d’accueil.

Si plusieurs facteurs influencent la participation aux activités récréatives des populations nouvellement arrivantes, il existe certaines contraintes limitant leur intégration dans le domaine du loisir. Les répondants relèvent surtout le coût des activités, la maîtrise de la langue française, les obligations familiales (surtout chez les femmes), le statut professionnel (chômage, emploi précaire, double emploi) et le fait que le loisir, tel qu’on le pratique au Québec, pourrait faire l’objet de représentations différentes dans certaines communautés immigrantes.

Au début, on me disait, est-ce que ça pourrait être une contrainte matérielle? Non, parce qu’avec la politique de simple revenu qu’on a, ça ne peut pas être une contrainte. Mais, c’est beaucoup une question de perception. Selon moi c’est plus ça, la perception du loisir. Le loisir n’est pas vu comme un espace d’accomplissement personnel

Participant 4, professionnel(le) d’un organisme communautaire

3.5 Place et rôle du loisir dans la vie des nouveaux arrivants

Le rôle d’agent intégrateur du loisir a été amplement mentionné par les répondants rencontrés. Ces derniers affirment que le loisir permet aux nouveaux arrivants de s’intégrer dans la société québécoise en côtoyant d’autres individus d’origines diverses. Cette interaction leur ouvre de nouveaux horizons culturels, leur permet de découvrir et de comprendre les valeurs de la société québécoise et, ainsi, de tisser un réel réseau social. Ainsi, le loisir apparaît ici comme une source de cohésion sociale et d’amélioration du vivre ensemble dans une perspective d’attachement et de sentiment d’appartenance à la société dans laquelle ils vivent et évoluent.

C’est sûr que moi, je le vois plus comme, ici on est un centre du quartier. Donc, tous les gens du quartier sont les bienvenus. Donc, que tu sois d’une minorité ou d’une communauté ethnique, on veut que les gens viennent pour se rencontrer, pour qu’ils participent à des activités, qu’ils se créent des liens entre eux. Ensuite, quand ils se rencontrent ou qu’ils nous rencontrent, on a quand même accès à des ressources dans le quartier. On est au courant des ressources qu’ils peuvent aller chercher

Participant 3, professionnel(le) d’un organisme communautaire

Plus spécifiquement, plusieurs répondants estiment que ce sont les camps de jour, les activités en groupe et les évènements publics, en particulier ceux qui se déroulent dans les parcs, qui facilitent le plus l’intégration des nouveaux arrivants et, de fait, qui créent des « ponts » entre ces populations et la société majoritaire.

En fait, il y a comme un besoin que moi je perçois des nouveaux arrivants, de se rassembler. Et puis, les évènements publics, c’est vraiment une façon qu’ils utilisent pour se rassembler. Il y a beaucoup de fêtes de quartiers qui sont spécifiques pour certaines clientèles. Au fond, ça répond à un besoin de se rassembler et d’être ensemble. Moi, je tends à modifier l’approche et à les inviter à plutôt présenter ça comme étant, « venez découvrir la culture haïtienne ». J’essaie de changer un peu ça pour que ce soit un outil d’intégration. Mais, quand je parlais des deux côtés, la société d’accueil, de dire, inviter les Québécois de souche à venir manger des pâtés haïtiens, ils vont dire, tabarouette, c’est bon. On se fait tous prendre par la bouffe. C’est vraiment un bon moyen de s’intégrer

Participant 2, professionnel(le) d’arrondissement

4. Discussion

Le questionnement de cette recherche exploratoire était principalement centré sur le lien et la relation entre la pratique du loisir et l’intégration sociale des nouveaux arrivants dans un contexte interculturel où ces derniers sont invités à participer à la création d’une culture publique commune. Il est cependant nécessaire de rappeler avant d’entamer notre discussion que les recherches recensées et portant sur le loisir comme vecteur d’intégration des immigrants et des nouveaux arrivants se penchaient principalement, voire entièrement, sur des sociétés basées sur le paradigme multiculturaliste, c’est-à-dire où le paradigme de l’interculturalisme a eu peu ou pas d’entrée, autant en termes des politiques publiques qu’au plan de l’imaginaire social. Cette étude a permis d’apporter davantage d’informations concernant le rôle du loisir dans l’intégration des nouveaux arrivants dans un contexte spécifique où le paradigme de l’interculturalisme et celui du multiculturalisme co-habitent, parfois par opposition (White, 2019b).

Tout d’abord, plusieurs facteurs semblent faciliter l’intégration des nouveaux arrivants aux activités de loisir dans leur société d’accueil. Toutefois, certaines contraintes demeurent. Il est évident que la question de l’intégration des nouveaux arrivants est importante aux yeux des personnes rencontrées et de leur organisation respective. Tous les répondants à cette étude ont mentionné que la connaissance des besoins de ces populations est nécessaire à la mise en place d’une offre de loisirs qui puisse répondre à leurs attentes. Nombreux sont ceux qui ont affirmé travailler dans une équipe où les employés avaient ce désir de bien comprendre la réalité quotidienne de ces populations afin de mieux les servir. Par contre, la plupart affirment également avoir besoin d’informations quant aux réalités culturelles des nouveaux arrivants qui habitent le territoire. Ce souhait d’en connaître davantage sur les attentes, les réalités et les modes de vie de ces populations permet en effet d’optimiser leur participation aux offres récréatives (Forde et al., 2015; Hasmi et al., 2014; Neider, 1990; Stodolska, 2015). Au-delà de ces besoins de nature personnelle, les répondants à cette étude semblent aussi se concentrer sur la notion d’accessibilité économique et géographique aux activités et aux équipements récréatifs pour les populations nouvellement arrivantes. Ainsi, une offre à moindre prix et une répartition stratégique des services récréatifs font partie intégrale du processus de mise en place des activités et des équipements de loisir sur les territoires observés. Les écrits tendent à démontrer que ces notions d’accessibilité semblent être des contraintes majeures à la participation au loisir chez ce type de population (Coughlan et al., 2014; Hasmi et al., 2014; Stodolska, 2015).

L’un des défis importants auxquels les répondants font constamment face est celui de la communication, notamment celui de la barrière linguistique. Le nombre élevé de langues et de dialectes présents sur un même territoire rend difficiles la circulation et le partage d’informations selon les répondants rencontrés. Cette communication est primordiale lorsque vient le temps de mettre en place des stratégies d’intégration des nouveaux arrivants, car elle est nécessaire à la compréhension des besoins et des attentes de ces populations. Au-delà d’être uniquement un simple vecteur d’informations, du point de vue du paradigme de l’interculturalisme, la communication est un moyen de mieux comprendre l’autre et de réduire les écarts de compréhension qui peuvent être source de discrimination ou d’exclusion (White, 2019c). Or la communication avec les personnes issues de l’immigration récente est complexe, et non seulement à cause des barrières linguistiques (Battaglini 2010). Ainsi, de nouvelles stratégies doivent être mises en place (Forde et al., 2015; Neider, 1990; Stodolska, 2015). Dans le cas montréalais, certaines contraintes structurelles rendent la communication plus difficile, principalement pour les employés du milieu municipal. Le fait de travailler dans un arrondissement unilingue francophone où les communications officielles doivent obligatoirement être effectuées dans cette langue est vu comme un obstacle au dialogue avec les populations de nouveaux arrivants. Couplé à ceci est le manque de ressources (financières et humaines) qui réduit le capital humain pouvant soutenir la relation entre les populations nouvellement arrivantes et les organisations locales. Néanmoins, ces contraintes structurelles semblent pouvoir être amoindries grâce au capital territorial des arrondissements observés. Ce capital territorial est caractérisé par la présence de nouveaux arrivants qui souhaitent s’impliquer dans la vie communautaire, mais aussi par une série de partenariats entre les institutions et les organismes locaux. Ce type de collaboration facilite l’analyse et la réponse aux besoins de ces populations, améliore la compréhension des enjeux quotidiens de celles-ci et facilite le dialogue entre les organisations locales et les nouveaux arrivants. Ces partenariats incluent plusieurs individus issus de l’immigration, ce qui tend à faciliter la communication et à augmenter la participation des populations immigrantes locales (Arnaud, 2002). Finalement, certaines contraintes d’ordre personnel existent également. Outre la nécessité de répondre aux besoins familiaux de base avant de penser à participer à des activités de loisir, les répondants à cette étude ont manifesté le besoin de mieux informer les nouveaux arrivants sur l’importance et sur les bénéfices du loisir, car les activités sont souvent réservées aux enfants chez ce type de population.

Au-delà des facteurs facilitants et des contraintes, cette étude démontre aussi que le loisir peut également être un vecteur de reconnaissance ou d’affirmation identitaire, et ce, autant pour les communautés immigrantes et minoritaires que pour la communauté historiquement majoritaire. Les résultats obtenus à travers les entrevues menées avec les acteurs locaux démontrent que le loisir est utilisé comme stratégie de rapprochement entre la communauté majoritaire et les communautés minoritaires.

Premièrement, le loisir est utilisé par les acteurs locaux comme un moyen d’informer les nouveaux arrivants sur les référents culturels de la société majoritaire. Ainsi, la participation à une activité de loisir, au-delà de mettre en lien l’individu nouvellement arrivé en contact avec les organismes locaux (Hasmi et al., 2014; Kim, Heo et al., 2016; Olliff, 2008; Stack & Iwasaki, 2009; Stodolska, 2015; Zhang, 2007), permet à ce dernier de mieux comprendre la complexité et l’histoire de la communauté majoritaire. Le loisir serait donc perçu comme une nécessité, voire une activité permettant de répondre à des besoins de base d’une communauté de plus en plus diversifiée. Le loisir aide à l’apprentissage de la langue d’accueil, à la compréhension du fonctionnement des institutions publiques, à la création d’un réseau et, ultimement, participe à faciliter la recherche d’un nouvel emploi (Hasmi et al., 2014; Kim, 2012; Stodolska, 2015). Or, à la vue de certains résultats obtenus, il serait possible de qualifier le loisir pour les nouveaux arrivants comme étant une activité utilitaire leur permettant principalement d’acquérir de nouvelles compétences (professionnelles, linguistiques, sociales, etc.) ou de développer un réseau pouvant faciliter leur recherche d’emploi.

Deuxièmement, l’analyse des entrevues effectuées permet d’observer qu’il est tout aussi important pour les répondants de bien faire comprendre la façon de faire du groupe majoritaire que de permettre aux nouveaux arrivants d’avoir un espace pour la reconnaissance des spécificités de leurs communautés respectives. Ainsi, le loisir, notamment à travers certains évènements spéciaux, donne l’opportunité aux communautés minoritaires de partager avec la communauté majoritaire, mais aussi avec les autres communautés minoritaires. Le loisir sert donc de « courroie » de transmission entre les différentes communautés minoritaires et la communauté majoritaire. Ce dialogue contribue à la lutte contre les inégalités sociales ainsi que le risque d’exclusion chez ces populations à travers la promotion de l’inclusion et de la participation citoyenne (Ito et al., 2011; Le et al., 2015; Rich et al., 2015; Tirone et al., 2010).

Nous jugeons toutefois que certains propos tenus par les participants interviewés se doivent d’être nuancés puisqu’il existe un biais souvent inconscient qui fait que les personnes du groupe majoritaire peuvent avoir des préjugés par rapport à d’autres communautés linguistiques et religieuses (White, 2019a). On dénote aussi une prépondérance des professionnels dans le secteur du loisir issus du groupe majoritaire, conduisant éventuellement à d’autres biais interprétatifs des dynamiques sociales et culturelles présentes avec les nouveaux arrivants. Par conséquent, et pour nous, cette étude révèle encore davantage le fait que le paradigme interculturel ne devrait pas être compris comme la préséance du groupe majoritaire (Bouchard, 2012), mais plutôt comme l’interaction entre personnes de différentes origines (autochtones, allochtones, nouveaux arrivants) qui se fait sur le territoire d’un groupe majoritaire qu’on ne peut pas ignorer. Ainsi, le loisir devient ou peut devenir un liant pouvant favoriser les interactions positives entre personnes d’origines diverses.

Conclusion

Cette recherche exploratoire démontre l’importance du loisir dans l’intégration sociale des nouveaux immigrants dans un contexte interculturel. À la vue de ces résultats et de ces analyses, plusieurs pistes d’intervention potentielles peuvent être formulées :

  • Mieux outiller et informer les acteurs locaux des besoins des nouveaux arrivants en matière de loisir;

  • Mettre en place des stratégies de communication plus adéquates pour rejoindre ce type de population;

  • Développer des mécanismes de partage de connaissances et de concertation au sein des milieux d’action;

  • Informer les professionnels sur les formations pouvant les soutenir dans leur travail dans un contexte interculturel;

  • Accroître les activités de loisir incitant au partage et aux échanges interculturels;

  • Développer la promotion du bénévolat dans le domaine du loisir auprès des nouveaux arrivants;

  • Sensibiliser davantage les élus des différents paliers gouvernementaux à l’importance du loisir comme vecteur d’intégration des nouveaux arrivants, et ce, au même titre que l’éducation et le travail.

À la lumière de ces résultats, il est important de noter que cette recherche exploratoire comporte une certaine limite analytique. En effet, après s’être concentré sur les professionnels du milieu du loisir travaillant avec les populations nouvellement arrivantes, il serait important d’interviewer ces dernières et d’analyser, à travers leurs discours, leur relation avec le loisir dans leur nouvelle société d’accueil. De plus, une analyse de cas comparative entre les milieux interculturel et multiculturel serait nécessaire afin de poursuivre cet élément d’enquête de manière à mieux comprendre les différences et similitudes entre les deux types d’intégration lorsqu’il est question de loisirs. Finalement, nous souhaitons mentionner les limites méthodologiques de cette étude. Tout d’abord, nous n’avons malheureusement pas pu faire d’enquête dans le huitième arrondissement visé au début de cette démarche de recherche. Ceci limite de facto l’ampleur de cette recherche. Parallèlement, la nature qualitative de cette étude ne nous permet pas de généraliser les résultats obtenus, mais le niveau de saturation de certains discours recueillis jumelé à des choix méthodologiques basés sur une méthode d’échantillonnage validée scientifiquement nous amène à penser que nous avons une certaine représentativité sociale concernant nos résultats. Par ailleurs, et malgré la prise en compte de plusieurs règles et autres considérations méthodologiques, les interviewers ont pu éventuellement amener certains biais durant les entrevues menées. De façon complémentaire, il est indéniable que différents biais de désirabilité sociale ont pu émaner de divers discours tenus par des participants.