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Introduction

Les opérations de rachat avec effet de levier financier ou opérations de leveraged buy-out (LBO) ont connu un développement particulièrement important dans la plupart des pays développés depuis une trentaine d’années (Strömberg, 2008). Selon Europe Invest[1], près de 350 milliards d’euros auraient ainsi été injectés en fonds propres dans les entreprises européennes entre 1992 et 2016. Les travaux sur ce type d’opération ont fait l’objet de très nombreux développements tant sur le plan théorique (Jensen, 1989b) que sur le plan empirique (Amess et Wright, 2012 ; Pignatoro, 2013 ; Phalippou, 2017). Ce type d’opération est le plus souvent initié par un ou plusieurs fonds de capital-investissement (ou fonds de private equity) associés à des dirigeants en place ou à une équipe de dirigeants externes. L’objectif des repreneurs consiste à prendre le contrôle d’une société cible via la création d’une holding de reprise, qui porte en général la dette d’acquisition, afin de maximiser le retour sur investissement au moment de la sortie après une durée de détention comprise entre quatre et sept ans (Bruton, Keelsc et Scifres, 2002).

Parmi les différents types de rachat avec effet de levier, le rachat d’une entreprise par ses cadres dirigeants (REC) ou management buy-out (MBO) constitue la forme la plus répandue, et ce plus particulièrement en France. L’une des spécificités du marché français réside, en effet, dans l’importance des REC dans la transmission de petites et moyennes entreprises avec l’aide ou non d’un fonds de capital-investissement (Palard et Barrédy, 2015). La plupart des études sur ce thème réalisées aux États-Unis (Kaplan, 1989 ; Ivashina et Kovner, 2011) ou en Europe (Boucly, Sraer et Thesmar, 2011 ; Le Nadant, Perdreau et Bruining, 2018) se concentrent au contraire sur des opérations de type LBO de grande taille dont la valeur de l’opération est souvent supérieure à 100 M$.

Selon une définition assez large, un REC se produit lorsque des dirigeants ou des salariés non-actionnaires acquièrent une part significative des parts sociales et des droits de vote de leur entreprise auprès des propriétaires en finançant l’acquisition de ces titres grâce à un niveau d’endettement élevé (Bedu et Granier, 2018). Dans de nombreux cas, les dirigeants peuvent s’associer à un ou plusieurs fonds de capital-investissement pour financer la reprise. Les fonds peuvent ainsi acquérir une participation minoritaire ou majoritaire dans la nouvelle entité, le contrôle majoritaire pouvant être le fruit de montées successives au capital. Pour Amess et Wright (2012), un MBO se caractérise par trois éléments essentiels : une forte concentration du capital et des droits de vote détenus par les dirigeants, un niveau élevé d’endettement garanti sur les actifs ou les flux de trésorerie futurs générés par la cible et une forte implication des fonds PE, sponsors de l’opération, dont l’objectif est de contrôler et structurer la cible pendant la durée de détention. Kaplan et Strömberg (2009) soulignent que ce type de restructuration s’opère dans des contextes spécifiques : (1) lorsqu’une grande entreprise ou un groupe souhaite vendre une division ou une filiale en raison d’une performance médiocre ou d’un manque de synergie avec le coeur de métier de la société mère ; (2) lorsqu’un dirigeant cède ses parts à ses cadres ou ses employés afin de partir à la retraite ou développer une nouvelle activité et (3) lorsque les dirigeants rachètent leur entreprise après une première opération de LBO.

Les travaux réalisés sur les REC ont ainsi cherché à analyser à la fois l’origine, le processus et les conséquences de ce type de montage. D’après Harris, Siegel et Wright (2005), les facteurs clés de succès à l’origine de ces opérations reposent, d’une part, sur la compétence des fonds de capital-investissement à identifier les cibles les plus prometteuses et à négocier les meilleures conditions de financement auprès des banques, et d’autre part, sur la capacité des firmes reprises à générer des flux de trésorerie réguliers sur une période courte dans un environnement concurrentiel stabilisé. D’autres études se sont intéressées aux conséquences des REC sur la rentabilité économique et financière des firmes reprises (Harris, Siegel et Wright, 2005), sur la performance relative des fonds (Kaplan et Schoar, 2005) et sur les transformations en matière de gouvernance et de contrôle financier (Meuleman, Amess, Wright et Scholes, 2009). Pourtant, à l’exception de quelques travaux plus récents (Billett, King et Mauer, 2007 ; Boucly, Sraer et Thesmar, 2011 ; Paglia et Harjoto, 2014 ; Le Nadant, Perdreau et Bruining, 2018), la question de la croissance des sociétés reprises en REC et le rôle économique joué par les fonds sur le mode de développement des cibles ont été relativement peu abordés dans la littérature, notamment en France.

La reprise d’une PME sous la forme d’un REC intervient le plus souvent au moment charnière de son développement, lors de la transition entre la phase de croissance et la phase de maturité. Or, l’analyse de la littérature montre que l’impact de ce type d’opération sur la croissance et la performance des PME reprises n’est pas clair. De nombreux travaux montrent que l’impact d’un REC est globalement positif sur le développement des PME. Plusieurs raisons peuvent être évoquées : optimisation de l’effet de levier (Kaplan et Strömberg, 2009 ; Ivashina et Kovner, 2011), nouvelles capacités de financement (Billett, Jiang et Lie, 2010), réduction des coûts d’agence (Jensen, 1986 ; Meuleman et al., 2009), possibilités de bénéficier de l’expertise et de la réputation des fonds de capital-investissement (Davila, Foster et Gupta, 2003 ; Demiroglu et James, 2010). À l’inverse, les opérations de REC peuvent être néfastes à long terme, car elles accroissent les risques économiques et financiers pris par les repreneurs pour financer le rachat de leur entreprise. Les travaux de Phalippou et Gottschalg (2009) montrent, par exemple, que la performance ajustée du risque des fonds de capital-investissement, au cours de la période 1999-2008, a été nettement plus faible (+4,2 %) que la rentabilité du NASADQ (+7,3 %) sur la même période. D’autres travaux mettent en évidence que les firmes reprises sous la forme d’un REC ont tendance à maintenir des niveaux de dividendes élevés au détriment des investissements ou de la progression des salaires et de l’emploi (Desbrières et Schatt, 2002 ; Paglia et Harjoto, 2014). Enfin, le risque de défaillance des firmes rachetées avec un fort levier d’endettement est significativement plus élevé que celui des entreprises comparables au moment du rachat (Tykvova et Borell, 2012 ; Palard et Bedu, 2014).

La problématique principale au coeur de cette recherche consiste à mieux appréhender les opérations de rachat d’entreprise par les cadres dirigeants et leurs conséquences pour les PME reprises. Le REC, qui constitue une forme particulière de LBO, a en effet été jusqu’ici peu abordé dans la littérature ; de même, le rôle des fonds de capital-investissement dans ce processus apparaît pour le moins équivoque. De ce point de vue, cette étude cherche à mesurer l’effet d’un REC sur la croissance et la performance des PME reprises par leurs dirigeants. Le rythme de croissance et la rentabilité des PME s’accélèrent-ils après le rachat ? Et si oui, les fonds de capital-investissement, même minoritaires, jouent-ils un rôle décisif dans ce processus ?

L’originalité de cette recherche tient d’abord à la volonté de se focaliser sur les REC réalisés sur des PME françaises non cotées. La plupart des études sur ce thème s’intéressent, en effet, aux LBO sur des sociétés anglo-saxonnes de grande taille alors que la majorité des opérations en France portent sur des PME non cotées qui font l’objet d’une reprise dans le cadre d’une transmission familiale ou patrimoniale (Bancel, 2009 ; Palard et Barrédy, 2013). L’autre originalité tient à la méthodologie d’analyse de données qui s’appuie sur un modèle d’appariement par score de propension. Cette méthode permet de construire des groupes de contrôle homogènes et robustes afin de mesurer l’effet d’un REC sur la croissance et la performance d’une entreprise entre un an et trois ans après son rachat. L’échantillon final est constitué de 208 PME françaises ayant été rachetées entre 2002 et 2012 en identifiant clairement la présence ou non d’un fonds de capital-investissement dans la structuration du montage.

Les principaux résultats de cette étude montrent que le taux de croissance du chiffre d’affaires et du résultat d’exploitation des firmes reprises en REC n’est pas significativement plus élevé que celui des firmes appariées. Malgré une accélération de la croissance observée postREC, le rôle joué par les fonds de capital-investissement sur la dynamique de croissance des sociétés reprises n’apparaît pas significatif.

D’un point de vue managérial, cette étude devrait d’abord intéresser de futurs cadres dirigeants qui souhaiteraient racheter les parts de leur société et qui voudraient mieux comprendre les facteurs clés de succès liés à la reprise d’une PME. Les résultats de cette recherche pourraient également être utilisés par les gérants de fonds de capital-investissement afin de mieux appréhender les effets d’un changement de contrôle sur la rentabilité des PME. Les décideurs politiques pourraient, enfin, envisager de modifier certaines incitations fiscales en visant notamment les PME reprises dans le cadre d’un REC.

L’article s’organise de la manière suivante. La première section présente le cadre théorique et les hypothèses de recherche issues de la revue de littérature. La deuxième section décrit la méthodologie du modèle de score de propension, l’échantillon de firmes reprises en REC ainsi que les mesures des variables utilisées. La troisième section présente les résultats de l’analyse de données univariée et multivariée. La dernière section revient sur les résultats et permet de conclure sur la portée de cette recherche.

1. Revue de la littérature et hypothèses de recherche

1.1. Rachats d’entreprise par les cadres dirigeants, organisation et performance des PME reprises

Sur un plan théorique, le débat autour de la propriété et du contrôle des entreprises trouve son origine dans les travaux précurseurs de Berle et Means (1932) selon lesquels actionnaires et dirigeants poursuivent des objectifs difficilement conciliables. Selon Baumol (1959), les dirigeants ont notamment tendance à privilégier l’augmentation du chiffre d’affaires au détriment du profit opérationnel ou de la performance économique de l’entreprise. De ce point de vue, le REC peut représenter une alternative efficace visant à réaligner les intérêts des dirigeants avec ceux des actionnaires. Plusieurs courants théoriques permettent d’aborder l’effet d’un changement de gouvernance induit par le REC sur le développement des firmes postacquisition.

Le rachat d’une entreprise par ses cadres dirigeants entraîne avant tout une modification des relations dirigeants-actionnaires et donc, un changement de gouvernance au sein des sociétés reprises. Ce changement redéfinit les frontières de la firme par la mise en oeuvre de mécanismes de surveillance et d’incitation plus efficaces. D’après Jensen (1986), le MBO constitue une nouvelle forme d’organisation qui remet en cause les relations entre propriétaires et dirigeants en raison du rôle central que joue la dette dans le montage. En se substituant au versement de dividendes, la dette représente un mécanisme puissant permettant de contrôler l’action des dirigeants. Jensen (1989b) souligne que la dette est, non seulement une ressource permettant de financer les projets d’investissement à VAN positive, mais également un moyen de contrôler l’action des dirigeants en raison de la hausse du risque de défaillance induit par le poids de la dette et des charges financières. Ce montage vise à discipliner les dirigeants dans leur gestion opérationnelle en améliorant les critères d’évaluation de leur performance à travers la capacité de l’entreprise à rembourser sa dette. Le REC peut ainsi être perçu comme un dispositif de contrôle qui permet d’améliorer la performance globale de la firme reprise et représente, de ce fait, une forme d’organisation supérieure (Jensen, 1989a).

Par ailleurs, à l’effet disciplinaire de la dette s’ajoute l’effet de levier financier qui se trouve souvent au coeur de la rentabilité financière du montage. L’étude de Bruton, Keelsc et Scifres (2002) réalisée sur un échantillon de 103 sociétés américaines acquises aux États-Unis au cours des années quatre-vingt montre que la performance de l’entreprise dépend essentiellement du levier financier qui représente plus de la moitié de la performance financière ex post dégagée. Selon Billett, King et Mauer (2007), il existe une corrélation positive forte entre la croissance du chiffre d’affaires de la société reprise et son niveau de rentabilité financière postacquisition.

Le REC vise également à redéfinir les contrats négociés, souvent de manière implicite, entre dirigeants et actionnaires au sens de la théorie des droits de propriété proposée par Alchian et Demsetz (1972). Selon Hart et Moore (1990), actionnaires et dirigeants se trouvent, en effet, dans l’incapacité de formuler des contrats complets du fait de la rationalité limitée des agents et du caractère asymétrique de l’information. Par conséquent, en présence d’un investissement spécifique, les agents vont chercher à renégocier leurs contrats de manière opportuniste. La mise en oeuvre d’un REC devrait limiter les comportements opportunistes en attribuant de nouveaux droits de propriété aux dirigeants-repreneurs, dont les investissements en capital humain sont nécessaires, voire vitaux, pour la réussite de l’opération.

Sur le plan empirique, peu d’études se sont intéressées au cas spécifique des PME reprises dans le cadre d’un REC. Ces études aboutissent à des résultats relativement contrastés. Un certain nombre d’études montrent que les firmes sous MBO se développent à la fois plus vite et créent davantage d’emplois que les sociétés de même taille et évoluant dans le même secteur d’activité. Sur un échantillon de 494 start-up américaines au sein desquelles un fonds de capital-investissement détient une participation majoritaire, Davila, Foster et Gupta (2003) montrent que ces firmes se développent plus rapidement et créent davantage d’emplois que les start-up qui grandissent sans la présence d’un fonds de capital-investissement. En France, sur un échantillon de 839 opérations MBO réalisées entre 1994 et 2004, les résultats de l’étude de Boucly, Sraer et Thesmar (2011) montrent que les sociétés reprises améliorent significativement à la fois leur chiffre d’affaires (+18,5 %), leur performance opérationnelle (+12,0 %) et le niveau d’emploi (+10,9 %) sur une période de trois ans suivant le rachat.

À l’inverse, d’autres études soulignent que l’effet d’un REC sur le développement et la performance apparaît globalement neutre, voire négatif. En contrôlant l’impact de la taille et du secteur d’activité des firmes reprises sur un échantillon de 533 MBO réalisées au Royaume-Uni entre 1993 et 2004, Amess et Wright (2012) observent que le taux de croissance et le niveau d’emploi ne sont pas significativement plus élevés par rapport à l’échantillon de contrôle. En considérant uniquement les sociétés monoactivité de taille moyenne, l’étude de Paglia et Harjoto (2014) réalisée sur un échantillon de 3 874 PME reprises par des fonds de capital-investissement aux États-Unis sur la période (1990-2010) met en évidence que l’impact positif sur la croissance reste limité et s’explique essentiellement par le niveau élevé de croissance de l’entreprise avant l’acquisition. La hausse de la performance doit également être mise en perspective avec la réduction des investissements productifs, provoquant une baisse à terme du potentiel de croissance de ces sociétés (Desbrières et Schatt, 2002 ; Cumming, Siegel et Wright, 2007) et l’augmentation du risque de défaillance induit par ce type de rachat (Strömberg, 2008 ; Palard et Bedu, 2014).

Au regard de ces développements, nous nous proposons de tester les hypothèses suivantes :

H1.a. : le taux de croissance des PME reprises par leurs cadres dirigeants est plus élevé que celui des PME comparables n’ayant pas eu recours à ce type de montage.

H1.b. : la rentabilité des PME reprises par leurs cadres dirigeants est plus élevée que celle des PME comparables n’ayant pas eu recours à ce type de montage.

1.2. Rachat d’entreprise par les cadres dirigeants, modalités d’intervention des fonds de capital-investissement et développement des PME reprises

Lors de la structuration d’un REC, le fonds de capital-investissement joue un rôle souvent décisif dans la réussite de l’opération. Dans son rapport d’activité publié en 2018[2], France Invest indique que le rythme de croissance moyen du chiffre d’affaires des sociétés reprises par un fonds de capital-investissement augmente en moyenne de près +12 % dans les trois ans suivant le rachat[3]. Demaria (2013) souligne que les fonds de capital-investissement participent directement à toutes les étapes du processus de rachat : détection et valorisation des cibles potentielles, formalisation d’une proposition sous la forme d’une lettre d’intention, négociation du prix et des modalités de l’opération avec les actionnaires en place, organisation du montage juridique et financier via la création de la holding de reprise, mise en oeuvre de contrats et d’outils d’incitation au profit des dirigeants impliqués dans le montage. Les travaux de Kaplan et Strömberg (2009) montrent que sur les opérations de taille importante (valeur de l’opération > 200 M$), les fonds de capital-investissement sont quasi exclusivement à l’origine du montage en apportant l’essentiel des fonds propres à la holding de manière à prendre une participation majoritaire dans le capital de la cible. En ce qui concerne les opérations de taille plus faible (< 50 M€), les fonds ne sont pas toujours intégrés au montage, et ce plus spécifiquement en France, où les montages LBO sont davantage utilisés d’un point de vue patrimonial, dans le cadre d’une transmission familiale, par exemple (Desbrières et Schatt, 2002). Plusieurs arguments permettent d’analyser les modalités d’intervention des fonds et leur impact sur la performance des firmes reprises.

Au-delà de l’apport en fonds propres, les fonds de capital-investissement, en tant que commanditaires de l’opération, assurent un rôle d’intermédiaire financier. En ce sens, leur présence au capital dans le cadre d’un REC permet de réduire l’asymétrie d’information entre actionnaires et créanciers en participant directement à la structuration du montage et la négociation des conditions de financement avec les banques. Dans le modèle de Brennan et Kraus (1988), une entreprise confrontée à un problème de sélection adverse peut obtenir un financement pour développer un projet en bénéficiant de la garantie d’un tiers ou en négociant des modalités contractuelles spécifiques. Les travaux de Demiroglu et James (2010) montrent que la réputation des fonds de capital-investissement permet notamment de faciliter la négociation des conditions de financement et des clauses adossées aux différentes lignes de financement.

Les fonds de capital-investissement participent également à l’amélioration des mécanismes de gouvernance en instaurant des systèmes de contrôle formel, sous la forme de contrôle financier régulier, et informel, en raison du poids des charges financières liées à l’endettement qui maintient les dirigeants sous pression (Palcic et Reeves, 2013). Une fois le processus de rachat achevé, les fonds de capital-investissement vont chercher à agir de manière active sur la gouvernance des sociétés cibles en modifiant en profondeur les relations entre actionnaires et dirigeants, l’objectif étant de réduire les coûts d’agence et stabiliser la politique de dividende qui constitue la clé de voûte de la réussite du projet (Meuleman et al., 2009). Il faut ici souligner que la plupart des études sur les MBO supposent une présence majoritaire au capital des fonds. Or, selon Paglia et Harjoto (2014), la simple présence d’un fonds de capital-investissement au capital de la holding de reprise, même minoritaire, a un réel impact sur le processus de décision stratégique, les fonds exerçant une influence significative sur les décisions opérationnelles et financières.

L’expertise des fonds de capital-investissement se traduit, enfin, par leur engagement auprès des dirigeants. D’après les travaux de Ivashina et Kovner (2011), les fonds offrent de nouvelles perspectives de croissance aux sociétés cibles, car, forts de leur expérience passée, ils détiennent un accès privilégié à des ressources financières et des compétences stratégiques permettant à la fois de gérer la croissance et d’accéder à de nouveaux marchés. Le Nadant, Perdreau et Bruining (2018) précisent qu’il existe malgré tout une certaine hétérogénéité dans l’implication des fonds auprès des sociétés rachetées. Les fonds vont en effet investir dans des secteurs industriels qui leur confèrent des avantages avant et après l’opération. À partir d’un échantillon de 217 acquisitions effectuées en France entre 2001 et 2007 financées par des fonds de capital-investissement, ils montrent qu’une spécialisation relative dans le secteur d’activité de la société cible entraîne une augmentation des bénéfices de 7,5 % supérieure à celle des acquisitions soutenues par des entreprises de PE non spécialisées dans l’industrie.

Pour ces différentes raisons, nous proposons de tester les hypothèses suivantes :

H2.a. : le taux de croissance des PME reprises par leurs cadres dirigeants et contrôlées par un fonds de capital-investissement est supérieur à celui des firmes reprises non contrôlées par un fonds.

H2.b. : la rentabilité des PME reprises par leurs cadres dirigeants et contrôlées par un fonds de capital-investissement est supérieure à la rentabilité des firmes reprises non contrôlées par un fonds.

2. Méthodologie de recherche, sélection de l’échantillon mesure des variables

2.1. Méthodologie des modèles d’appariement par score de propension et design de la recherche

D’un point de vue méthodologique, ce travail est basé sur une procédure d’appariement par score de propension ou propensity score matching (PSM). Cette procédure est utilisée afin d’isoler l’effet d’un REC en comparant le taux de croissance, la performance et le niveau d’endettement des sociétés reprises avec un groupe de contrôle constitué de sociétés comparables qui n’auraient pas fait l’objet de ce type de rachat. Le principal avantage de cette méthode est d’associer les entreprises sous REC (c’est-à-dire l’échantillon d’étude) à d’autres entreprises qui présentaient la même probabilité d’être reprise, mais ne l’ont pas été (échantillon de contrôle). Le but de cette procédure est d’identifier les facteurs qui peuvent expliquer la croissance et la performance des PME en analysant les caractéristiques des entreprises de l’échantillon avant et après le REC afin de les comparer avec les entreprises de l’échantillon de contrôle. Les biais induits par la méthode de sélection devraient être fortement réduits, car les facteurs endogènes et exogènes de la croissance et de la performance des firmes reprises sont contrôlés dans le choix des entreprises comparables.

Les modèles d’appariement par score de propension ont été développés à partir des travaux fondateurs de Rubin (1974) et de Rosenbaum et Rubin (1983). Cette technique a été étendue à de nombreux domaines des sciences sociales et de l’économie et notamment en finance d’entreprise. Cette méthode est conçue pour construire un groupe de contrôle robuste dont les caractéristiques sont très proches du groupe d’étude. Le score de propension obtenu à partir de ce processus correspond à une variable qui résume les caractéristiques élémentaires liées au traitement, la variable d’intérêt représentant la caractéristique potentiellement impactée par le traitement. Les sociétés sous REC et les sociétés du groupe de contrôle doivent présenter les mêmes caractéristiques avant le traitement (c’est-à-dire avant le REC). De plus, dans le cadre d’un REC, nous pouvons considérer que les firmes sont étudiées au moment du rachat par les dirigeants et les fonds de capital-investissement à partir de caractéristiques observables. Par conséquent, les sociétés sous REC seront comparées à d’autres sociétés qui n’ont pas été rachetées par le biais d’un REC, mais dont les caractéristiques observables étaient très proches avant le traitement. Le groupe de contrôle est alors une sorte d’image de ce que seraient devenues les entreprises sous REC si elles n’avaient pas été reprises. Dans notre cas, les caractéristiques observées avant la transaction sont utilisées pour définir la probabilité qu’une entreprise soit acquise par le biais d’un REC. Les entreprises du groupe d’étude peuvent alors être comparées avec les entreprises du groupe témoin à partir de leur score de propension.

Pour déterminer le nombre de sociétés du groupe de contrôle liées à chaque entreprise dans l’échantillon des firmes reprises en REC, nous avons utilisé la méthode de la moyenne pondérée du « plus proche voisin » sur la base des cinq voisins les plus proches. Ces cinq sociétés de contrôle montrent un score de propension proche des entreprises observées dans l’échantillon REC en utilisant une distance maximale testée de 1x10-7.

2.2. Sélection de l’échantillon de PME reprises par leurs dirigeants, échantillon de contrôle et choix des variables

Les données comptables et financières sur les REC ont été obtenues à partir des bases de données Zephyr-BvD et Thomson-Reuters et analysées trois ans avant (Y-3) et trois ans après (Y+3) le rachat. Dans la requête initiale, toutes les opérations de REC ou de MBO réalisées au cours de la période 2002-2012 ont été sélectionnées. Nous avons sélectionné plus spécifiquement les prises de participation majoritaire (> 50 %) sur des sociétés réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 50 M€ lors du rachat et dont le prix d’acquisition était compris entre 5 M€ et 100 M€.

Nous retenons ici une définition stricte des PME à partir des critères classiques proposés par la Commission européenne. Seules ont été retenues dans l’échantillon final les sociétés de moins de 250 salariés réalisant un chiffre d’affaires de moins de 50 M€ avec un bilan total inférieur à 43 M€ dans les trois ans précédant l’opération de reprise. De ce point de vue, certaines sociétés répondant aux critères de PME lors du REC ont pu évoluer après le montage, leur chiffre d’affaires ou le nombre de salariés pouvant dépasser les critères de la Commission européenne.

D’un premier échantillon constitué de 662 opérations, 365 opérations ont été éliminées, car la valeur de l’opération, le niveau de participation acquis ou le type de repreneur n’était pas renseigné. Quatre-vingt-neuf entreprises supplémentaires ont ensuite été éliminées de fait de l’absence de données financières pendant un ou plusieurs exercices comptables.

Après retraitement, l’échantillon final est composé de 208 PME françaises ayant fait l’objet d’un rachat sous la forme d’un REC ou d’un MBO au cours de la période 2002-2012. Parmi les 208 sociétés de l’échantillon, 26 entreprises sont sorties des critères des PME (soit 12,5 % de l’échantillon) dans les trois ans suivant la reprise en REC. La description de l’échantillon final est présentée dans le tableau 1.

Tableau 1

Échantillon de sociétés reprises dans le cadre d’un REC

Échantillon de sociétés reprises dans le cadre d’un REC

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Dans le tableau 1, on peut observer que le nombre de REC dans l’échantillon étudié n’est pas homogène sur la période 2002-2012. Le volume des transactions a été particulièrement important sur la période 2004-2006, tandis que le nombre de transactions a fortement diminué après 2008 en raison de l’impact de la crise financière. Cette évolution est conforme à la cyclicité du marché qui dépend notamment des conditions macroéconomiques et de l’évolution des taux d’intérêt qui ont un effet direct sur la capacité d’endettement des holdings utilisés dans les montages REC. On peut constater, par ailleurs, que 75 opérations ont été structurées avec la présence d’un fonds de capital-investissement (majoritaire ou minoritaire, soit 36,1 % du nombre total de REC) contre 133 REC pour lesquels aucun fonds n’est intervenu dans le montage (soit 63,9 % de l’échantillon total).

Pour construire l’échantillon de contrôle, cinq variables ont été retenues dans la procédure PSM : le chiffre d’affaires, le résultat d’exploitation, le résultat net, l’actif total et le fonds de roulement net. Ces éléments ont été mesurés en considérant la valeur moyenne trois ans avant la finalisation du REC. Cette procédure est assez similaire à la méthode PSM utilisée dans les études récentes sur les REC (Tykvova et Borell, 2012 ; Palard et Bedu, 2014). Le type et le nombre de variables ont été déterminés à partir de trois restrictions majeures. La première est liée à la disponibilité des données financières et comptables trois ans avant le REC (Y-3), car les données manquantes limitent le nombre de variables pouvant être intégrées dans le modèle PSM. La deuxième restriction est liée au choix des variables pertinentes concernant les éléments sélectionnés par les fonds PE pour cibler les sociétés potentielles. La dernière restriction est liée à la faisabilité de l’appariement des modèles qui dépend directement du nombre de variables sélectionnées. La description des variables utilisées dans la procédure PSM dans les tests paramétriques est présentée dans le tableau 2. Ces variables reprennent les principales mesures utilisées dans la plupart des études en finance d’entreprise consacrées aux opérations de type MBO.

La croissance de l’entreprise est définie de manière stricte en considérant le taux de croissance moyen du chiffre d’affaires (CROISS_CA), du résultat d’exploitation (CROISS_REX) et de l’actif total (CROISS_ACTIF) trois ans après le rachat. La performance a été mesurée de manière assez classique à partir de la rentabilité économique (ROCE) et de la rentabilité financière (ROE). À partir des données fournies par Zephyr ou Thomson-Reuters, le pourcentage de détention acquis par un fonds de capital-investissement n’est pas toujours renseigné. Il est donc difficile d’identifier le niveau de contrôle acquis par un fonds lors d’une opération en distinguant le contrôle majoritaire et le contrôle minoritaire. Les modalités d’intervention d’un fonds de capital-investissement dans le montage ont été identifiées en croisant plusieurs sources d’information financière (publications professionnelles, sites Internet des sociétés, site Internet des fonds de capital-investissement détaillant leur portefeuille). Nous avons donc sélectionné dans l’échantillon final toutes les opérations pour lesquelles un fonds de capital-investissement était présent dans le montage. La variable PE_FUND a été codée 0 lorsqu’aucun fonds n’était présent dans le montage et 1 lorsque le fonds de capital-investissement était majoritaire ou détenait une participation significative dans la cible (seuil fixé à 10 % du contrôle minimum). Nous avons également sélectionné les variables de contrôle classiques dans ce type d’étude (taille, âge de l’entreprise au moment du rachat, BFR en jours de CA, investissement, niveau d’endettement).

Tableau 2

Description et mesure des variables

Description et mesure des variables

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Les statistiques descriptives concernant l’échantillon d’entreprises acquises dans le cadre des REC sont présentées dans le tableau 3, trois ans avant (Y-3) et trois ans après (Y+3) la clôture (closing) de la transaction. On peut remarquer d’abord que la valeur de l’opération est en moyenne de 37,9 M€, ce qui est sensiblement inférieur à la valeur moyenne des MBO des autres études réalisées en France ou en Europe. Il semble que le REC ait, par ailleurs, un impact positif sur la plupart des données financières puisqu’on observe une hausse du CA, du résultat d’exploitation, du résultat net ou de la rentabilité moyenne trois ans après le REC.

Tableau 3

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

Les statistiques descriptives (moyenne, médiane, max, min) sont issues des données financières des 208 PME constituant l’échantillon de PME reprises sous la forme d’un REC sur la période 2002-2012.

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3. Résultats

3.1. Résultats des tests de paramétriques univariés

Afin des tester l’impact des REC sur la croissance et le développement des PME reprises, deux séries de tests paramétriques univariés ont été effectuées. La première série de tests vise à comparer la croissance des firmes sous REC avec les sociétés issues de l’échantillon de contrôle en prenant en compte les cinq plus proches voisins à partir de leur score de propension. Une deuxième série de tests compare les performances des firmes sous REC en tenant compte de l’existence ou non d’un fonds dans la structure du capital de l’entreprise cible. Les résultats de ces tests sont présentés dans le tableau 4.

Les résultats de la première série de tests univariés montrent que le taux de croissance du chiffre d’affaires, du résultat d’exploitation ou de l’actif total des sociétés sous REC n’est pas statistiquement plus élevé trois ans après l’opération comparé aux sociétés de l’échantillon de contrôle (qui présentaient quasiment les mêmes caractéristiques, mais n’ont pas fait l’objet d’un rachat). De même, le ROE des firmes sous REC n’est pas significativement plus élevé que celui des sociétés de l’échantillon de contrôle. Certes, les taux de croissance moyens du CA (+5,89 % contre +4,57 %) et du résultat d’exploitation (+3,99 % contre +3,60 %) sont plus élevés dans l’échantillon de PME reprises en REC que dans l’échantillon de contrôle, mais la différence n’est pas statiquement significative. Autrement dit, le REC ne semble pas avoir d’effet significatif sur le processus de croissance ni sur les modalités de développement des firmes reprises par rapport à des PME comparables avant l’opération. Par ailleurs, les résultats ne permettent pas de conclure à un accroissement significatif de l’actif économique. En revanche, conformément à ce que l’on pouvait attendre, le taux d’endettement des entreprises sous REC est significativement plus élevé (au seuil de 5 %) que celui des firmes de l’échantillon de contrôle, et ce, quelle que soit la mesure utilisée. À l’instar des résultats de Kaplan et Schoar (2005), on peut ainsi estimer que les effets positifs des REC (mécanismes d’incitation, réduction des coûts d’agence, expertise et accompagnement des fonds de capital-investissement) sont soit neutres, soit compensés par les effets négatifs induits (hausse des coûts de faillite, réduction des investissements) liés à la hausse de l’endettement. De ce point de vue, la dette n’agirait pas comme un instrument de contrôle des dirigeants, mais renforcerait au contraire la vulnérabilité financière des PME structurellement moins solides que des entreprises de plus grande taille. Ces résultats viendraient ainsi valider l’hypothèse 1.a. alors que l’hypothèse 1.b. ne semble pas être validée par les tests paramétriques.

Dans la deuxième série de tests univariés, nous n’observons pas de différence significative en matière de croissance de l’activité ou de performance opérationnelle entre les PME cibles contrôlées par un fonds de capital- investissement (avec un contrôle majoritaire ou significatif) et les PME restées indépendantes de la présence d’un fonds. Les résultats montrent toutefois que les fonds ont tendance à cibler les sociétés de plus grande taille tant en termes de CA (38,4 M€ contre 31,7 M€) que de REX (4,3 M€ contre 3,8 M€). Par conséquent, si la croissance s’accélère après les REC, la présence des fonds au capital des cibles ne semble pas être impliquée dans l’accélération de la performance. Ce résultat viendrait ainsi invalider les hypothèses 2.a. et 2.b. selon lesquelles la présence d’un fonds a un effet positif sur la croissance des firmes postacquisition.

Tableau 4

Résultats des tests paramétriques univariés

Résultats des tests paramétriques univariés

* Significatif au seuil de 10 %

** Significatif au seuil de 5 %

*** Significatif au seuil de 1 %

-> Voir la liste des tableaux

L’échantillon des entreprises sous REC est constitué de 208 PME françaises non cotées. Au sein de cet échantillon, 133 sociétés ont été reprises sans l’intervention d’un fonds de capital-investissement et 75 ont été reprises avec l’intervention d’un fonds (majoritaire ou détenant influence significative). L’échantillon de contrôle est constitué de 1 040 PME comparables. Cet échantillon de contrôle a été construit à partir de cinq plus proches voisins identifiés à partir de cinq variables (chiffre d’affaires, résultat d’exploitation, résultat net, actif total et fonds de roulement net) retenues dans la procédure PSM trois ans avant le REC. Les tests de différences de moyenne et le degré de significativité sont fondés sur la valeur du t de Student.

3.2. Résultats des tests de régression multivariés

L’objectif des tests multivariés consiste à identifier les déterminants à l’origine de l’évolution de la croissance et de la performance des cibles reprises en REC. Nous avons testé économétriquement le modèle de régression simple visant à expliquer l’évolution de la croissance et de la rentabilité postrachat à partir des variables explicatives présentées précédemment. La croissance des sociétés reprises en REC est mesurée à partir du taux de croissance moyen du chiffre d’affaires (CROISS_CA), du résultat d’exploitation (CROISS_REX) et de l’actif (CROISS_ACTIF) en considérant l’effet un an après (Y+1) et trois ans après (Y+3) la date du rachat. La performance économique et financière est mesurée respectivement à partir du ROCE et du ROE en considérant également l’effet un an après (Y+1) et trois ans après (Y+3) le rachat. Deux modèles ont été testés pour chacune de ces mesures. Le tableau des corrélations entre les variables est renvoyé en annexe de l’article.

3.2.1. Les déterminants de la croissance des REC

Dans la première série de tests, nous cherchons à mesurer les déterminants de la croissance des PME rachetées sous la forme d’un REC à partir de deux modèles.

Modèle 1.1. :

CROISS = α1PE_FUND+α2TAILLE+α3AGE+α4PCTG_CTRL+α5INVEST+α6BFR

+ a7DETTE_PASS+α8LEV_FIN+α9LT_DETTE+α10CONSTANTE+εi

Modèle 1.2. :

CROISS = α1PE_FUND+α2TAILLE+α3AGE++α4DETTE_PASS+α5LEV_FIN

+ α6LT_DETTE+α7CONSTANTE+εi

Les tests économétriques permettant de mesurer les déterminants de l’évolution du taux de croissance des PME sous REC sont présentés dans le tableau 5. À la lecture des résultats, on peut d’abord observer que l’influence des fonds de capital-investissement n’est globalement pas significative pour deux des mesures de la croissance des PME (CROISS_CA et CROISS_ACTIF) un an après et trois ans après le rachat. Autrement dit, l’évolution du chiffre d’affaires et de l’actif des PME reprises en REC n’est pas corrélée avec la présence d’un fonds (PE_FUND) au capital. En revanche, le taux de croissance du résultat d’exploitation trois ans après la reprise est positivement corrélé avec la présence d’un fonds au seuil respectivement de 10 % et de 5 % dans les modèles 1.1. et 1.2. testés. Ces résultats tendraient à montrer que la présence d’un fonds de capital-investissement n’est pas décisive pour expliquer la stratégie de croissance et la politique d’investissement des PME reprises en REC. Les fonds auraient plutôt tendance à se focaliser sur les performances opérationnelles, et donc, en l’occurrence, sur le résultat d’exploitation. La croissance du résultat d’exploitation est en effet un indicateur indispensable pour s’assurer que la firme reprise peut garantir un versement de dividendes régulier pendant la durée du montage. Ces résultats vont dans le sens de plusieurs études réalisées sur le marché français qui montrent que les fonds sont davantage orientés vers la performance opérationnelle à court terme plutôt que vers une vision à long terme assurant un développement équilibré (Desbrières et Schatt, 2002 ; Palard et Barrédy, 2013).

Tableau 5

Résultats des tests économétriques sur la croissance des PME sous REC

Résultats des tests économétriques sur la croissance des PME sous REC

* Significatif au seuil de 10 %

** Significatif au seuil de 5 %

*** Significatif au seuil de 1 %

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L’échantillon des entreprises sous REC est constitué 208 PME françaises non cotées. Les variables expliquées dans les régressions correspondent aux différentes mesures de taux de croissance à partir de l’évolution du chiffre d’affaires, du résultat d’exploitation et du total actif. Les données ont été mesurées en calculant le taux de croissance moyen calculé un an après (Y+1) et trois ans après (Y+3) la date du rachat. Les modèles 1.1. et 1.2. décrits précédemment ont été testés.

À la lecture du tableau 5, on observe également que le levier financier (LEV_FIN) est quasiment toujours significatif au seuil de 5 % pour les différentes mesures de croissance entre un an et trois ans après le montage. Ce résultat peut s’expliquer par l’impact de la dette nette négociée lors de la structuration du montage. Selon la théorie de l’agence, la dette constitue un puissant mécanisme de contrôle et agit directement sur la gouvernance du REC. Les dirigeants sont en effet soumis aux exigences financières imposées dans les clauses contractuelles des contrats d’endettement. L’influence de la dette est aussi liée à la présence d’un fonds de capital-investissement dans le montage contribuant à réduire l’asymétrie d’information avec les actionnaires et les créanciers puisque le projet de financement est largement porté par le fonds qui joue le rôle de commanditaire auprès des créanciers (Harris, Siegel et Wright, 2005 ; Wright, Gilligan et Amess, 2009).

On peut enfin noter que les dépenses d’investissement (INVEST) ne sont significatives au seuil de 5 % sur la croissance de l’actif que trois ans après le montage. Enfin, ni la taille, ni l’âge, ni le pourcentage de contrôle n’ont d’impact significatif sur l’évolution de la croissance des PME postREC.

3.2.2. Les déterminants de la performance des REC

Dans la seconde série de tests, nous cherchons à mesurer les déterminants de la performance des firmes reprises sous la forme d’un REC.

Modèle 2.1. :

PERF = α1PE_FUND+α2TAILLE+α3AGE+α4PCTG_CTRL+α5INVEST+α6BFR

+ a7DETTE_PASS+α8LEV_FIN+α9LT_DETTE+α10CONSTANTE+εi

Modèle 2.2. :

PERF = α1PE_FUND+α2TAILLE+α3AGE++α4DETTE_PASS+α5LEV_FIN

+ α6LT_DETTE+α7CONSTANTE+εi

Les tests économétriques permettant de mesurer les déterminants de l’évolution de la performance des PME sous REC sont présentés dans le tableau 6. On observe que la présence d’un fonds de capital-investissement (PE_FUND) dans le montage n’a pas d’effet significatif sur la performance économique (ROCE) des PME un an après ou trois ans après le rachat. En revanche, la rentabilité financière est significativement corrélée au seuil de 5 % avec la présence d’un fonds trois ans après le début du REC. Ces résultats vont dans le sens de nombreux travaux s’intéressant au rôle économique des fonds qui seraient davantage orientées vers la rentabilité financière à court terme que vers la rentabilité économique à moyen/long terme (Kaplan et Strömberg, 2009 ; Paglia et Arjoto, 2014). La création de valeur actionnariale se trouve en effet au coeur de la logique d’investissement des fonds.

Tableau 6

Résultats des tests économétriques sur la performance des PME sous REC

Résultats des tests économétriques sur la performance des PME sous REC

* Significatif au seuil de 10 %

** Significatif au seuil de 5 %

*** Significatif au seuil de 1 %

-> Voir la liste des tableaux

L’échantillon des firmes sous REC est constitué de 208 PME françaises non cotées. Les variables expliquées dans les régressions correspondent à différentes mesures de la performance fondée sur la rentabilité économique (ROCE) et la rentabilité financière (ROE). Les données ont été mesurées en calculant le taux de rentabilité moyen calculé un an après (Y+1) et trois ans après (Y+3) la date du rachat. Les modèles 2.1. et 2.2. décrits précédemment ont été testés.

Discussion et conclusion

Cet article s’intéresse à l’impact des opérations de rachat d’entreprise par les cadres dirigeants (REC) sur la croissance et la performance des PME françaises non cotées au cours de la période 2002-2012. S’appuyant sur un modèle d’appariement par score de propension, les résultats montrent que les PME acquises sous la forme d’un REC ne sont ni plus performantes, ni plus rapides à se développer que des sociétés comparables en termes de taille et de secteur d’activité au moment de la reprise. Si l’on note une accélération du chiffre d’affaires et du résultat d’exploitation postREC, cette différence n’apparaît pas significative par rapport à l’échantillon de contrôle. Seule la croissance du résultat d’exploitation et de la rentabilité financière trois ans après le rachat semble être expliquée par la présence d’un fonds de capital-investissement dans le montage. L’argument selon lequel les REC ont un effet significatif sur la croissance et la performance des firmes reprises ne semble donc être validé que de manière partielle à travers les résultats observés dans le contexte des PME françaises étudiées.

Dans une perspective plus large, ces résultats permettent d’abord de remettre en cause le rôle des fonds de capital-investissement sur la croissance et la performance des PME reprises par leurs cadres dirigeants. Les résultats montrent, en effet, que pour les entreprises ayant fait l’objet d’un REC la croissance de ces entreprises n’est pas significativement liée à la présence d’un fonds de PE dans leur structure de propriété. Alors que la plupart des résultats montrant l’effet positif des fonds ont été obtenus sur des échantillons de sociétés de grande taille reprises en LBO et dans un contexte juridique et fiscal principalement anglo-saxon, il semblerait que l’influence des fonds sur la croissance des PME soit nettement plus contestable en France. Ce résultat fait écho aux travaux de Phalippou et Gottschalg (2009) ou Amess et Wright (2012) qui remettent en cause l’expertise des gérants de fonds de capital-investissement et le niveau de performance réalisé pour le compte de leur client. Ce résultat pourrait s’expliquer par le fait que les fonds ont tendance à moduler leur niveau d’exigence et de contrôle en fonction de l’importance des investissements dans leur portefeuille, délaissant souvent le marché des PME. Leur implication est souvent moins forte en matière de stratégie de développement, de gouvernance et de contrôle opérationnel lorsque la cible est une PME (Bruining, Verwaal et Wright, 2013). Leur expertise est généralement dirigée vers les groupes et ETI à plus fort potentiel dont la rentabilité financière est potentiellement plus élevée. Par ailleurs, il semblerait que les fonds s’intéressent davantage à la capacité d’une cible à dégager un résultat d’exploitation élevé à court terme plutôt qu’un niveau de croissance durable en maintenant les investissements à des niveaux suffisants.

Il convient également d’ajouter que la reprise d’une entreprise par ses cadres dirigeants entraîne une hausse du niveau d’endettement et donc du risque financier, ce risque n’étant pas clairement pris en compte dans les mesures de performance usuelles reprises dans cet article. Pour mesurer clairement la performance d’une opération de LBO ou de REC, il conviendrait d’évaluer un niveau de performance ajusté du risque de faillite et des coûts potentiels de défaillance induits par ce type de restructuration. Ce point est d’autant plus important dans le cas des PME, car celles-ci ne disposent pas de fonds propres suffisants pour absorber les effets d’une crise de croissance ou d’une détérioration de leur besoin en fonds de roulement. On peut enfin noter que les données utilisées dans cette étude ne permettent pas d’identifier clairement l’influence du pourcentage de contrôle acquis par les fonds de capital-investissement sur le rythme de croissance et la performance des cibles. Or, la présence d’un fonds dans les instances de contrôle n’a pas les mêmes effets sur la gouvernance des cibles postREC selon que le pourcentage de détention est majoritaire ou minoritaire. L’effet de la crise financière 2008 sur la performance des sociétés reprises en REC n’est pas non plus clairement établi dans cette étude. On peut considérer que les firmes reprises en REC ont davantage été impactées par la crise, car plus endettées, que des entreprises indépendantes disposant d’un niveau de fonds propres plus élevé et d’une capacité d’autofinancement plus importante.

En résumé, les résultats obtenus dans le contexte spécifique de l’industrie du capital-investissement français remettent en cause une partie des conclusions observées dans le contexte anglo-saxon du private equity. En France, le mécanisme du REC est davantage utilisé comme un moyen de transmission du capital que comme un réel moyen d’accélération de la croissance des PME (Palard et Barrédy, 2015). Bien que nous n’ayons pas testé cette hypothèse, le rythme de croissance d’une PME en REC serait ainsi davantage lié aux conditions macroéconomiques et microéconomiques, au positionnement de l’entreprise sur son marché, au niveau de recherche et développement ou à la qualité du management plutôt qu’à la présence ou non d’un fonds de capital-investissement dans le montage. Les résultats de l’étude tendraient ainsi à montrer que le changement de structure de propriété et de gouvernance n’est pas décisif pour expliquer la croissance et la performance des PME reprises par leurs dirigeants.

Malgré les difficultés liées à la taille limitée de l’échantillon par rapport au nombre de PME effectivement reprises en France au cours de la période d’étude et l’impossibilité de mesurer précisément le pourcentage de contrôle détenu par les fonds de capital-investissement, cette recherche peut malgré tout éclairer de futurs repreneurs ou des gérants de fonds de capital-investissement. Les résultats montrent, en effet, que si la croissance des PME reprises semble s’accélérer après le rachat, l’influence de la présence d’un fonds de capital-investissement n’apparaît pas significative sur la performance postrachat des cibles.