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Territoire frugal, la France des campagnes à l’heure des métropoles présente le bilan de trois années de recherche interdisciplinaire associant des chercheurs en aménagement du territoire, en architecture, en géographie, en urbanisme et en écologie. Ces spécialistes de l’urbain en général ont réussi à mettre en oeuvre des démarches qui intègrent des notions et des méthodes provenant de leurs domaines respectifs.

Il faut noter que deux photographes se sont aussi investis dans cet ouvrage intéressant, par leurs illustrations significatives et ciblées qui ont donné une autre dimension à ce livre inédit : une lecture à travers des photos qui parlent d’elles-mêmes. Des portraits de campagne ont été présentés sous un intitulé que nous avons trouvé intelligent et réfléchi : 30 km/h.

Quatorze kilomètres situés entre des villes de plus de 20 000 habitants ont été choisis, étudiés, modelés, décortiqués, démêlés, par une observation minutieuse et un investissement total afin de comprendre les figures dispersées et étalées de l’urbain. Cela a permis une relecture plus claire du territoire, basée sur le constat limpide que toute implication de l’ensemble de ses composantes doit tendre impérativement vers une politique d’aménagement durable réussie.

L’ouvrage collectif s’articule autour de quatre parties distinctes, Dehors, Interfaces, Sol et L’urbain généralisé, chacune étant divisée en deux ou trois chapitres et conclue par un retour sur le concept du 30 km/h. Une analyse profonde a été effectuée, dans cet ouvrage pluridisciplinaire, à l’échelle des établissements humains ainsi qu’a celle des dispositifs d’imbrication des espaces bâtis ouverts.

Territoire frugal est le résultat du travail acharné et efficace de trois années de relevés cartographiques, d’investigation et d’enquêtes de terrain de tous les acteurs phares de ce projet ambitieux et courageux. D’ailleurs, plusieurs données statistiques représentées dans ce livre ont démontré que l’urbain en général souffre de vulnérabilité, sur les plans écologique, économique ou social, ce qui conduit vers un épuisement conséquent et sans précédant de la nature et de ses ressources.

Une réflexion profonde a vu le jour concernant la mise en évidence et en pratique d’études qualitatives des territoires, en visant cette fois-ci les aspects morphologique et ethnographique. À la « lecture » des photos qui illustrent ce livre, se dégage une émotion particulière, une sorte de no comment. Des photos qui parlent et qui s’expriment d’elles-mêmes, rien de plus. Les chapitres sont nourris de matériaux de recherche palpables et actualisés (cartes, statistiques, exportations spatiales, etc.) qui se combinent avec ce que dévoilent les supports photographiques. On compte 16 photos dans la partie Dehors, 11 dans Interfaces, 10 autres dans Sol et 15 dans la partie L’urbain généralisé.

Ce qui nous a marqué dans le deuxième chapitre de la première partie est le fait que le processus d’urbanisation (p. 54) est schématisé telle une mutation cellulaire, une métamorphose qui a mis en évidence ce processus ne cessant de se coudre et se recoudre. Entre extension et jonction, entre inclusion et combinaison, les schémas et les modes d’organisation du bâti mutent pour laisser place à de nouveaux bâtis diffus ou groupés et parfois même mixtes.

Un schéma a aussi attiré notre attention (p. 34). Il représente une lecture codée intelligemment, qui a sa propre légende, où les routes, les voies ferrées, les agrégats, les systèmes commerciaux et agricoles, ainsi que les systèmes industriels et croisés, sont mis en évidence pour montrer le maillage et l’articulation du tissu urbain de chaque ville et campagne française analysée. Les villes sont étudiées aussi bien par rapport à leur morphologie qu’à la distribution de leurs populations et aux pratiques de mobilité qui y ont cours. Sont aussi montrées les formes d’interprétation entre les espaces bâtis et les paysages dit vivants.

Le livre se conclut, en dernière partie, par des photos qui illustrent ce que les auteurs appellent l’« urbain généralisé ». Il faut noter que la couverture du territoire par des documents d’urbanisme réglementaire est nécessaire, voire obligatoire.

Cet ouvrage à la fois pertinent et percutant s’adresse à tous les spécialistes qui s’intéressent à la ville, en particulier, et au territoire, en général. Nous sommes passés de la ville diffuse, étalée, fragmentée, à la ville dite frugale ou plutôt au territoire frugal. Promouvoir la frugalité ne suppose pas automatiquement d’aller vers des aménagements à faible technicité (low-tech) ou de les confronter à la vision nouvelle d’une ville connectée et durable. Actuellement, les concepts de frugalité et de sobriété effraient, mais un sentiment de besoin se développe pour un éventuel retour à la proximité. L’envie de low-tech et de sobriété gagne graduellement du terrain dans l’aménagement du territoire. En France, cela se traduit par des choix de techniques et de matériaux, ainsi que par des méthodes de travail et d’intervention.

Cet ouvrage constitue une réflexion en profondeur sur les enjeux auxquels sont aujourd’hui confrontés les spécialistes du territoire. La vision d’un territoire frugal doit concilier quatre variables : les attentes de mobilité et de sobriété énergétique, les désirs d’espaces et de nature, l’économie de l’usage du sol, de même que le développement équilibré du territoire, avec des logiques simples et spontanées, basées à la fois sur la concentration et la polarisation. Assurer une qualité de vie dans la ville et le territoire à moindres coûts urbains, voilà ce pour quoi plaident les auteurs de ce livre, en considérant urgent que soit relevé le défi du territoire de demain, le territoire frugal.