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Partir, c’est penser. Inscrit dans une série maintenant abondante, et convaincante, l’ouvrage rédigé par Emmanuelle Peyvel à partir de sa thèse [3] ne fait que le confirmer (p. 39) : « L’Asie est donc désormais un centre de gravité du système touristique mondial. »

Ce travail est d’abord une mesure du phénomène. Le tourisme « domestique », celui des Vietnamiens au Viêt Nam, est plus important que l’international. Cela dit, cet accès aux mobilités touristiques n’est pas équitablement partagé, si bien que l’étude de cette réalité, de même que celle de ses effets différenciés sur le territoire, constituent une intéressante entrée dans les problématiques sociétales du pays. La seconde partie du livre analyse les relations entre les cadres collectifs du tourisme, au premier chef l’État socialiste, et les arts de s’en accommoder des touristes eux-mêmes. Il faut dire que la notion d’« art de faire » de Certeau est l’armature d’ensemble de la démarche. La troisième partie croise cette notion avec les récentes avancées de l’« habiter ». Au-delà de la thématique touristique, mais à partir d’elle, l’auteure montre comment les lieux constituent bien un des termes des rencontres. En s’appuyant sur de significatifs exemples, elle en détaille cinq modalités.

En fondant ses recherches sur les touristes eux-mêmes, Emmanuelle Peyvel donne corps, développe et amplifie une approche pressentie comme souhaitable il y a une quinzaine d’années tout au plus (Équipe MIT, 2002). Au-delà, elle confirme que ce sont bien les habitants qui font la qualité touristique des lieux, et non leurs équipements. En avançant la notion de degré de « touristicité », elle règle du reste la difficile question des pratiques « hybrides » : que faire des habitants en pèlerinage qui, semblant s’échapper du religieux, présentent des pratiques « touristiques » ?

Travaillant sur et avec l’Asie dans la dynamique de la mondialisation contemporaine, l’auteure ne pouvait que s’interroger sur les catégories européennes, par exemple la vision centre-périphérie du monde. Et de conclure (p. 96) : « Ce pays devient alors lui-même son propre centre. »

En la matière, quelques questionnements subsistent tout de même. Associer tourisme et émancipation, faire du tourisme une pratique servant la cause de la liberté, est une évidence européenne. Mais l’est-elle encore, ou l’est-elle ainsi, dans la société vietnamienne et pour les Vietnamiens ? Quelles sont les relations entre cette « révolution du sujet » (p. 59) vietnamienne et son équivalent occidental ?

Quant au contexte postcolonial, n’est-il que celui de l’époque française ? Qu’en est-il de la période américaine, voire japonaise ? Et puis de la période actuelle, tant l’influence des Kinh et de leurs représentations semble s’imposer aux ethnies « minoritaires » ? Les relations entre tourisme et dominations sont claires, certes, mais dans ce cas, probablement pas simples.

Donc, pour ceux qui aiment ce « tournant anthropologique » que prend la science géographique contemporaine, pour ceux qui rêvent du Viêt Nam, pour ceux qui pensent que le tourisme, en particulier, est toujours utile pour accéder aux sociétés, pour tous ceux-là, encore, qui apprécient la belle écriture et, avec elle, une impeccable construction, voilà un livre à lire.