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Avec la prolifération des réseaux socionumériques qui semble toucher l’intimité de nos actions ; le champ politique est aussi touché, il en est influencé, transformé et même enjoint à s’adapter à cette nouvelle réalité. Selfies et stars : Politique et culture de la célébrité en France et en Amérique du Nord vient mettre en lumière le phénomène de la célébrité dans le monde politique en contextes français et américain par l’entremise de personnalités politiques. Cet ouvrage se compose de trois grandes parties.

Dans la première, intitulée « Renommée et célébrité de papier », Sidonie Verhaeghe aborde le thème de la célébrité « aux débuts de la IIIe République ». Pour elle, on ne peut dissocier, dans l’imaginaire collectif, la IIIe République et la « Commune de Paris ». Un nom apparaît, celui de Louise Michel, et c’est à travers cette femme politique et ses actions que l’auteure entend expliquer et exemplifier la célébrité dans le monde politique de cette époque. Ce cas vient, selon Verhaeghe, remettre en question la littérature traditionnelle qui attribuait un caractère électif à la popularité politique. En effet, la célébrité de cette « socialiste » est davantage une incarnation personnifiée de valeurs, d’aspirations et d’engagements d’un groupe. Cette « célébritisation » s’est renforcée, entre autres, par la publicisation de son procès en 1870, son altruisme et son engagement ouvrier.

Christian Le Bart aborde ensuite la « fabrique des personnalités politiques » en discutant de l’évolution de la « célébrité procurée par la fonction » institutionnelle (p. 52). Il soutient qu’au début de la Ve République, celle-ci n’était plus un handicap mais plutôt une ressource aux fins politiques, bien qu’elle soit encore tributaire de « l’exemplarité et la loyauté » (p. 56). Toutefois, du fait même de la reconfiguration du champ politique et de l’ouverture imposée par la culture médiatique, on assiste à la fin de l’impersonnalité institutionnelle où dorénavant il y a une invocation de la célébrité personnalisée en attirant la lumière médiatique sur soi par « la dissidence institutionnelle », c’est-à-dire s’affranchir de loyauté traditionnelle au parti (Emmanuel Macron) et par « la distance au rôle » où l’exemplarité institutionnelle n’est plus un dogme et où le champ notionnel de l’émotion, de l’expressivité, est valorisé.

Dans la deuxième partie, « Popularité et célébrité médiatique », Mireille Lalancette et Vincent Raynauld observent que notre contexte actuel est propice à la « célébrification de la politique ». En effet, les politiques empruntent aux codes et aux langages des réseaux socionumériques pour affiner leurs stratégies de communication politique en participant, par exemple, à des talk-shows ou en manipulant Twitter, Instagram et autres réseaux. De ce fait, les stars endossent des candidats politiques ou appellent aux dons pour ceux-ci. En comparant les appuis politiques des deux candidats à la présidentielle américaine de 2016, les auteurs constatent que la candidate démocrate Hillary Clinton a obtenu par exemple un plus grand nombre d’appuis de la part de célébrités hors du monde politique et dans la presse que Donald Trump. En revanche, au Canada, on note une implication politique moindre des célébrités en raison, semble-t-il, du système parlementaire. Se basant sur des données recueillies, les auteurs montrent que les célébrités du monde politique ont en majorité appuyé le candidat Justin Trudeau aux élections fédérales de 2015. Pour finir, les auteurs s’interrogent sur la représentation politique et le pouvoir de persuasion des stars dans l’arène politique. Nicolas Mary se penche sur le cas de la « starisation » dans la « presse magazine » à travers l’expérience politique de Rachida Dati, plus précisément dans trois types d’hebdomadaires dont elle a fait la couverture. Cette « starisation » s’inscrit dans une stratégie générale des acteurs politiques aux fins de « visibilité » médiatique. Pour l’auteur, Dati en a fait « sa principale ressource politique ». En effet, elle a joué sur son origine ethnoculturelle et sociale auprès des médias – ce qui a été repris par la « presse d’information » – aux fins de promotion ou de visibilité politique. En revanche, cette image médiatique s’est au fur et à mesure érodée avec, par exemple, son soi-disant « goût du luxe » et son caractère supposé colérique. Pour terminer, Mary questionne la viabilité d’une telle stratégie, car bien que la visibilité médiatique ait permis à Dati de « consolider sa place dans le champ politique », cette « starisation » comme principale ressource l’a desservie in fine en la caricaturant, la « décrédibilisant » et la figeant « dans des rôles de symbole » (p. 105).

Jamil Dakhlia analyse le traitement médiatique par le magazine Closer de trois personnalités du Front national (FN) que sont Marine Lepen, sa nièce Marion Maréchal-Lepen et Florian Philippot. Pour parler de ceux-ci, le magazine a recours au champ lexical du physique (ou de la sexualité pour le dernier cité) et des vacances pour les « stariser ». Or, un aspect semble commun à la médiatisation des célébrités féminines, c’est la difficulté, voire l’impossibilité alléguée de concilier leur vie professionnelle et privée. Pour le professeur, outre la recherche du gain économique par le magazine, cette « peopolisation » de ces représentants du FN a participé à « la banalisation de ce parti dans l’espace public français » (p. 125) en rejoignant les fins promotionnelles de sa cheffe, en particulier, et, par ricochet, cela a contribué à « normaliser », même « invisibiliser » son statut social élevé et à lui « réinvestir une identité féminine ».

Dans la troisième et dernière partie, « Célébrité et visibilité numérique », Mireille Lalancette et Myriam Durocher réfléchissent sur la pratique du selfie dans la célébrité de Justin Trudeau en s’inspirant des théories de la médiatisation. Ces théories transcendent les oppositions binaires pour postuler l’interrelation entre politique et média, une sorte de relation symbolique dans un contexte socioculturel particulier. L’étude des auteures conclut que la « mise en scène » par l’égoportrait répond à plusieurs buts, comme le sentiment créé de proximité auprès des citoyens, un renforcement du « marketing politique » faisant de Trudeau « une marque », et une « expérience différenciée du politicien » (p. 141). Pour finir, les auteures se demandent si l’égoportrait n’est pas une autre forme de réification du « carcan politique normatif » (p. 142). Dans cette même veine, Pierre Leroux et Philippe Riutort estiment que la « pré-campagne » d’Emmanuel Macron semble contredire les acquis heuristiques en matière de « célébrité politique ». Sa « mise en célébrité » est avant tout favorisée par un programme politique « attrape-tout » et par une construction et un emballement journalistiques autour de sa personne en évitant par exemple « l’évaluation de ses atouts, de son poids politique » (p. 152). Selon les auteurs, il n’est pas totalement avéré de soutenir que les médias ont délibérément pris ou non parti pour lui ; c’est plutôt d’avoir fait « un point d’intérêt médiatique aussi central au regard du faible potentiel de succès de son entreprise politique » (p. 155) qui interpelle. En outre, ils essaient de comprendre la logique de l’accroissement de la célébrité de Macron comme la forte estimation de son rôle et de son poids politiques par la sphère journalistique.

François Hourmant clôture cette troisième partie en discutant du « nouvel ordre corporel » qui a fini de prendre ses aises « depuis la décennie 2000 » avec la presse people. Autrement dit, on assiste à une décomplexification du corps dans les interactions politique et médiatique. Cette médiatisation du corps n’est plus exclusive au corps féminin, elle est un terrain fertile pour les hommes politiques. Ce modelage du corps peut renseigner sur les capacités humaines d’une personnalité politique (la perte de poids de François Hollande) ou peut être utilisé par les magazines people en vue de « transgresser ». En fait, le corps ou cette corporéité renseigne sur les « traits de personnalités » et l’expressivité des hommes ou des femmes politiques.

Pierre Leroux, Mireille Lalancette et François Hourmant concluent l’ouvrage en discutant de la notion de « peopolisation » politique, des trois transformations des conditions d’accès au champ politique et du rôle de la célébrité.

Selfies et stars : Politique et culture de la célébrité en France et en Amérique du Nord est une lecture agréable, enrichissante et intéressante. Elle s’adresse à tous publics, au milieu universitaire, aux personnes intéressées par le marketing politique, même s’il faut reconnaître qu’il y a des parties ou des chapitres d’érudition. La richesse de l’ouvrage peut s’accompagner, pour certains, d’une lecture longue et éreintante devant l’épaisseur ou la densité des informations. Au sujet du contenu, cet ouvrage est pertinent car c’est une étude comparative et approfondie d’un thème, celui de la célébrité politique, peu documenté scientifiquement, surtout dans les milieux de recherche francophones. La richesse de son analyse documentaire plaide en sa faveur en faisant de cet ouvrage une étude majeure pour tout lecteur qui aimerait comprendre la médiatisation politique actuelle et contemporaine.