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Dès ses débuts en 1987, les fondateurs du Groupe interdisciplinaire de recherche en archivistique (GIRA) étaient conscients que le dynamisme d’une discipline pouvait se mesurer, parmi d’autres indicateurs, par la recherche qu’elle génère. La recherche en archivistique est également importante pour le devenir de la profession et son positionnement. Historiquement, l’activité privilégiée par les membres du groupe a été l’organisation d’un symposium se tenant tous les quatre ans et ayant pour but de réunir la communauté archivistique autour de thématiques et problématiques de recherche dans notre domaine. Ainsi, en février 1990, le GIRA organisait son premier symposium intitulé La place de l’archivistique dans la gestion de l’information : perspectives de recherche. En 2017, pour souligner le trentième anniversaire du GIRA, ses membres ont souhaité revenir à la source de sa création en articulant la thématique de leur 8e symposium autour de la recherche en archivistique et tenir ce symposium au sein d’une institution de recherche, soit l’Université de Montréal, afin de se rapprocher des étudiants et des chercheurs.

L’archivistique, en tant que pratique, remonte très certainement à la Haute Antiquité, mais la recherche en archivistique, vue comme activité scientifique qui vise à produire des connaissances, est somme toute plus récente. Carol Couture, co-fondateur du GIRA, a déjà souligné l’importance de la recherche en archivistique pour sa reconnaissance comme discipline universitaire autonome : « Faire de la recherche en archivistique, c’est essentiellement poser des problèmes propres à la discipline » (Roth-Lochner et Burgy, 1998-1999, p. 6).

La recherche en archivistique a longtemps été un espace partagé et était portée par des archivistes professionnels autour des préoccupations liées à :

  • la nature de l’information et des documents historiques (communication, création et conservation d’archives, et méthodes de recherche) ;

  • la place des archives dans la société (histoire des institutions, origine et développement des principes et méthodes d’archivage, les archives dans leur contexte, la profession d’archiviste et son histoire) ;

  • les fonctions archivistiques (acquisition, évaluation, classement, description, conservation, accès et diffusion) ;

  • la gestion (organisation, ressources humaines, finances, bâtiments et équipements).

À l’ère du numérique où certaines problématiques sont transversales, la recherche sur les archives a élargi ses frontières en ralliant des chercheurs d’autres disciplines. Traditionnellement, les archives ont été liées à des disciplines et des professions tels le droit, l’histoire, les sciences de l’administration et de l’information. Depuis une vingtaine d’années, les frontières disciplinaires et professionnelles paraissent devenir floues avec l’apparition de l’archive dans les discours de disciplines comme les arts, la littérature, la muséologie, la philosophie et bien d’autres. L’archivistique doit donc explorer des échanges avec ces disciplines afin de se conférer une meilleure crédibilité.

Parallèlement, dans un contexte nord-américain, la recherche en archivistique est aujourd’hui davantage portée par des enseignants-chercheurs et leurs étudiants que par des praticiens. Comment ces derniers considèrent-ils la recherche ? Assiste-t-on à une désappropriation de la recherche par les professionnels des archives et ce faisant à un cloisonnement entre théorie et pratique menant à une rupture des savoirs entre les professionnels des archives et ceux de la recherche ? Par ailleurs, il existe un danger pour les archivistes de maintenir le discours (et la recherche de solutions) sur un plan purement technique au détriment de la recherche fondamentale. On peut également se questionner sur les effets à long terme d’une logique de compétences et de retour sur investissement et non plus de connaissances.

Si l’on considère indéniable le rôle scientifique, professionnel et social de la recherche en archivistique, en diffuser les résultats est tout aussi essentiel non seulement pour la communauté des archivistes, mais aussi pour les chercheurs en sciences humaines et sociales, voire pour toute personne intéressée par le développement de l’archivistique. Outre les canaux de diffusion traditionnels (par exemple articles, livres), on assiste à la naissance de nouveaux modes de diffusion des résultats et des données de la recherche en archivistique notamment sur les blogues, les réseaux sociaux ou les revues en libre accès. De plus, les universitaires sont encouragés par leur institution à diffuser leurs travaux vers des lieux dits scientifiques, les éloignant ainsi des praticiens qui vont critiquer leur retrait des revues et congrès professionnels. On peut ainsi se questionner sur les conséquences de la diversification des lieux de publication des chercheurs en archivistique.

Situé dans ce cadre de réflexion, le GIRA a souhaité faire, par l’entremise d’un appel à communication, un état des lieux de la recherche en archivistique et, ce faisant, sur la discipline archivistique elle-même. Les propositions de communication reçues et évaluées par les membres du GIRA ont permis la tenue du 8e symposium du GIRA, intitulé État, conditions et diffusion de la recherche en archivistique, en vue de discuter et de réfléchir à quelques-unes des thématiques et questions initiales suivantes :

  1. L’état de la recherche en archivistique : Existe-t-il aujourd’hui des nouveaux champs ou préoccupations de la recherche en archivistique et de la recherche sur les archives ? Où se trouve la frontière entre la recherche en archivistique et la recherche sur les archives ? Qu’est-ce qui est stable, qu’est-ce qui émerge et qu’est-ce qui est remis en question dans les champs de recherche en archivistique ? À l’ère numérique, où se trouve l’expertise des chercheurs en archivistique ? Dans quels secteurs sont-ils recherchés ? Quelle est l’originalité de la recherche en archivistique par rapport aux autres disciplines qui s’intéressent à l’archive ?

  2. Les conditions de la recherche en archivistique : Sous quelles conditions est réalisée la recherche en archivistique ? Par quels acteurs ? Quel portrait peut-on dresser d’un chercheur en archivistique ? Dans un contexte d’académisation de la recherche en archivistique, quel rôle jouent les institutions nationales et les organismes subventionnaires ? Quel impact ont les sources de financement sur les orientations de la recherche en archivistique ?

  3. La diffusion et l’exploitation de la recherche en archivistique : Quelles sont les retombées scientifiques, professionnelles et sociales de la recherche en archivistique ? Les archivistes se sentent-ils interpellés par les résultats de la recherche en archivistique ? La recherche en archivistique est-elle pertinente aux yeux des archivistes professionnels ou aux yeux d’autres acteurs ? Existe-t-il des moyens de faciliter la diffusion et la mise en valeur de la recherche en archivistique ?

Depuis vingt ans, la discipline archivistique s’est considérablement développée au Québec et en France par le biais de la recherche institutionnelle ou universitaire. Pour comprendre l’état et les conditions de la recherche universitaire en archivistique, plusieurs conférenciers, archivistes, professeurs et doctorants ont fait part de leur programme de recherche, des conditions de la recherche et de plusieurs objets d’études. Il est fort possible que les présentations n’offrent pas une réponse claire au questionnement initialement soulevé. Or, il ne s’agit pas ici de fermer la discussion, mais plutôt de la poursuivre par l’entremise de communications ou de publications futures.

Après le mot de bienvenue de Carol Couture, membre co-fondateur du GIRA, Robert McIntosh, directeur général de la Direction générale des archives à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) à Ottawa, a présenté au cours de sa conférence les conditions particulières de la recherche en archivistique au sein de cette institution gouvernementale. M. McIntosh a discuté sommairement de divers projets de recherche réalisés à BAC ainsi que de la participation de cette institution dans InterPARES et ITrust.

Par la suite, Patrice Marcilloux et Bénédicte Grailles, respectivement professeur et maîtresse de conférences en archivistique à l’Université d’Angers, ont expliqué les motivations et les conditions ayant conduit les enseignants-chercheurs de cette université à bâtir un programme de recherche. Les principaux axes de recherche ont été présentés et touchent, par exemple, à la mise en histoire des pratiques archivistiques, des usages et logiques d’usages des archives. Finalement, les auteurs de cette communication proposent un sous-champ disciplinaire qu’ils qualifient d’archivistique sociale, attentive à toutes les formes d’interactions entre archives et société.

La matinée s’est achevée avec la présentation des projets de recherche en archivistique de quatre étudiants au doctorat ou récents diplômés de l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal. Les projets présentés conjointement par Simon Côté-Lapointe, Cécile Gaiffe, Laure Guitard et Annaëlle Winand reflètent non seulement le dynamisme de la discipline archivistique, mais aussi la multiplicité des sujets de recherche qui en découlent et la diversité des méthodes et théories mises en oeuvre par les chercheurs. Les recherches doctorales présentées ont en commun leurs relations avec d’autres disciplines et champs d’études en dehors de l’archivistique. Elles témoignent également de la contribution québécoise au développement des connaissances au sein de la discipline archivistique.

La présentation de Rémy Besson, chercheur postdoctoral à l’Université de Montréal, a porté sur deux types distincts de rapport que les spécialistes de l’histoire du cinéma entretiennent avec les archives. Le premier repose sur le présupposé qu’une séquence issue d’un film de fiction, d’un documentaire ou d’une actualité devient une image d’archives quand elle est remobilisée dans une autre production audiovisuelle. Le second vise à comprendre le cinéma en étudiant le rôle de l’équipe du film, des appareillages techniques et du contexte de production de manière générale. L’étude de ces deux approches conduit à envisager des points de jonction et de disjonction entre l’histoire culturelle du cinéma et les études sur la préservation des documents audiovisuels.

Dans le prolongement des journées d’étude intitulées L’archivistique est-elle une science ?, organisées par l’École des chartes et l’Association des archivistes français à la Sorbonne en janvier 2003, Clothilde Roullier et Yann Potin, chargés d’études documentaires aux Archives nationales de France, ont proposé d’analyser la façon dont, ces dernières années, la recherche en archivistique tend, au gré d’initiatives diverses, à devenir expérimentale. Ils soutiennent l’idée que cette tendance leur semble bénéfique et qu’elle les encourage dans leurs propres actions à travers des expériences humaines et interinstitutionnelles.

Goulven Le Brech, archiviste à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, s’est intéressé dans son exposé à la réflexivité en archivistique et à l’objet archives de la recherche. Issue de la philosophie, la notion de réflexivité a trouvé une application pratique dans le champ des sciences sociales en France, par une méthode réflexive pratiquée en sociologie. Considérant que l’archivistique est un savoir issu d’une pratique professionnelle, Goulven Le Brech s’interroge sur l’applicabilité de la méthode réflexive au domaine de la gestion des archives de la recherche, pour y relever ce que la réflexivité apporte à une réflexion globale sur la recherche en archivistique.

La journée s’est terminée avec la conférence de Marie-Anne Chabin, professeure associée à l’Université de Paris 8, qui a interrogé la recherche en archivistique sur trois points essentiels : l’objet de son étude, les méthodes de recherche et le support de diffusion des résultats dans la société numérique. Selon Chabin, les modalités de l’analyse de la valeur archivistique, les processus de sélection et les opérations de traitement des documents nativement numériques ne peuvent s’affranchir des logiciels de production des données, des solutions de stockage et des algorithmes de gestion ou de recherche de l’information, y compris de l’intelligence artificielle. Enfin, la révolution des modes de diffusion de l’information et d’accès à la connaissance avec les ressources en ligne et les réseaux sociaux pose la question du positionnement politique, scientifique et social de la recherche en archivistique devant ses publics, individuels ou institutionnels, praticiens ou chercheurs.

Pour qui n’aura pas eu le plaisir d’entendre les présentations, les textes des exposés de Carol Couture, Robert McIntosh, Patrice Marcilloux, Bénédicte Grailles, Simon Côté-Lapointe, Cécile Gaiffe, Laure Guitard, Annaëlle Winand, Rémy Besson, Clothilde Roullier, Yann Potin, Goulven Le Brech et Marie-Anne Chabin sont réunis dans ce numéro spécial de la revue Archives en vue de poursuivre la réflexion sur la thématique de la recherche en archivistique.