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Au confluent de l’anthropologie, des sciences de l’environnement, de la sociologie et des sciences des religions, les 15 textes, divisés en quatre parties, présents dans Natures et sociétés. Identités, cosmologies et environnements en Amazonie brésilienne offrent un portrait du bas-Tapajós, au Pará, et créent parallèlement des ponts vers le reste du Brésil et de l’Amérique.

Cet ouvrage codirigé par Laurent Jérôme, Nicolas Boissière, Manoel Ribeiro de Moraes Júnior, Flávia Cristina Araújo Lucas et Josias da Costa Júnior réunit les travaux des chercheurs et étudiants ayant participé au programme court « Amazonies, au rythme des eaux » (Université du Québec à Montréal [UQAM]) ainsi qu’au séminaire terrain qui s’en est suivi en mai 2015. Ce programme, mis sur pied par Laurent Jérôme et Robert Davidson, respectivement professeur et professeur associé à l’UQAM, avait comme triple objectif d’informer les étudiants sur les diverses réalités de l’Amazonie, de développer leur regard interdisciplinaire et de les initier aux méthodes d’enquête ethnographique (p. 11). Les travaux étudiants paraissant dans ce livre sont le résultat de l’expérience de terrain qu’a permise le séminaire de trois semaines qui eut littéralement lieu « au rythme des eaux », sur un bateau parcourant les fleuves et s’arrêtant à Bélem, Santarém et dans quelques communautés environnantes. Ce livre se veut également un hommage au chercheur Robert Davidson, décédé durant l’écriture de celui-ci.

La qualité des textes et des réflexions est inégale, probablement en raison du manque de connaissances générales de plusieurs étudiants sur le Brésil et de la courte durée de leur formation terrain. Quelques confusions et un manque de précision sur les régions et les termes portugais apparaissent à certains endroits. De plus, en raison de la formation et du voyage communs de ces étudiants ainsi que de l’entrecroisement de leurs thèmes de recherche, la majorité des articles se ressemblent sur le plan de la structure et plusieurs anecdotes se répètent. Cela assure cependant une complémentarité, tant en ce qui a trait aux sujets abordés qu’aux nombreuses références communes, et permet d’instaurer un dialogue pertinent entre les auteurs. Ainsi, chaque article se présente comme la continuité des textes précédents.

Même si le contenu de l’ouvrage n’est pas des plus innovateurs, Natures et sociétés a le mérite d’offrir des réflexions détaillées et approfondies sur l’expérience terrain des étudiants et des chercheurs. Le texte introductif de Ingrid Hall, présenté comme une « ouverture comparative » (p. 27), trace d’ailleurs cette première ligne directrice : en s’intéressant aux classifications locales dans les Andes péruviennes, Hall porte un regard analytique sur son terrain ethnographique et sur la construction de son enquête.

L’ouvrage se divise en quatre parties thématiques. La première, plus théorique, porte sur les « [c]osmologies et natures amazoniennes ». Une base théorique sur la religion et son imbrication en Amazonie est présentée, ce qui est important en vue des chapitres suivants. Le texte de Flávio Leonel Abreu da Silveira et de Véronique Isabelle (p. 83) est un apport important à l’ouvrage et à la compréhension de l’Amazonie avec sa description à la fois juste et poétique de la région de Belém et de ses îles. Les auteurs expliquent que dans les cosmologies amazoniennes « tout peut être animé et/ou doté d’un potentiel interactif, ce qui donne une signification probante du sensible et de l’imaginaire sur le plan symbolico-pratique de l’existence réelle [des] esprits et phénomènes » (p. 87).

Les deux parties suivantes sont majoritairement composées des textes des étudiants. Alors que la deuxième — « Identités et pratiques sociales » — porte sur des études illustrant la complexe construction des identités et des pratiques sociales particulières de l’Amazonie, la suivante — « Ethnographies réflexives » — se concentre sur les processus et l’expérience des participants sur le terrain. Le texte de Julie Laplante (p. 273) se démarque particulièrement en offrant un regard différent et une écriture moins traditionnelle qui font écho à la poésie du Pará et à l’interconnexion du temps, de l’espace et des imaginaires des mondes amazoniens. La dernière partie, intitulée « Territoires et écodéveloppement », propose une belle conclusion en présentant des analyses critiques de divers projets d’écodéveloppement mis en place en Amazonie brésilienne.

Ainsi, la qualité de l’ouvrage se retrouve plutôt dans les réflexions sur le processus de l’expérience terrain que dans sa contribution aux recherches amazoniennes. De plus, l’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du pays en 2019, ses discours et les décisions qu’il prend relativement à l’Amazonie (promesses de projets miniers, d’agriculture industrielle et de barrage hydroélectrique) laissent entrevoir, au moment d’écrire ces lignes, une objectivation encore plus grande de ce territoire et de ses ressources ainsi qu’un futur incertain pour les peuples qui y vivent. Les réflexions présentées dans cet ouvrage collectif sont donc un point de départ pertinent quant au devenir amazonien.