Corps de l’article

L’ouvrage dirigé par Noël B. Salazar et Kiran Jayaram, Keywords of Mobility: Critical Engagements, offre une réflexion théorique qui est aussi ancrée dans l’expérientiel sur les concepts en lien avec la mobilité. Il s’agit d’un ouvrage collectif de huit chapitres réunissant surtout des anthropologues, à l’exception d’un chercheur en migration, diversité et justice (Malasree Neepa Acharya, chap. 2) et d’un psychologue (Nichola Khan, chap. 5).

Le livre commence avec une réflexion de Salazar, un anthropologue, réitérant l’importance de réfléchir la mobilité. D’après l’auteur, plusieurs conceptions de la mobilité sont trop souvent tenues pour acquises alors que ce terme implique différentes réalités selon le contexte et l’individu. Par conséquent, le concept dépasse largement les discours dominants associés à la capacité et à la liberté de mouvement. Dans le monde globalisé actuel, les formes de mobilité se multiplient. Ainsi, une réflexion critique sur la mobilité oblige les chercheurs à se pencher sur les processus socioéconomiques qui permettent le déplacement, empêchent ou forcent les individus et les groupes à se déplacer.

Dans Keywords of Mobility, c’est l’approche par mots clés de Raymond Williams (1976) qui est mobilisée. L’importance de cette approche réside dans le fait que la signification des concepts se modifie rarement en isolement, mais plutôt à la conjoncture d’autres concepts. Le but des analyses offertes dans ce livre est, d’un point de vue universitaire, de dépasser la simple généalogie en y intégrant l’analyse des contestations et points de rupture dans les changements de significations qui ont eu lieu au cours de l’histoire. Chaque chapitre étudie un mot clé, qui est analysé à la lumière de la mobilité pour comprendre les diverses implications théoriques et pratiques de cette dernière, mais aussi les articulations complexes qu’elle entretient avec ces autres concepts. Nous y retrouvons : « capital » (Jayaram, chap. 1), « cosmopolitanisme » (Neepa Acharya, chap. 2), « liberté » (Bartholomew Dean, chap. 3), « genre » (Alice Elliot, chap. 4), « immobilité » (Khan, chap. 5), « infrastructure » (Mari Korpela, chap. 6), « motilité » (Hege Høyer Leivestad, chap. 7) et « régime » (Beth Baker-Cristales, chap. 8).

Les chapitres sont généralement structurés de manière à offrir une brève histoire du terme étudié ainsi qu’une profonde réflexion conceptuelle sur ce dernier et son utilisation en lien avec la mobilité. L’apport de cet ouvrage réside principalement dans l’illustration des problématiques relevées par des exemples ethnographiques (comme des travaux auprès de jeunes sans-papiers aux États-Unis ou en Amazonie péruvienne pour examiner les formes de libertés contemporaines). Ceci démontre la pertinence de la discipline anthropologique pour l’étude de problématiques aussi globales et actuelles que la mobilité.

Chaque concept mobilise une littérature abondante qui est difficile à maîtriser dans son ensemble. C’est la structure de l’analyse qui permet au lecteur de bien comprendre les enjeux discutés et de les saisir dans la réalité ethnographique présentée. Par exemple, Elliot, dans son chapitre sur le genre, restreint les enjeux qu’elle aborde. Le résultat est un chapitre clair qui joue son rôle de susciter une réflexion chez le lecteur tout en éclairant l’importante polysémie de la conjoncture du genre et de la mobilité, même si celle-ci n’est pas explorée exhaustivement. Consciente que le genre peut être analysé comme une classification ou un processus, l’auteure nous présente ses effets sur la mobilité, où le genre est la prémisse et la mobilité le résultat, ainsi que les effets de la mobilité sur le genre, où Elliot explore le pouvoir de transformation contenu dans la mobilité affectant le genre.

D’un autre côté, pour ce qui est de certains chapitres, le lecteur se perd dans une tentative d’analyse exhaustive de ces paradigmes et conjonctures. Par exemple, le chapitre sur le capital (Jayaram) introduit plusieurs types de capital, comme le capital humain, économique, social, intellectuel et biologique, pour ne nommer que ceux-ci. Il devient difficile de suivre à quel type de capital l’auteur fait référence dans la suite de sa discussion. De plus, Jayaram fait un constant aller-retour entre différents niveaux d’analyse qui rendent les exemples ethnographiques futiles.

Le livre codirigé par Salazar et Jayaram est une introduction manifeste à la question de la mobilité et des liens qu’elle entretient avec plusieurs autres concepts. Pris dans ce sens, les chapitres ouvrent la porte aux incommensurables possibilités offertes par le paradigme de mobilité. Ce paradigme permet de jeter un regard nouveau, mais significatif, sur des situations ethnographiques qui touchent, notamment, les réalités en lien avec l’immigration. Ainsi, Keywords of Mobility est un apport aux études sur la migration qui oblige le chercheur à se pencher sur les effets de la rencontre entre divers concepts qui se transforment mutuellement.