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L’expérience contemporaine de l’espace est marquée par la virtualisation et la mondialisation qui provoquent un « nivellement du lieu et [un] effacement de ses marques distinctives[1] ». À l’ère du post-exotisme, les lieux rejoignent la ville-monde, « noeud de commutation des réseaux mondiaux[2] ». Le lieu n’est plus seulement « instable »[3] ou « incertain[4] » : il est en crise. Une telle reconfiguration des paramètres géométriques de l’espace est à l’oeuvre dans Envoyée spéciale de Jean Echenoz[5], qui marque le retour de l’auteur à l’action et au roman d’espionnage déjà expérimenté en 1989 avec Lac. Dans Envoyée spéciale, les constituants d’un triptyque spatial improbable, Paris, le département de la Creuse et Pyongyang, sont parodiquement mis sur un même plan : la ville et le village échangent leurs signes et « l’une des capitales les plus hermétiques[6] » s’ouvre au monde. Ces lieux antagoniques sont mis en contact malgré l’affrontement géopolitique que devrait garantir le cadre du roman d’espionnage. L’analyse de ces lieux permet d’observer une homogénéisation, « un voile d’uniformité » propre à la mondialisation « qui estompe les particularités nationales et locales[7] ».

Nous entendons étudier le nivellement de l’espace dans Envoyée spéciale à partir de ces trois lieux en apparence inconciliables en nous intéressant à l’une des actualisations échenoziennes de ce phénomène : le recours aux techniques cinématographiques aptes à brouiller les frontières entre les lieux, à les superposer, à en souligner toute la facticité. Dans Envoyée spéciale, un narrateur tout puissant est responsable de la virtualisation de l’espace, toujours perçu comme à travers un écran. Sorte de grand imagier cinématographique, le narrateur balaie son regard caméra objectivant sur les décors. Il multiplie les effets déréalisants de zoom, ménage des raccords entre les plans et entre les lieux rapprochés par le montage, varie les angles de caméra en jouant avec la focalisation, traverse l’espace à coups de travelling. Les lieux (de tournage ?) en sont à la fois affadis et ramenés au quadrillage de la ville mondiale et de ses systèmes de surveillance.

État des lieux

Quelques thèmes monopolisent les études sur Echenoz : l’usage de l’ironie, la réécriture parodique des genres romanesques, la rhétorique cinématographique et la composante géographique. Nous nous proposons d’observer comment le procédé cinématographique sert la représentation d’une crise du lieu chez cet écrivain qui admet « penser [d’abord] aux décors[8] ». Christine Jérusalem a montré que les romans d’Echenoz « s’appréhende[nt] de façon très forte sur le mode de la spatialité[9] » ; ils « se construisent sur deux lignes de crête : le proche (Paris le plus souvent) et le lointain[10] ». Envoyée spéciale ne fait pas exception à cette règle, jouant précisément de la superposition inattendue de ces deux « lignes ». Plusieurs chercheurs ont consacré des travaux à l’analyse spatiale d’une ou de plusieurs oeuvres d’Echenoz, notamment Marie-Hélène Voyer et Clément Lévy[11].

« Motif thématique[12] » important dans l’oeuvre d’Echenoz, le déplacement est réactualisé dans le contexte post-exotique par une « incapacité pour le voyageur à appréhender les lieux d’une manière “neuve”[13] » : le voyageur « circule, mais il n’y a plus rien à voir[14] ». Les romans d’Echenoz, Envoyée spéciale au premier chef, s’inscrivent au plus près des réflexions actuelles sur le tourisme et de la redéfinition de l’exotisme, conduisant une « [s]ubtile entreprise de délocalisation » et « d’indifférenciation[15] » du lieu étranger. Romans de la mondialisation, sensibles à l’« extension des réseaux qui enserrent ou séparent les territoires » et à la « collusion du local et du global[16] », ils déploient un espace poreux, en proie à des mutations en tous genres, où les non-lieux et les délieux prolifèrent, points de transit au milieu des connexions qui les raccrochent au monde. Ce sont également des romans de la virtualisation : ils « captent l’ère du virtuel[17] » et « dress[ent] le portrait d’un monde voué aux média, aux images[18] » plus qu’à l’expérience réelle qui est continuellement médiée par des écrans reliés, transfigurée par l’appartenance à des réseaux qui l’excèdent. Dans ces romans qui sont des « contracteur[s] d’époque[19] », l’analyse de l’espace, perçu comme « reflet culturel et structurel du contemporain[20] », permet de rendre compte d’un monde qui se disloque.

En choisissant trois lieux antinomiques et en les faisant se rejoindre sur un même plan, celui du simulacre et des réseaux virtuels, Jean Echenoz pousse à l’extrême le nivellement spatial. Une attention portée au « retentissement[21] » – à la fois lexical, thématique, intertextuel, rhétorique, stylistique et structurel – du cinéma dans Envoyée spéciale permet de prendre la mesure de cet a-plan-issement. En créant une « espèce de couche d’air[22] », l’ironie chère à l’écrivain désamorce le constat difficile d’un monde qui tourne à vide, « avec ses guerres actives ou larvées, ses raideurs ethniques, politiques, religieuses, […] ses fractures nucléaires, […] son terrorisme » (ES, 178) : la difficulté à habiter le lieu, à s’identifier à lui, est traitée avec humour, à la façon Echenoz.

Paris

La ville, vidée de sa substance, est réduite à un simulacre indistinct de ville mondiale. Ses quartiers huppés (hauts lieux mis à mal) et sa célèbre vie culturelle sont atténués ou entièrement niés. La capitale apparaît en demi-teintes, en quelque sorte diluée, peinant à apparaître au-delà des réseaux – de transport et de personnages figurants – qui la relient au monde. L’association de Paris et de Pyongyang, dans Envoyée spéciale, n’est aucunement anodine : les deux capitales sont, sur les plans du tourisme et de la mondialisation et de ses flux, à deux extrémités. Leur rapprochement ne peut que susciter un effet comique.

La dématérialisation des lieux parisiens se fait d’abord par des jeux de cadrage et des effets de zoom. Christine Jérusalem parle d’un « art du télescopage[23] » ouvrant « une brèche quant à la possibilité même de la représentation[24] ». En effet, Paris est appréhendée de façon rapprochée sous l’effet d’une constriction du regard qui annule toute vue d’ensemble. Par exemple, plutôt que de décrire les passants, le narrateur évoque « [l]es jambes d’une femme qui passe » (ES, 89). La ville est réduite à des fragments miniatures inaptes à traduire son atmosphère particulière. Selon une « monumentalis[ation de] l’insignifiant[25] » héritée de Perec et de Robbe-Grillet, dont Echenoz se réclame, l’importance est accordée aux éléments les plus prosaïques. Les objets du quotidien (une carte à jouer égarée sur un trottoir, ES, 89 ; une agrafeuse et un cendrier sur un bureau, ES, 208) ont la faveur du narrateur ; le cadre dramatique prévu par le genre du roman d’espionnage est contourné par la toute-puissance (oxymorique) de l’infra-ordinaire. Les éléments qui constituent Paris sont dénombrés, conformément à « [l]’hyper-acuité numérique[26] » repérée par Bruno Blanckeman, sans que cette quantification soit pertinente[27] : « quarante-sept marches », « trois inégales volées » (ES, 25), etc.

Chez Echenoz, l’hyper-acuité n’est pas seulement numérique, elle est également cartographique. Paris n’est plus qu’une accumulation de rues et de stations de métro, une figure géométrique, un quadrillage qu’il s’agit de traverser. La capitale s’éclipse sous les réseaux : les lieux n’importent pas autant que leurs connexions ; points, ils deviennent lignes. Une telle vision « rationalise un espace irréductiblement subjectif », qu’elle « réduit au visible, alors qu’il est aussi perçu par d’autres sens, ressenti et imaginé[28] ». Elle s’oppose radicalement à l’expérience subjective des lieux. Paris, dépouillée de ses traits définitoires, est réduite à une série de toponymes, et les espaces qui la construisent sont très peu caractérisés. L’entreprise d’affadissement de la ville n’épargne pas ses hauts lieux, qui devraient « interpelle[r …] un territoire plus vaste que celui qui est immédiatement présenté par le lieu lui-même[29] », mais qui sont privés de leur valeur historique, patrimoniale et touristique. Les beaux quartiers parisiens sont convoqués pour être neutralisés. Le statut de capitale du luxe, de « ville la plus élégante au monde[30] », est ignoré au profit d’un contraste net entre les lieux fastueux et les bassesses qui s’y déroulent et les personnages sans éclat qui les traversent.

À la manière de figurants, les personnages acteurs de Envoyée spéciale s’effacent dans le décor. Les résidents de Paris sont systématiquement associés à un nom de rue ou à une station de métro : la rue Claude-Pouillet renvoie à Lou Tausk, la rue de la Chine à Clément Pognel, etc. Le narrateur accorde plus d’importance aux artères de circulation qu’aux individus qui les parcourent, identifiés par des périphrases comme « les trois hommes du coin de la rue Pétrarque » (ES, 58). L’uniformisation spatiale n’est pas sans effet sur les personnages, victimes d’un aplanissement similaire : ce sont des existences fuyantes et interchangeables ballotées à travers une série de non-lieux[31] et de délieux, « déconstruits, déshabités, déterritorialisés[32] ». Christine Jérusalem s’est intéressée au « vide du sujet[33] » échenozien qu’elle attribue à une « saturation textuelle[34] » qui ne laisse pas de place aux personnages, « portemanteau[x][35] », « spectateurs aveugles à leur propre vie[36] ». Bruno Blanckeman commente l’anonymat des personnages d’Echenoz, « par excellence l’écrivain des identités tièdes, fréquentes en des temps d’incertitudes[37] ». Dans Envoyée spéciale, les personnages « en exposition[38] » s’évanouissent tour à tour (ils sortent de la caméra) dans ces « lieux où disparaître[39] » qui pullulent dans le monde contemporain.

Si les lieux s’effacent derrière leur désignation enthousiaste, les noms des personnages, sortes d’« enveloppe[s] vide[s], prête[s] à s’envoler[40] », plus chargés de sens que les individus auxquels ils renvoient – Maurice Lessertisseur, Clément Pognel, Lou Tausk –, sont riches de connexions sémantiques. Une symétrie se dessine entre les personnages et l’espace qu’ils traversent : à des lieux dépouillés, menacés de disparition, correspondent des personnages sans « aucun profil » (ES, 287), « ductile[s] » (ES, 12, 13). Constance, dont la principale caractéristique est d’être inconstante, enchaîne les conquêtes. Quand Lou revoit par hasard Hyacinthe après quelques mois, il ne le reconnaît pas, croyant voir « le double pâli de quelqu’un, ressemblant mais délavé, comme un vieux fax qu’on redécouvre » (ES, 231). La métaphore de l’effacement est constamment mobilisée dans Envoyée spéciale, de même que le thème de la disparition, « peut-être la situation romanesque la plus fréquente dans l’oeuvre de l’écrivain[41] ». Plusieurs personnages meurent sans que ces événements tragiques ne marquent les esprits. Le narrateur se débarrasse violemment des personnages « surnuméraires[42] », mais cette violence est neutralisée par le recours à l’humour. « Après s’être défait de Marie-Odile » (ES, 173), sa copine qui en savait trop, « n’ayant rien prémédité, n’y pensant à vrai dire pas vraiment » (ES, 164), Clément Pognel « pli[e] » son cadavre avant qu’il « se raidisse » « dans un cagibi » (ES, 173). Plus loin, le meurtrier subit un sort similaire : « [C]e sont deux moitiés de Clément Pognel qui ont basculé par terre, chacune de son côté » (ES, 296). Au moment d’apprendre la mort de l’un de ses hommes, le général Bourgeaud se réjouit : « [C]ela nous arrange plutôt. Quelques maillons sautent de la chaîne, ça simplifie le tableau » (ES, 177). Si on ne peut compter sur les lieux pour singulariser Paris, on ne peut guère espérer de ses habitants, simples usagers d’un système quadrillé par une surveillance généralisée, qu’ils soient marquants.

Or ces personnages à la lisière du réel passent le plus clair de leur temps sous terre. Dans Envoyée spéciale, l’expérience parisienne est presque exclusivement souterraine. Lieu de transit, le métro devient un espace où l’on s’attarde. Les indications des trajets des personnages foisonnent : Pélestor prend la « direction Porte Dauphine » (ES, 138), alors que Lou emprunte « la [ligne] 2 dans l’autre sens », « direction Nation » (ES, 138). La ville n’est qu’un carrefour métropolitain, traversé par cette ligne 2, qui va d’est en ouest au nord de Paris. À l’instar des hauts lieux, le métro parisien est privé de ses aspects historique, architectural et emblématique. Il pourrait s’agir de n’importe quel métro tant il n’est pas caractérisé : « rien n’est visible par les vitres excepté son propre reflet » (ES, 47-48). Dans le réseau souterrain, les caméras du grand imagier multiplient les plans rapprochés, s’arrêtant sur un « nourrisson » qui « s’est vite mis à hurler » (ES, 43), puis sur « un mandoliniste âgé brutalisant des airs napolitains » (ES, 43), sans offrir de vision d’ensemble. Quand le métro sort « au grand jour » (ES, 139) dans l’une de ses stations aériennes, Hyacinthe et Tausk discutent de « l’évolution » et des « probables perspectives » (ES, 139) de développement de la ville, mais les segments de phrase antithétiques s’annulent : « destruction et construction d’immeubles, couverture ou pas des lignes ferroviaires des gares du Nord puis de l’Est » (ES, 139). Dans Envoyée spéciale, la promenade au coeur de Paris, ville « globale[43] », et plus encore au coeur de son métro, vaut pour toute métropole occidentale.

Simple lieu (de tournage), la ville convie les personnages du roman à une expérience spatiale répétitive et miniaturisée. À mille lieues de la ville célèbre, la capitale française du roman d’Echenoz est vidée de toute sa complexité. Les personnages fréquentent continuellement les mêmes lieux, ainsi Lou Tausk qui vogue entre son appartement, son studio de musique, l’hôtel particulier de son demi-frère Hubert, le salon de coiffure où travaille Marie-Odile et « le Mandarin pensif », son « habituel » (ES, 31) restaurant chinois où il s’assoit à sa « table habituelle » (ES, 255). Le récit lui-même comporte une structure circulaire : sa fin, en tous points identique à son début, met en scène Constance au Trocadéro indiquant la rue Pétrarque à un passant. De plus, les trajets des personnages s’entrecroisent sans arrêt, comme s’ils étaient les seuls résidents de Paris : Christine Jérusalem y voit les marques d’une esthétique de la coïncidence[44]. Lou, époux de Constance (leur couple se défait), fréquente Nadine qui connaît Lucile, et qui se marie plus tard avec Bourgeaud ; il batifole avec Charlotte qui travaille pour Hubert… Paris réduite à un petit nombre d’adresses, inspirant des trajets en cercles concentriques où quelques personnages ne cessent de s’entremêler, dans un récit lui-même circulaire, n’a plus rien de sa complexité caractéristique.

L’atténuation des marques distinctives de Paris pave la voie à toutes sortes de comparaisons : la Creuse et Pyongyang, lieux supposés fermés au monde, sont rapprochés de la capitale française par divers artifices de langage et de montage. En effet, ces deux espaces qui représentent, à des échelles distinctes, le lointain, apparaissent moins dissociés qu’on pourrait le croire. Les frontières entre le proche et l’éloigné, la ville et la campagne, le centre et la périphérie, sont désuètes : les nouvelles configurations spatiales, auxquelles Echenoz est très sensible, excèdent ces binarités.

La Creuse

C’est dans le département de la Creuse – au nom évocateur –, « [a]vant-dernière dans le classement national des densités de population », qui « compte de vastes pans inoccupés voire […] quasiment déserts » (ES, 71), que se trouve la ferme de Châtelus-le-Marcheix, « au bout d’un chemin tordu, invisible depuis la route » (ES, 75). Malgré cet isolement, elle apparaît comme un espace de grand divertissement et de grande sociabilité. Tandis que Paris miniaturisée et circularisée s’apparente parfois à un village, la Creuse prend des airs de métropole. Les deux espaces sont, de ce point de vue, presque interchangeables. Alors que Constance s’ennuie profondément au Trocadéro, lieu touristique et bouillonnant de Paris, elle a un horaire chargé dans un village perdu de la campagne. La ferme pauvre est perçue comme un lieu idyllique où il fait bon vivre dans une « atmosphère de dimanche, voire de dimanche de Pâques » (ES, 77). Esseulée à Paris, Constance développe avec ses ravisseurs des liens proches de l’affection, que le narrateur associe au syndrome de la Creuse, « coexistence voire fusion de deux tableaux cliniques opposés » (ES, 168), les syndromes de Stockholm et de Lima. Pendant cette séquestration aux airs de « cure, [de] villégiature, résidence d’artiste ou de maison de repos » (ES, 106), l’abondance domine : confits, fromages, bons vins, etc. Le renversement spatial est directement lié à l’inversion des schémas du roman d’espionnage. Contre toute attente, le divertissement de Constance est inversement proportionnel à l’animation des lieux : isolée au fond de la Creuse, elle est, de surcroît, conduite dans la nacelle d’une éolienne, lieu étroit qu’elle atteint par une échelle métallique, mais où elle « commenc[e] de s’habituer à vivre » (ES, 172). Les descriptions du cockpit en font une petite « studette » (ES, 170) digne de Paris, surtout que le poste de radio est « branché sur Fip » (ES, 172) ; Jean-Pierre le compare aux « hôtels-capsule » (ES, 170) japonais. De la même façon que Paris perd certaines marques de son urbanité, la campagne n’a plus rien – ou si peu – du cadre rural. Mais contrairement à Paris où l’expérience spatiale passe en grande partie par les réseaux souterrains indifférenciés, les possibilités de vision panoramique ne manquent pas dans la Creuse. Le passage dans cette région est à l’origine d’une inversion d’ordre vertical : le récit abandonne le métro de Paris et s’élève au-dessus de la Creuse. Constance, dans sa nacelle, à environ deux cents mètres d’altitude – l’éolienne n’est pas sans évoquer les gratte-ciels – ne peut qu’avoir un point de vue saisissant sur la campagne française. Toutefois, son désintérêt manifeste pour les paysages justifie l’absence de description. Plutôt que de contempler la « vue imprenable » (ES, 171), la jeune femme, qui n’a que faire de la géographie, « scotch[e] aux vitres des gravures découpées dans le Larousse » (ES, 172). De la même façon, le trajet de Paul Objat vers la Creuse est exempt de panoramas intéressants, bien que l’enquêteur choisisse les nationales et les départementales pour effectuer ce « joli voyage vertical » (ES, 179). Les seules indications au sujet des paysages de l’arrière-pays sont des litotes qui ne disent rien des spécificités du cadre rural et qui en atténuent la singularité : « On peut y traverser des paysages pas mal, […] parfois vraiment pas mal » (ES, 179). L’alignement des espaces est également souligné par des passages qui s’équivalent. Tandis qu’en ville, Lou et Hyacinthe commentent, dans un passage déjà cité pour illustrer l’imprécision des descriptions spatiales, « l’évolution » du paysage urbain (ES, 139), Constance constate, du haut de son éolienne, « l’évolution du paysage vers cette fin d’été » (ES, 172). Dans aucune des situations, la teneur des paysages évoqués n’est développée ; ainsi désubstantialisés, réduits à néant, les paysages – urbain et rural – sont mis sur le même plan : celui du « vide »[45]. Ils ne sont pas seulement désignés par les mêmes mots ; ils sont aussi filmés de la même manière, selon la même échelle de plan. Aux vues d’ensemble inexistantes, les personnages préfèrent, comme à Paris, les « plan[s] plus rapproché[s] » (ES, 108) : Constance surveille ainsi « un carré de fleurs classiques » (ES, 108). Appréhendés par des effets de zoom, les paysages ruraux s’effacent et ne forment qu’une toile de fond indistincte.

Les catégorisations étanches ne sont pas productives dans Envoyée spéciale, qui réunit des lieux simulacres oxymoriques (la ville miniaturisée, la campagne urbanisée). La venue de Constance, de Christian et de Jean-Pierre dans la Creuse modernise l’environnement rural. Le trio rénove la vieille ferme, « repensée à fond, repeinte, réaménagée, débarrassée de tout son vieux contenu » (ES, 180). Le travail de neutralisation des marques rurales est illustré par la destruction du tilleul, figure exemplaire du cadre champêtre : ce tilleul a « deux cents ans » et une « espérance de vie avoisinant mille » (ES, 75). Sa disparition scelle le sort de la campagne, « zénith de la métamorphose, le grand tilleul lui-même n’était plus là », il « se tenait à la même place, mais sous une autre forme : débité en bûches régulières » (ES, 181).

Pyongyang

Ce troisième lieu, le plus invraisemblable, complète l’aplanissement spatial dans le roman d’Echenoz où la capitale nord-coréenne s’apparente à n’importe quelle ville occidentale. Elle a beaucoup à voir avec Paris et, de façon plus surprenante, avec la Creuse. Le schéma triangulaire est complémenté par le nivellement parodique d’un lieu marqué par la radicalité. Le choix de Pyongyang apparaît moins improbable pour quiconque connaît bien l’oeuvre d’Echenoz. Christine Jérusalem notait, dès 2005, la tendance de l’écrivain à sélectionner des lieux qui « représente[nt] un paradoxe cartographique [et] qui justifie[nt] les bizarreries de la narration[46] ». Le paradoxe est net entre Paris, ville la plus touristique au monde[47], et Pyongyang, parmi les plus impénétrables.

« Ville récompense », « ville vitrine[48] », Pyongyang est une mise en scène, une représentation. Tout y est « plus beau, plus grand, plus neuf, plus luxueux[49] » que dans le reste de la Corée. La capitale impeccable, d’une propreté inégalable, est un décor, une sorte de faux lieu qui cache les horreurs du régime. La célébrité de Constance, due à son tube Excessif qui joue en boucle dans les plus hautes sphères de Pyongyang, influence sa perception de la capitale : elle est une privilégiée qui mérite toutes les attentions. Dès son arrivée à l’aéroport de Sunan, la chanteuse est conduite « dans un des beaux quartiers de la capitale » (ES, 217) et invitée à occuper une « opulente villa » (ES, 217). Dans cette enclave épargnée par la famine qui gangrène l’« indistincte banlieue » (ES, 213), les personnages vivent dans la joie et l’abondance, entre promenades et festins qui rappellent ceux de Jean-Pierre et de Christian dans la Creuse : « Loin des provinces où l’on crève de faim dans le noir, […] un dîner délicat […] suiv[i] d’une cassolette de tortue d’eau douce et d’un coquelet farci » (ES, 226). L’exploration des personnages est circonscrite à un territoire très précis[50], où « tout [a] l’air paisible, normal, neuf » (ES, 213), ce qui conduit le narrateur « à se demander si tout cela n’était pas mis en scène » (ES, 220). Pyongyang, sécurisée et surveillée, n’est plus qu’un de ces « décor[s] de prospectus », un de ces « lieu[x] de tournage[51] » qu’Olivier Bessard-Banquy voit proliférer dans l’espace contemporain.

Omniprésente dans Envoyée spéciale, la rhétorique cinématographique a un poids particulier dans la séquence qui se déroule à Pyongyang : elle souligne la facticité des lieux, leur aménagement excessif. Parmi les attractions que visite Constance, ce sont les studios de tournage qui retiennent son attention, « décors spectraux de ville chinoise, européenne ou japonaise » (ES, 259), donc des simulacres urbains, des mises en scène de ville. Le narrateur qualifie le séjour des personnages à Pyongyang de « scène » qui aurait pu être « coup[ée] ensuite au montage » (ES, 302). Le métadiscours est avant tout cinématographique, il fait appel au cadrage, au mouvement (de la caméra), au montage : le cinéma, propulsé par la primauté contemporaine de l’image, prend le pas sur le littéraire. Bruno Blanckeman a bien repéré la tendance d’Echenoz à jouer avec « [l]es nouvelles donnes de l’image, technologiques – monde du virtuel – et idéologiques – société-spectacle[52] ». Trompe-l’oeil en mal de typicité, les décors virtuels que parcourent les personnages d’Envoyée spéciale n’ont pratiquement rien de nord-coréen. C’est précisément cette absence de traits distinctifs qui rend la capitale nord-coréenne et son « décor de carton-pâte[53] » ouverts à toutes les comparaisons.

Les lieux que sillonnent Constance et ses gardes du corps ont quelque chose d’universel et « ne donn[e]nt pas plus le sentiment d’être en Asie que n’importe où au monde » (ES, 248), l’architecture de la villa où loge Constance, par exemple, ne « présenta[n]t pas le moindre indice asiatique » (ES, 217). Parodie oblige, le caractère quelconque de la capitale fait écho, en le démultipliant, au discours tenu sur elle : la Pyongyang réelle ne serait qu’une accumulation de HLM et d’édifices homogènes[54]. À l’instar de Paris qui n’a rien d’européen, et de la ferme de la Creuse que les personnages dénaturent en la modernisant, la ville nord-coréenne est complètement neutralisée dans le roman : « [C]’était encore, comme chez nos riches à nous, luxueusement décoré et meublé mais de manière impersonnelle et, surtout, sans que rien n’indiquât qu’on se trouvait en Asie » (ES, 219). Les comparaisons de ce type actualisent l’« exotisme saboté » théorisé par Christine Jérusalem : « un comparant puisé dans un registre familier » est rapproché d’un « comparé étranger[55] ». Pyongyang, présentée comme un haut lieu de la mode et du luxe, n’a par conséquent rien de déroutant pour Constance. Ainsi dépouillée de ce qui la distingue, la capitale asiatique rejoint, malgré son hermétisme apparent, les réseaux de la ville-monde. L’apparition de traits parisiens dans l’espace nord-coréen, par exemple « des tableaux français des années 50 » (ES, 261), cristallise la superposition spatiale à l’oeuvre dans Envoyée spéciale : la tendance au nivellement des lieux est matérialisée à même le décor. Pyongyang est également rapprochée de la Suisse dans un nouveau « paradoxe cartographique[56] » plus étonnant, entre « une tyrannie dynastique et quasiment théocratique » (ES, 195) et une démocratie neutre et stable, pays pacifique par excellence. Le narrateur rappelle que Kim Il-sung et le général Gang Un-ok ont fait leurs études en Suisse, à l’École nationale de l’industrie laitière, où ils ont appris à « s’exprim[er] dans un français parfait » (ES, 225) – la langue commune servant de raccord entre les lieux. L’incongruité de l’association est révélatrice d’un aplanissement planétaire, qui autorise tous les rapprochements.

La réconciliation entre l’Occident et la Corée du Nord est évoquée de façon métaphorique par l’alliance entre Constance et Gang Un-ok. Le gommage des conflits géopolitiques comporte ainsi une dimension érotique : le rapprochement entre les lieux est en partie permis par le rapprochement entre les personnages. Libertine, Constance est envoyée à Pyongyang pour séduire Gang Un-ok qui lui voue une admiration sans borne, et pour lui soutirer « des confidences internationalement précieuses » (ES, 239). À l’image de Pyongyang, qui n’a rien à voir avec le reste de la Corée du Nord, Gang Un-ok ne cadre pas dans son décor. Son apparence le différencie : il est « d’une beauté inhabituelle pour la région » et « sa coupe de cheveux, légèrement brouillonne, se distingu[e] des normes en vigueur » (ES, 224). Le charismatique général critique le régime de son pays, qui invite à la fermeture tandis qu’il prône, lui, l’ouverture (à la ville-monde). Constance s’étonne d’ailleurs de « la multiplicité des chaînes disponibles : […] jusqu’à CNN, BBC World et même TV5 Monde » (ES, 219) sur la télévision de Gang Un-ok, qui n’a rien d’un général omnipotent et autoritaire (il collabore même avec « l’ennemi »). S’incarnant principalement, sur le plan actantiel, dans la figure de Gang Un-ok, la représentation spatiale de la Corée du Nord est à son image : plus mesurée, adoucie et occidentalisée.

Le narrateur d’Envoyée spéciale relève bien, dans Pyongyang, quelques traces du régime nord-coréen, notamment de nombreux monuments à l’effigie des chefs suprêmes, mais ceux-ci sont systématiquement désacralisés, comme la statue du « généralissime Kim II-sung, [… qui] tendait son bras droit vers l’avenir radieux », « à moins qu’il ne hélât un autobus » (ES, 221). Considérée comme « la plus sensible et dangereuse du monde, voire […] de l’histoire du monde » (ES, 282-283), la zone démilitarisée, qui réduit le mur de Berlin à « une affectueuse passoire » (ES, 283), est néanmoins ramenée à du familier : elle « couvre un millier de kilomètres carrés, soit la surface d’un gros département français » (ES, 282). Elle est par ailleurs décrite comme « un parc naturel » (ES, 283) au « ciel remarquablement pur » (ES, 289), « un sanctuaire où se reproduisent en paix des espèces quasi introuvables ailleurs telles que l’ours noir, le cerf tacheté, [etc.] » (ES, 283[57]). Ce renversement parodique participe de l’aplanissement spatial à l’oeuvre dans le roman.

L’analyse des représentations spatiales de Paris, de la Creuse et de Pyongyang permet donc de conclure à l’effacement, au moins partiel, de leurs marques distinctives. Les trois lieux qu’en apparence tout sépare finissent par se rejoindre sur le même plan du simulacre, de l’image, de la ville-monde et de ses réseaux de surveillance. Le nivellement spatial n’est pas seulement discursif ou thématique, il s’effectue grâce à des procédés formels empruntés au cinéma. Christine Jérusalem a examiné la correspondance entre espace et écriture (scénarisation ?) dans l’oeuvre d’Echenoz. La « géographie du vide »[58] qu’elle étudie est à la fois celle des lieux et celle du roman : « espace qui se défait, se diffracte, se molécularise » et mouvement parallèle « d’émiettement narratif, structural et stylistique du roman[59] ». Dans Envoyée spéciale, la crise du lieu prend racine dans la crise du roman, dans l’« entreprise de démolition narrative[60] » menée par Echenoz. Grand imagier, il fait imploser le lieu en empruntant au cinéma la technique du fondu enchaîné. Grâce à cette stratégie qui suppose qu’une « [i]mage disparaiss[e] progressivement dans une autre[61] », il réconcilie des lieux et les raccorde dans la structure formelle du roman. Les lieux concernés se confondent ainsi par un nivellement d’ordre diégétique. En effet, les transitions se font régulièrement par un élément liant, partagé, sorte d’agent de transfert spatial. Anticipé, le lieu à venir s’invite dans celui qui précède. C’est alors l’alliance entre les lieux et leur combinaison sous la forme d’un espace unique et commun qui importent, plus que les localisations elles-mêmes. Le départ de Constance pour Pékin en fournit l’exemple le plus éclatant : assis à la terrasse du Mandarin pensif à Paris, Lou Tausk voit dans le ciel un Boeing « B777-300ER d’Air China […] dans lequel une heure plus tôt Constance et ses gardes du corps ont embarqué » (ES, 210), ce qui assure le passage à un nouvel espace, l’intérieur de l’avion où sont Constance et ses ex-ravisseurs (et nouveaux gardes du corps), sans changement de chapitre[62]. Les deux espaces se retrouvent dans le même plan, sur un même plan. En évitant une césure trop « brutale[63] » entre les images, le fondu enchaîné permet aussi de mettre en lumière la porosité des frontières dans un espace mondialisé[64].

Le narrateur manipule ainsi ses personnages, fait se multiplier les rencontres fortuites, prive sciemment le lecteur de certaines informations. Les traces de montage, continuellement exhibées, traduisent une représentation de l’espace comme construction orientée et délibérée, au service d’une oeuvre autoréflexive. Le jeu sur les niveaux diégétiques, symptôme d’une « schizophrénie narrative[65] », n’est pas sans rappeler un jeu de caméras : Echenoz admet « recourir à la première, deuxième ou troisième personne du singulier ou du pluriel comme on filmerait une scène avec trois caméras[66] ». Envoyée spéciale se conforme parfaitement à cette esthétique qui met à profit « [l]a plus fondamentale de[s …] techniques narratives de l’auteur en ce qui concerne la structuration du récit [… :] l’usage tiré de la focalisation[67] ». Le narrateur s’exprime soit au « je », au « nous », au « on », ou s’adresse à « vous ». Une telle « vaporisation des points de vue[68] », signe « d’une posture d’énonciation délocalisée[69] », accentue la déterritorialisation. Frances Fortier et Andrée Mercier classent Echenoz parmi les écrivains qui mettent le plus en crise l’autorité narrative[70] ; le lieu ne résiste pas à un tel sabotage. Dans Envoyée spéciale, l’infraction la plus fréquente aux codes de la narratologie est assurément la métalepse, « intrusion du narrateur […] extradiégétique dans l’univers diégétique[71] ». À certains moments, le narrateur du roman d’Echenoz revendique une consistance physique et le statut de personnage : « [N]’ayant rien de mieux à faire et passant dans le quartier, nous nous sommes discrètement introduits chez Lessertisseur » (ES, 154). Il entre également en dialogue avec ses personnages, comme s’il se trouvait sur le même plan diégétique et dépendait d’eux tout autant qu’ils dépendent de lui : « Une quinzaine de jours, avait donc annoncé Victor. Bon, d’accord, patientons » (ES, 173). Le « brouillage métaleptique[72] » contribue à une représentation aplanie de l’espace : les frontières de la narration, comme celles des lieux, sont perméables. Mais le narrateur protéiforme d’Echenoz exerce néanmoins un contrôle absolu. Il s’exprime régulièrement entre tirets, ouvrant un espace où lui seul fait valoir son ironie caustique. Il tourne en ridicule ses personnages, qui ne saisissent rien, notamment Constance dont il n’a de cesse de révéler l’incompréhension, parfois deux fois au sein d’une même phrase[73]. Les personnages, « pion[s] narratif[s …] sur l’échiquier du texte[74] », sont des exécutants. Les propos tenus par Objat au sujet des participants à la mission nord-coréenne évoquent, en forme de clin d’oeil, le traitement réservé aux personnages par le narrateur : « Tout est en place et chacun joue sa partie. Ils n’ont aucune idée de ce qu’ils font, mais ils font tout comme je l’avais prévu » (ES, 125). Ces explications rappellent au général Bourgeaud le titre d’un roman de Balzac qu’il n’a pourtant pas lu, Les comédiens sans le savoir, qui peut aussi bien désigner les membres du « casting » d’Objat (ES, 125) que, dans un renvoi ironique et autoréflexif, les personnages du récit à la merci du narrateur, qui surveille ses personnages marionnettes, pantins assujettis à une sorte de voyeurisme malsain. Les dispositifs du roman d’espionnage que devrait sous-tendre ce cadre générique ne sont jamais activés : ils envahissent plutôt la narration. On imagine aisément le grand imagier scrutant ses figurants, dont aucun n’échappe à une mise en réseau universelle, par d’innombrables caméras de surveillance qui balaient l’espace. Le travelling est le mouvement cinématographique privilégié pour passer d’un lieu à l’autre : « [D]u côté de Lou Tausk » (ES, 178), « du côté de la Creuse » (ES, 166), etc. Le narrateur caméraman d’Echenoz se promène avec aisance entre les niveaux diégétiques. La délocalisation de l’instance énonciative est à mettre en rapport avec celle des lieux. La toute-puissance du grand imagier d’Envoyée spéciale évoque, dans ce roman de la mondialisation, la pratique systématique de l’espionnage de tous par tous.

L’étude de l’aplanissement improbable de trois lieux que tout semble éloigner permet un nouveau point de vue sur l’expérience contemporaine de l’espace, transformée par la mondialisation et la prééminence de l’image. Le lieu, même le plus reculé, ne résiste pas à l’expansion accélérée des réseaux de la ville-monde ; les localisations particulières sont noyées dans un espace virtualisé. Les paramètres géométriques habituels sont révisés : les dichotomies ville-région, proche-lointain, centre-périphérie, ne sont plus possibles dans un monde post-exotique aux frontières de moins en moins étanches. Dans Envoyée spéciale, qui réactualise de façon parodique le genre du roman d’espionnage, Echenoz repense l’espace contemporain en rapprochant trois lieux en apparence inconciliables, mais que leur désubstantialisation rend ouverts à tous les recoupements. Ce nivellement repose sur la perte ou la négation des traits distinctifs des lieux qui se décomposent et se diluent dans un espace infini, une ville en valant une autre, un village perdu pouvant aspirer à la mondialisation. Les techniques de montage, comme le fondu enchaîné et les mouvements de caméra, comme le travelling (un vol d’oiseau d’ordre planétaire), contribuent à l’interchangeabilité de lieux mis en réseaux et surveillés par une entité surplombante, dans l’obéissance à l’injonction de transparence inhérente à la ville-monde. Le faux roman d’espionnage de Jean Echenoz propose, sous couvert de parodie et d’ironie, une critique de la mondialisation optimiste, qui supposerait un vivre-ensemble harmonieux. Les personnages individualistes et impassibles (robotisés ?) d’Envoyée spéciale sont à la fois issus de l’urbanité (en tant que réalité géographique) et emblématiques d’une abolition de l’urbanité (en tant que forme de civilité) : les catégories, en contexte de mondialisation, ont bel et bien éclaté.