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Les secteurs du numérique se caractérisent par la modularité de leurs offres de produits et services qui connectent une multitude d’appareils à des plateformes de contenus. Au niveau stratégique, la réussite économique de ce type d’offre semble dépendre de la création d’un portefeuille de business models (BM) adapté, dans lequel les BM doivent eux aussi être connectés pour soutenir stratégiquement et commercialement les connexions préexistantes entre les produits, services et plateformes de l’offre. Un exemple emblématique est celui d’Apple qui développe un portefeuille de BM complexe avec ses plateformes iTunes Store et App Store, accessibles depuis iPhone, iPad, iPod et iMac. En distribuant un contenu digital en masse, créé et renouvelé par des communautés de développeurs, Apple maximise ses ventes de terminaux et s’approprie des revenus importants. Suivant ce succès, d’autres acteurs tels que Google et Microsoft commercialisent désormais des offres similaires.

Un portefeuille de BM existe lorsqu’une entreprise cherche à se diversifier en s’engageant au minimum dans deux manières différentes de créer et/ou monétiser de la valeur (Aversa et Haefliger, 2017). Dans les secteurs du numérique, l’intérêt de créer une offre de produits et services connectés réside dans la modularité d’usage qui permet au consommateur d’auto-assembler son offre, de choisir, séparer et recombiner les produits et services en fonction de ses besoins spécifiques (Baldwin et Clark, 2000). Ce type d’offre n’est donc pas sans répercussion au niveau stratégique (Jiao et al., 2003) car elles impliquent la création de connexions entre les BM, puisqu’un BM conceptualise la manière dont une entreprise crée de la valeur (produit, service, autre), la propose à un segment de clientèle cible et en capte une recette, notamment via un modèle de revenus (Baden-Fuller et Morgan, 2010; Teece, 2010). Pour autant, la littérature reste aujourd’hui très limitée pour comprendre comment gérer stratégiquement ce type de portefeuille complexe. De plus, les possibilités de connexion entre BM et la manière de les identifier sont encore mal comprises par les recherches existantes qui se concentrent davantage sur la conception d’un portefeuille et la performance globale et individuelle des BM (e.g. Sabatier et al., 2010).

Notre recherche traite donc de la question suivante : comment gérer stratégiquement un portefeuille de BM connectés ? Pour répondre à cette question, cet article comporte quatre parties. La première détaille la littérature sur l’approche portefeuille du BM, ses limites et propose un cadre d’analyse pour l’architecture de portefeuille. La seconde présente la méthodologie qualitative et la collecte massive de données secondaires dans les secteurs du numérique. La troisième présente les résultats et la gestion stratégique des portefeuilles de BM connectés des cas Apple, Google et Microsoft. La quatrième discute les implications théoriques et managériales.

Cadre théorique

L’objectif est de proposer un cadre conceptuel pour analyser l’architecture d’un portefeuille de BM, utile pour identifier et concevoir les possibilités de connexions entre BM. La proposition de ce cadre est motivée par les limites des recherches actuelles en matière de portefeuille du BM, exigeant ainsi le développement d’outil conceptuel pour mieux appréhender la question des connexions entre BM. Pour ce faire, nous nous inspirons du cadre multiniveaux de Fixson (2005) sur les architectures produits et d’offres de produit/service.

Portefeuille de BM et limites conceptuelles

Les recherches sur le portefeuille de BM restent aujourd’hui assez limitées et se réfèrent principalement au travail préalable de Sabatier et al. (2010) qui montrent comment des PMEs dans l’industrie de la biopharmaceutique peuvent développer et manipuler plusieurs BM complémentaires afin de générer et capter plus de revenus. Dès lors, la notion de portefeuille s’applique pour décrire comment une entreprise s’organise et gère la combinaison de différents types d’activités pour satisfaire différents besoins consommateurs sur un marché. Le portefeuille de BM se distingue toutefois du concept de portefeuille d’activités dans la mesure où l’analyse dépasse le simple niveau de l’activité et du marché, et prend en compte l’ensemble des composantes du BM afin d’évaluer le degré d’interdépendance entre les BM (Sabatier et al., 2010). Le BM se définit généralement comme un modèle de conception et de formalisation de la stratégie d’entreprise (Baden-Fuller et Morgan, 2010) qui décrit la manière dont une entreprise s’organise pour créer, proposer et capter de la valeur (Osterwalder et Pigneur, 2010). Malgré la richesse de la littérature, la conceptualisation du BM reste encore très hétérogène (voir par exemple Massa et al., 2017; Zott et al., 2011 pour un examen exhaustif) et plusieurs modèles se télescopent, intégrant plus ou moins de composantes constitutives. Afin d’éviter de rentrer dans ce débat théorique et dans la mesure où notre niveau d’analyse est le portefeuille de BM, nous choisissons de conceptualiser le BM de manière consolidée, en se basant sur deux consensus largement admis par les principaux travaux de référence (e.g. Casadesus-Masanell et Ricard, 2010; Baden-Fuller et Mangematin, 2013; Baden-Fuller et Morgan, 2010; Gassmann et al., 2016; Massa et al., 2017; Teece, 2010; Zott et al., 2011) : (1) la logique de valeur est au coeur du BM, de sa conception, de son fonctionnement et de son évolution et (2) les composantes constitutives du BM, leur organisation et donc l’architecture du BM, sont au service de la création, proposition et capture de valeur. Dès lors, nous choisissons d’appréhender le BM par ses trois fonctions en matière de valeur (conceptualisation déjà proposée et utilisée par Richardson, 2008).

La première fonction du BM est de créer de la valeur (produit, service, technologie, connaissance, etc.) en rassemblant et en organisant des activités, ressources, compétences, partenaires, (etc.) au sein d’une chaîne de valeur ou d’un réseau de valeur. La création de valeur, en tant que concept multiniveaux, peut être appréhendée à la fois comme un résultat mais aussi comme un processus (Lepak et al., 2007), générant des coûts. Dans un portefeuille de BM, l’optimisation de la création de valeur peut résider dans le développement de synergies entre les activités, ressources, partenaires, (etc.) de plusieurs BM afin notamment de réaliser des économies d’échelle (Sabatier et al., 2010). La deuxième fonction du BM est de proposer de la valeur (produit, service, etc.) à une cible de consommateur sur un segment de marché spécifique au moyen d’éléments marketing et logistiques (relation client, modalités de distribution, engagement du consommateur dans la proposition de valeur, propension à payer, etc.). Dans un portefeuille de BM, l’intérêt réside dans la livraison de plusieurs propositions de valeur pour satisfaire une variété de besoins consommateurs (Sabatier et al., 2010). La troisième fonction du BM est de capter de la valeur tangible (revenus, technologies, brevets, etc.) et/ou intangible (connaissances, réputation, etc.) en développant un ou plusieurs modèles de revenus et mécanismes de capture (la capture de valeur pouvant également être appréhendée comme un résultat ou un processus, Lepak et al., 2007). Dans un portefeuille de BM, l’objectif est de concevoir suffisamment de synergies ou connexions[1] entre les BM (au niveau de la création et/ou proposition de valeur) afin de créer des répercussions positives pour la captation de revenus (Sabatier et al., 2010). Ces connexions peuvent également être source de croissance lorsque de nouveaux BM se connectent au BM originel, le renforçant (Sachsenhofer et al., 2018). Ainsi, le développement et la gestion d’un portefeuille de BM peut exiger la gestion de connexions entre différents BM, plus précisément au niveau de la création, proposition et capture de valeur, ce qui peut s’avérer complexe.

Même si la littérature préconise aujourd’hui la connexion de BM dans un portefeuille, rare sont les recherches qui répondent précisément au « comment faire ». Seuls les travaux de Sabatier et al. (2010) et Demil et al. (2013) sont suffisamment développés pour fournir un moyen d’analyser le fonctionnement et la gestion d’un portefeuille de BM. Toutefois, ces travaux n’abordent pas le problème dans sa globalité, c’est-à-dire l’architecture complète du portefeuille et le détail des connexions entre BM (nature et type de connexion, rôle et conséquences). Ceci s’explique sans doute par le manque d’outil conceptuel pour analyser et modéliser un portefeuille de BM. Dans la recherche de Sabatier et al. (2010), le portefeuille de BM est représenté par analogie (un dîner dans lequel la recette représente les combinaisons entre BM) et l’analyse des connexions entre BM est réduite à l’analyse des combinaisons d’activités et de ressources et compétences clés. Cependant, rien n’est dit sur la manière de diagnostiquer l’architecture du portefeuille ou de repérer les opportunités de connexions, ni sur l’étendue de leurs effets positifs (autres que la génération de revenus). Dans l’ouvrage de Demil et al. (2013), le portefeuille peut être analysé en utilisant une matrice de BM (dérivée des matrices d’analyse de portefeuille d’activités[2]) qui permet de qualifier le positionnement stratégique des domaines d’activités stratégiques et leurs sources possibles d’avantages concurrentiels. Toutefois, la matrice ne permet pas d’analyser l’architecture du portefeuille et les possibles connexions entre BM (ni leurs conséquences), mais plutôt d’évaluer la cohérence globale des activités du portefeuille et de prédire les orientations stratégiques futures. Dans une recherche plus récente, Aversa et al. (2017) proposent une méthode en huit étapes pour concevoir les complémentarités entre les BM au sein d’un portefeuille en s’intéressant notamment à la question de la mutualisation des ressources, de compétences et d’indicateurs de performance. Cette recherche traite toutefois d’une problématique de conception et non de gestion stratégique de BM connecté. Au final, l’approche de portefeuille du BM nécessite le développement d’un cadre d’analyse plus adapté. Cela concerne particulièrement le cas des secteurs du numérique où les spécificités des architectures modulaires d’offre de produits et services impliquent l’assemblage et le désassemblage de BM (Mangematin et al., 2014), mais dans lesquelles les logiques de connexions au sein d’un portefeuille sont méconnues.

Proposition d’un cadre d’analyse pour l’architecture d’un portefeuille de BM connectés

Comprendre comment gérer stratégiquement un portefeuille de BM connectés oblige à répondre à deux questions préalables : (1) comment analyser l’architecture d’un portefeuille afin d’identifier les BM qui le composent et les connexions entre ces BM ? Et (2) comment repérer les opportunités de connexions futures afin d’optimiser la conception de nouveaux BM au sein du portefeuille ? Pour répondre à ces deux questions, nous pensons que le cadre d’analyse de Fixson (2005) sur les architectures produit peut être une source d’inspiration intéressante, pour trois raisons. Premièrement, ce cadre permet de décrire le fonctionnement d’un système selon trois dimensions : l’allocation fonction / composant, les caractéristiques des interfaces et la qualification de l’architecture[3]. Cette vision systémique convient bien au BM qui peut être considéré comme un système interdépendant d’activité (Zott et Amit, 2010). Par extension, le portefeuille de BM peut également s’appréhender de manière systémique avec des composants constitutifs (les BM), des possibles synergies entre BM (Aversa et al., 2017) et donc une architecture spécifique. Deuxièmement, le cadre de Fixson est multiniveaux car il montre que les décisions de conception en matière d’architecture produit influencent les niveaux opérationnel, organisationnel et stratégique. Dans les secteurs du numérique, les architectures d’offres qui connectent des produits et services exigent souvent une innovation de BM (e.g. Richter et al., 2017) car l’entreprise doit ajuster son organisation et sa stratégie pour soutenir ces connexions techniques et fonctionnelles (Yoo et al., 2012). Dès lors il peut exister un lien avec le portefeuille de BM. Troisièmement, même si le cadre d’analyse de Fixson (2005) est focalisé à l’origine sur les architectures produit, ses possibilités d’application dépassent aujourd’hui cette seule vision produit et s’étendent aux domaines de la stratégie et du marketing, dans l’analyse des architectures de services et d’offres de produits et services (e.g. Voss et Hsuan, 2009; Rahikka et al., 2011; Brax et al., 2017). Ainsi, en considérant l’existence naturelle du lien entre les dimensions produit, processus, organisation et stratégie démontrée par Fixson et les possibilités de réplication de son cadre d’analyse, nous proposons trois dimensions pour analyser l’architecture d’un portefeuille de BM (cf. Figure 1) : (1) l’identification des BM, (2) les caractéristiques des connexions entre BM et (3) la qualification de l’architecture du portefeuille de BM.

Identification des BM

L’objectif est d’identifier les différents BM au sein du portefeuille à partir des composants de l’offre de produits et services. Le cadre de Fixson (2005) associe un composant à une fonction spécifique, qui le distingue des autres composants dans l’architecture produit. Dans la littérature sur le BM, la fonction centrale d’un BM est liée à sa proposition de valeur (Teece 2010) car elle connecte la valeur créée par l’entreprise (produit ou service) avec le besoin des consommateurs ciblés sur un marché spécifique (Chesbrough, 2010). Dès lors, le BM, en tant qu’objet frontière, articule les éléments nécessaires (logique stratégique, données techniques / économiques / marketing, organisation des ressources, etc.) pour soutenir la proposition de valeur faite aux clients (Teece, 2010). D’un BM à un autre, la proposition de valeur est généralement spécifique car l’objectif est de (1) diffuser les informations spécifiques relatives au produit ou au service (informations connues via le processus de création de valeur) et (2) engager les consommateurs ciblés dans l’acte d’achat afin de capter des revenus (Baden-Fuller et Mangematin, 2013). Dans le développement d’une offre de produits et services, la segmentation des groupes de clients spécifiques permet de définir les différentes propositions de valeur à concevoir pour chacun des groupes (Lecoq et al., 2006). La segmentation implique donc une réflexion sur les frontières de chaque BM qui vont exploiter et délivrer les composants (produits / services) de l’offre. En fonction du découpage des propositions de valeur réalisée par l’entreprise, il devient possible d’identifier les BM et déterminer à quels composants de l’offre ils correspondent. Cependant, un BM ne correspond pas forcément à un seul produit ou service. Il existe en effet des offres dans lesquelles certains produits et services sont couplés (bundling) ou découplés (unbundling) (Lecoq et al., 2006), ainsi que des offres multifaces qui impliquent la création de propositions de valeur complémentaires dans un seul BM (Parmentier et Gandia, 2016). Dès lors, l’analyse des propositions de valeur peut conduire à identifier plusieurs types de BM : les BM classiques correspondant à un produit ou service spécifique, les BM duals[4] correspondant à un couplage entre produits, entre services ou produit/service (Markides et Charitou, 2004) et les BM multifaces correspondant à des offres multifaces (caractéristiques des secteurs du numérique) dans lesquels les produits, services et contenus numériques sont couplés (Gandia et Parmentier, 2017).

Caractéristiques des connexions entre BM

L’objectif est d’identifier le type de connexion entre les BM et l’intensité de ces connexions. La littérature montre déjà que des BM peuvent coexister ou se compléter l’un et l’autre lorsque les ressources, les actifs et les activités sont partagés (Casadesus-Masanell et Tarziján, 2012; Benson-Rea et al., 2013). De ce fait, à un niveau plus global, des connexions peuvent s’opérer dans les trois fonctions principales du BM : (1) dans la création de valeur, avec la mise en commun de ressources, compétences, activités et partenaires au sein de la chaîne et du réseau de valeur, (2) dans la proposition de la valeur, avec la création de complémentarités entre différentes valeurs délivrées par plusieurs BM et (3) dans la capture de valeur, avec la mise en commun de mécanismes de capture, modèles de revenus ou éléments de ces modèles (exemple : compte utilisateur unique, système de transaction monétaire commun). Ces connexions peuvent s’avérer plus ou moins fortes en fonction de l’objectif à atteindre. À un niveau faible, l’objectif des connexions entre BM est de dégager des effets positifs comme des économies d’échelle et/ou des économies d’envergure au niveau de la création de valeur afin (1) d’optimiser l’utilisation et la valorisation des ressources clés, (2) de réduire le risque d’investissement sur de nouvelles ressources et (3) de mieux gérer le temps de mise sur marché (Sabatier et al., 2010). À un niveau moyen, les connexions entre BM peuvent reposer sur la complémentarité de plusieurs propositions de valeur, permettant ainsi aux BM connectés de s’enrichir mutuellement et d’offrir un niveau de connexion visible sur le marché (Casadesus-Masanell et Tarziján, 2012). C’est l’exemple des offres “bundling” qui proposent à la vente une combinaison de plusieurs produits et/ou services complémentaires afin de créer une valeur supplémentaire (le package) et d’augmenter les revenus (Stremersch et Tellis, 2002). Cette complémentarité peut également s’envisager entre plusieurs segments de marché, au moyen de BM multifaces[5] qui délivrent plusieurs propositions de valeur complémentaires à des groupes d’utilisateurs différents (Baden-Fuller et Mangematin, 2013; Parmentier et Gandia, 2016). À un niveau fort, les connexions entre BM traduisent une véritable interdépendance. C’est l’exemple des BM duals (Markides et Charitou, 2004) qui reposent sur un couplage fort entre produits (exemple : les consoles de jeu vidéo et les jeux vidéo) ou entre produit/service (exemple : les box Internet et les services d’opérateurs Internet). Au final, il est possible de repérer plusieurs types, natures et intensités de connexions entre les BM au sein d’un portefeuille.

Qualification de l’architecture du portefeuille de BM

L’objectif est de déterminer le niveau de modularité ou d’intégralité de l’architecture du portefeuille de BM. Au même titre qu’un portefeuille d’activité définit le périmètre dans lequel sont gérés les domaines d’activités stratégiques d’une entreprise (Demil et al., 2013), un portefeuille de BM définit le périmètre dans lequel sont gérés les BM d’une entreprise. Dès lors, la qualification de l’architecture d’un portefeuille de BM résulte de l’analyse de ses éléments constitutifs (les BM) et de leur relation, à l’intérieur du périmètre qu’il définit du point de vue de l’entreprise. En nous basant sur la définition de Fixson (2005), nous pensons qu’une architecture de portefeuille de BM peut être qualifiée de modulaire dès lors que les BM sont faiblement ou moyennement couplés, impliquant de ce fait des possibilités de connexion et déconnexion selon les besoins de l’entreprise et/ou opportunités de marché. La littérature montre déjà que certains BM, en particulier dans les secteurs du numérique, peuvent être qualifiés de modulaires (Aversa et al., 2015). En effet, les technologies numériques et d’infrastructures (Internet, protocoles de communication, réseaux mobiles) jouent un rôle clé dans le développement de nouveaux BM, car elles permettent la création de nouvelles architectures modulaires dans lesquelles les produits et services sont couplés (Yoo et al., 2012). Ainsi, la conception d’une architecture modulaire d’offre de produits et services peut impliquer la conception d’une architecture modulaire de portefeuille de BM. À l’inverse, nous pensons qu’une architecture de portefeuille de BM peut être qualifiée d’intégrale dès lors que les BM sont fortement couplés, obligeant ainsi l’entreprise à créer une relation d’interdépendance entre les BM qui empêche les déconnexions. Dans la mesure où le BM peut être considéré comme un système interdépendant d’activités (Zott et Amit, 2010), l’interdépendance peut également s’envisager entre BM. C’est l’exemple de la plateforme de vente aux enchères Ebay dont le BM est connecté de manière interdépendante avec le BM du service de paiement en ligne par carte bancaire géré par PayPal[6]. L’interdépendance existe car le mécanisme de paiement est intégré dans l’ergonomie de la plateforme Ebay (interface spécifique selon Fixson, 2005) et s’avère essentielle pour garantir le fonctionnement de la plateforme tout en fournissant aux utilisateurs une sécurité dans leurs transactions financières (Amit et Zott, 2012).

Méthode

Cette étude se focalise sur les secteurs de l’économie du numérique, qui rassemble les secteurs producteurs et acteurs liés à l’usage et au commerce des technologies de l’information et de la communication (TIC)[7], comprenant les secteurs des technologies informatiques et mobiles, des télécommunications et réseaux, des médias et Entertainment et des services de communication. Ces secteurs sont très intéressants à étudier car ils se caractérisent par des offres de produits et services modulaires, qui couplent des éléments matériels et logiciels avec des plateformes de services et de contenus numériques, dans lesquelles l’utilisateur est acteur de la personnalisation car il est libre d’assembler les éléments de l’offre en fonction de ses besoins. De plus, ces secteurs se structurent autour de quelques grandes entreprises de référence (exemple : Apple, Google, Amazon, Facebook, Microsoft, etc.), largement médiatisées, qui développent et gèrent des portefeuilles de BM complexes. Ce terrain offre donc des opportunités de recherche pour identifier des portefeuilles de BM connectés, décrire leur fonctionnement et comprendre leur gestion.

Figure 1

Cadre conceptuel pour l’analyse d’une architecture de portefeuille de BM

Cadre conceptuel pour l’analyse d’une architecture de portefeuille de BM

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Notre démarche de recherche est exploratoire car nous explorons théoriquement et empiriquement un phénomène très peu étudié : le portefeuille de BM connectés. Dès lors, l’intérêt de l’étude exploratoire réside dans l’apport d’éléments nouveaux (Thietart, 2014). Dans cette recherche, nous proposons un cadre conceptuel pour analyser l’architecture d’un portefeuille de BM connectés et nous utilisons notre démarche exploratoire pour illustrer son application empirique. Pour atteindre premièrement cet objectif et comprendre deuxièmement comment gérer stratégiquement un portefeuille de BM connectés, nous avons adopté une méthode qualitative basée sur une étude de cas « multiples holistiques » selon la typologie de Yin (2013, p. 50). Cette méthode permet d’explorer un phénomène en profondeur dans son contexte contemporain et d’identifier ses éléments constitutifs à travers l’observation des similitudes et différences entre les cas (Thietart, 2014). Nous avons recherché des cas de sociétés présentes sur l’ensemble des secteurs du numérique (l’informatique, le mobile, les télécommunications, les réseaux, les services, les médias et l’Entertainment) avec suffisamment de maturité et d’historique pour déployer un portefeuille de BM étoffé avec des offres de produits et services modulaires (critère d’échantillonnage théorique[8]). Au moment de notre étude, seules les entreprises Apple, Google, Microsoft et Samsung s’étaient engagées pleinement dans cette stratégie. Nous avons finalement retenu les sociétés Apple, Google et Microsoft pour trois raisons. (1) Elles ont développé un portefeuille de BM avec une offre modulaire complète dans laquelle les produits matériels, logiciels, systèmes d’exploitation, services et contenus numériques sont couplés. (2) Elles témoignent d’une réussite économique exemplaire[9], ce qui laisse présager un portefeuille de BM performant et avec une maturité relativement élevée (ce qui nous permet d’éviter l’analyse de portefeuilles de BM en cours de développement ou de création et donc potentiellement instables). (3) Elles sont très largement médiatisées et étudiées, ce qui garantit un volume de données disponibles très élevé. Elles sont donc adaptées pour analyser la gestion stratégique d’un portefeuille de BM connectés.

Notre démarche qualitative repose exclusivement sur la collecte de données secondaires[10], largement disponibles dans les médias, sites Internet, presses spécialisées et articles professionnels et académiques. Nous avons également consulté plusieurs livres sur l’histoire d’Apple, Microsoft et Google (cf. Annexe 1). De ce fait, notre recherche est de nature descriptive car nous cherchons à décrire le fonctionnement d’un portefeuille de BM connectés à l’aide d’une analyse poussée de son architecture, ceci au moyen du cadre conceptuel proposé en partie théorique. L’objectif final étant de comprendre comment gérer stratégiquement ce type de portefeuille de BM complexe. Le traitement des données repose un codage thématique descriptif puis un codage émergent en croisant les données théoriques avec les données empiriques afin de distinguer les données relatives à l’architecture de l’offre de produits/services et les données relatives à l’architecture du portefeuille de BM connectés (via le cadre d’analyse proposé en partie théorique). Dans chacune des sources de données secondaires, des morceaux de texte en rapport avec le phénomène étudié ont été sélectionnés puis isolés dans trois fichiers Excel correspondants au cas Apple, Google et Microsoft. Cette sur cette base de données secondaires sélectionnées que le codage a été opéré. L’objectif était d’examiner rétrospectivement l’évolution de l’architecture de l’offre de chaque société, ainsi que l’évolution de leur portefeuille de BM. Nous avons séquencé notre processus de traitement en trois étapes.

Étape 1 : nous avons identifié les composants de l’offre de chaque entreprise. L’objectif était de dresser une liste des produits et services et de leurs relations selon l’évolution historique de la société. Cette liste fut facile à identifier étant donné l’énorme quantité d’informations disponibles sur chacun des produits et services proposés par Apple, Google et Microsoft, y compris la date de mise sur le marché, l’évolution au fil des ans, les fonctions et caractéristiques principales ainsi que les tests de fonctionnement et de performance. Ces données ont permis de déterminer l’architecture de l’offre et les connexions entre produits et services, et d’établir les codes en lien avec l’offre, utiles pour l’étape 2.

Étape 2 : nous avons ensuite analysé chaque produit et service sous l’angle des fonctions du BM : la proposition de valeur (quelle est la valeur délivrée ? Comment est-elle délivrée ? Pour quel groupe d’utilisateurs ?), la création de valeur (comment la valeur est-elle créée ? Quelle chaîne de valeur ? Quelles technologies employées ?), et la capture de valeur via le modèle de revenus[11] (comment les consommateurs payent-ils ?). Nous avons dans un premier temps collecté des articles académiques concernant ces entreprises, pour illustrer des thématiques proches de la stratégie, du BM et du développement des technologies numériques. Ensuite nous avons recherché des livres sur l’histoire et la stratégie de ces sociétés afin de déterminer les fonctions de leurs BM. Une recherche sur les blogs, sites d’information économique et d’information sur les technologies numériques nous a permis de compléter et trianguler les données. Les morceaux de texte sélectionnés ont été codés manuellement avec 12 codes : 3 codes pour les fonctions du BM et 9 codes pour les composantes de l’offre (cf. Tableau 1). Dans un premier temps, nous avons procédé à un codage descriptif qui consistait à relier des morceaux de texte aux trois fonctions du BM. Le codage a été effectué par l’un des chercheurs avec des échanges collectifs réguliers sur la description des fonctions du BM et un retour sur les données en cas de doutes. Dans un deuxième temps, à partir de ces données, un deuxième codage émergent a été effectué pour identifier les types génériques de BM et donc la composition des trois portefeuilles de BM. Les éléments codés associés aux fonctions des BM (création, proposition et capture de valeur) des trois cas étudiés ont été regroupés en vue d’identifier un sens commun puis associés à un code correspondant au type de BM identifié (exemple : BM_Distribution, BM_Services). Ce regroupement a été effectué par chacun des chercheurs puis les interprétations ont été comparées collectivement afin de converger vers une interprétation commune. L’interprétation a permis d’identifier sept types génériques de BM : (1) distribution numérique, (2) services, (3) publicité en ligne, (4) OS et logiciels, (5) ordinateurs, (6) appareils mobiles et (7) objets connectés.

Dans la plupart des cas, une proposition de valeur et un modèle de revenus spécifique ont permis de distinguer les BM. Certains BM partagent toutefois des éléments communs au niveau de la création et capture de valeur. Nous avons regroupé l’offre logicielle avec l’OS sous un seul BM car la grande majorité des logiciels et OS sont délivrés de la même manière et avec le même modèle de revenus. Pour la plateforme de distribution de contenu, nous l’avons interprété comme un BM multiface car la proposition de valeur est elle-même multiface, avec trois faces (consommateurs finaux, développeurs et entreprises) et un seul modèle de revenus. Cette étape nous a permis d’identifier les différents BM du portefeuille d’Apple, Google et Microsoft et la correspondance avec les composants de l’offre.

Étape 3 : nous avons identifié les connexions entre les BM dans les portefeuilles étudiés afin de qualifier ensuite le type d’architecture. Chaque chercheur a dans un premier temps qualifié le type et l’intensité des connexions entre les fonctions des BM codées précédemment. Dans un deuxième temps, nous avons comparé nos interprétations pour converger vers une qualification commune. Pour chaque portefeuille de BM, l’analyse précédente des connexions entre les produits et services de l’offre et des éléments partagés dans la chaîne de création de valeur nous a permis d’identifier les connexions entre BM. Ici, le cadre d’analyse proposé dans la partie théorique fut très utile pour localiser ces connexions dans les fonctions des BM et leur intensité selon le type et la finalité des connexions (cf. Tableau 2 pour la description des critères). Les informations sur les connexions entre produits et services au sein de l’offre et entre les BM au sein du portefeuille nous ont donné des indications utiles pour réfléchir sur (1) la manière de réaliser des économies d’échelle et d’envergure, (2) de proposer davantage d’expériences utilisateur via la personnalisation et (3) de générer des effets de réseaux et des effets d’adoption pour capter des retours positifs. Sur la base de la qualification des connexions entre BM (type et intensité), nous avons déduit le niveau de modularité et/ou d’intégralité de l’architecture des portefeuilles d’Apple, Google et Microsoft.

Tableau 1

Codage des données

Codage des données

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Tableau 2

Dimensions du cadre d’analyse d’un portefeuille de BM

Dimensions du cadre d’analyse d’un portefeuille de BM

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Etudes de cas

Suite à l’application de notre cadre d’analyse, il est possible de décrire l’architecture des portefeuilles de BM de chaque société avec une description des BM et de leurs connexions.

APPLE : architecture de l’offre produits/services et portefeuille de BM connectés

L’offre de produits et services d’Apple est un véritable écosystème pour les consommateurs. Pour assurer sa performance économique, l’entreprise a développé au fil des ans un portefeuille innovant avec des BM classiques et un BM multiface. Au début des années 1980, Apple développe son premier BM avec la conception et la vente d’ordinateurs avec système d’exploitation (OS). Par la suite, tous les autres BM ont été conçus pour renforcer la performance du BM initial. En 2002, la société élargit sa gamme de produits avec l’iPod et, l’année suivante, crée un service de vente de musique en ligne (iTunes Store). L’offre est ensuite étendue aux appareils mobiles avec l’iPhone (2007) et l’iPad (2010). La vente en ligne est élargie à l’ensemble du contenu numérique diffusable sur les appareils Apple : musique (2003), vidéo (2005), applications (2008), livres (2010) et des services supplémentaires sont développés : email et stockage en ligne (2008), vidéoconférence et publicité (2010), cartographie (2012).

Au niveau du portefeuille, il est possible de distinguer : (1) les BM de « distribution » de contenus, services et publicité, (2) les BM « matériel » dédiés à la vente d’appareils mobiles, d’objets mobiles et d’ordinateurs et (3) un BM « logiciel » faisant office d’interface avec la mise à disposition d’OSX et iOS et de logiciels propres (cf. tableau 3). Le portefeuille est ainsi composé de sept BM : distribution numérique, services, publicité en ligne, logiciels et OS, ordinateurs, appareils et objets connectés. Ces BM se complètent mutuellement dans la mesure où les produits et services de l’offre sont complémentaires.

GOOGLE : architecture de l’offre produits/services et portefeuille de BM connectés

Au départ, l’offre de Google repose sur une plateforme multiface avec : (1) des services gratuits pour les Internautes (moteur de recherche, messagerie web, streaming vidéo, etc.) et (2) des services payants de campagnes de publicité (AdWords et AdSense) pour les professionnels. Cette offre de services est disponible sur de multiples appareils sous Windows ou MacOSX grâce aux navigateurs Internet. Dès 2007, Google développe un nouveau BM basé sur la diffusion d’OS libres : Android (2007), Chrome OS (2011) et Android Wear (2014), d’abord diffusés sur des appareils non-propriétaires (téléphone Samsung). À partir de 2010, Google développe ses propres appareils équipés de ses OS : Nexus (2010), GoogleTV (2010), ChromeBook (2011), Google Glass (2014) et Pixels (2016). L’entreprise renforce ainsi son premier BM par une offre élargie de services, OS ouverts et produits, supportés par de multiples plateformes. Le BM de vente en ligne d’applications et contenus apparaît avec le service Android Market (2008), puis Google Play (2012).

Google a réussi à développer un portefeuille avec des BM de distribution, des BM matériels et des BM logiciels (cf. Tableau 4), reliés les uns aux autres par des propositions de valeur complémentaires valorisant la modularité de l’offre services et logiciels et l’innovation matérielle. L’accent mis sur la distribution numérique permet enfin à Google de proposer ses services et logiciels sur d’autres appareils et OS non-propriétaires (Mac, PC, Windows, Linux), renforçant ainsi l’adoption d’une partie de son offre. Le portefeuille de BM de Google se compose ainsi de sept BM : distribution numérique, services, publicité en ligne, logiciels et OS, ordinateur, smartphone, et objets connectés.

MICROSOFT : architecture de l’offre produits/services et portefeuille de BM connectés

Microsoft a commencé son activité de développement et vente de logiciels à la fin des années 1970. Ses premiers OS (MS-DOS en 1981 puis Windows en 1985) lui confèrent une position centrale dans l’industrie informatique. L’entreprise a créé à l’époque un nouveau BM basé sur la vente des droits d’exploitation de son langage BASIC (1976) et MS-DOS (1981), lui donnant la possibilité de vendre ses logiciels à d’autres fabricants. Cette diffusion large lui a garanti des revenus sur le long terme. À la fin des années 1980, l’offre logicielle de Microsoft devient un standard dans l’industrie. L’entreprise renforce ensuite son premier BM avec le lancement de plusieurs logiciels : le jeu vidéo Flight Simulator (1982), la suite logicielle Office (1983-1987), la gestion de base de données (1994), le navigateur Internet Explorer (1996) et la suite multimédia Expression Studio (2005). En 2001, Microsoft développe un BM basé sur une offre d’appareils multimédia avec sa console de jeux Xbox (2001) et le lecteur de musique Zune (2006). En 2003, Microsoft développe une version mobile de son OS avec Windows CE et Windows Mobile Monitoring, puis Windows Mobile (2010) et Windows RT (2012). En 2012, Microsoft complète son offre d’appareils avec la tablette Surface puis avec l’acquisition de la division terminaux de Nokia pour les téléphones mobiles (2013), revendue ensuite en partie à Foxconn (2016). Côté services, Microsoft crée une agence de publicité (2007) et lance son moteur de recherche Bing (2009), complété avec le service de cartographie Bing Plans (2010). L’activité de distribution numérique apparaît avec Windows Marketplace (2004), désormais Windows Store (2012). Depuis fin 2014, l’entreprise conçoit des objets connectés (Microsoft Band) et un casque de réalité augmentée (2015).

L’ensemble des BM sont connectés les uns avec les autres et visent à renforcer la vente de l’OS. Microsoft a donc développé un portefeuille modulaire (cf. tableau 5), composé de sept BM dans lesquels on distingue : (1) les BM de distribution numérique, services et publicité en ligne, (2) les BM « matériels » dédiés à la vente de consoles de jeux, appareils mobiles et objets connectés et (3) un BM « logiciel » faisant office d’interface avec la vente de logiciels et OS.

Résultats

L’analyse des données collectées sur Apple, Google et Microsoft nous permet d’identifier trois résultats : (1) la gestion stratégique d’un portefeuille de BM connectés semble possible par la mise en place d’une architecture similaire avec trois couches de BM (matériel / logiciel / distribution numérique), (2) il existe des connexions plus ou moins fortes entre les fonctions des différents BM au sein du portefeuille et (3) la présence d’un BM multiface au centre du portfolio semble jouer un rôle déterminant pour la modularité de l’architecture.

Une architecture de portefeuille de BM commune aux trois cas

Les trois sociétés étudiées ont développé une architecture de portefeuille de BM similaire, intimement liée à l’architecture modulaire de leur offre de produits et services, dans laquelle les BM sont organisés en trois couches : (1) les BM matériels dédiés aux appareils de consommation et de création de contenus, (2) le BM logiciel dédié aux OS et logiciels et (3) le BM multiface de distribution numérique dédié à la distribution de services, publicité et contenus (cf. Figure 2). L’analyse de ces couches permet d’identifier les connexions entre BM. Les BM matériels sont connectés au BM logiciel car l’achat d’un appareil permet la personnalisation de l’environnement logiciel. En effet même s’il est possible d’utiliser, par exemple, les ordinateurs d’Apple ou les tablettes de Microsoft avec les applications natives, l’offre supplémentaire de logiciels de ces sociétés permet d’étendre les fonctionnalités en fonction des besoins des utilisateurs. Le BM logiciel joue aussi le rôle d’interface entre les BM matériels et le BM multiface de distribution car les utilisateurs doivent posséder un appareil équipé de l’OS et du logiciel permettant l’accès à la plateforme numérique de distribution. En effet, par exemple, pour Apple et Microsoft, l’accès aux plateformes numériques de distributions nécessite un logiciel dédié et les applications achetées ne fonctionnent que sur les systèmes d’exploitation de ces sociétés. Dès lors, les propositions de valeur de l’ensemble des BM sont complémentaires afin de promouvoir l’ensemble des connexions entre produits et services de l’offre. L’accent mis sur la distribution positionne le BM multiface au centre du portefeuille, dans lequel les contenus, services et la publicité sont connectés grâce aux technologies numériques. En effet, pour Google et Apple, l’offre complémentaire d’applications et de services ajoute de la valeur aux téléphones, tablettes et ordinateurs qui pourront diffuser cette offre. Les utilisateurs achètent un appareil, extensible et personnalisable, ouvert à des milliers de fonctionnalités additionnelles.

Tableau 3

Portefeuille de BM d’Apple

Portefeuille de BM d’Apple

PV : Proposition de valeur; CrV : Création de valeur; CaV : Capture de la valeur

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Tableau 4

Portefeuille de BM de Google

Portefeuille de BM de Google

PV : Proposition de valeur; CrV : Création de valeur; CaV : Capture de la valeur

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Tableau 5

Portefeuille de BM de Microsoft

Portefeuille de BM de Microsoft

PV : Proposition de valeur; CrV : Création de valeur; CaV : Capture de la valeur

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Des différences existent toutefois entre Apple, Google et Microsoft, notamment dans l’évolution de leurs architectures d’offre de produits et services et de leur portefeuille de BM. Apple a débuté avec un BM matériel alors que Google a débuté avec un BM de service et Microsoft avec un BM logiciel. L’origine et la nature des BM dans leur portefeuille sont donc différentes, mais leur évolution présente des similitudes puisque chaque société a complété son portefeuille avec de nouveaux BM orientés appareils, logiciels et services, pour développer une architecture de portefeuille de BM similaire. La force des portefeuilles de BM étudiés réside dans le développement d’une offre modulaire de logiciels et services, exploitée par des appareils connectés. Cela est particulièrement vrai pour Apple et Google qui ont créé un véritable écosystème numérique pour les consommateurs, tandis que l’écosystème de Microsoft a connu un développement plus tardif. Même si ces entreprises ont débuté avec un BM différent, leurs portefeuilles ont convergé vers une architecture similaire.

Nature et intensité des connexions entre BM au sein d’un portefeuille

Le lien étroit entre les offres de produits et services d’Apple, Google et Microsoft et l’architecture de leur portefeuille de BM nous permet d’identifier des connexions plus ou moins fortes entre les fonctions principales des BM.

Au niveau de la création de valeur, les BM utilisent des ressources communes qui dépendent de la mission principale du BM. Le BM multiface de distribution numérique utilise des ressources logicielles et matérielles communes à d’autres BM, et partage également des compétences communes d’hébergement et de gestion de grandes quantités de données entre ces trois faces (contenus / services / publicité). Par exemple chez Apple, c’est la même infrastructure de serveurs qui gère la distribution des contenus d’iTunes et les services iCloud. Les technologies mises en oeuvre dans les centres de données d’Apple sont issues de son expérience dans le développement des serveurs Xserve et des technologies Webobjets. Cette connexion entre les BM dans la création de valeur permet de faire des économies d’envergue puisque l’objectif est d’utiliser des ressources et compétences uniques pour plusieurs services. Les BM matériels et les BM logiciels partagent des technologies, ressources et compétences communes dans la conception et le développement de produits (OS, logiciels et appareils électroniques grand public). Il y a par exemple, pour les tablettes Apple et Microsoft, une grande intégration entre le matériel et l’OS, et ce sont les mêmes technologies de microprocesseurs et d’écran tactile qui sont utilisées sur tous les appareils mobiles. Les connexions entre les BM matériels et entre les BM logiciels permettent de réaliser des économies d’envergure dans la mesure où les entreprises étudiées utilisent des technologies communes et des chaînes de production communes pour produire les logiciels, les appareils mobiles et les objets connectés.

Au niveau de la proposition de valeur, les connexions entre BM résultent des complémentarités d’usage entre produits et services de l’offre. Le BM de distribution numérique et le BM logiciel enrichissent les ordinateurs et appareils mobiles en diversifiant les possibilités d’usage et en fournissant des applications, services et contenus variés. Les objets connectés permettent d’étendre l’usage des appareils mobiles. Dès lors, nous pouvons en déduire que ces connexions semblent favoriser le développement des effets de réseaux positifs. En effet, la complémentarité des propositions de valeur entre les BM matériels et le BM multiface de distribution numérique est susceptible d’inciter les utilisateurs à acheter plusieurs appareils pour accéder aux mêmes contenus et services. Par exemple, la synchronisation chez Apple et Google des contenus, contacts et agendas entre les appareils de diffusion, multiplie les possibilités d’usage et renforce mutuellement la valeur de chaque produit matériel. Cette incitation est susceptible de renforcer l’adoption de l’offre matérielle car les utilisateurs peuvent satisfaire un besoin de mobilité et de diversité des usages. Ainsi, les utilisateurs peuvent devenir clients sur plusieurs BM. En retour, cela peut avoir des effets positifs sur le modèle de revenus du BM multiface de distribution numérique. En effet, plus le nombre d’utilisateurs d’appareils est élevé, plus les achats effectués sur la plateforme de distribution numérique sont susceptibles d’être nombreux. En retour, la masse et la variété des contenus et services distribués sur la plateforme numérique sont des arguments attractifs pour les utilisateurs, qui sont susceptibles d’acheter un ou plusieurs appareils pour y accéder.

Au niveau de la capture de valeur, Apple, Google et Microsoft ont mis en place une gestion facilitée des achats via un compte utilisateur commun (et carte bleue associée) en lien direct avec le BM multiface de distribution numérique. Dès lors, il existe des connexions entre les modèles de revenus des BM dans la mesure où ceux-ci profitent de cette simplicité de paiement et de facturation. Bien entendu, les BM matériels possèdent également des mécanismes de monétisation classiques avec la vente des produits dans des circuits de distribution physiques traditionnels. Toutefois, la capacité des ordinateurs, consoles de jeux et appareils mobiles à se connecter sur Internet permet aux utilisateurs d’effectuer d’autres achats. Ainsi, sur la base des complémentarités entre propositions de valeur qui incitent les utilisateurs à être clients sur plusieurs BM, les sources de capture de revenus sont susceptibles d’augmenter dans la mesure où la facilité de paiement et les possibilités de personnalisation favorisent la consommation des produits et services de l’offre.

Figure 2

Architecture du portefeuille de BM d’Apple, Google et Microsoft

Architecture du portefeuille de BM d’Apple, Google et Microsoft

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Au final, la nature et l’intensité des connexions entre les fonctions des BM nous permettent de qualifier l’architecture des portefeuilles d’Apple, Google et Microsoft, comme plutôt modulaire. En effet, nous constatons que les connexions entre les BM sont faibles et modérées, à l’exception d’Apple où certains BM (notamment matériel et OS) sont fortement connectés. Dans les autres cas, chaque BM peut fonctionner indépendamment des autres mais c’est la combinaison des BM qui apporte des effets positifs. Au sein du portefeuille, il est donc possible d’ajouter ou retirer certains BM sans empêcher le fonctionnement des autres.

Discussion

Nos résultats, même descriptifs, enrichissent les recherches en matière de portefeuille de BM (notamment Sabatier et al., 2010; Demil et al., 2013; Aversa et al., 2017) en fournissant deux contributions : (1) la proposition et l’application empirique d’un cadre conceptuel pour analyser l’architecture d’un portefeuille de BM connectés et (2) la description d’une architecture commune de trois portefeuilles de BM dans les secteurs du numérique, dans lesquels les BM sont organisés en trois couches interconnectées (matériels, logiciels et distribution numérique). Nos résultats nous permettent de discuter quatre points : (1) l’analyse de l’architecture d’un portefeuille de BM connectés, (2) les conséquences positives des connexions entre BM dans un portefeuille, (3) le rôle du BM multiface dans le développement d’une architecture modulaire de portefeuille de BM, (4) les principes stratégiques soutenant le développement d’un portefeuille de BM connectés et (5) le rôle du portefeuille de BM dans la poursuite d’un avantage stratégique durable.

Premièrement, nos résultats illustrent l’application empirique du cadre d’analyse développé dans la partie théorique, offrant ainsi aux scientifiques et managers un nouvel outil d’exploration pour analyser l’architecture d’un portefeuille de BM connectés. Alors que les recherches existantes procèdent par analogie (Sabatier et al., 2010), utilisent des matrices de positionnement des BM au sein du portefeuille (e.g. Demil et al., 2013) ou développent des méthodes de conception (Aversa et al., 2017), notre cadre d’analyse fournit un diagnostic plus poussé sur trois dimensions : l’identification des BM, les caractéristiques des connexions entre BM et la qualification de l’architecture du portefeuille de BM. Dans les secteurs du numérique, il semble exister un lien étroit entre l’architecture d’une offre modulaire de produits et services et l’architecture du portefeuille de BM connectés. Cela renforce les conclusions de Fixson (2005) qui montrent que la conception d’une architecture modulaire de produits et services implique également la conception de connexions au niveau organisationnel et stratégique (connexions entre activités dans la chaîne de valeur, voir par exemple Chesbrough et Prencipe, 2008), mais aussi au niveau du marché (pour favoriser la personnalisation, voir par exemple Jiao et al., 2003). Dès lors, les trois dimensions de notre cadre d’analyse semblent pertinentes dans le cas précis des offres modulaires des secteurs du numérique où les réseaux, produits, services et contenus sont couplés (Yoo et al., 2012).

Deuxièmement, l’utilisation de notre cadre d’analyse nous permet d’identifier les connexions entre BM et plus précisément le lieu de ces connexions au sein des fonctions de création, proposition et capture de valeur. Même si notre design de recherche exploratoire ne nous permet pas de mesurer les bénéfices associés, il est possible de discuter ces connexions et d’en déduire les effets positifs pour l’entreprise. En effet, les trois portefeuilles étudiés montrent une architecture similaire dans laquelle les BM matériels et les BM logiciels sont connectés entre eux au niveau de la création de valeur. Dès lors, les entreprises sont susceptibles de réaliser des économies d’échelle, mais aussi des économies d’envergure afin de multiplier le développement de produit à partir de ressources, compétences et technologies communes (Aversa et al., 2017). La majorité des connexions entre BM s’observent ensuite au niveau de la proposition de valeur car l’objectif est de promouvoir la complémentarité des produits et services ainsi que la personnalisation de l’offre (Jiao et al., 2003). Dès lors, la multiplication de propositions de valeur complémentaires permet de satisfaire une grande variété des besoins des consommateurs (Sabatier et al., 2010) et soutient la diversification (Aversa et Halfinger, 2017). Ces complémentarités fournissent en retour une expérience utilisateur unifiée et sont une source de création de valeur car elles produisent des effets utiles pour l’utilisateur (Rahikka et al., 2011). De plus, le fait de créer tout un écosystème matériel « propriétaire » est susceptible de renforcer la fidélisation dans la mesure où le consommateur est verrouillé technologiquement (selon la dimension de lock-in de Zott et Amit, 2010). En cherchant à engager et fidéliser les utilisateurs dans la consommation globale de leur offre, les entreprises assurent ainsi la capture de la valeur sur plusieurs BM. Les cas étudiés montrent en effet des connexions entre les modèles de revenus de plusieurs BM, notamment parce que les possibilités de personnalisation sont une source de rentabilité car elles génèrent des achats multiples (Jiao et al., 2003). De plus, grâce à un compte utilisateur unique, les utilisateurs peuvent acheter des logiciels, des services et des contenus numériques depuis leurs appareils. Cette simplification et rapidité d’achat et un levier supplémentaire pour l’engagement dans l’acte d’achat et pour la multiplication les revenus.

Troisièmement, nos résultats suggèrent le rôle central du BM multiface de distribution numérique dans le développement d’une architecture modulaire de portefeuille de BM. Un BM multiface permet en effet de délivrer plusieurs propositions de valeur complémentaires à plusieurs groupes d’utilisateurs complémentaires afin de générer des effets de réseaux positifs (Parmentier et Gandia, 2016). Dès lors, le principe de complémentarité et de connexions entre différents groupes d’utilisateurs (les faces) au sein du BM supporte la modularité et la personnalisation de l’offre. Ce principe est à l’oeuvre dans les BM modulaires (Aversa et al., 2015) et plus généralement dans les secteurs du numérique (Mangematin et al., 2014). Les effets de réseaux positifs contribuent à créer et capter plus de valeur (Parmentier et Gandia, 2016) et entraînent à leur tour des externalités d’adoption (Church et al., 2008), qui sont profitables pour la fidélisation de l’offre. Dans les architectures multiface, la valeur d’un produit ou service dépend des effets de réseau directs sur la même face et des effets de réseau indirects entre les faces (Eisenmann et al., 2006). Par exemple, plus le nombre de consommateurs qui achètent iPhone est élevé, plus le BM de l’iPhone se renforce grâce aux effets de réseau directs et aux effets d’adoption qui attire de nouveaux clients. De plus, ce nombre élevé d’utilisateurs crée de la valeur pour d’autres BM (BM logiciel et BM de distribution numérique) car les utilisateurs d’iPhone sont susceptibles de consommer des logiciels, des services et contenus numériques. Ainsi, le développement d’un portefeuille de BM connectés autour d’un BM multiface semble être un élément stratégique majeur pour construire un avantage concurrentiel durable dans les secteurs du numérique.

Quatrièmement, même si nos résultats sont descriptifs, il est possible de déduire trois principes stratégiques qui peuvent aider à développer un portefeuille de BM connectés dans les secteurs du numérique : (1) concevoir une offre modulaire de produits et services, (2) adopter une plateforme multiface et (3) mettre en place une structure hiérarchique entre les BM. D’abord, les cas Apple, Google et Microsoft montrent un lien entre l’architecture modulaire de leur offre de produits et services et l’architecture modulaire de leur portefeuille de BM connectés. Ce principe de superposition peut amener les managers à réfléchir à la conception cohérente de leur portefeuille de BM en fonction de la conception d’une offre modulaire de produits et services. En cas de portefeuille de BM préexistant, la réflexion peut porter sur la manière de connecter intelligemment de nouveaux BM aux BM existants (Aversa et al. 2017). Au même titre que la matrice de positionnement de BM est utilisée pour définir les trajectoires futures des BM dans un portefeuille (Demil et al., 2013), notre cadre d’analyse pourrait être utilisé pour repérer les connexions futures entre les nouveaux BM et les BM existants au sein du portefeuille. Ensuite, l’adoption d’une plateforme multiface comme support technologique de l’offre de distribution numérique permet de concevoir un BM lui-même multiface (Parmentier et Gandia, 2016), ce qui favorise la modularité du portefeuille dans la mesure où il devient possible d’assembler et désassembler plusieurs BM (Mangematin et al., 2014). Dès lors, les managers peuvent réfléchir au développement et à l’intégration d’un tel BM multiface dans leur portefeuille afin de soutenir la modularité. Enfin, la mise en place d’une structure hiérarchique entre BM semble être un bon moyen pour organiser les connexions entre BM et envisager les possibilités d’enrichissement mutuel des BM. Au même titre que l’approche portefeuille permet de distinguer les activités clés des activités secondaires (Sabatier et al., 2010), les cas étudiés semblent révéler une forme de hiérarchisation en trois niveaux, calquée sur les trois couches de BM matériels, logiciels et de distribution numérique. Cette logique de structuration peut inciter les managers à réfléchir à l’importance stratégique (ou économique) de leur BM, et notamment leurs possibilités d’enrichissement mutuel via le degré d’hybridation entre des BM coeurs et des BM périphériques (Aversa et Haefliger, 2017). L’intérêt serait de faciliter la définition et l’organisation des connexions entre BM (selon leur niveau d’importance et/ou valeur ajoutée pour d’autres BM) afin d’appréhender la gestion du portefeuille de manière plus organique et non comme simplement diversifié.

Cinquièmement, la similarité d’architecture des portefeuilles de BM d’Apple, Google et Microsoft, pose des questions sur les fondements de l’avantage concurrentiel dans les secteurs du numérique. En effet, nous remarquons que l’avantage concurrentiel n’est plus seulement une conséquence des stratégies génériques de maîtrise des coûts ou de différenciation (Porter, 2003) et de détention interne de ressources stratégiques (Barney, 2001), mais s’établit aussi par la mise en place d’un portefeuille de BM connectés, capable de produire des effets de réseaux et d’adoption. L’approche multiface (plateforme et/ou BM) n’est donc pas le seul facteur explicatif des effets de réseaux dans les secteurs numériques (comme c’est le cas en général, e.g. Eisenmann et al., 2006) et d’autres éléments comme l’approche modulaire du portefeuille et l’orchestration hiérarchique des connexions entre des BM peuvent expliquer ces effets. Ces conclusions s’inscrivent pleinement dans le programme de recherche de McIntyre et Srinivasan (2017) qui montrent que les plateformes, les effets de réseaux et la dynamique des complémenteurs sont les nouveaux leviers de l’avantage concurrentiel.

Conclusion

Notre étude contribue à mieux comprendre la gestion stratégique d’un portefeuille de BM connectés dans les secteurs du numérique, en particulier le cas spécifique des portefeuilles modulaires de BM reposant sur l’exploitation d’une offre modulaire d’appareils, de logiciels, de services et contenus numériques. Nous fournissons deux contributions : (1) l’application empirique d’un cadre d’analyse pour l’architecture d’un portefeuille de BM connectés et (2) la description du fonctionnement des portefeuilles de BM d’Apple, Google et Microsoft, qui montrent l’intérêt de la gestion stratégique d’une architecture modulaire dans laquelle les BM sont structurés en couches et connectés sur les fonctions de création, proposition et capture de valeur. Nous en déduisons que ce type d’architecture permet de diversifier et multiplier les sources de revenus, de favoriser la production d’effets de réseau positifs et de verrouiller technologiquement le consommateur sur une offre globale. Nos résultats permettent d’envisager le portefeuille de BM comme un modèle multidimensionnel, dont l’analyse peut être utile pour optimiser les décisions stratégiques relatives aux dimensions produit, processus, chaîne/réseau de valeur et marché. Nous contribuons ainsi aux travaux sur le portefeuille de BM et plus largement à la littérature sur le BM.

La généralisation de nos résultats reste toutefois limitée car notre design de recherche exploratoire repose sur trois études de cas avec des données exclusivement secondaires et une analyse rétrospective et historique de l’évolution du portefeuille de BM. Bien qu’Apple, Google et Microsoft puissent être considérés comme des cas emblématiques de leur catégorie, ceux-ci ne constituent pas un échantillon de référence et nos résultats méritent d’être confrontés à d’autres cas et types d’entreprises, notamment dans d’autres contextes que les secteurs du numérique. D’autres études et notamment analyses comparatives seraient ainsi bénéfiques pour (1) tester et valider empiriquement notre cadre d’analyse afin de dépasser la simple application, (2) identifier d’autres types d’architectures modulaires de portefeuilles de BM et les comparer et (3) analyser plus en profondeur la dynamique d’enrichissement mutuel des BM afin de mieux comprendre les bénéfices des connexions. De plus, des travaux avec un niveau d’analyse plus micro, intégrant l’étude des composantes du BM, seraient bienvenus pour affiner l’analyse d’un portefeuille de BM. En effet, l’adoption d’une conceptualisation consolidée du BM sur les seules fonctions de création, proposition et capture de valeur reste limitée pour appréhender la complexité d’un portefeuille de BM connectés et il ne s’agit là que d’une manière de décrire le phénomène étudié. Au-delà des contributions de cette étude, plusieurs questions restent toutefois en suspens. Par exemple, nous suggérons l’existence d’une possible hiérarchie entre les BM des portefeuilles étudiés mais comment concevoir cette hiérarchie ? Sur la base de quels critères, logiques ou réflexions stratégiques ? Quelles sont précisément les transactions de valeur entre les différents niveaux hiérarchiques ? Comment concevoir la (les) trajectoire(s) d’évolution d’un portefeuille de BM ? Comment l’architecture du portefeuille de BM influence-t-elle la dynamique compétitive dans une industrie ? Cette question nous semble clé car le modèle d’Apple s’apparente à une forme de révolution stratégique qui, en étant imité par Google et Microsoft (et depuis peu par Samsung), montre que les secteurs du numérique s’orientent vers un modèle dominant.