Corps de l’article

Introduction

Les écrits scientifiques sur le handicap recèlent de nombreuses définitions de la participation sociale. À titre d’exemple, le Réseau international sur le processus de production du handicap (RIPPH) décrit la participation sociale comme étant « la pleine réalisation des habitudes de vie, résultant de l’interaction entre les facteurs personnels (les déficiences, les incapacités et les autres caractéristiques personnelles) et les facteurs environnementaux (les facilitateurs et les obstacles). » (RIPPH, 2020, parag. 12). Dans une perspective similaire, l’Organisation mondiale de la Santé publiait en 2001 sa Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) qui conçoit le handicap comme étant déterminé par les fonctions et les structures du corps, les activités de la personne, et sa participation à la société. Une activité correspondrait à « l’exécution d’une tâche ou d’une action par une personne », alors que la participation « signifie le fait de prendre part à une situation de vie réelle » (École des hautes études en santé publique [EHESP], 2018, p. 31).

Quelques auteurs ont critiqué ces définitions, invoquant qu’elles manquaient de précision (Chang, Coster et Helfrich, 2013; Eyssen, Steultjens, Dekker et Terwee, 2011; Heinemann, 2010; Hemmingson et Jonsson, 2005; Piškur et al., 2014). De fait, suite à l’examen d’instruments de mesure de la participation sociale telle que conceptualisée précédemment, certains ont tenté d’apporter des précisions à ces définitions, puisque de nombreux instruments mesuraient surtout des activités personnelles (comme se laver ou préparer les repas) mais peu d’activités à caractère social ou reflétant les rôles sociaux assumés par la personne (Brown et al., 2004; Chang et al., 2013; Eyssen et al., 2011; Whiteneck et Dijkers, 2009). À cet égard, la définition et les critères proposés par Eyssen et al. (2011) lors de leur recension systématique de 103 instruments de mesure de la participation de personnes en situation de handicap semblent mieux prendre en considération les aspects sociaux plutôt que fonctionnels. Ils définissent la participation sociale comme étant « l’exécution de rôles dans les domaines du fonctionnement social tels la famille, la maison, le travail, l’éducation, les finances, ou tout autre domaine d’ordre général » [traduction libre] (Eyssen et al., 2011, p. 984). Pour distinguer ce qui constitue la participation sociale d’une simple activité, ils ajoutent trois critères à leur définition : 1) l’activité doit se dérouler dans un contexte social – donc avec d’autres personnes; 2) elle doit comporter une combinaison de plusieurs étapes ou activités; et 3) être en lien avec la performance d’un rôle social. Dans leur propre recension systématique de 17 outils de mesure de la participation sociale compatibles avec la CIF, Chang et al. (2013) proposent une définition de la participation communautaire qui respecte ces trois critères et peut se traduire ainsi : « L’engagement actif dans des activités intrinsèquement sociales et qui se tiennent en dehors de la maison, ou font partie d’un rôle [social] non domestique » (Chang et al., 2013, p. 772). Comme elles le font remarquer, la participation à des activités sociales dans la communauté requiert plus d’habiletés et d’autonomie, ou plus de soutien. Cependant, elles précisent que ces activités relevant de la participation sociale ne requièrent pas nécessairement une présence physique de la personne dans sa communauté. Elles peuvent se dérouler à partir de la maison, pourvu qu’elles comportent une dimension sociale, c’est-à-dire une interaction avec (p. ex., téléphoner) ou la présence d’autres personnes. Ces conceptions de la participation mettent en relief comment la participation sociale de personnes vivant avec des incapacités, motrices, sensorielles ou intellectuelles, qui réduisent leurs activités hors de leur domicile, peut être facilitée, voire augmentée, grâce à des outils et technologies numériques (Chadwick et Fullwood, 2018; Normand, Rodier, Lussier-Desrochers et Giguère, 2016; Löfgren-Mårteson, 2008; Sallafranque St-Louis et Normand, 2017; Seale et Chadwick, 2017). En effet, l’avènement du web a donné naissance à de nouvelles communautés, et un nouvel espace, celui-là virtuel, au sein duquel les citoyens agissent et interagissent, c’est donc dire, un lieu de rencontre et de participation sociale numérique (Cardon, 2010). Néanmoins, aucun outil de mesure de la participation sociale actuellement disponible ne tient suffisamment compte du contexte numérique dans lequel évoluent les personnes en situation de handicap.

Cet article vise trois objectifs : 1) offrir une définition de la participation sociale numérique, à partir de conceptions plus traditionnelles de participation; 2) examiner des outils de mesure de la participation sociale en quête des items visant à mesurer la participation sociale dans le monde numérique par les personnes qui présentent une déficience intellectuelle (DI); et 3) proposer l’ajout de sphères d’activités appropriées à la mesure de la participation sociale numérique.

Définir la participation sociale numérique

À l’heure actuelle, il n’y a pas de définition établie de la participation sociale numérique, et en proposer une s’avère un défi. Sur la base des critères proposés plus haut, il pourrait s’agir d’une activité qui se déroule dans un contexte social – donc avec d’autres personnes – mais dans un monde virtuel, qui comporte une combinaison de plusieurs étapes ou activités, en lien avec la performance d’un rôle social. Jouer à un jeu vidéo en ligne avec de multiples autres joueurs (ce qu’on désigne en anglais comme des massive multiplayer online role playing games [MMORPG]) en serait un parfait exemple. Par contre, cette définition est très restrictive. Elle se limite à la participation sociale en ligne. Elle ne tient pas compte du fait que plusieurs activités où nous exerçons un rôle social hors ligne sont facilitées par, voire exigent de plus en plus, l’utilisation de technologies de l’information et de la communication (TIC) pour y participer. À titre d’exemple, prendre le transport en commun pour se rendre à un souper d’anniversaire peut nécessiter l’utilisation d’un cellulaire et l’accès à des données mobiles pour obtenir l’heure de passage ou l’itinéraire de l’autobus. À l’ère du numérique, est-ce que notre évaluation de la participation sociale des personnes qui présentent une DI tient compte de cette profonde modification du fonctionnement des individus dans la société, ou est-ce un angle mort, faute d’une définition de la participation sociale numérique dans le monde de la réadaptation ?

Mesurer la participation sociale numérique

Une recension des écrits portant sur des outils de mesure de la participation sociale permet d’examiner comment la participation sociale numérique est évaluée, ce qui pourrait, par un effet de rétroaction, nous aider à la définir. Inspirés par la recension d’une centaine d’instruments de mesure et par la définition de la participation sociale d’Eyssen et al. (2011), l’inventaire d’instruments de mesure publiés depuis leur recherche a été fait, en quête d’items conçus pour évaluer la participation sociale numérique, selon la méthode suivante.

Méthode

Six bases de données ont été fouillées, soit Academic Search Complete, Medline (Pubmed), PsycINFO, Psychology and Behavioral Sciences Collection, Scopus, de même que la ressource Health and Psychosocial Instruments. Les années de publication ont été restreintes de 2009 (date de la dernière recherche de l’équipe d’Eyssen) jusqu’au 11 novembre 2018. Diverses combinaisons des mots-clés ont été soumises : 1) Instrument OR Measure OR Interview OR Scale OR Diary OR Questionnaire* OR “Clinical assessment tool” OR “Goal attainment scaling” OR “Life strengths interview”; AND 2) Participation OR Handicap OR “Social disability” OR “Social impact” OR “Social consequences” OR “Social adjustment” OR “Leisure activit*” OR “Choice behavior” OR “Role functioning” OR “Social participation”; AND 3) Internet OR “Social Network*” OR Cyber* OR Digital OR Facebook OR “Social Media*” OR “Online”.

Les articles scientifiques et les thèses retenus devaient être rédigés en français ou en anglais et comporter ou faire référence à un instrument de mesure de la participation sociale dans plusieurs contextes d’activité. Les recensions des écrits ont été dépouillées pour vérifier toute omission. Si la référence ne comprenait pas tous les items du questionnaire employé, une recherche sur le web veillait à retracer l’outil original complet. Si cette stratégie s’avérait infructueuse, les auteurs étaient contactés directement pour avoir la permission d’accéder à leur outil intégral.

Résultats et discussion

La Figure 1 présente la séquence de sélection des instruments recensés selon les recommandations du Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-analyses (PRISMA; Moher, Liberati, Tetzlaff et Altman, 2009) pour la présentation d’informations issues de synthèses et méta-analyses. La recherche dans les bases de données électroniques a fait ressortir 965 articles, dont 236 doublons. À partir des 729 entrées restantes, la deuxième étape consistait à retenir ou à exclure les articles sur la base du titre et du résumé. À ce stade, plusieurs critères d’exclusion ont été appliqués. Ont été rejetés les titres ou résumés faisant référence à : 1) une maladie ou à une condition spécifique sans DI associée (p. ex., diabète, surdité, sclérose en plaques, maladie d’Alzheimer); 2) un instrument déjà sélectionné; 3) la validation de l’outil traduit dans une langue autre que l’originale anglaise ou française; 4) la participation à une activité très spécifique hors ligne ou ne nécessitant pas de TIC (p. ex., le golf); 5) un rôle social dans un seul contexte (p. ex., le travail); 6) une performance en solo (p. ex., entraînement neurocognitif); et 7) la qualité de vie plutôt que la participation sociale. Ainsi, 691 références ont été rejetées, et 38 articles retenus. Parmi ceux-ci figuraient quatre recensions des écrits qui ont fait ressortir 34 articles additionnels pertinents. Au final, ce sont 72 articles qui ont été lus en entier, et les items de 22 outils qui ont été scrutés par les 3 premiers auteurs pour leur pertinence à la mesure de la participation sociale numérique. À ceux-ci s’est ajoutée la Mesure des habitudes de vie 4.0 (MHAVIE 4.0; RIPPH, 2003/2014) bien qu’elle fût déjà incluse dans la recension de Eyssen et al. (2011). Il s’agit du seul instrument disponible en français ici, et employé couramment dans les milieux de la réadaptation au Québec, pour un grand total de 23 outils recensés et examinés (voir Tableau 1). Deux outils qui semblaient pertinents (Participation and Environment Measure - Children and Youth [PEM-CY] et Pediatric Evaluation of Disability Inventory - Computer Adaptive [PEDI-CAT]) ont été omis dû au coût élevé de leur achat pour fin d’analyse.

Domaines et items de mesure de la participation sociale numérique

Sur les 23 instruments de mesure examinés, 10 d’entre eux ne comportaient aucun item mesurant l’utilisation de TIC. Treize outils comportaient entre 1 et 4 items clairement en lien avec la participation sociale numérique (voir Tableau 1), dans les domaines de participation sociale de la communication ou des loisirs. Malgré des formulations légèrement différentes, ce que l’on cherche à savoir par les items identifiés c’est si la personne peut : 1) employer un ordinateur; 2) utiliser le téléphone (dont un téléphone cellulaire); 3) surfer naviguer ? sur internet; ou 4) jouer à des jeux électroniques.

Il est à noter que de savoir utiliser un ordinateur, surfer sur internet ou jouer à des jeux électroniques n’implique pas nécessairement une participation qui est de nature sociale. Mais si ces activités peuvent se dérouler en solitaire, elles ont aussi le potentiel pour l’utilisateur de s’en servir à des fins d’interactions sociales. Bref, selon cet inventaire d’outils récents, la mesure de la participation sociale numérique se résume à l’utilisation de TIC à des fins non spécifiées (p. ex., utiliser un ordinateur) ou à des fins précises de communication (téléphone, courriel, texto) ou de divertissement (jeux électroniques.) Seuls le Participation Measure - 3 Domains, 4 Dimensions (PM-3D4D; Chang, Chang, Liou et Whiteneck, 2017) et la MHAVIE 4.0 (RIPPH, 2003/2014) comportent un item additionnel d’évaluation de l’utilisation des TIC. Ils demandent spécifiquement si le participant fait des achats en ligne ou par téléphone. Bien qu’Eyssen et al. (2011) excluent le magasinage du domaine de la participation sociale, l’argument peut être fait que cette activité remplit les critères de se faire en une série d’étapes, de permettre l’exercice du rôle social de consommateur, et de transmettre aux autres acheteurs potentiels l’évaluation des produits. D’ailleurs, « faire des achats » constitue un item du domaine des Responsabilités dans la MHAVIE. Si l’impossibilité de faire des achats provient de l’incapacité à se déplacer en magasin sans assistance, elle augmente la situation de handicap d’un individu. En revanche, cet obstacle pourrait être éliminé par la sélection, la commande et le paiement de biens de consommation en ligne, ce qui augmente la possibilité de participation sociale.

Figure 1

Résultats issus de la stratégie de recherche suivant les recommandations du groupe PRISMA (Moher et al., 2009)

Résultats issus de la stratégie de recherche suivant les recommandations du groupe PRISMA (Moher et al., 2009)

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Les médias sociaux offrent une foule de possibilités non seulement d’utilisation, mais aussi de participation à la société numérique en prenant part à la communauté globale du web (Proulx, Garcia et Heaton, 2014). En premier lieu, les médias sociaux permettent d’élargir et d’entretenir son réseau de connaissances, d’amitiés et de soutien social (Barlott et al., 2019). Alors que les outils de mesure de la participation sociale s’interrogent sur la facilité à se faire des amis (Arvidsson, Granlund, Thyberg et Thyberg, 2012; De Greef, Segers et Verté, 2010; DeWalt et al., 2013; Stevelink et al., 2012), la possibilité de passer du temps avec eux (Amini, Mehraban, Haghni, Asgharnezhad et Mahani, 2016; Arvidsson et al., 2012; Chang et al., 2017; DeWalt et al., 2013; Koster Timmerman, Nakken, Pijls et Van Houten, 2009; Stevelink et al., 2012; Tuffrey, Bateman et Colver 2013; Wilson et Secker, 2015), de faire des blagues (Axelsson et Wilder, 2014), d’offrir ou de recevoir du soutien de la part de ses amis (De Greef et al., 2010; Hwang et al., 2015; Stevelink et al., 2012; Wilson et Secker, 2015), ces items semblent sous-entendre qu’on mesure les contacts directs, physiques. Pourtant, il est facile d’imaginer que pour plusieurs personnes en situation de handicap, les déplacements dans la communauté ou les invitations chez des amis sont restreints, alors même qu’elles ont ou elles pourraient avoir de nombreuses occasions chaque jour de passer du temps en compagnie de leurs amis par la vidéo, l’audionumérique ou par messages textes.

Sur quoi devrait porter l’évaluation de la participation sociale numérique ?

La participation sociale en ligne n’a pas à se limiter à la communication directe de personne à personne. Elle peut être encore plus diversifiée et publique, alors qu’aucun outil recensé n’a encore sondé ce terrain. À titre d’exemple, créer un compte Facebook, Instagram, Snapchat ou Twitter, pour ne nommer que ceux-là, y déposer des photos, des nouvelles, des annonces, des événements, partager du contenu, commenter celui des autres; trouver et se joindre à des groupes selon ses intérêts; créer un univers virtuel et son avatar, y inviter des amis, à l’aide d’applications de jeux; enregistrer des vidéos et les publier sur sa chaîne YouTube, commenter ou partager avec ses amis les vidéos virales dont tout le monde parle, sont autant de façons d’appartenir à une communauté (virtuelle) et de participer à la société du numérique. Or aucun instrument de mesure de la participation sociale ne semble tenir compte de ces activités de la vie quotidienne des citoyens qui permettent aux individus d’exercer leurs rôles sociaux. Toutefois, ces activités sont accessibles à la plupart des personnes qui présentent une DI, si elles sont équipées et soutenues pour le faire (Näslund et Gardelli, 2013). Puisque l’utilisation des médias sociaux fait partie des habitudes de 83 % ou plus des adultes québécois (Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations [CEFRIO], 2019), ceux qui en sont privés sont placés en situation de handicap dans la société du numérique.

Tableau 1

Instruments de mesure et extraction d’items de participation sociale numérique

Instruments de mesure et extraction d’items de participation sociale numérique

Tableau 1 (suite)

Instruments de mesure et extraction d’items de participation sociale numérique

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De plus, les contributions en ligne peuvent devenir des outils d’émancipation, voire de pression politique, pour des minorités sociales peu ou pas représentées. Ces outils de communication ayant un potentiel de diffusion très large, ces personnes ou des organisations qui les représentent peuvent faire entendre leurs voix dans la sphère publique médiatisée (Correia, 2014; Millette, 2014). Pensons notamment aux organismes de défense des droits des personnes qui présentent une DI comme le Mouvement des personnes d’abord, ou la Société québécoise de la déficience intellectuelle qui ont leur propre page Facebook. Cet outil accessible et convivial favorise la participation sociale de leurs membres par la diffusion d’informations, l’annonce d’événements rassembleurs, la promotion de campagnes de financement, et la signature de pétitions, entre autres, en faveur d’actions politiques pour le mieux-être des personnes qu’elles représentent. Même si les usagers publient peu de contenu qu’ils ont eux-mêmes créé sur ces sites, leur abonnement leur permet d’être informés et prendre part à des activités sociales en présentiel, de partager des contenus glanés ailleurs, ou de faire valoir leur opinion par la publication d’emojis convenus socialement et disponibles sur Facebook.

La participation sociale numérique, au-delà des médias sociaux

Plusieurs domaines d’activité et de participation sociale autres que la communication via les médias sociaux et les loisirs électroniques pourraient requérir des outils numériques. Les activités scolaires, les tâches liées au travail, et de nombreuses activités récréatives, communautaires ou politiques, mesurées dans les outils recensés, sont présentement évaluées sans tenir compte de leur modalité d’exécution soit avec ou sans l’aide de TIC. Ces éléments sont tour à tour abordés dans les prochaines sous-sections, selon les domaines d’activités sociales présents dans les outils retenus.

Éducation. Dans le domaine de l’éducation, un exemple flagrant de l’écart qu’il peut y avoir entre la scolarisation en présentiel dans un établissement, et l’école à la maison à l’aide d’outils numériques, s’est présenté lors du confinement nécessaire à la santé publique pendant la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) au printemps 2020. Des élèves ou étudiants inscrits à l’école et aptes à suivre des cours en classe ont été contraints de se scolariser à la maison. Quiconque était privé d’internet ou de son propre ordinateur (p. ex., fourni par l’école, mais devant demeurer à l’école) se voyait privé du matériel académique envoyé électroniquement ou de la poursuite des cours offerts en ligne. Bref, certaines activités tant éducatives que sociales peuvent être inaccessibles pour certaines personnes, ou dans certaines circonstances, sauf si elles sont offertes et pratiquées par l’entremise de TIC. Ainsi, en milieu rural ou région éloignée, des cours ou ateliers de formation (Arvidsson et al., 2012; Amini et al., 2016; Chang et al., 2017; Chang et al., 2016; de Greef et al., 2010; Huxley et al., 2012; Hwang et al., 2015; Koster et al., 2009; RIPPH, 2003/2014; Stewart et al., 2010; Tuffrey et al., 2013) pourraient n’être réalisables qu’à distance, par le partage de vidéos ou d’activités d’apprentissage en ligne, ou l’enseignement par visioconférence. D’ailleurs, l’offre de cours, formations, ateliers, et tutoriels à distance est presque illimitée sur le web. S’inscrire et participer à ces activités exige donc de pouvoir se servir des TIC. Faire ses devoirs (Amini et al., 2016; Axelsson et Wilder, 2014) s’il s’agit de travaux en équipe (Koster et al., 2009; RIPPH, 2003/2014), parait aussi impensable sans les TIC dès que la recherche d’information sur le web et le partage de documents entre coéquipiers s’avèrent nécessaires.

Domaine du travail. Huit des outils recensés s’intéressent au domaine du travail. Par exemple, la Participation Scale – Short Version (Stevelink et al., 2012) interroge les candidats sur les occasions qu’ils ont de trouver du travail (opportunity to find work). Or, bien que la recherche d’emploi (item aussi présent dans la MHAVIE 4.0) puisse se faire par démarchage, il est de plus en plus commun de rechercher les offres d’emploi et d’y postuler en ligne. Selon l’Institut de la statistique du Québec, 30,9 % ont eu recours à l’internet pour rechercher un emploi en 2016 (Bernier, 2017). Se rendre à temps au travail ou échanger avec des collègues de travail (Arvidsson et al., 2012), l’organisation du temps pour accomplir le travail (Rosenblum, 2012), ou la gestion de l’horaire et l’exécution des tâches en milieu de travail (Amini et al., 2016; Arvidsson et al., 2012; Hwang et al., 2015; RIPPH, 2003/2014; Rosenblum, 2012; Stewart et al., 2010) sont autant d’items liés à la participation en milieu de travail qui pourraient être facilités par les TIC.

Domaine des loisirs et des relations interpersonnelles. Prendre part à des activités sociales, culturelles, sportives ou de loisirs revêt une toute autre couleur selon qu’elle se fait en ligne ou en présentiel. Certaines personnes pour qui les déplacements sont compliqués pourraient répondre que leurs activités sociales dans la communauté sont rares, mais qu’elles sont très nombreuses et occupent plusieurs heures par jour dans une communauté virtuelle comme un groupe Facebook, ou à un jeu à joueurs multiples en ligne. Encore une fois, le contexte de la pandémie a amené plusieurs organisations à offrir et des citoyens à participer à des événements culturels diffusés en direct ou en différé, mais en ligne. Les items mesurant l’écoute d’un concert, la visite d’une exposition d’arts visuels, ou un spectacle de danse (Arvidsson et al., 2012; Chang et al., 2017; Densley et al., 2013; Michelsen et al., 2009; RIPPH, 2003/2014; Stewart et al., 2010; Tuffrey et al., 2013; Wilson et Secker, 2015) ne sont plus restreints à la participation sociale entre des murs à l’extérieur de son domicile. Les médias sociaux permettent d’avoir le sentiment de participer à ces événements diffusés en temps réel, surtout s’ils offrent un espace pour partager ses commentaires ou ses sentiments, à l’aide d’emojis, par exemple. Une soirée de cinéma (Axelsson et Wilder, 2014; Chang et al., 2017; Michelsen, et al., 2009; Tuffrey et al., 2013) peut être synchronisée et partagée avec des amis grâce à une application comme Netflix Party. Il en va de même pour la participation à des activités reliées à des pratiques religieuses ou spirituelles (Amini et al., 2016; Axelsson et Wilder, 2014; Chang et al., 2017; RIPPH, 2003/2014; Stewart et al., 2010), alors que des cérémonies religieuses sont diffusées en ligne. Le magasinage ou « faire des achats » semble impliquer, dans la majorité des instruments, d’aller dans des magasins (Arvidsson et al., 2012; Axelsson et Wilder, 2014; Hwang et al., 2015; Michelsen et al., 2009; Rosenblum et al., 2010; Tuffrey et al., 2013). Pourtant, il est grandement facilité pour tous s’il peut être effectué en ligne. Même certaines activités sexuelles peuvent se pratiquer exclusivement à l’aide de technologies numériques si les partenaires sexuels ne peuvent pas se rencontrer physiquement (Ballester-Arnal, Giménez-García, Gil-Llario et Castro-Calvo, 2016). Tel que formulés actuellement, ces items ne tiennent pas compte de la dimension distincte ajoutée par la participation sociale en ligne. Il en va de même pour prendre part à des groupes de loisirs (Arvidsson et al., 2012; RIPPH, 2003/2014) ou un groupe de soutien (Densley et al., 2013; RIPPH, 2003/2014), ou être impliqué dans un groupe (Huxley et al., 2012 Stewart et al., 2010; Talò et Mannarini, 2015; Wilson et Secker, 2015).

D’ailleurs, pour aller plus loin, l’item « aider les autres » (de Greef et al., 2010; Huxley et al., 2012; Rosenblum et al., 2010; Wilson et Secker, 2015), laisse place à interprétation : s’agit-il de savoir si on peut aider les autres physiquement, en leur prêtant main forte pour effectuer certaines tâches? Un jeune qui présente une DI pourrait s’estimer « rarement » capable de le faire (soit parce que l’on ne sollicite pas son aide, ou parce qu’il estime ne pas en avoir les ressources), alors qu’il est « toujours » prêt à aider les autres en offrant du soutien moral via les médias sociaux, par texto ou par téléphone. Lire le journal, signer des pétitions ou contacter des politiciens sont autant d’items du Participatory Behaviors Scale de Talò et Mannarini (2015) qui laissent place à l’ambiguïté à l’ère du numérique. La capacité ou les occasions pour la personne de participer à ces activités en présentiel pourraient être moins élevées qu’en ligne (ou inversement).

Bref, il parait désormais nécessaire d’ajouter une dimension numérique à la mesure de la participation sociale et de l’exercice des rôles sociaux, à défaut de quoi, notre évaluation risque de surestimer ou sous-estimer cette participation dans la société actuelle. À titre d’exemple, voici une proposition : pour chaque habitude de vie, la MHAVIE demande aux sujets si cette activité est réalisée avec de l’aide technique, un aménagement, ou de l’aide humaine. L’ajout d’une précision, à savoir si l’aide technique est numérique (par les TIC), semble tout désigné.

Conclusion

La définition de la participation sociale numérique reste à bâtir. Il faudra d’abord déterminer si on souhaite la circonscrire à la participation sociale en ligne, dans le monde numérique, ou si on étend le concept à la participation sociale dans d’autres sphères, à l’aide d’outils numériques. Lorsque des chercheurs se sont penchés spécifiquement sur l’utilisation des TIC, ils ont constaté qu’il existe un fossé numérique entre les personnes qui présentent une DI et celles sans incapacités (Alfredsson Ågren et Hemmingsson, 2019; Chadwick, 2019; Jenaro et al., 2018; Lussier-Desrochers et al., 2017). Elles auraient un moins grand accès aux TIC, notamment pour des raisons financières, requièrent plus d’adaptations pour tenir compte de la présence de limitations sensorimotrices le cas échéant, éprouvent des difficultés à surmonter les exigences cognitives (dont la capacité de reconnaître des situations d’exploitation) et ont besoin d’aide lorsque des problèmes techniques surviennent pendant leur utilisation. Il semble donc particulièrement judicieux de tenir compte de ces capacités et ces obstacles lorsque l’on tente d’évaluer la participation sociale à l’ère du numérique. La pertinence des interventions en matière de soutien et d’adaptation favorisant la participation et l’inclusion sociale en serait rehaussée.

L’évaluation de la participation sociale et les interventions pour réduire les situations de handicap ne peuvent plus ignorer la transformation du quotidien par les TIC. Celles-ci offrent de nombreuses possibilités de participation sociale non mesurées par les outils disponibles, ni explorées dans cet article, comme le partage d’expertise, le sociofinancement, ou la participation au développement de logiciels. En outre, ces possibilités évoluent rapidement et l’adoption du numérique comme outil social fait naître de nouvelles formes de socialisation que l’on peut qualifier de numérique. L’accès aux outils, le soutien technique et à l’apprentissage, de même que le développement des compétences numériques aux personnes qui présentent une DI sont essentiels afin de réduire le fossé qui risque d’augmenter, et le danger de l’exclusion sociale à l’ère du numérique.