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Introduction

La consommation d’alcool est un des enjeux de santé publique les plus préoccupants (Agence de santé publique du Canada, 2016 ; Griswold et al., 2018). La consommation d’alcool est associée à plus de 200 problèmes de santé (Organisation mondiale de la santé [OMS], 2018). Elle est responsable de près de trois millions de décès dans le monde chaque année et se range en sixième place des facteurs de risque ayant le plus d’impact sur la perte d’année de vie en santé à cause d’une incapacité ou d’un décès (Griswold et al., 2018 ; OMS, 2018). Au Canada, les coûts sociétaux engendrés par la consommation d’alcool et les conséquences qui en découlent sont estimés à 14,6 milliards de dollars (Groupe de travail scientifique sur les coûts et les méfaits de l’usage de substances au Canada, 2018). Ce coût représente 38,1 % du coût total attribuable à l’usage des substances au Canada (Groupe de travail scientifique sur les coûts et les méfaits de l’usage de substances au Canada, 2018).

Considérant les conséquences de la consommation d’alcool et sachant qu’au Québec, un buveur sur quatre consomme au-delà des limites de consommation à faible risque[1] (April, Bégin, Hamel et Morin, 2016), il importe de renforcer les mesures de prévention. Mieux comprendre les croyances de la population au sujet de la consommation d’alcool s’avère une étape nécessaire pour ajuster les interventions. L’objectif de cette étude est de faire une synthèse des connaissances sur les croyances entourant la consommation d’alcool dans la population générale en Occident.

Cadre théorique

Le modèle intégré du comportement (MIC) est utilisé comme cadre théorique (figure 1). Le MIC offre un fondement pour conceptualiser et identifier les facteurs qui influencent les comportements relatifs à la santé (Montano et Kasprzyk, 2008). Il représente un cadre conceptuel pertinent pour mieux appréhender la réalité entourant la consommation d’alcool.

Intention. L’intention est le concept le plus fortement associé à l’adoption comme telle du comportement faisant l’objet de l’étude (Montano et Kasprzyk, 2008). L’intention comportementale est elle-même associée à trois concepts : l’attitude, la norme perçue et le pouvoir d’agir.

Attitude. L’attitude à l’endroit du comportement peut être favorable ou défavorable (Montano et Kasprzyk, 2008). L’attitude est qualifiée d’expérientielle lorsqu’elle est déterminée par les croyances liées aux émotions de l’individu face à l’idée de mettre en action le comportement. L’attitude est dite instrumentale lorsqu’elle est déterminée par les croyances à propos du comportement et de ses résultats.

FIGURE 1

Le modèle intégré du comportement (adapté de Montano et Kasprzyk, 2008)

Le modèle intégré du comportement (adapté de Montano et Kasprzyk, 2008)

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Norme perçue. La norme perçue est définie comme étant la pression sociale ressentie pour adopter ou non un comportement (Montano et Kasprzyk, 2008). La norme perçue est composée de la norme injonctive, déterminée par les croyances par rapport aux attentes des autres (ma perception de comment les autres s’attendent à ce que je me comporte) et de la norme descriptive déterminée par les croyances par rapport aux comportements des autres (c’est-à-dire ma perception de comment les autres se comportent).

Pouvoir d’agir. Le pouvoir d’agir se divise en deux grands concepts, soit le contrôle perçu et le sentiment d’efficacité personnelle (Montano et Kasprzyk, 2008). Le contrôle perçu correspond à la quantité de contrôle perçu par rapport à la mise en action d’un comportement et est déterminé par les croyances liées au contrôle. Le sentiment d’efficacité personnelle correspond plutôt pour sa part au degré de confiance dans les capacités à exécuter un comportement et est déterminé par les croyances liées au sentiment d’efficacité.

Comme le démontrent deux revues systématiques des écrits (Bhochhibhoya et Branscum, 2018 ; Cooke, Dahdah, Norman et French, 2016), les attitudes, les normes et le pouvoir d’agir sont fortement associés à l’intention de consommer de l’alcool, qui elle, est fortement associée à la consommation d’alcool. Selon Montano et Kasprzyk (2008), ces trois concepts sont tous influencés par des croyances sous-jacentes. En ce sens, une meilleure compréhension des croyances entourant la consommation d’alcool permettra d’approfondir les connaissances quant aux déterminants qui influencent les intentions comportementales. Ces connaissances permettront de mieux orienter l’élaboration de politiques et d’actions de santé publique concernant la consommation d’alcool et ses conséquences dans la population.

Méthode

La méthode de synthèse des connaissances choisie, l’étude de portée, permet d’identifier les concepts clés, les limites et les caractéristiques d’un champ donné de la littérature scientifique pour éclairer la pratique, la recherche et l’élaboration de politiques (Daudt, Van Mossel et Scott, 2013 ; Peters et al., 2015). Une étude de portée suit un protocole rigoureux, transparent et préalablement défini (Arksey et O’Malley, 2005 ; Daudt et al., 2013 ; Levac, Colquhoun et O’Brien, 2010). Les cinq étapes de l’étude de portée ont été suivies et sont détaillées ci-dessous.

Étape 1 : Identification de la question de recherche

La présente synthèse des connaissances vise à répondre à la question de recherche suivante : que savons-nous sur les croyances entourant la consommation d’alcool dans la population générale occidentale, d’après les articles publiés entre 2008 et 2020 ?

Étape 2 : Identification des articles pertinents

Les bases de données Health Policy Reference Center, Medline, Psychology & Behavioral Sciences, PsycINFO et SocINDEX ont été interrogées à l’aide de mots-clés pour repérer les articles pertinents (annexe 1). Plusieurs déclinaisons de mots-clés ont été utilisées pour désigner deux catégories de variable, soit les croyances et la consommation d’alcool. La stratégie de recherche a été élaborée à l’aide de l’expertise d’une bibliothécaire afin d’assurer l’exhaustivité et la spécificité de la recherche. La recherche documentaire a été effectuée en juillet 2018 et une mise à jour a été effectuée en août 2020. Bien que les étapes de sélection, d’extraction et de synthèse des études n’ont pas été effectuées par deux évaluateurs indépendants, l’auteure principale a mené ces étapes en étroite collaboration avec une deuxième auteure qui covalidait le processus de sélection des études.

Étape 3 : Sélection des études

Pour être retenus, les articles identifiés dans les bases de données devaient répondre aux critères d’inclusion et d’exclusion présentés dans le tableau 1.

Tableau 1

Les critères d’inclusion et d’exclusion

Les critères d’inclusion et d’exclusion

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Étape 4 : Extraction des données

Les données pertinentes de chaque article retenu ont été extraites de façon systématique dans une grille synthèse (annexe 2) et ont été compilées dans un tableau d’extraction qui permet de résumer l’ensemble des caractéristiques des articles inclus.

Étape 5 : Assembler, résumer et rapporter les résultats

La dernière étape permet de dresser un portrait de la littérature sur le sujet d’intérêt et de synthétiser les résultats pertinents (Arksey et O’Malley, 2005). Pour ce faire, chaque article est analysé de façon descriptive à l’aide des informations recueillies dans le tableau d’extraction. Le logiciel Microsoft Excel a été privilégié pour l’entrée et l’analyse des données. Cette première partie de l’analyse permet de cartographier la littérature sur le sujet. Dans la seconde partie de l’analyse, les articles sont examinés de façon qualitative afin de dégager les thèmes étudiés. La méthode de l’analyse thématique appliquée, telle que définie par Guest, MacQueen et Namey (2011), a été utilisée. Cette méthode inductive permet d’identifier des thèmes au sein des articles et de les codifier à l’intérieur d’un livre de code.

Ensemble, les analyses descriptives et qualitatives permettent de répondre à la question de recherche en identifiant les principaux thèmes, les caractéristiques et les limites de la littérature sur les croyances entourant la consommation d’alcool.

Résultats

Au total, 107 articles ont été retenus. Le diagramme de sélection des études (figure 2) illustre le processus de sélection.

FIGURE 2

Diagramme de sélection des articles

Diagramme de sélection des articles

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Analyse descriptive

Les principales caractéristiques des articles inclus sont présentées dans le tableau 2. La majorité des articles proviennent des États-Unis (n=49), du Royaume-Uni (n=18) ou de l’Australie (n=15). Entre cinq et quatorze articles ont été publiés chaque année entre 2008 et 2020.

Tableau 2

Caractéristiques des articles

Caractéristiques des articles

Tableau 2 (suite)

Caractéristiques des articles

* Les données secondaires correspondent ici aux articles dont les échantillons sont composés de données secondaires. Pour les six occurrences, les données secondaires réfèrent à des études primaires de recensions des écrits, des articles de journaux ou des chansons populaires.

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Près de 80,0 % des articles rapportent une méthode quantitative (n=85). Un petit nombre d’articles utilise une méthode qualitative (n=13), mixte (n=3) ou de synthèse des connaissances (n=6).

À l’exception de huit articles qui s’intéressent à un échantillon de personnes âgées de 15 ans et plus, les articles portent sur un échantillon de la population générale ayant 18 ans et plus. Parmi les articles inclus, plus de la moitié de ceux-ci (n=61) s’intéressent aux jeunes adultes, en particulier les étudiants universitaires (n=44). Notons que deux articles s’intéressent aux personnes âgées de 60 ans et plus.

L’analyse descriptive des articles permet de constater qu’une grande variété d’indicateurs sont utilisés pour mesurer la consommation d’alcool. La quantité et la fréquence de consommation d’alcool, la consommation d’alcool excessive, la quantité d’alcool maximale consommée en une occasion, la consommation d’alcool à risque et les conséquences de la consommation d’alcool sont des exemples d’indicateurs utilisés.

Analyse qualitative

Une analyse thématique appliquée permet de comparer et de grouper les résultats des articles inclus en thèmes et sous-thèmes. Six thèmes principaux se dégagent des articles analysés. Ces thèmes peuvent être organisés selon les différentes croyances qui influencent les trois concepts centraux du MIC (attitude, normes et pouvoir d’agir), qui, eux, sont fortement associés à la consommation d’alcool à travers l’intention de consommer (Bhochhibhoya et Branscum, 2018 ; Cooke et al., 2016 ; Montano et Kasprzyk, 2008). Notons que les thèmes ayant émergé des études incluses s’inséraient naturellement dans le modèle du MIC. Aucun thème allant dans une direction différente, voire contraire du modèle du MIC, n’a émergé.

TABLEAU 3

Les thèmes dégagés par l’analyse thématique

Les thèmes dégagés par l’analyse thématique

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Thème 1 : Les croyances liées aux émotions influencent la consommation d’alcool

L’étude de la recension des écrits illustre que les personnes ayant des émotions négatives envers la consommation d’alcool ont moins l’intention de consommer et consommeront moins d’alcool que celles ayant des émotions positives (DiBello, Miller et Carey, 2019 ; Houben et Wiers, 2009 ; Lawton, Conner et McEachan, 2009 ; Rodríguez et al., 2013). Le fait de consommer de l’alcool n’est pas seulement un comportement planifié et réfléchi, mais dépend aussi de la réponse émotionnelle, comme la joie, la tristesse et le sentiment de bien-être que suscite la consommation d’alcool (Lawton et al., 2009). De façon générale, les résultats illustrent que la réponse émotionnelle envers l’alcool est positive parmi les populations occidentales étudiées (Azar et al., 2014 ; Grønkjaer, Curtis, De Crespigny et Delmar, 2011 ; Härkönen et Mäkelä, 2010 ; Herd, 2014 ; Karlsson, 2012 ; Likis-Werle et Borders, 2017). Dans l’étude suédoise de Karlsson (2012), 87,0 % des participants rapportent une expérience subjective positive (62,0 %) ou neutre (25,0 %) liée à l’alcool. Plus encore, quelques études effectuées en Australie, en Finlande et aux États-Unis et qui s’intéressent à l’évolution des croyances liées aux émotions, démontrent que la population devient de plus en plus favorable à la consommation d’alcool au fil des décennies (Azar et al., 2014 ; Härkönen et Mäkelä, 2010 ; Herd, 2014). Cependant, depuis le début des années 2000, les attitudes négatives quant à la consommation d’alcool semblent augmenter, notamment en Australie (Livingston et Callinan, 2017 ; Kraus et al., 2020). Les auteurs font ce constat à la suite de l’observation d’une diminution de la consommation d’alcool chez les jeunes pendant la même période de temps (2001-2013).

Thème 2 : Les croyances liées aux comportements et à ses conséquences influencent la consommation d’alcool

Divers types de croyances à propos de la consommation d’alcool, de ses effets et de ses conséquences influencent la consommation d’alcool. Ces croyances peuvent se regrouper en six sous-thèmes : le plaisir, l’intégration et les occasions sociales, les effets bénéfiques sur la santé, les conséquences négatives et les risques, la consommation normale et la consommation problématique, ainsi que les limites de consommation à faible risque.

Le plaisir. La consommation d’alcool est valorisée pour son effet plaisant et son goût. Ces effets font partie des raisons les plus citées pour consommer de l’alcool (Bareham, Kaner, Spencer et Hanratty, 2018 ; Grønkjaer et al., 2011 ; Immonen, Valvanne et Pitkälä, 2011 ; Mukamal, Phillips et Mittleman, 2008).

L’intégration et les occasions sociales. Une des croyances qui ressort de la présente synthèse est que la consommation d’alcool est perçue comme un facteur clé pour être intégré à un groupe, à des situations sociales et à une communauté (Allan, Clifford, Ball, Alston et Meister, 2012 ; Bartram, Eliott et Crabb, 2017 ; Grønkjaer et al., 2011 ; Parke et al., 2018). Certaines études illustrent que les personnes qui choisissent de ne pas consommer, dans une situation sociale où la consommation d’alcool est attendue, peuvent se sentir stigmatisées ou être perçues comme ayant un comportement hors norme (Allan et al., 2012 ; Bartram et al., 2017).

L’idée que la consommation d’alcool est une opportunité de socialiser est une autre croyance qui ressort des articles étudiés. L’alcool est vu comme un facilitateur social qui permet d’améliorer l’expérience sociale (Baines, Jones et Christiansen, 2016 ; Gibson et Vassalotti, 2017 ; Grønkjaer et al., 2011 ; Halim, Hasking et Allen, 2012 ; Wahesh, Lewis, Wyrick et Ackerman, 2015). Des articles démontrent que la consommation d’alcool a une influence importante sur la vie sociale et sur les occasions sociales des personnes et qu’elle peut faciliter le maintien des liens au sein d’un réseau social (Bareham et al., 2018 ; Immonen et al., 2011 ; Mukamal et al., 2008 ; Parke et al., 2018).

Les effets bénéfiques sur la santé. Les croyances sur les effets bénéfiques de l’alcool sur la santé sont un sous-thème qui ressort des résultats. Les personnes associent la consommation d’alcool modérée à des bénéfices pour la santé et même à un effet protecteur face à certaines maladies (Bareham et al., 2018 ; Immonen et al., 2011 ; Mukamal et al., 2008 ; Wright, Bruhn, Heymann et Bamforth, 2008a ; Chapman, Harrison, Kostadinov, Skinner et Roche, 2020). Certains types de boissons alcoolisées, comme le vin rouge, sont particulièrement perçus comme étant bons pour la santé (Bareham et al., 2018 ; Mukamal et al., 2008 ; Wright et al., 2008a). Les bénéfices potentiels de l’alcool pour la santé sont également rapportés comme raison d’en consommer (Immonen et al., 2011 ; Mukamal et al., 2008).

Plusieurs auteurs rapportent des croyances liées aux bienfaits relaxants de l’alcool et à l’utilisation de l’alcool comme moyen de gestion des émotions (Baines et al., 2016 ; Bareham et al., 2018 ; Haydon, Obst et Lewis, 2016 ; Likis-Werle et Borders, 2017 ; Parke et al., 2018 ; Waddel et al., 2020 ; Wilson, Wray et Turrisi, 2019). Par exemple, dans l’étude qualitative de Haydon et al. (2016), les croyances telles que « l’alcool est un moyen de gérer le stress » et « l’alcool m’aide à me relaxer » sont fréquentes. Ces croyances sont d’ailleurs associées à l’intention de consommer et à la consommation d’alcool (Haydon et al., 2016). Le fait d’utiliser l’alcool comme moyen de gestion des émotions est associé aux conséquences négatives de la consommation d’alcool, en particulier dans un contexte de consommation en solitaire (Waddell, Corbin et Marohnic, 2020).

Les conséquences négatives et les risques. La présente recension des écrits illustre que les risques à court terme de la consommation d’alcool (ex. : accidents, violence, lendemain de veille) sont bien connus, alors que les risques à long terme sur la santé de la consommation d’alcool (ex. : cancer, hypertension, accident vasculaire cérébral) le sont moins (Bareham et al., 2018 ; Bowden, Delfabbro, Room, Miller et Wilson, 2014 ; Cotter, Perez, Dunlop, Kite et Gaskin, 2013 ; Haydon et al., 2016 ; Manafò, Giesbrecht et Gupta, 2014 ; Mukamal et al., 2008 ; Parke et al., 2018 ; Pettigrew et al., 2016).

Certaines études démontrent que lorsque les risques à plus long terme sont connus comme étant des conséquences possibles de la consommation d’alcool, d’autres croyances contribuent au déni de ces risques (Bareham et al., 2018 ; Bocquier, Fressard, Verger, Legleye et Peretti-Watel, 2017 ; Matley et Davies, 2018). L’étude de Bocquier et collaborateurs illustre que si plus de la moitié des répondants (60,0 %) croient que la consommation d’alcool augmente les risques de développer un cancer, la même proportion de répondants partage des croyances de contrôle (ex. : « consommer du vin plutôt que des spiritueux est une façon de contrôler les risques pour ma santé ») ou de relativisation des risques (ex. : « manger des hamburgers est une habitude aussi mauvaise pour la santé que boire de l’alcool »), qui mènent au déni des risques de santé. Par ailleurs, la revue systématique des écrits de Muhlack, Carter, Braunack-Mayer, Morfidis et Eliott (2018) conclut que les risques pour la santé associés à la consommation d’alcool ne préoccupent peu ou pas les adultes âgés de 35 à 65 ans. Dans le même sens, une grande proportion d’Australiens âgés de 50 ans et plus, qui ont une consommation à risque, ne perçoivent pas leur consommation comme ayant des effets négatifs sur leur santé (Chapman et al., 2020).

Les croyances liées aux conséquences et aux risques de la consommation d’alcool sont associées au niveau de consommation d’alcool. Par exemple, les personnes qui évaluent comme étant acceptables certaines conséquences à court terme de la consommation excessive (ex. : vomissements, lendemains de vieille) consomment davantage d’alcool et subissent davantage de conséquences que les personnes qui évaluent négativement ces conséquences (Bareham et al., 2018 ; Foster, Neighbors et Krieger, 2015 ; Haydon et al., 2016 ; Merrill, Read et Colder, 2013 ; Osberg et Boyer, 2018 ; Wolf et Chávez, 2015). Par contre, connaître les conséquences à long terme ne prédit pas l’intention de s’abstenir de consommer ou de l’abstinence en tant que telle (Haydon et al., 2016)

La consommation normale et la consommation problématique. Une des croyances qui ressort de la littérature analysée réfère à la façon dont les populations définissent ce que sont la consommation normale et la consommation problématique. Une dichotomie claire émerge entre ces deux concepts. Les participants des études associent souvent la consommation d’alcool normale à la notion de contrôle et la consommation d’alcool anormale ou problématique à la notion de perte de contrôle (Allan et al., 2012 ; Bareham et al., 2018 ; Grønkjaer et al., 2011 ; Haarni et Hautamäki, 2010 ; Likis-Werle et Borders, 2017 ; Parke et al., 2018). La consommation est perçue comme étant normale si la personne est en contrôle de sa consommation, et ce, même si la personne a une consommation à risque (Grønkjaer et al., 2011). Par ailleurs, chez les adultes âgés de 35 à 60 ans, la consommation d’alcool normale et sécuritaire est principalement déterminée par la capacité pour le consommateur de prendre ses responsabilités et d’adhérer à ses rôles sociaux (ex. : aller travailler, s’occuper de ses enfants) (Muhlack et al., 2018 ; Parke et al., 2018).

Certaines études démontrent aussi que les personnes associent fréquemment la consommation d’alcool anormale ou problématique à certains contextes de consommation comme le fait de consommer de l’alcool en solitaire ou au travail (Demant et Järvinen, 2011 ; Lo Monaco, Gaussot et Guimelli, 2009 ; Muhlack et al., 2018). Autrement dit, ce qui est une consommation normale en groupe est perçu comme une consommation anormale en solitaire et ce qu’est une consommation normale lors d’un 5 à 7 est perçu comme une consommation anormale lors d’un dîner d’affaires (Lo Monaco et al., 2009 ; Muhlack et al., 2018).

Les limites de consommation d’alcool à faible risque. Quelques études répertoriées dans notre recension indiquent que les limites de consommation d’alcool à faible risque (LCAFR) sont peu ou moyennement connues (Bowden et al., 2014 ; Livingston, 2012 ; Sprague et Vinson, 2017 ; Chapman et al., 2020). Par exemple, dans l’étude américaine de Sprague et Vinson (2017), 90,0 % des personnes de l’échantillon (n=1331) n’identifiaient pas correctement les LCAFR quotidiennes et hebdomadaires. Dans le même sens, des études australiennes illustrent que les adultes de tout âge connaissent peu les LCAFR (Bowden et al., 2014 ; Chapman et al., 2020 ; Livingston, 2012).

Certaines études de notre recension démontrent que le fait de connaître les LCAFR n’influence pas nécessairement les comportements de consommation d’alcool (Bowden et al., 2014 ; Chapman et al., 2020 ; Moss, Dyer et Albery, 2009). Par exemple, dans l’étude de Moss et collaborateurs, bien que 98,0 % des répondants connaissent les LCAFR, plus de la moitié de l’échantillon rapporte avoir consommé de façon excessive ou avoir consommé de l’alcool à des niveaux élevés dans les six derniers mois. Pareillement, l’étude de Bowden et al. (2014) illustre que la connaissance des LCAFR n’a pas d’effet sur la consommation d’alcool excessive chez les adultes australiens.

Il ressort également de la littérature répertoriée que les personnes se fient à leurs propres limites de consommation d’alcool plutôt qu’aux LCAFR. Elles se basent par exemple sur leurs propres expériences (connaître sa limite personnelle) et sur les responsabilités qu’elles doivent accomplir, plutôt qu’aux LCAFR (Biagioni et al., 2017 ; Lovatt et al., 2015 ; Muhlack et al., 2018 ; Robertson, Aitken et Watkins, 2014). Par ailleurs, certaines études illustrent que les LCAFR quotidiennes sont parfois perçues comme étant inutiles et irréalistes, tant chez les personnes qui consomment dans le but de s’intoxiquer que chez celles ayant une consommation à faible risque (Lovatt et al., 2015 ; Muhlack et al., 2018).

Thème 3 : Certains facteurs influencent les croyances à propos des effets et des conséquences

Certaines études s’intéressent aux facteurs qui influencent les croyances à propos des effets et des conséquences de la consommation d’alcool. Ces facteurs sont principalement liés aux caractéristiques de la personne, soit l’âge et les habitudes de consommation.

L’âge. Plusieurs études rapportent que les croyances liées à la consommation d’alcool varient selon les groupes d’âge (Bocquier et al., 2017 ; Haydon et al., 2016 ; Immonen et al., 2011 ; Livingston, 2012 ; O’Donnell et al., 2018). Par exemple, chez les personnes aînées âgées de 65 ans à 75 ans, les motifs les plus communs pour consommer de l’alcool sont le plaisir, la célébration et les événements sociaux, alors que chez les 91 ans et plus, ce sont les effets bénéfiques sur la santé qui sont les principales raisons pour consommer de l’alcool (Immonen et al., 2011). Dans le même sens, l’étude de Livingston (2012) illustre que les jeunes Australiens âgés de 18 à 25 ans estiment les seuils de consommation à faible risque comme étant plus élevés que leurs homologues plus âgés.

Les habitudes de consommation. Quelques études illustrent que les croyances quant à la consommation d’alcool varient en fonction des habitudes de consommation d’alcool (Chapman et al., 2020 ; Haydon et al., 2016 ; Likis-Werle et Borders, 2017 ; Livingston, 2012 ; Sloan, Eldred, Guo et Xu, 2013). Par exemple, les consommateurs d’alcool à des niveaux élevés estiment les limites de consommation à faible risque comme étant plus élevées que les consommateurs d’alcool à des niveaux faibles ou modérés (Livingston, 2012). D’ailleurs, Likis-Werle et Borders (2017) illustrent que les épisodes de consommation excessive sont perçus comme des anecdotes amusantes qui créent un esprit de camaraderie entre les personnes ayant une consommation d’alcool à risque. Différemment, les consommateurs d’alcool à faible risque décrivent leurs expériences de consommation excessive comme étant inconfortables et irresponsables (Likis-Werle et Borders, 2017).

Thème 4 : Les croyances normatives influencent la consommation d’alcool

Les croyances normatives, tant injonctives (les attentes des autres) que descriptives (les comportements des autres), sont associées à plusieurs indicateurs de la consommation d’alcool de même qu’aux conséquences qui en découlent (Dumas, Davis, Maxwell-Smith et Bell, 2018 ; Foster et al., 2015 ; Halim et al., 2012 ; Lowery, Merrill et Carey, 2018 ; Mäkelä et Maunu, 2016 ; Osberg et Boyer, 2018 ; Previte, Fry, Drennan et Hasan, 2015 ; Simons-Morton, Haynie, Bible et Liu, 2018 ; Talbott, Wilkinson, Moore et Usdan, 2014 ; Tobin, Davey-Rothwell, Yang, Siconolfi et Latkin, 2014 ; Guo, Ward et Speed, 2020 ; Van Schoor, Bot et Engels, 2008 ; Yang, 2018). Il ressort des résultats que le fait de croire que les autres consomment à des niveaux élevés ou que les autres s’attendent à ce qu’on consomme à des niveaux élevés est associé à une plus grande consommation d’alcool et ses conséquences.

Concernant les croyances normatives injonctives, l’étude de Mäkelä et Maunu (2016) rapporte que les attentes des autres peuvent autant se manifester de façon indirecte (ex. : les attentes perçues) que de façon directe (ex. : des encouragements verbaux à consommer ou des gestes concrets comme remplir un verre) et ces croyances influencent la consommation d’alcool. Par exemple, les attentes perçues des amis proches prédisent la consommation d’alcool chez les étudiants universitaires australiens (Halim et al., 2012). Dans le même sens, l’étude qualitative de Toronen et al. (2019) illustre qu’une diminution de la pression des pairs à consommer de l’alcool favorise le libre choix de consommer ou non.

Concernant les croyances normatives descriptives, plusieurs études rapportent que les participants ont tendance à surestimer la consommation d’alcool de leurs pairs par rapport à la consommation réelle de ces derniers, ce qui influence la consommation d’alcool à la hausse (Arbour-Nicitopoulos, Kwan, Lowe, Taman et Faulkner, 2010 ; Boyle, LaBrie et Witkovic, 2016 ; França, Dautzenberg et Reynaud, 2010 ; Hughes, Quigg, Ford et Bellis, 2019). Par exemple, plus la consommation d’alcool des pairs est perçue comme étant fréquente et de grande quantité, plus les participants consomment fréquemment et en grande quantité (Tobin et al., 2014).

Thème 5 : Certains facteurs influencent les croyances normatives

Plusieurs facteurs influencent les croyances normatives. Ces facteurs concernent autant les caractéristiques et le réseau social de la personne que les normes socioculturelles.

L’âge. L’association entre les croyances normatives et la consommation d’alcool varie en fonction de l’âge (Boyle et al., 2016 ; Garnett et al., 2015 ; Haydon et al., 2016 ; Mäkelä et Maunu, 2016 ; Monk et Heim, 2014). Certaines études soulignent, par exemple, que les personnes plus âgées rapportent moins de fausses croyances normatives liées à l’alcool que les personnes plus jeunes (Garnett et al., 2015 ; Monk et Heim, 2014). Les auteurs expliquent cela par le fait que les jeunes ont moins d’expérience avec la consommation d’alcool, ce qui peut exacerber leurs fausses croyances, alors, qu’avec l’âge et l’augmentation de l’exposition à l’alcool, les croyances normatives tendent à être plus exactes (Garnett et al., 2015 ; Monk et Heim, 2014).

Les habitudes de consommation. Plusieurs études démontrent que l’association entre les croyances normatives et la consommation d’alcool varie en fonction des habitudes de consommation (Boyle, Smith, Earle et LaBrie, 2018 ; Cunningham, Neighbors, Wild et Humphreys, 2012 ; Garnett et al., 2015 ; Haydon et al., 2016 ; Lau-Barraco, Braitman et Stamates, 2016 ; Mäkelä et Maunu, 2016 ; Wright, Bruhn, Heymann et Bamforth, 2008b). Par exemple, les jeunes adultes ayant une consommation d’alcool très élevée rapportent des croyances normatives plus élevées (perception élevée de la consommation d’alcool de leurs pairs) que ceux qui consomment de l’alcool de façon modérée (Lau Barraco et al., 2016). Par ailleurs, les Canadiens ayant une consommation d’alcool à risque ont tendance à surestimer la consommation des autres (Cunningham et al., 2012).

La spiritualité. L’étude de Neighbors, Brown, Dibello, Rodriguez et Foster (2013) illustre que la relation entre la norme descriptive et la consommation d’alcool est influencée par le degré de religiosité des étudiants. Plus les étudiants ont des croyances religieuses, moins la consommation d’alcool de ces derniers est influencée par les croyances normatives. Dans le même sens, l’étude qualitative de Hardcastle, O’Connor et Breen (2019) illustre que les valeurs religieuses font partie des raisons évoquées par les jeunes adultes qui choisissent l’abstinence, et ce, malgré la pression des pairs.

L’identité. L’identité d’une personne peut influencer la relation entre les croyances normatives et la consommation d’alcool (Dumas et al., 2018 ; Lindgren, Ramirez, Olin et Neighbors, 2016). Chez les jeunes adultes âgés de 18 à 30 ans, la perception de la fréquence de la consommation d’alcool excessive dans leur entourage est associée à une plus grande fréquence d’épisodes de consommation excessive, surtout chez ceux qui s’identifient fortement comme un « jeune adulte » (Dumas et al., 2018). Les auteurs suggèrent que les jeunes qui s’identifient davantage comme tels investissent plus de temps et d’énergie dans leurs amitiés et ont donc plus de possibilités d’agir en concordance avec la norme. Par ailleurs, le fait de s’identifier comme étant un buveur est un facteur prédicteur des problèmes de consommation d’alcool (Lindgren et al., 2016).

Sentiment d’identification au groupe. Le sentiment d’identification à un groupe influence l’association entre les croyances normatives et la consommation d’alcool (Demant et Järvinen, 2011 ; Dumas et al., 2018 ; Lee, Blayney, Rhew, Lewis et Kaysen, 2016 ; Livingstone, Young et Manstead, 2011). Par exemple, les jeunes qui s’identifient fortement à leur groupe de pairs ont des intentions plus fortes de consommer de l’alcool que les jeunes qui s’identifient moins au groupe (Livingstone et al., 2011). Le degré d’identification à un groupe peut même agir comme modérateur de l’association entre les croyances normatives et les comportements de consommation (Neighbors, Lindgren, Knee, Fossos et DiBello, 2011).

Groupe de référence. Les études illustrent qu’un groupe de référence distal (ex. : un étudiant typique) ou proximal (ex. : un étudiant du même sexe, du même âge et provenant de la même université) n’a pas la même influence sur les croyances normatives (Monk et Heim, 2014). Plus une personne s’identifie fortement à un groupe de référence proximal, plus l’association entre la norme descriptive perçue dans le groupe et la consommation d’alcool est forte (Collins et Spelman, 2013 ; Larimer et al., 2009 ; 2011 ; Neighbors et al., 2010 ; Park, Klein, Smith et Martell, 2009 ; Patrick et al., 2012 ; Ehlke, Stamates, Kelley et Braitman, 2019).

Statut social. La perception du statut social au sein d’un groupe est associée aux épisodes de consommation excessive et aux conséquences qui en découlent (Demant et Järvinen, 2011 ; Dumas et al., 2018). Par exemple, la consommation d’alcool des étudiants âgés de 18-19 ans est non seulement influencée par la norme descriptive, mais aussi par leur position hiérarchique dans le groupe : les jeunes populaires ont tendance à boire davantage (Demant et Järvinen, 2011).

Contexte social. L’association entre les croyances normatives et la consommation d’alcool peut varier selon certains aspects du contexte social comme la taille du groupe et le nombre de partenaires de consommation. Lorsqu’une personne perçoit que ses pairs consomment à un niveau élevé d’alcool, cette personne aura davantage tendance à consommer à un niveau élevé d’alcool, surtout lorsqu’elle consomme au sein d’un grand groupe de personnes (Cullum, O’Grady, Armeli et Tennen, 2012).

Il semble aussi que le nombre de partenaires[2] de consommation influence l’association entre la consommation d’alcool et les croyances normatives. Une proportion élevée de partenaires de consommation au sein d’un groupe social est associée aux normes descriptives et injonctives perçues et à la consommation d’alcool (Lau-Barraco et Collins, 2011). La consommation d’alcool peut également être influencée par un seul partenaire de consommation. Dans l’étude de Dallas et al. (2014), la quantité d’alcool consommée par une personne était fortement associée à la quantité d’alcool consommée par son partenaire de consommation.

Soutien social. Le soutien social est un facteur médiateur de l’association entre les croyances normatives et les comportements de consommation d’alcool (Cullum, O’Grady, Sandoval, Armeli et Tennen, 2013). Parmi les jeunes qui rapportent peu de soutien social, ceux qui croient que leurs amis consomment fréquemment et à des niveaux élevés (croyance normative élevée) consomment davantage d’alcool et de façon plus fréquente que les jeunes qui croient que leurs amis consomment peu (croyance normative faible). Cela dit, lorsque les jeunes rapportent un niveau élevé de soutien social, la relation entre les croyances normatives et les comportements de consommation d’alcool n’est pas significative (Cullum et al., 2013).

Médias sociaux. Les médias sociaux peuvent influencer les croyances normatives (Boyle et al., 2018 ; D’Angelo et Moreno, 2019 ; Geusens, Bigman-Galimore et Beullens, 2020). Par exemple, le renforcement social (ex. : nombre de « j’aime ») effectué par les pairs sur des publications liées à l’alcool influence la perception des normes injonctives et descriptives. Dans le même sens, le fait de partager ou d’être exposé fréquemment au partage de références à l’alcool sur les réseaux sociaux est associé à l’intention de consommer abusivement de l’alcool chez les étudiants âgés de 18 à 20 ans, via les normes descriptives (la perception que les amis consomment de façon abusive) et injonctives (la perception que les amis acceptent la consommation abusive) (Geusens et al., 2020).

Normes culturelles. Plusieurs études démontrent que les normes culturelles d’une communauté, comme un campus universitaire ou un pays, influencent la relation entre les croyances normatives et la consommation d’alcool (Allan et al., 2012 ; Fish, Osberg et Syed, 2017 ; Henderson et al., 2018 ; Kuendig et al., 2008 ; Nordlund et Østhus, 2013 ; Osberg et Boyer, 2018 ; Sharma, Raciti, O’Hara, Reinhard et Davies, 2013 ; Room et al., 2019). Par exemple, les étudiants qui internalisent davantage les normes universitaires liées à la consommation d’alcool (ex. : « se souler est un rite de passage normal à l’université ») sont plus enclins à accepter de vivre des conséquences de la consommation d’alcool (Osberg et Boyer, 2018 ; Likis-Werle et Borders, 2017 ; Lui et al., 2020). Concernant les normes culturelles liées aux pays, Room et al. (2019) illustrent que l’acceptabilité de la fréquence de consommation d’alcool, des contextes de consommation et de la quantité d’alcool consommée varie de façon importante d’un pays à l’autre.

Normes genrées. Les normes féminines, c’est-à-dire les attentes liées à ce que signifie être une femme dans une société donnée, contribuent à la consommation d’alcool et aux conséquences qui en découlent, et ce, même si l’on prend en considération l’influence des croyances normatives (Brady, Iwamoto, Grivel, Kaya et Clinton, 2016 ; Iwamoto, Grivel, Cheng, Clinton et Kaya, 2016 ; Iwamoto, Corbin, Takamatsu et Castellanos, 2018 ; Likis-Werle et Borders, 2017). Les normes féminines peuvent agir à la fois comme facteur de protection et comme facteur de risque de la consommation abusive d’alcool chez les femmes (Hussman et Goldstein, 2018 ; Likis-Werle et Borders, 2017). Les normes traditionnellement féminines comme la fidélité sexuelle et la croyance qu’une femme doit être douce et gentille sont associées à moins de consommation excessive et de conséquences liées à la consommation d’alcool (Hussman et Goldstein, 2018 ; Iwamoto et al., 2018). Au contraire, lorsque les femmes adhèrent à la norme d’apparence physique (ex. : le corps de la femme doit être mince), ces dernières sont davantage enclines à consommer de façon excessive et à subir des conséquences de leur consommation (Hussman et Goldstein, 2018 ; Iwamoto et al., 2018).

La consommation d’alcool est généralement perçue comme un comportement masculin, surtout lorsqu’on s’intéresse à certaines habitudes de consommation telles que la consommation excessive et être ivre en public (De Visser et McDonnell, 2012). La revue systématique de Parke et al. (2018), s’intéressant aux hommes âgés de 45 à 60 ans, illustre que la consommation d’alcool, en particulier consommer certaines boissons alcoolisées plutôt que d’autres, consommer de grande quantité et détenir certaines connaissances d’expert entourant certains produits alcoolisés, s’insère dans la norme sociale masculine. Cela dit, l’étude de Törrönen, Roumeliotis, Samuelsson, Kraus et Room (2019), auprès de jeunes âgés de 15 à 19 ans, révèle que la consommation d’alcool excessive serait moins fortement liée à la masculinité chez ces jeunes. Cette masculinité, décrite comme plus flexible, fait entre autres partie des hypothèses avancées par les auteurs pour expliquer la tendance à la diminution de la consommation d’alcool chez les jeunes.

Thème 6 : Les croyances par rapport au contrôle influencent la consommation d’alcool

Quelques études associent les croyances liées au sentiment de contrôle à la consommation d’alcool et aux conséquences qui en découlent. Un fort sentiment de contrôle contribue à une consommation d’alcool plus faible (Haydon et al., 2016 ; Lewis, Rees et Lee, 2009 ; Matley et Davies, 2018 ; Park et al., 2009 ; Tabernero et al., 2019). Par ailleurs, les jeunes adultes qui présentent un faible sentiment de contrôle quant à leur capacité de s’abstenir de consommer de l’alcool rapportent une plus grande consommation d’alcool (Tabernero et al., 2019). De façon complémentaire, le sentiment de contrôle fait partie des raisons évoquées par les jeunes adultes pour justifier leur choix d’être abstinents (Hardcastle et al., 2019).

Bravo, Prince et Pearson (2017) s’intéressent à un concept complémentaire au contrôle perçu, soit les stratégies de comportements protecteurs. Ces stratégies sont des comportements qui permettent de réduire la consommation d’alcool, l’intoxication et les conséquences de la consommation d’alcool (ex. : arrêter de consommer à un moment prédéterminé, éviter de boire l’alcool d’un trait, alterner entre des consommations alcoolisées et non alcoolisées, ne pas conduire en état d’ébriété). Ces stratégies sont une façon de contrôler la consommation d’alcool et prédisent aussi la consommation d’alcool et ses conséquences (Bravo et al., 2017).

Les croyances de contrôle peuvent également jouer un rôle médiateur important entre certains types de croyances et la consommation d’alcool. Par exemple, la relation entre les croyances normatives et la consommation excessive est plus forte chez les participants ayant un faible niveau d’autocontrôle comparé à ceux ayant un haut niveau d’autocontrôle (Robinson, Jones, Christiansen et Field, 2015). Les auteurs expliquent que si les croyances normatives quant à la consommation d’alcool agissent comme un genre de repère quant à la consommation d’alcool « normale », l’ampleur avec laquelle une personne va suivre ou non ce repère pourrait dépendre de différences individuelles quant aux croyances de contrôle d’une personne.

Discussion

L’objectif de l’étude de portée était de faire une synthèse des données existantes, entre les années 2008 et 2020, sur les croyances entourant la consommation d’alcool dans la population générale, en Occident.

Les résultats permettent de bien comprendre quelles sont ces croyances et dans quelle mesure elles sont associées aux comportements de consommation d’alcool. Les croyances normatives sont les plus étudiées dans les études répertoriées, alors que les études qui s’attardent aux croyances de contrôle sont les moins nombreuses. En somme, la littérature analysée appuie le modèle théorique présenté et confirme que les croyances qui sous-tendent les attitudes, les normes et le pouvoir d’agir ont une influence sur différents indicateurs de consommation d’alcool.

Aucune étude répertoriée ne s’est intéressée directement aux croyances liées au sentiment d’efficacité personnelle présentées dans le MIC. Pourtant, le concept du sentiment d’efficacité personnelle en lien avec la consommation d’alcool a été étudié (Connor, George, Gullo, Kelly et Young, 2011 ; DiBello et al., 2019 ; Gullo, Dawe, Kambouropoulos, Staiger et Jackson, 2010 ; Young, Hasking, Oei et Loveday, 2007). Il semble toutefois que les auteurs s’attardant aux croyances liées au sentiment d’efficacité s’intéressent à des échantillons difficilement généralisables à la population générale (ex. : personnes ayant un trouble de l’usage des substances, jeunes adultes ayant commis des délits, personnes mineures), ce qui explique l’absence de ce type de croyances dans la présente recension qui visait la population générale.

Les résultats démontrent la variété et la complexité des croyances qui existent à l’égard de la consommation d’alcool. D’une part, il n’est pas rare que les études identifient des croyances contradictoires. Par exemple, si plusieurs études illustrent que les répondants perçoivent des risques à la consommation d’alcool, d’autres soulignent les effets bénéfiques de la consommation d’alcool perçus dans la population. D’autre part, la littérature rapporte clairement que les croyances varient selon de nombreux facteurs liés aux caractéristiques individuelles des personnes, à leur réseau social et aux normes socioculturelles. Ces résultats concernant les croyances ne sont pas surprenants considérant que la consommation d’alcool est un processus social complexe influencé par une variété de facteurs et intégrés dans un contexte social défini (Muhlack et al., 2018). En ce sens, les résultats soulèvent l’importance de prendre en considération différents facteurs d’influence comme l’âge, les habitudes de consommation et les normes culturelles et de genre lorsqu’on tente de comprendre les croyances entourant la consommation d’alcool.

Concernant les caractéristiques de la littérature scientifique sur le sujet, la majorité des articles répertoriés proviennent des États-Unis, du Royaume-Uni ou de l’Australie, témoignant d’un manque de diversité dans la provenance des articles. Seulement six études canadiennes ont été intégrées aux résultats. Considérant que la consommation d’alcool est fortement influencée par la culture et le contexte dans lequel se développe (Kuntsche, Sznitman et Kuntsche, 2017 ; OMS, 2010), les résultats soulèvent que la littérature canadienne sur les croyances concernant l’alcool dans la population gagnerait à être bonifiée. Cela dit, il est possible que certains articles canadiens n’aient pas été repérés de par la stratégie de sélection des articles qui se limitait aux bases de données anglophones les plus utilisées.

Près de 80,0 % des articles répertoriés utilisent une méthode quantitative pour étudier les croyances concernant l’alcool. Considérant que les croyances sont intimement liées à l’expérience subjective des personnes, l’utilisation des méthodes qualitatives, qui permettent une compréhension plus approfondie des phénomènes humains et des contextes dans lesquels ils s’inscrivent (Patton, 2002), pourrait grandement bénéficier à ce champ de la littérature. Plus de la moitié des articles inclus s’intéressent à un échantillon de jeunes adultes âgés de 18 à 35 ans. Les jeunes adultes sont effectivement plus vulnérables aux problèmes sociaux et de santé associés à la consommation d’alcool, en particulier ceux associés à la consommation excessive qui touche une part non négligeable des jeunes buveurs (Tessier, Hamel et April, 2014). Cela dit, les adultes âgés de 30 à 65 ans demeurent un groupe sous-étudié dans la littérature sur les croyances associées à la consommation d’alcool. Pourtant, les buveurs âgés de 30 à 65 ans peuvent aussi vivre des conséquences négatives de leur consommation d’alcool. Par exemple, l’alcool est un cancérigène reconnu et plus une personne consomme d’alcool, plus elle augmente son risque de développer un cancer (Société canadienne du cancer, 2020 ; Cancer Council, 2019). Bien que moins étudiées, les croyances des adultes qui consomment régulièrement de l’alcool gagneraient à être davantage explorées.

Les résultats doivent être nuancés par la reconnaissance de certaines limites. D’abord, puisque seulement 5,0 % des études provenaient du Canada, il est nécessaire d’être prudent dans la généralisation des résultats au contexte socioculturel canadien de même qu’aux sous-cultures propres aux différentes provinces et régions canadiennes (Paradis, Demers et Picard, 2010) en ce qui a trait à la consommation d’alcool. Ensuite, la majorité des études utilisaient des mesures autorapportées de la consommation d’alcool qui impliquent des biais de mémoire et de désirabilité sociale. Ce type de mesure fait généralement en sorte que la consommation d’alcool est sous-estimée (Stockwell, Zhao, Chikritzhs et Greenfield, 2008 ; Stockwell, Zhao et Thomas, 2009). Par ailleurs, une variété d’indicateurs de la consommation d’alcool est utilisée dans la littérature, rendant les comparaisons d’études parfois difficiles. Enfin, considérant les bases de données sélectionnées et la stratégie de sélection des études utilisée, il est possible que certains articles pertinents n’aient pas été retenus, par exemple sur la base de la langue, l’année de publication ou sur la base d’un échantillon non généralisable à la population générale.

Le portrait des croyances entourant la consommation d’alcool peut éclairer la pratique, la recherche et l’élaboration de politiques. Les enjeux de santé publique sont bien connus, mais difficilement mis en pratique. Il est possible qu’il y ait un décalage entre les perceptions de la population générale et les connaissances scientifiques, voire des lacunes au niveau du transfert des connaissances scientifiques, qui encourageraient certaines croyances de la consommation d’alcool (Agence de la santé publique du Canada, 2016). La prise en considération des croyances de la population par rapport à l’alcool par les décideurs et les acteurs de santé publique permettrait, d’une part, de dégager des leviers d’action favorisant, par exemple, l’adhésion des différentes populations cibles à des mesures de prévention et, d’autre part, d’améliorer les interventions à visée préventive en matière de consommation d’alcool.

Conclusion

La présente recension a permis de dresser un portrait des croyances entourant la consommation d’alcool dans la population générale entre 2008 et 2020. Elle a aussi permis d’identifier les thèmes principaux, les caractéristiques et les limites de ce champ de la littérature scientifique. Il ressort de cela que les croyances entourant la consommation d’alcool ont une influence importante sur les comportements de consommation d’alcool, qu’elles sont complexes, variées et influencées par de nombreux facteurs individuels et sociaux comme l’âge, les habitudes de consommation, les normes culturelles et de genre. Il importe de prendre en considération ces croyances afin de mettre en place des actions efficientes qui pourraient ultimement influencer les comportements.