Corps de l’article

Introduction

Nous vivons à une ère de très grande mobilité et d’interdépendance qui dépassent largement les frontières des pays. Depuis plusieurs années, les universités enrichissent leurs programmes d’études en offrant des stages à l’étranger de durée et de format variables, transformant ainsi la formation initiale de leurs étudiants (Ogay et Edelmann, 2011 ; Sachau, Brasher et Fee, 2009 ; Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá, 2006 ; Williard-Holt, 2001). Cette expérience contribue au développement professionnel des étudiants (Miller, Bennett, Carter, Hylton-Fraser, Castle et Potter, 2015) et personnel (Willard-Holt, 2001) en leur permettant de se sentir davantage outillés comme citoyens du monde et travailleurs engagés dans une société multiculturelle (Ogay et Edelmann, 2011). Ils sont mieux préparés à relever les défis que pose la cohabitation dans la diversité (Young, Natrajan-Tyagi et Platt, 2015).

L’article situe d’abord le contexte de l’étude, présente les objectifs de recherche et les éléments théoriques. La méthodologie suit, ainsi que la présentation des résultats.

Contexte et objectifs de la recherche

À la lumière de cette première expérience interfacultaire, l’article présente l’expérience de cinq étudiantes de l’École de travail social et de la Faculté d’éducation de l’Université de Saint-Boniface[1] qui ont participé à un projet de mobilité internationale interdisciplinaire de cinq semaines au Sénégal en 2016. Cette étude qualitative de type phénoménologique donne la parole aux stagiaires pour mieux comprendre leur expérience et y trouver du sens (Ribau, Lasry, Bouchard, Moutel, Hervé et Marc-Vergnes, 2005 ; Worthen, 2002). Plus spécifiquement, elle vise à connaître l’incidence du stage sur la formation professionnelle de ces futures travailleuses sociales et enseignantes, à mieux saisir son impact sur le développement de leurs compétences professionnelles en développement et à cerner leur perception de leur capacité d’adaptation en contexte international.

Éléments théoriques

Les travailleurs sociaux et les enseignants oeuvrent à l’intérieur d’organisations sociales ayant des mandats particuliers. Afin de réaliser pleinement ces mandats, il faut reconnaître l’importance du développement et du renforcement des capacités individuelles, de manière à soutenir les organisations. Cette étude place des stagiaires en situation de développement de compétences en contexte interculturel. Les travaux sur le capital humain et le capital social servent donc d’assises à cette étude.

Développement et renforcement des capacités individuelles et organisationnelles

La qualité des organisations dépend étroitement de la qualité du personnel qui s’y trouve (Fullan et Quinn, 2010 ; Leithwood, Seashore, Anderson et Wahlstrom, 2004). Hargreaves et Fullan (2012) parlent du « capital humain » (le talent des individus) et du « capital social » (le pouvoir de collaboration entre ces individus) et de la façon dont ils s’influencent mutuellement. En d’autres termes, le capital humain peut se développer s’il est appuyé et entouré d’une équipe dynamique et solide, influençant ainsi le renforcement des capacités individuelles et vice-versa.

Définir la notion de développement ou de renforcement des capacités n’est pas chose facile (Stringer, 2013, cité par Miller et collab., 2015). Certains affirment que le développement des capacités consiste à améliorer sa capacité d’apprendre et de s’adapter au changement (Macadam, Drinan, Inall et McKenzie, 2004, cité par Miller et collab., 2015). D’autres soulignent le rapport étroit qui existe entre les capacités des particuliers et l’influence de celles-ci sur le développement des institutions (Harris et Lambert, 2003), rejoignant ainsi la notion du capital humain mentionné précédemment. « Le renforcement des capacités ne doit pas être considéré comme une formation ou une conférence par un expert, mais plutôt comme une occasion d’apprendre ensemble (co-apprentissage), sans exclure la contribution de personnes ayant une expertise particulière » (Macadam et collab., 2004, cité dans Miller et collab., 2015, p. 21, traduction libre).

Mitchell et Sackney (2001) proposent un modèle de développement des capacités dans trois sphères : individuelle, interpersonnelle et organisationnelle. Dans la première, l’individu cherche à mieux comprendre ses compétences, à accroître ses connaissances et à réfléchir sur sa pratique. Dans la deuxième, les individus établissent des liens entre les membres du groupe et cherchent à construire et à maintenir des équipes efficaces. Dans la troisième, la capacité organisationnelle « élabore les structures, les processus et les procédures et met l’accent sur le leadership partagé et les processus de collaboration à l’échelle de l’organisation » (James et Wrigley, 2007, cité dans Miller et collab., 2015, p. 21, traduction libre).

Stage international et apprentissage par le service (APS)

Le stage international, qui s’insère dans une démarche d’APS, offre aux participants des retombées tangibles et intangibles : le développement personnel (Commins, Cheuthai et Travichitkun, 2010), une capacité d’adaptation et une sensibilité interculturelle accrues (Williams, 2005) qui trouvent leur plein sens dans la relation qui se bâtit avec l’autre (Ogay et Edelmann, 2011), une plus grande appréciation de son propre pays et de sa propre culture (Woolf, 2007) ainsi que des autres (Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá, 2006), une meilleure compréhension socioculturelle d’ailleurs (Pence et Macgillivray, 2008), un renforcement des capacités dans l’utilisation des approches et des techniques spécifiques aux professions ciblées (Sachau, Brasher et Fee, 2009) et un apprentissage personnel et professionnel (Miller et Potter, 2014). Selon Allen et Young (1997), des améliorations au niveau de l’apprentissage et du développement des capacités se produisent plus facilement lorsque les participants sont actifs et engagés dans le processus.

La littérature scientifique fait référence à l’apprentissage par le service (APS) (service learning) (Bringle, Hatcher et Jones, 2011 ; O’Keefe et Feinberg, 2013) pour décrire le stage international dans le cadre d’un cours de formation initiale. Chapman (2018) va plus loin et fait référence à l’APS comme une méthode d’enseignement qui vise le transfert des apprentissages théoriques au niveau local vers le développement des compétences et un engagement de citoyenneté mondiale. Bringle et Harcher (cité dans Chapman, 2018, p. 1904) résument le concept d’APS comme étant une occasion :

  • a) de participer à des activités de service organisées qui répondent aux besoins des communautés identifiées ;

  • b) d’apprendre à partir de l’interaction directe et du dialogue interculturel avec les autres et

  • c) de réfléchir à l’expérience pratique de manière à mieux comprendre les éléments théoriques de son programme, de mieux comprendre les questions mondiales et interculturelles, à apprécier davantage les gens et le pays d’accueil et à tirer des enseignements et renforcer le sens de sa propre responsabilité en tant que citoyenne du monde.

Les travaux de Zlotkowski (1998), Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá (2006) rejoignent les mêmes aspects de l’APS qui encadrent la notion de « stage »[2] international dans le contexte de cet article, soit

une expérience de terrain significative dans le cadre d’un cours, dans laquelle les étudiants : 1) participent à un service organisé qui répond aux besoins identifiés par la communauté d’accueil et 2) réfléchissent à ce service de façon à mieux comprendre le contenu du cours, à développer une plus grande appréciation de la discipline en question et à contribuer au développement de leur sens civique.

p. 72, traduction libre

Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá (2006) et O’Keefe et Feinberg (2013) énumèrent de nombreux avantages offerts par l’APS tant aux étudiants qui y participent qu’à la société en général dans laquelle ils vivent après avoir terminé leur éducation formelle. Parmi ces avantages, notons (p. 73-74) :

  • un plus grand intérêt pour les concepts des cours (offerts dans les deux facultés au niveau de la formation initiale : méthodes d’enseignement, réseaux institutionnels, services communautaires à la famille, etc.), une compréhension accrue de ces concepts, ainsi que la constatation de la pertinence et de l’utilité des apprentissages ;

  • un intérêt pour les problèmes sociaux, un sens du civisme et un engagement pour le service à la collectivité ;

  • la remise en question des problèmes sociaux en adoptant une posture de praticienne réflexive et en discutant avec ses homologues africains, comparant les deux réalités ;

  • l’acquisition de compétences qui favorisent la création de liens avec les autres malgré les obstacles sociaux ;

  • l’apprentissage de techniques de résolution de problèmes sociaux qui reposent sur la pensée critique et la recherche (les stagiaires canadiennes, en se posant des questions sur les structures et les pratiques en vigueur dans leur milieu de stage, entament une démarche de résolution de problèmes) ;

  • la possibilité de développer plusieurs autres compétences professionnelles transversales qui dépasseront la durée du stage et seront susceptibles d’être appliquées dans sa pratique et dans sa vie.

Les étudiants d’études antérieures reconnaissent eux-mêmes la valeur de l’expérience de l’APS. Selon plusieurs études, « ils rapportent systématiquement que ces programmes ont changé leur attitude envers les personnes et les communautés dans lesquelles ils ont servi, et les ont rendus plus enclins à saisir d’autres occasions de service » (Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá, 2006, p. 74, traduction libre).

Brown (2011) reconnaît également l’importance de l’APS, allant jusqu’à dire que, sous sa forme internationale, « il est essentiel pour la préparation de citoyens engagés » (p. 57, traduction libre). Il énumère les principaux mérites de cette formule d’apprentissage : expérientielle (les participants explorent sur le terrain les éléments théoriques appris en salle de classe), réflexive (les participants réfléchissent sur leurs apprentissages grâce à un journal de bord, des discussions, etc.), multiculturelle et multinationale (exposition à des nations et à des cultures différentes contribuant ainsi à une transformation profonde et transformatrice permettant de mieux comprendre les contextes variés dans lesquels les citoyens engagés vivent). De plus, il ajoute que l’APS développe un engagement à long terme envers le service et le leadership, tant au niveau de la communauté locale qu’à l’international, tout en permettant d’avoir une meilleure compréhension de l’interdépendance des communautés et des sociétés à travers le monde (p. 58).

Prenant en compte la pratique courante de l’APS dans les programmes universitaires du Nord et l’intérêt de la recherche à s’arrêter principalement sur l’incidence positive et bénéfique sur l’étudiante stagiaire, Chapman (2018) s’est penchée sur la dimension éthique de cet outil de formation et de développement dans une récente étude de cas au Canada. Soucieuse de ne pas vouloir reproduire le même modèle qu’empruntaient (et empruntent encore aujourd’hui) les plus de 35 000 organisations non gouvernementales (ONG) reconnues dans le monde, elle nous invite à analyser la complexité de la question et à identifier les pièges et les écueils à éviter dans l’élaboration et la réalisation des APS aujourd’hui. Malgré les bonnes intentions et les objectifs nobles d’un tel stage international, il faut poser un regard critique sur nos initiatives d’APS. Que ce soit dans les départements de sciences économiques, de sciences sociales, dans les facultés d’éducation ou au sein des écoles de travail social, il faut se questionner sur le pourquoi et le comment de ces programmes et se donner des moyens d’analyser et d’évaluer les retombées d’un stage dans le cadre de l’APS pour mieux comprendre l’incidence de celui-ci sur les stagiaires qui y participent ainsi que sur les responsables des organisations de pays hôtes qui les accueillent. Cet article portera sur le vécu des stagiaires canadiennes.

Présentation et méthodologie de la recherche

Afin de situer le lecteur, nous donnerons le contexte et le déroulement du stage pour ensuite présenter l’échantillon et la méthodologie de l’étude. Précisons que cette étude a reçu l’approbation du comité d’éthique de la recherche.

Contexte et déroulement du stage

Les stagiaires ont été logées dans des familles d’accueil au Sénégal pour la durée du stage. Les fins de semaine, elles se sont retrouvées régulièrement à un hôtel pour passer du temps ensemble, faire un peu de tourisme et partager leurs expériences. Les trois stagiaires en travail social se trouvaient dans des villages différents dans la grande région de Dakar et devaient se rendre à leur lieu de stage en autobus. Les deux stagiaires en éducation habitaient la même commune et elles pouvaient se rendre à leur école respective à pied.

Les stagiaires du programme en travail social ont été jumelées avec une personne de leur famille d’accueil qui étudiait également dans le même programme d’études qu’elles au Sénégal. Leurs lieux de stages étaient variés : hôpital psychiatrique, centre pour jeunes itinérants et maison pour enfants autistes. Les deux stagiaires en éducation habitaient chez des familles dont les mères respectives étaient membres du personnel de leur établissement scolaire de stage : une école élémentaire dans un cas et secondaire dans l’autre. Dans les deux cas, les stagiaires se trouvaient dans des milieux familiaux et professionnels qui allaient contribuer grandement à leurs apprentissages, renforcer leurs capacités d’adaptation au changement et soutenir le développement de leur propre capital humain (Harris et Lambert, 2003 ; Macadam et collab., 2004, cité dans Miller et collab., 2015 ; Mitchell et Sackney, 2001).

À leur arrivée, après une fin de semaine de repos et de tourisme, les stagiaires ont participé à une session d’orientation, moment pendant lequel les stagiaires en travail social ont rencontré leur « jumelle ». Quelques jours plus tard, rencontres protocolaires et orientation terminées, les cinq stagiaires ont été dirigées vers leur famille d’accueil et se sont préparées à commencer leur stage.

Échantillon

L’échantillon se compose de cinq étudiantes en 2e ou 3e année de leur formation initiale universitaire dans une école de travail social (n = 3) ou en faculté d’éducation (n = 2) à l’automne 2016.

  • Les participantes ont été choisies parmi l’ensemble des étudiants inscrits à ces deux programmes et ayant manifesté leur intérêt à participer au projet de mobilité internationale interdisciplinaire. Le processus de sélection a été préétabli par le coordonnateur du projet et le bureau du doyen de la Faculté d’éducation et des études professionnelles. Chaque candidat devait répondre aux critères suivants :

    • être inscrit à temps complet en 2e ou 3e année de son programme ;

    • posséder une moyenne cumulative minimale de 3 ;

    • s’engager à suivre les journées de formation et à participer aux rencontres préparatoires ;

    • faire preuve d’ouverture d’esprit et de collaboration ;

    • promouvoir des valeurs universelles et s’engager au développement de ses compétences interculturelles et linguistiques ;

    • s’engager à développer ses capacités d’adaptation et d’innovation dans des environnements complexes et changeants.

Par l’entremise d’une lettre de présentation, tenant compte des critères énumérés, chaque candidat a fait valoir sa candidature. Par la suite, un entretien individuel a eu lieu avec les responsables de chaque unité, permettant d’élaborer la liste des candidates retenues.

Méthodologie

Précisons que les participantes ont accordé leur consentement libre et éclairé et pouvaient se retirer du volet de recherche en tout temps.

Deux outils principaux ont été utilisés : l’entretien semi-directif et le journal de bord. La collecte des données s’est déroulée en deux temps : 1) au moment du stage, au Sénégal, en novembre-décembre 2016 et 2) un an après le stage, au Canada, en novembre-décembre 2017.

À la quatrième semaine du stage, le chercheur s’est rendu au Sénégal où il a rencontré les stagiaires pour effectuer le premier entretien. Les participantes ont tenu un journal de bord sur toute la durée de leur stage. Un an après le stage, le chercheur a rencontré de nouveau chacune des stagiaires pour procéder au second entretien.

Les entretiens semi-directifs

Comme les données recueillies étaient de nature biographiques et personnelles (Ribau et collab., 2005), axées sur l’expérience et la perception des participantes durant et après leur stage, deux guides ont été utilisés pour effectuer les entretiens semi-directifs (Annexe A). Les premiers entretiens ont duré 19 minutes en moyenne et les seconds, 23 minutes. Pour faciliter l’enregistrement, l’application Audio Memos sur tablette électronique (iPad) a été utilisée.

Le journal de bord

Lors d’une des rencontres préparatoires, avant le départ pour le Sénégal, le chercheur a présenté aux participantes les consignes pour la rédaction de leur journal de bord (Annexe B). Sous format papier ou électronique, le journal de bord visait à offrir à chaque participante « un espace pour exprimer ses interrogations, ses prises de conscience, et consigner les informations [qu’elles jugeraient] pertinentes [pendant leur séjour au Sénégal] » (Savoie-Zajc, 2011, p. 145). Quatre des cinq participantes ont tenu un journal de bord.

Méthode d’analyse et de validation des données

L’analyse des données s’est faite sans support informatique en raison du petit échantillon, en faisant appel à l’approche sommative d’analyse de contenu de Hsieh et Shannon (2005). Les données ont été analysées à partir de mots clés identifiés dans les questions des guides d’entretien : apprentissages professionnels, développement des compétences, capacité d’adaptation, etc. Les journaux de bord ont été analysés de la même façon, permettant ainsi au chercheur de nuancer et d’enrichir les données à la suite de l’analyse du premier entretien. En faisant appel à cette méthode, le chercheur a pu mieux comprendre l’expérience des participantes pendant leur séjour et avoir un meilleur sens de l’incidence du stage international sur leur vie un an après.

Pour contribuer à la validité des résultats de l’étude, le chercheur a utilisé l’approche de la « vérification par les membres » (member checking) de Richards (2015). Les cinq stagiaires ont reçu la présentation et l’analyse des résultats. Elles devaient réagir au contenu, faire part de leur approbation et, au besoin, offrir des nuances ou des corrections pour s’assurer que le tout était fidèle à leur expérience, à leurs souvenirs et à leur vécu. Les personnes ayant fait l’objet de l’étude ont donc pu exercer leur jugement, offrir leur rétroaction sur la présentation et l’analyse des résultats ainsi que réagir aux conclusions du chercheur. L’exercice a aussi servi d’outil de triangulation des données (Richards, 2015).

Planification de la recherche

L’ensemble de l’étude a été mené en suivant le protocole suivant (figure 1).

Figure 1

Protocole de l’étude (temps, étapes et instrumentation)

Protocole de l’étude (temps, étapes et instrumentation)

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Présentations des principaux résultats

Les données sont présentées selon l’ordre du protocole de l’étude : les résultats des premiers entretiens et l’analyse des journaux de bord suivi des seconds entretiens.

Pour respecter l’anonymat des stagiaires, les données sont présentées de façon globale sans les regrouper en fonction des programmes d’études (travail social ou éducation). Les citations des stagiaires sont identifiées comme « stagiaire 1, 2, 3… ». Cela dit, en raison de certains détails contextuels, il est parfois possible d’identifier le programme d’études de la stagiaire, sans toutefois révéler son identité précise.

Analyse des premiers entretiens et des journaux de bord : principaux apprentissages

Les données des premières analyses ont été regroupées et présentées en respectant les objectifs de l’étude : les principaux apprentissages des stagiaires, l’impact sur leur pratique professionnelle et leur capacité d’adaptation tant en contexte de travail qu’en milieu familial.

En observant leurs homologues sénégalais et en exerçant leur profession dans leur milieu de travail respectif, les stagiaires ont identifié plusieurs apprentissages.

L’emploi du temps

Les stagiaires ont constaté que l’emploi du temps et l’organisation des horaires au Sénégal diffèrent de ceux du milieu canadien. Là-bas, les gens ont l’habitude de prendre le temps de saluer leurs collègues en début de journée tout en se renseignant sur l’état des membres de leur famille. Parfois, ce rituel témoignant de l’attention particulière portée à l’autre peut prendre de 45 à 60 minutes avant d’entreprendre les tâches dites « professionnelles » de la journée de travail.

La ponctualité ne semble pas faire partie des normes de travail au Sénégal, selon l’expérience des stagiaires. Une stagiaire partage sa réflexion en disant que la société canadienne pourrait apprendre à être un peu moins préoccupée par l’emploi du temps, l’obsession de l’efficacité et le souci constant du rendement pendant les heures de travail.

Au Sénégal, les gens sont beaucoup plus relaxes. À titre d’exemple, à mon lieu de stage, les infirmières font la sieste lorsqu’elles sont fatiguées. Elles parlent de l’importance de veiller soi-même sur sa santé (le self-care). On ne verra jamais ça au Canada! Ça crée un environnement moins stressant.

stagiaire 3, journal de bord

Cet exemple illustre une dimension de l’APS, car la stagiaire canadienne pose un regard critique sur les pratiques connues au Canada à la suite de son expérience directe sur le terrain de stage (Bringle et Harcher, cité dans Chapman, 2018).

Pratiques professionnelles

Les pratiques professionnelles observées ont aussi été source d’apprentissage pour les stagiaires. Dans un milieu hospitalier, les travailleurs sociaux n’entraient pas souvent en dialogue avec les patients. Les interactions observées se limitaient plutôt à la remise des médicaments prescrits par le médecin. Une des stagiaires canadiennes a choisi d’amorcer davantage de conversations avec certains patients afin d’établir un lien au niveau personnel. Elle a exprimé sa satisfaction pour avoir initié ce contact tout en reconnaissant la différence entre les deux pays au niveau des rôles de la travailleuse sociale.

L’expérience de stage a aussi placé les participantes dans des situations d’apprentissage plus difficiles. Malgré l’effort pour s’intégrer à son milieu de stage, une des stagiaires a vécu une expérience plutôt décevante lors de son premier placement. Elle n’avait pas souvent l’occasion d’exercer ses compétences professionnelles : « Je me sens comme si je suis en train de rater mon expérience » (stagiaire 1, journal de bord). En consultation avec le responsable des stages, elle a été orientée vers un deuxième placement à la fin de sa troisième semaine. Inquiète à l’idée d’être obligée de plonger encore dans une nouvelle situation professionnelle, elle a rapidement connu un soulagement après sa première journée : « J’ai passé la majorité de ma journée en train de discuter avec les autres travailleuses sociales et de cuisiner. C’était bien ! Je commence à comprendre c’est quoi le travail social au Sénégal. Je suis vraiment contente d’avoir changé de lieu de stage » (stagiaire 1, journal de bord).

Malgré un début de stage plutôt décevant, la stagiaire 1 s’est retrouvée dans un nouvel environnement qui lui a permis d’entrer en dialogue avec ses homologues sénégalaises et tisser une plus étroite collaboration, enrichissant ainsi l’expérience de stage et de son APS (Miller et collab., 2015).

En salle de classe dans les deux écoles qui ont accueilli les stagiaires en éducation, les conditions se sont avérées très différentes de celles au Canada. D’abord, le ratio enseignant-élèves (35, 40 et parfois 50 et plus), la chaleur écrasante, l’éclairage insuffisant et une absence marquée de ressources de base (craie, papier, pupitres, manuels, etc.). De plus, le style d’enseignement et les méthodes de gestion de classe relevaient de courants pédagogiques très différents de ceux retrouvés au Canada et de ceux enseignés à la faculté d’éducation où étudiaient les stagiaires. Les stagiaires ont mentionné une approche traditionnelle et directive favorisant la transmission d’informations, accordant une priorité aux contenus et s’orientant strictement vers les résultats (examens de fin de session et préparation en vue de la visite de l’inspecteur).

La gestion de classe se rapprochait d’une conception béhavioriste, une approche « très interventionniste basée sur le contrôle des conséquences offertes par l’environnement éducatif » (Vienneau, 2011, p. 49). En arrivant dans ce milieu, les stagiaires ont vécu un « choc » face à ces conditions de travail et aux pratiques observées. Elles se sont senties nerveuses et ont connu des moments de doute pendant lesquels elles ont remis en question leurs propres compétences, illustrant ainsi qu’en situation de développement des capacités, il faut se questionner (Mitchell et Sackney, 2001).

Un stage à l’étranger constitue une occasion de dialogue et de collaboration (Miller et collab., 2015). Comme les stagiaires n’avaient pas d’expérience sur la manière d’enseigner ni de gérer une classe avec tant d’élèves, pensant qu’elles devaient adopter les mêmes approches, elles ont abordé ces points avec leurs homologues canadiens, leurs enseignants sénégalais et leurs responsables de stage. Ces conversations leur ont permis de planifier leur intégration en salle de classe et de préparer leurs leçons tout en respectant la réalité de leur nouveau milieu et en acceptant l’élément du doute : « J’ai eu des moments “Ah ! C’est intéressant !” puis, d’autres, des moments de panique, parce que c’est complètement différent. Il n’y a rien qu’on a appris à l’école qui se met en application ici » (stagiaire 4, entretien 1). Les conversations avec les gens qui entouraient la stagiaire et son expérience en salle de classe au Sénégal lui ont permis de réfléchir à sa pratique et de plonger dans une nouvelle réalité. Y a-t-il meilleure façon de prendre confiance en ses compétences (Robin, 2014)!

Malgré le contexte dans lequel elles étaient placées, et avec l’encouragement des enseignants sénégalais, les stagiaires ont pu introduire des stratégies d’enseignement et de gestion « canadiennes » en salle de classe (p. ex. : invitation lancée aux élèves à se placer devant la classe pour illustrer un concept de mathématique ou établissement de procédures avec les élèves pour déterminer les comportements à adopter en salle de classe). Après une période d’adaptation, les élèves se sentaient plus à l’aise face à ces nouveautés et participaient volontairement avec beaucoup d’enthousiasme aux leçons et aux méthodes proposées par les stagiaires.

Collaboration et transformation des pratiques

Selon le milieu de stage et les circonstances particulières de chacune, les stagiaires canadiennes ont trouvé plus ou moins d’occasions de collaboration avec leurs homologues sénégalais. Les horaires de travail jumelés aux engagements professionnels et familiaux des Sénégalais limitaient parfois les temps formels de collaboration. Cependant, à plusieurs reprises, les stagiaires ont pu poser des questions à leurs homologues, entrer en dialogue avec elles et comparer les pratiques et les façons de faire au Canada à celles du Sénégal. C’est un exemple concret du développement du capital humain soutenu par une équipe dynamique, forte et à l’écoute (Hargreaves et Fullan, 2012). Ces moments ont été appréciés et ont permis aux stagiaires de mieux comprendre les différentes façons d’exercer leur profession respective tout en demeurant sensibles aux réalités culturelles du Sénégal (Williams, 2005).

Collaborer et échanger avec ses homologues à l’étranger en espérant transformer certaines pratiques n’est pas toujours réalisable. Après une proposition de service d’appui auprès d’un enfant, une stagiaire a constaté que, sans l’appui de ressources humaines, la mise en oeuvre du service ne se réaliserait pas. Cet apprentissage lui a permis de noter l’ampleur de certains défis à relever dans ce milieu à ressources très limitées. Tout en développant la compréhension socioculturelle de son nouveau milieu (Pence et Macgillivray, 2008), elle s’est vue dans l’impossibilité de transformer la situation : « On disait : toi, en tant que travailleuse sociale, quel est ton point de vue dans ça ? Il fallait défendre notre point de vue. Je me suis rendu compte que, malheureusement, je ne pouvais pas m’engager, parce que je serai partie dans quelques semaines » (stagiaire 2, entretien 1). Ce constat ne se limite pas uniquement à la question du manque de temps pour intervenir. Il plonge la stagiaire dans une reconnaissance ou une réelle confrontation avec l’interculturalité. Les moyens qui existent dans son pays, les réflexes en tant qu’intervenante de terrain ne peuvent pas être les mêmes. Le défi demeure pour cette praticienne réflexive : comment intervenir dans un milieu interculturel qui est différent du sien tout en respectant les gens, leurs pratiques, leurs moeurs et leurs valeurs (Ogay et Edlmann, 2011) ?

Une autre stagiaire a proposé la mise sur pied de bibliothèques de classe à ses collègues. Elle voulait faire la promotion de la lecture tout en remettant des livres qu’elle avait achetés comme cadeaux. Comme le concept ne faisait pas partie des pratiques habituelles, elle a constaté que ni les élèves ni les membres du personnel ne savaient trop comment l’incorporer en salle de classe. Elle a pris conscience aussi qu’elle rentrerait au Canada peu de temps plus tard, et que personne ne pourrait en faire le suivi.

L’APS oblige les stagiaires à se regarder dans un miroir. En tant que futures travailleuses sociales et enseignantes, parachutées dans un contexte interculturel différent de ce qu’elles connaissent, quels ajustements doivent-elles faire ? Elles se rendent compte des limites de leurs expériences de stage, elles développent toutefois une certaine sensibilité à leur nouvelle réalité (Williams, 2005) et ont une plus grande appréciation de leur propre pays et des conditions de travail qui s’y retrouvent (Woolf, 2007).

Les stagiaires canadiennes ont mentionné à plusieurs reprises leur collaboration entre elles. Le temps passé ensemble pendant les fins de semaine ou en sorties de tourisme a solidifié leur amitié et leur a permis de mieux s’adapter et de profiter pleinement du stage. La possibilité de comparer leur vécu en fonction de leurs disciplines respectives a aussi enrichi leur expérience.

Choc culturel

Quatre des cinq stagiaires ont parlé du « choc culturel » vécu en se référant à certaines pratiques professionnelles observées sur le terrain, notamment l’emploi du châtiment corporel comme mesure d’intervention auprès d’enfants, de patients et d’élèves. Cette réalité a tout de même été une occasion d’apprentissage sur la manière d’intervenir autrement dans ce milieu. Une stagiaire relate comment elle ne voulait pas frapper les enfants, car « c’est juste pas dans mes apprentissages, c’est pas dans mes valeurs » (stagiaire 1). Elle a donc employé la technique du « temps d’arrêt » pour retirer un enfant récalcitrant d’une activité de groupe, le temps qu’il se calme, pour ensuite le réintégrer. L’enfant a répondu favorablement à la stratégie. À sa grande surprise, une de ses homologues sénégalaises a employé la même stratégie dans les jours qui ont suivi et, selon la stagiaire, l’enfant s’est calmé sans avoir reçu de châtiment corporel. Dans cet exemple du choc culturel, nous voyons le dilemme éthique de la stagiaire canadienne qui n’adhère pas aux mêmes valeurs que sa communauté d’accueil en matière de discipline : quelle stratégie adopter pour favoriser la coopération de l’élève, sans faire appel au châtiment corporel ? D’ailleurs, ce point a fait l’objet de discussion entre les stagiaires et les responsables de stage. Elles l’ont même soulevé auprès des autorités au ministère de l’Éducation lors d’une visite à Dakar, sans adopter une posture d’ethnocentrisme prétendant que la façon canadienne devait être la norme (Ogay et Edelmann, 2011). Les cadres ont bien reconnu la contradiction entre la Loi scolaire qui interdit le châtiment corporel et la pratique courante sur le terrain. Le dialogue s’est donc avéré constructif dans un esprit de respect de l’autre.

La vie au quotidien pour les stagiaires canadiennes, entourées de moeurs et de valeurs qui différaient parfois de celles au Canada, a aussi été source de choc culturel. À titre d’exemples, les vendeurs au marché qui les « harcelaient » pour qu’elles achètent leurs marchandises, ou les remarques des hommes qui demandaient pourquoi elles sortaient seules, sans la présence d’un homme, ont contribué à leur sentiment de malaise.

Une autre réalité a aussi contribué au choc culturel. Comme certaines stagiaires canadiennes étaient blanches, elles ont découvert le phénomène d’appartenir à une « minorité visible », ce qui ne faisait pas partie de leur vécu au Canada. Cet apprentissage leur a ouvert une nouvelle perspective et a donné lieu à une prise de conscience.

Le choc culturel à l’intérieur de l’APS existera toujours. Cependant, il serait important d’accompagner les stagiaires pour réduire les probabilités qu’elles arrivent sur le terrain avec la même attitude que celle de nombreuses ONG du Nord, qui ont envahi les pays du Sud dans le passé avec leurs ressources financières et humaines, leurs façons de faire et leurs jugements parfois sévères des pratiques du pays sans véritablement contribuer au développement des capacités locales à plus long terme (Chapman, 2018).

Capacités d’adaptation

Dans le contexte de leur vie familiale, vivre plein de nouvelles expériences a nécessité que les stagiaires exercent leur capacité d’adaptation. Elles ont souvent pensé au « confort » laissé derrière elles au Canada. Elles racontent s’être toutefois intégrées à leur famille d’accueil, aidant dans les différentes tâches (préparation des repas, attention auprès des plus jeunes, etc.). Elles ont aussi connu des moments sans électricité ni eau courante, le lavage de leurs vêtements à la main et même aucun accès à un wi-fi. D’autres découvertes les ont obligées à s’adapter à leur nouvel environnement : de nouveaux insectes dans la maison, le partage d’une chambre à coucher et même d’un lit et l’apprivoisement de nouveaux mets savoureux qu’elles dégustaient avec leurs mains dans un plat commun servi souvent à des heures beaucoup plus tardives qu’au Canada. La présence d’animaux variés (poules, chèvres, chevaux, vaches) dans la vie familiale ainsi que la chaleur intense ont aussi fait partie de leur adaptation.

Le transport en commun pour les stagiaires qui vivaient en milieux plus éloignés les a obligées à faire preuve de patience : partir tôt le matin, voyager à bord d’un bus bondé de gens sous un soleil de plomb et passer jusqu’à 2 à 3 heures en autobus. S’il y avait une panne, le retour en soirée pouvait se transformer en un trajet de plus de 4 heures.

L’APS provoque de profonds bouleversements chez les stagiaires, qui se voient confrontées à d’autres réalités à l’étranger. La pauvreté de la population et la présence de déchets un peu partout ont beaucoup marqué les stagiaires, les amenant à réfléchir sur leur propre situation au Canada. L’écart au niveau de la distribution des richesses entre le Sénégal et le Canada était marquant.

Les stagiaires ont aussi pu vivre une expérience d’immersion dans la langue du pays, le wolof. Elles ont appris quelques mots et expressions, mais se fiaient à leurs homologues interprètes et aux membres de la famille pour les nuances lors des discussions et des rencontres. La présence du français comme langue du pays a aussi été une occasion de valorisation pour les stagiaires qui évoluent en contexte francophone minoritaire au Canada : « Ça m’a donné un peu plus de confiance avec mon français. Le fait que j’étais forcé essentiellement à parler en français, ça m’a permis de me pousser, de m’améliorer » (stagiaire 5, entretien 2).

La population sénégalaise est très majoritairement musulmane (94 %) (Observatoire de la vie religieuse, 2018). Les stagiaires en ont souligné deux aspects qui les ont marquées plus spécifiquement : l’apprentissage d’une grande variété de noms musulmans – d’ailleurs au moins deux d’entre elles ont reçu des noms musulmans de leur famille d’accueil peu après leur arrivée – et la place de la femme dans la société sénégalaise. Elles ont constaté que c’est une société patriarcale et que les rôles sont clairement marqués.

La période et l’intensité de l’adaptation des stagiaires à toutes ces nouveautés de leur pays d’accueil ont été variables pour chacune d’entre elles, allant de quelques jours à plusieurs semaines, selon les circonstances et la personnalité de chacune. Elles se sont beaucoup questionnées. Pourquoi suis-je ici ? Comment est-ce que je vais finir mon stage ? À quoi vais-je pouvoir contribuer ? Comment est-ce que je pourrai partager ma chambre et mon lit avec d’autres ? Les stratégies adoptées par chacune pour s’adapter étaient aussi variées : passer du temps seule ; se divertir avec les gens de la famille ; accéder à Internet, dans la mesure du possible, pour parler aux membres de sa famille au Canada ; adopter un mode de « survie » au quotidien, sans trop penser au lendemain ; fermer les yeux ; poser des questions aux homologues sénégalais pour mieux comprendre ce qu’elle vivait ; parler aux autres stagiaires ou aux responsables du stage. Les stagiaires s’étaient acheté chacune un téléphone pour faciliter la communication entre elles. Au 12e jour, une stagiaire raconte : « Je n’ai pas de téléphone fonctionnel pour contacter [nom de la stagiaire], je trouve cela très difficile » (stagiaire 5, journal de bord). Malgré ces défis, les stagiaires ont pu s’intégrer en s’adaptant à leur nouveau milieu comme en témoignent ces extraits : « Je ne peux pas croire que c’est déjà le 20 décembre ! Ça sera difficile de dire au revoir » (stagiaire 3, journal de bord) ; « En gros, je suis très fière de moi ! » (stagiaire 4, journal de bord) ; « Je pense que c’est l’ouverture d’esprit. J’ai été impressionnée et même étonnée de moi-même » (stagiaire 2, entretien 1).

Tout au long du stage, les participantes canadiennes ont évolué, autant sur le plan personnel que professionnel. L’APS leur a permis de vivre des moments joyeux, tristes, étonnants et satisfaisants, contribuant ainsi au développement de leurs compétences professionnelles, à mieux se connaître, à comprendre leur nouveau milieu, à s’adapter au changement et à enrichir leur propre capital humain. Mais qu’en a-t-il été pour la suite ? Que reste-t-il de cette expérience un an plus tard ? C’est précisément ce qui fait l’objet de la prochaine partie de cet article. Soulignons que l’analyse des seconds entretiens est plus courte et la présentation plus sommaire. Ceci s’explique essentiellement par le fait qu’entre le début de l’APS et le moment du second entretien, un an s’est écoulé. La mémoire étant moins vive et l’enthousiasme tempéré par le fait d’être de retour au Canada, vivant leurs occupations et leurs préoccupations d’étudiantes et de jeunes travailleuses dans leur nouvelle profession, les participantes avaient moins à raconter.

Analyse des seconds entretiens : principaux apprentissages

Les seconds entretiens avaient pour but de cerner l’incidence du stage sur les participantes un an après leur retour du Sénégal. En procédant à l’analyse des données, le chercheur a voulu présenter leurs opinions de façon synthétique au niveau de leurs principaux apprentissages (tableau 1) et du développement de leurs pratiques professionnelles (tableau 2).

Tableau 1

Incidence du stage sur les participantes : principaux apprentissages

Incidence du stage sur les participantes : principaux apprentissages

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À la lecture du tableau 1, nous constatons que les principaux apprentissages un an plus tard tournent autour de la compréhension interculturelle globale de la vie de la population au Sénégal, autant familiale que professionnelle. Les stagiaires affirment être en mesure de mieux comparer ces deux réalités à celles au Canada. Elles croient également pouvoir poser un regard plus critique sur certains enjeux internationaux (Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá, 2006) et évaluer leurs propres pratiques professionnelles. Bref, ces citoyennes du monde se posent plusieurs questions, même un an après leur expérience : est-ce que mon passage au Sénégal a fait une différence pour les gens autour de moi ? Les initiatives de changement, mes contributions, mes propositions de façons de faire auprès de mes homologues sénégalaises, etc. sont-elles encore en vigueur aujourd’hui ou sont-elles passées aux oubliettes ? Est-ce que mon passage en Afrique a été une reproduction de l’expérience coloniale des années passées ou une occasion d’établir un véritable dialogue respectueux avec l’autre? Que peut-on faire pour appuyer ce pays, ces gens, en espérant améliorer certaines conditions de vie ? De plus, leur regard sur l’Afrique a aussi permis aux stagiaires de se tourner vers des réalités canadiennes : pourquoi certaines familles d’ici doivent-elles vivre dans la pauvreté et avoir recours à des banques alimentaires ? Quel est le rôle du Canada vis-à-vis de l’immigration et de l’accueil des réfugiés ? Ce questionnement illustre combien les expériences vécues lors du stage, positives et négatives, les habitent encore aujourd’hui. Elles posent un regard critique sur leur séjour et cherchent à mieux comprendre l’incidence de l’APS sur leur vie personnelle et professionnelle depuis leur retour au Canada.

Tableau 2

Incidence du stage sur les participantes : développement des pratiques professionnelles

Incidence du stage sur les participantes : développement des pratiques professionnelles

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À la suite des principaux apprentissages, le questionnement des stagiaires les a aussi amenées à se pencher sur leurs propres pratiques professionnelles, sur leur capacité d’adaptation et aussi sur leur rôle en tant qu’agentes de transformation dans le monde (Zlotkowski, 1998). Le tableau 2 présente l’incidence du stage sur leurs pratiques professionnelles, selon ce qu’elles ont rapporté lors du second entretien. Elles ont réellement l’impression que le stage les a marquées en leur permettant de mieux exercer leur profession de travailleuses sociales ou d’enseignantes au Canada (Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá, 2006). Les retombées dépassent largement la période de stage. Les stagiaires ont souligné leur volonté de s’engager davantage dans des projets concrets dans leur pays et ailleurs et de devenir des citoyennes engagées dans leur collectivité (Brown, 2011). Elles sont persuadées que l’ensemble de leur expérience à l’étranger leur a permis d’ajouter plusieurs cordes à leur arc.

Une des limites de l’étude se situe principalement au niveau de la durée relativement courte du stage, particulièrement à la lumière de la complexité de la thématique et de l’objectif à l’étude : mieux comprendre l’incidence d’un stage international en contexte interculturel sur l’apprentissage et le développement des compétences professionnelles d’un groupe de stagiaires. Le petit nombre de participantes et le fait que c’est une première expérience pour l’établissement viennent aussi contribuer aux limites de l’étude. Une perspective à plus long terme avec d’autres groupes d’étudiantes et d’étudiants permettrait de mieux évaluer la pertinence de l’APS sur le développement des compétences de futurs professionnels.

Conclusion

Cet article a porté sur l’incidence d’un stage international sur l’apprentissage et le développement des pratiques professionnelles de cinq étudiantes en formation initiale du Canada. Leur expérience confirme l’importance pour les universités de multiplier les occasions d’apprentissage grâce au service à l’étranger. Ces expériences, fondées sur de véritables besoins identifiés par la communauté d’accueil (Zlotkowski, 1998 ; Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá, 2006), offrent des retombées positives et transformatrices pour les participants, comme l’a démontré cette étude.

Ces étudiantes ont enrichi leurs connaissances générales sur la vie et le travail au Sénégal. Elles ont pu mieux comprendre certains enjeux internationaux (Pence et Macgillivray, 2008) tout en développant leurs pratiques professionnelles (Hargreaves et Fullan, 2012). De retour au Canada, elles se sont senties mieux outillées pour se questionner et comparer leur expérience à l’étranger à celle de leur milieu actuel. Leur regard est maintenant tourné vers l’avenir, en souhaitant que cette expérience les pousse à continuer de poser un regard critique sur les systèmes, sur les politiques en vigueur et sur leurs propres pratiques professionnelles, à participer au développement des collectivités tant locales qu’à l’international (Brown, 2011) et à exercer un leadership fondé sur les principes d’équité et de justice sociale, pour ainsi améliorer les conditions de vie des citoyens.

Pour terminer, il serait important que les équipes administratives universitaires se penchent sur leurs programmes d’études ayant une composante de stage international afin d’en évaluer la structure, les objectifs, l’accessibilité et les mécanismes d’évaluation, entre autres (Allen et Young, 1997 ; Woolf, 2007). Un questionnement plus approfondi sur le développement des compétences interculturelles du personnel des institutions qui incorporent les APS, sur leur compréhension de l’éducation interculturelle et comment celle-ci se traduit dans les pratiques pédagogiques devrait aussi faire partie de cette réflexion collective (Ogay et Edelmann, 2011). Le développement de citoyens du monde ouverts à l’autre, conscients des iniquités socioéconomiques, des injustices, des déplacements de population, etc., désireux de développer un plus grand sens du civisme (Smith-Paríolá et Gòkè-Paríolá, 2006) et prêts à relever les défis que pose la cohabitation dans la diversité de notre communauté mondiale (Young, Natrajan-Tyagi et Platt, 2015) y gagnerait.