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Les travaux de l’ÉDIQ

Au printemps 2019, l’Équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec (ÉDIQ) a tenu un colloque, dans le cadre du 87e congrès de l’ACFAS. Cette rencontre a constitué un moment d’échanges privilégiés entre des chercheurs, des partenaires, des étudiants, et d’autres citoyens, d’ici ou d’ailleurs, intéressés par les réflexions issues des travaux des membres de l’ÉDIQ. Fondée en 2007, l’ÉDIQ est une équipe de recherche en partenariat interdisciplinaire et intersectorielle qui regroupe des chercheurs et des professionnels issus d’établissements universitaires, d’institutions de gouvernance, d’organismes communautaires et de services de première ligne. La programmation scientifique de l’ÉDIQ vise à mieux connaître les conditions favorables au développement d’une société locale inclusive et porteuse de justice sociale, soit une société concourant à ce que tous ses membres puissent accéder aux mêmes droits et protections. De façon générale, les travaux de recherche des membres de l’équipe visent à examiner les interactions complexes qui se déploient entre les institutions, les groupes et les individus qui composent la société québécoise. À cet égard, elle se distingue par son intérêt envers l’ensemble de ces interactions en prenant en compte l’influence des ancrages historiques ainsi que celui des dynamiques locales récentes. Les réflexions qui soutiennent les recherches des membres de l’ÉDIQ reposent sur l’hypothèse que les nouveaux arrivants ainsi que les institutions et la population locales vivent des transitions qui remettent en question la qualité de vie, l’inclusion et la reconnaissance mutuelle pour tous. De même, les travaux des membres de l’ÉDIQ s’appuient sur l’hypothèse que le processus d’adaptation mutuelle entre les nouveaux arrivants et la population locale repose sur la prise en compte des projets personnels et familiaux, sur la reconnaissance des identités, sur la mise en valeur des apprentissages, des savoirs et des compétences développées au cours de la mobilité et que, par l’entremise des relations interculturelles, ce processus participe à la cohésion sociale et à la qualité de vie de l’ensemble des citoyens.

Un regard transversal et multidisciplinaire

Ayant pour titre « Interactions et trajectoires d’insertion dans les régions du Québec : stratégies des immigrants et des institutions », ce colloque examinait les interactions complexes qui s’établissent entre les institutions, en tant que systèmes d’organisation ayant des valeurs, des règles et des pratiques, et la population québécoise, qui est marquée par une diversité culturelle, linguistique et religieuse croissante. L’angle privilégié pour appréhender ces interactions était celui des stratégies mises en oeuvre, tant par les institutions que par les individus, pour favoriser l’accueil et l’insertion des immigrants qui s’établissent dans les régions du Québec.

L’articulation de la programmation de ce colloque reposait sur trois constats principaux. Dans un premier temps, nous avons constaté que les parcours d’immigration et d’insertion des immigrants sont marqués par une grande complexité et que cette complexité entraîne le besoin de considérer les interconnexions entre toutes les dimensions de leur vie (Beaulieu, 2019 ; Drolet et Moorthi, 2018 ; Garnier, 2015 ; Newton, 2019 ; Vatz Laaroussi, 2019), peu importe où elles se situent dans l’écosystème (Rachédi et Legault, 2019). Deuxièmement, les recherches récentes démontrent l’existence de lacunes au sein des institutions et des structures locales responsables de l’accueil et du soutien à l’insertion sociale et professionnelle des nouveaux arrivants, et ce, malgré les politiques gouvernementales mises en oeuvre et les ressources investies par certains milieux (Arsenault et Giroux, 2009 ; Shields, Drolet et Valenzuela, 2016 ; Vatz Laaroussi, Bernier et Guilbert, 2013). De plus, concernant les stratégies d’intégration socioprofessionnelle, des études ont permis d’en identifier des représentations parfois contradictoires, notamment un recours temporaire à l’aide sociale par les travailleurs qualifiés (Pinsonneault, Lechaume, Benzakour et Lanctôt, 2010) ou l’expression d’un sentiment de satisfaction inattendu à la suite d’une réorientation professionnelle faisant suite à une déqualification professionnelle (Dioh, 2015 ; Giroux, 2011). Troisièmement, on observe que les projets individuels et familiaux dont les immigrants sont porteurs servent d’assise à l’élaboration de stratégies (partage de savoirs, d’informations, entraide dans les réseaux informels, retour aux études) visant à favoriser leur processus d’adaptation et d’insertion au sein de leur localité d’accueil (Garnier, 2016 ; Guilbert, 2010 ; Newton, 2019 ; Vatz Laaroussi, 2019). À cet égard, des études ont souligné l’importance de mettre sur pied des politiques sociales et des pratiques d’intervention en adéquation avec les besoins spécifiques des personnes immigrantes, notamment les réfugiés (Sarradet, 2015). Par ailleurs, le rôle fondamental joué par les organismes communautaires en matière d’accueil et d’accompagnement des nouveaux arrivants a été mainte fois démontré (Gilbert, Viswanathan et Saberi, 2013 ; Lacroix, Baffoe et Liguori, 2015 ; Marshall, 2017 ; Shields, Drolet et Valenzuela, 2016 ; Silvius, 2016 ; Véronis, 2019). Dans cette perspective, il apparaissait pertinent de porter un regard transversal et multidisciplinaire sur la trajectoire migratoire des individus afin de mieux comprendre les logiques et les aspirations qui sous-tendent leurs projets, ainsi que pour identifier les obstacles et les appuis qu’ils rencontrent tout au long de leur parcours. Enfin, soulignons que ces visées s’inscrivaient dans une problématique plus large, soit celle de l’étude des interactions entre les institutions et les différents groupes qui composent la population, afin de mieux comprendre quels sont les nombreux facteurs qui influencent le rapport à l’autre, que celui-ci soit Québécois natif ou issu de l’immigration.

Regrouper dans ce colloque des acteurs issus des milieux de pratique (santé et services sociaux, emploi et éducation) et des chercheurs nous a permis d’engager un dialogue entre les savoirs des praticiens et ceux issus de divers horizons universitaires (travail social, géographie, psychologie, relations industrielles, ethnologie, sages-femmes), permettant du même coup l’émergence d’un regard transversal et multidisciplinaire sur des enjeux complexes. À cet égard, la mise en relation des stratégies élaborées par les institutions et les structures locales d’accueil des nouveaux arrivants avec celles déployées par ces derniers cherchait à favoriser l’élaboration de recommandations en matière de politiques sociales, de pratiques d’intervention et de services en adéquation avec les besoins spécifiques et changeants de la population.

Présentation du numéro

Ce numéro se compose de six articles issus des présentations offertes lors du colloque. Il pose donc un regard transdisciplinaire et nuancé sur les trajectoires d’insertion des immigrants au Québec et ailleurs.

Le premier article, de Michel Racine et Sara Tapia, aborde la question des services de soutien à l’insertion en emploi offerts aux personnes immigrantes dans deux régions du Québec, soit la région de la Capitale-Nationale et celle de Chaudières-Appalaches. À l’aide de la perspective institutionnaliste et de du modèle des capitaux d’attraction et de rétention de l’immigration régionale, les auteurs observent la manière dont le réseau de services répond aux défis socioéconomiques de ces régions et aux besoins spécifiques des immigrants, dotés d’un statut d’immigration tantôt permanente, tantôt temporaire.

Le deuxième article, rédigé par Marie-Laure Dioh, Lucille Guilbert et Michel Racine, porte sur le processus d’intégration socioprofessionnelle des immigrants à Québec. Mais, cette fois-ci, l’angle adopté est celui de l’agentivité des immigrants dans leur projet migratoire, appréhendée à partir de la théorie des parcours de vie. Les auteurs nous amènent au coeur du projet de vie des immigrants qui dépasse le seul aspect professionnel, trop souvent mis à l’avant-plan. Dans ce projet de vie, l’avenir meilleur souhaité pour les enfants et le désir d’une vie paisible dans une société juste sont au premier plan. Ainsi, les attentes des immigrants quant à leur trajectoire d’inclusion socioprofessionnelle dans la société québécoise fluctuent et s’ajustent à la lumière des priorités au coeur de leur projet de vie.

Aline Lechaume, Nicole Gallant et Johanna Cardona examinent, dans le troisième article, les différentes stratégies déployées par les résidents permanents en vue d’entamer ou de poursuivre des études à la suite de leur installation au Québec. Leurs analyses reposent sur des données quantitatives issues de l’Enquête sur les cheminements d’intégration au marché du travail des personnes immigrantes nouvellement arrivées (ECINA) et mobilisent, tout comme les auteurs précédents, la théorie des parcours de vie. On y apprend notamment que, loin d’être perçu comme un échec, un retour aux études au Québec est souvent vécu comme une stratégie ayant des retombées positives et constructives dans le projet de vie des immigrants, que cette stratégie a parfois été envisagée avant même leur arrivée, et ce, même pour ceux qui avaient déjà une formation universitaire avant la migration.

Dans le quatrième article, Raymonde Gagnon, Marie-Louise Thiaw et Fernanda Fernandes nous font découvrir, à travers une démarche auto-ethnographique, le travail de réflexivité de deux femmes immigrantes, l’une d’origine sénégalaise et l’autre d’origine brésilienne, impliquées dans le service de formation des étudiants en pratique sage-femme. L’article repose sur l’expérience de ces formatrices qui ont eu, pendant des années, le mandat de sensibiliser les futures praticiennes à l’expérience de la périnatalité en contexte migratoire. Il y est également question de l’influence de cette démarche sur leur propre parcours de migration. Il en résulte que l’expérience à titre de formatrices a permis à Marie Louise et à Fernanda de prendre conscience des acquis obtenus dans leur parcours et a également contribué à de nouvelles transformations.

Pour leur part, Lucille Guilbert, Stéphanie Arsenault et Marie-Élisa Fortin se sont intéressées aux malentendus culturels et à la médiation du sens dans un groupe interculturel et intergénérationnel, et ce, dans le cadre d’une recherche ayant exploré deux interventions de groupe menées selon le Modèle coopératif interculturel d’accompagnement mutuel (MICAM). Ainsi, ce cinquième article présente les manières dont se construit le sens à travers certains filtres, notamment culturels, nationaux, idéologiques ou religieux, qui balisent la volonté et la capacité à entendre ce qui se dit. L’article propose certaines interprétations émergentes au sujet de la tendance à la généralisation chez les membres du groupe, d’une opposition flagrante formulée entre le rationnel et l’irrationnel, de thèmes rassembleurs de représentations positives, mais également de thèmes diviseurs nécessitant un espace d’expression. De plus, l’analyse démontre qu’il a été possible d’observer un potentiel de sympathie logé dans la vulnérabilité, conduisant ainsi à une meilleure écoute de la part des membres du groupe.

Le sixième et dernier article thématique de ce numéro nous est offert par Mariá Boeira Lodetti et Lucienne Martins-Borges et traite des significations ainsi que des facteurs de risque et de protection attribués au processus migratoire par les réfugiés syriens qui demeurent à Florianópolis (Brésil). Il permet une incursion au coeur de la réalité des réfugiés d’origine syrienne établis dans le sud du Brésil, mais également au sujet des défis rencontrés par ceux-ci. Reposant sur une recherche réalisée dans le cadre d’une maîtrise en psychologie, cet article montre notamment comment l’expérience de refuge au Brésil entraîne de nombreux changements psychosociaux et fragilise la construction identitaire, dans un contexte social peu favorable à l’insertion de ces réfugiés. Il rappelle également les séquelles laissées par les situations à potentiel traumatique auxquelles les personnes réfugiées ont été exposées avant leur départ de la Syrie ainsi que dans les lieux de transitions où ils ont vécu et depuis leur arrivée au Brésil. En contrepartie, les facteurs de protection mettent l’accent sur l’importance du maintien des liens avec la culture d’origine comme l’un des facteurs contribuant à une meilleure intégration dans leur nouvelle terre d’accueil.

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En somme, les textes proposés permettent de poser un regard interdisciplinaire sur différentes stratégies déployées par les individus et par les institutions en contexte interculturel, notamment en ce qui concerne l’accueil, l’accompagnement et l’insertion des personnes immigrantes et réfugiées. Ces textes donnent à voir qu’au-delà des particularités régionales qu’il importe de prendre en compte, il est également nécessaire de considérer l’influence de l’ensemble du parcours migratoire des individus et des familles au moment de déployer des stratégies et des services liés à l’accueil et l’accompagnement des nouveaux arrivants. En ce sens, au nombre des conclusions ressortant de ces articles, se trouve une invitation à prendre en compte les différentes sphères de la vie des individus (personnelle, familiale, professionnelle, éducationnelle, interpersonnelle) lors de l’élaboration de ces services et de ces ressources d’accompagnement visant à favoriser l’accueil et l’insertion des immigrants. Au coeur de ces observations, une constante demeure : favoriser des services d’accueil et d’accompagnement qui sauront soutenir la résilience et l’agentivité des individus, ceci, afin que ces derniers puissent déployer l’ensemble des stratégies dont ils sont porteurs en vue de parvenir à réaliser leurs aspirations personnelles, familiales et professionnelles. Par ailleurs, on a également pu observer que, pour que ces stratégies portent fruit, certaines conditions doivent être mises en place, et ce, tant par les institutions, les réseaux associatifs et les employeurs que par les groupes et les personnes.