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L’intensification de la mondialisation a créé des facilités d’accès aux opportunités d’investissement dans des destinations autrefois inaccessibles et parfois méconnues. Cette ouverture bienveillante a permis la solidification des liens économiques entre les pays et opérateurs économiques des divers horizons. Pour tirer profit de cet environnement désormais favorable aux affaires, les pays ont développé des législations pour non seulement attirer les investisseurs et renforcer leur compétitivité, mais aussi encadrer les relations économiques entre les divers partenaires. Certes, les investisseurs cherchent des destinations fiscalement attrayantes pour générer des profits, mais leur décision d’investissement dépend aussi de l’existence des mécanismes de protection de leurs activités économiques et partant, des intérêts qui y sont liés. De ce fait, les législateurs se sont préoccupés de mettre en place un cadre légal qui assure la rentabilité et la sécurité des affaires.

Les sociétés commerciales étant les canaux naturels pour la conduite des opérations d’investissement, elles constituent un centre autour duquel cohabitent plusieurs partenaires aux intérêts multiples. Toutefois, en dépit des différences caractérisant lesdits intérêts, sur lesquels cette réflexion reviendra, ils sont moins antagonistes qu’ils ne le paraissent. Sans doute en est-il ainsi, car les intérêts des créanciers seraient en péril si ceux des actionnaires bénéficiaient peu ou plus de protection et inversement. Seule alors une protection concurrente de ces intérêts constitue le soubassement de la viabilité financière de la société. À travers une démarche comparative, cette analyse examine les aménagements mis en place[1] en vue d’assurer une cohabitation fructueuse des intérêts des partenaires de la société. L’étude concerne la législation burundaise sur les sociétés et le droit de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) relatif aux sociétés commerciales. Comme instrument d’analyse, nous nous servons de l’Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique (l’AUSCGIE)[2] et du Code burundais des sociétés privées et à participation publique (CSP&PP)[3]. Dans l’espace OHADA, la communautarisation du droit des sociétés a suppléé la mosaïque de textes disparates et souvent anciens qui étaient d’application dans les pays membres. En réalisant cette intégration juridique régionale, l’OHADA a créé un climat d’investissement prévisible et a affermi son statut d’outil de promotion du développement économique. Telle était par ailleurs la visée du CSP&PP burundais dont le souci était de moderniser un droit des affaires qui était devenu obsolète. Le droit des sociétés OHADA est issu d’une construction juridique dont la logique était de fédérer les droits applicables dans les pays membres. C’est un droit qui s’est enrichi au travers de multiples travaux scientifiques que son accessibilité a générés[4]. Ses principes, largement commentés[5], offrent un bon cadre de comparaison avec ceux développés dans les législations nationales comme le CSP&PP[6]. Ainsi, les principes de l’AUSCGIE sur lesquels est articulée la cohabitation des intérêts des créanciers et des actionnaires peuvent susciter des pistes de réflexion pour améliorer continuellement la qualité des textes juridiques nationaux moins accessibles.

La forme juridique qui sert de cadre d’analyse est la société anonyme (SA). Celle-ci se conçoit comme celle « dans laquelle les actionnaires ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports et dont les droits des actionnaires sont représentés par des actions »[7]. Avec cette responsabilité au passif limitée au prorata de la contribution au capital social, la SA se range parmi les sociétés de capitaux. La qualification d’« anonyme » renvoie à l’idée de la dénomination sociale qui ne révèle pas le nom des actionnaires de ladite société. Celle-ci peut même ignorer leur identité si les titres sont au porteur,[8] car ces derniers ne portent aucune mention de nom du titulaire. Par ailleurs, la connaissance des principes de protection du capital social et des intérêts de ceux qui participent à sa formation se veut un ingrédient indispensable pour maintenir la performance financière de la SA et rassurer ceux qui y investissent.

La SA est une structure sociétale dont l’enjeu financier est capital aussi bien pour les actionnaires que pour les créanciers. Par sa nature, la SA est une entité économique conçue pour mobiliser des capitaux de grande envergure[9]. Dans la législation burundaise, elle est la seule autorisée à émettre des valeurs mobilières sur le marché financier à travers la procédure d’appel public à l’épargne[10], mais c’est aussi le type de structure qui est densément réglementé en raison de l’importance des investissements qu’il peut drainer[11].

Le contrôle de la SA combiné avec la possibilité d’entrer sur le marché financier de même que son importance dans le tissu économique et social justifie la densité de la réglementation de cette structure.

À travers l’examen des mécanismes juridiques de protection des intérêts des créanciers et des actionnaires, cette analyse contribue à éclairer les uns et les autres sur la protection que la loi leur accorde. Les développements de cette analyse sont organisés autour de trois axes. D’une part, l’examen porte sur l’identification des intérêts des créanciers de la SA sous l’angle de la protection du capital social et de la pénalisation des dividendes fictifs. D’autre part, l’analyse aborde les mécanismes de protection des intérêts des actionnaires en se penchant sur les mécanismes de protection générale et sur la protection particulière des actionnaires minoritaires. Enfin, l’étude termine par une conclusion.

I. Intérêts des créanciers

Dans une SA, les intérêts des créanciers et des actionnaires coexistent et la présence des premiers justifie l’existence des seconds. Les créanciers de la SA regroupent principalement les fournisseurs, les banques et autres tierces personnes qui font affaire avec elle. La protection de leurs intérêts est consécutive à celle offerte au capital social[12]. Celui-ci doit être entièrement souscrit avant de constituer la société dont il est destiné à assurer l’exploitation[13]. Dans le prolongement de cette protection, les législations sur les sociétés commerciales consacrent le principe de fixité du capital social pour préserver les intérêts des créanciers.

A. Protection du capital social

Depuis la nuit des temps, le capital d’une SA est considéré comme le gage de ses créanciers[14]. Le principe directeur du gage repose sur le maintien du capital, tel que constitué, dans le patrimoine de la société dans laquelle les créanciers investissent. De ce statut gagiste, il en découle que ce capital devrait rester indisponible pour les associés pour toute la durée de la SA[15]. Cependant, il serait irréaliste de priver les actionnaires de jouir des fruits de leurs investissements afin de répondre à leurs impératifs financiers. Sous cet angle, la rémunération de l’investissement des actionnaires sous forme de dividende est tout à fait légale et légitime à la condition qu’il existe des bénéfices distribuables et que la société n’empiète pas sur son capital social.

L’exploitation financière d’une SA, à l’instar des autres sociétés commerciales, peut se solder sur des pertes qui amputent une partie du capital. Ce résultat déficitaire appelle l’interposition de la loi qui prohibe la distribution des dividendes. À ce titre, le CSP&PP tout comme l’AUSCGIE prévoient des seuils de perte des capitaux afin de provoquer la dissolution de la société. Ces seuils sont des indicateurs dont le rôle est de protéger ce qui reste du capital social.

1. Encadrement de la libération du capital social

La souscription du capital précède sa libération. Cette logique est perceptible dans les deux législations sous analyse qui exigent la souscription entière du capital de la SA avant la date de la signature des statuts[16]. Dans le cadre de l’OHADA, cette souscription est accompagnée d’un engagement financier de chacun des actionnaires à mettre à la disposition de la société le ¼ de ses apports en numéraire au moment de la souscription ; le reste pouvant l’être dans trois (3) ans à compter de l’immatriculation au registre du commerce et du crédit mobilier[17]. Cette exigence se justifie par le souci d’éviter de frauder les droits des créanciers, mais c’est aussi une question de bon sens, car la société ne peut fonctionner sur des engagements sans consistance. Le Code burundais propose à son tour la libération des apports en numéraire du 1/3 de leur montant à la souscription. Le reste peut être libellé à compter de l’immatriculation de la Société au Registre du Commerce et des Sociétés[18], mais étant donné que les pays en développement ont besoin de capitaux, la libération entière du capital est décalée de quelques années par rapport à la date de souscription. De l’analyse de ces deux textes il appert que le code burundais est plus exigeant que l’AUSCGIE dans la libération des apports avant l’immatriculation. Alors que l’AUSCGIE donne un délai de trois ans pour la libération du reste des apports, le code burundais prévoit deux ans et prive la société d’augmenter le capital autrement que par des actions en nature et d’émettre des obligations tant que le capital n’est pas libellé[19]. Les actions ne peuvent représenter des apports en industrie[20]. Après analyse, on voit que cette exigence de libération du capital social est tempérée par le souci de prendre en compte les difficultés de mobiliser le capital et la préoccupation des pouvoirs publics de retenir le maximum d’investisseurs étrangers.

2. Surveillance financière

La gestion de l’entité économique est encadrée par des principes permettant de tirer la sonnette d’alarme si les pertes financières dépassent. Les seuils sont des clignotants qui indiquent le niveau de grignotage du capital social afin de déclencher sa protection par voie de dissolution de la société. Dans l’espace OHADA, l’AUSCGIE indique que :

si du fait des pertes constatées dans les états financiers de synthèse, les capitaux propres de la société deviennent inférieurs à la moitié du capital social, le conseil d’administration ou l’administrateur général, selon le cas, est tenu, dans les quatre (4) mois qui suivent l’approbation des comptes ayant fait apparaitre cette perte, de convoquer l’assemblée générale extraordinaire à l’effet de décider si la dissolution anticipée de la société a lieu[21].

L’inaction du dirigeant social qui, tout en ayant connaissance que les capitaux propres de la SA sont devenus inférieurs à la moitié du capital social, poursuit l’exploitation commet une faute qui contribue à aggraver le passif social et engage par conséquent sa responsabilité pénale[22]. Cependant, cette sanction n’est encourue que lorsque le dirigeant social n’a pas convoqué l’assemblée générale extraordinaire dans les 4 mois suivant la constatation des pertes ou s’il y a eu dissolution, mais que cette dernière n’a pas été publiée au journal d’annonces légales[23].

Dans la logique de son homologue de l’OHADA, le CSP&PP prévoit en son article 485 :

Si, du fait de pertes constatées dans des documents comptables, l’actif net de la Société devient inférieur au tiers du capital initial, les Associés décident au cours de l’Assemblée d’approbation des comptes ayant fait apparaitre cette perte, s’il y a lieu à dissolution anticipée de la Société, ou à augmentation du capital d’un montant au moins égal à celui des pertes qui n’ont pu être imputées sur les réserves[24].

Dans les deux cas, la résolution des Associés est affichée au panneau du Tribunal de Commerce ou, à défaut, du Tribunal de Grande Instance. Elle est également inscrite au Registre du Commerce et des Sociétés[25]. Les deux législations prévoient des seuils de perte différents pour déclencher des consultations en vue d’une dissolution éventuelle. L’assiette sur laquelle portent ces seuils reste toutefois identique et est désignée par des concepts de capitaux propres pour l’OHADA et de l’actif net pour le code burundais. Il s’agit des vocables qui sont presque synonymes. Pour l’AUSCGIE, la perte de 1/2 est calculée sur les capitaux propres alors que pour le CSP&PP, la perte du 1/3 est calculée sur l’actif net. Puisque le capital d’une société, rappelons-le, constitue le gage de ses créanciers, l’identification de la législation qui protège le mieux le capital aura leurs faveurs. Prenons deux sociétés immatriculées respectivement sous l’empire de l’AUSCGIE et du CSP&PP dont le capital social s’élève à 240 000 000 $ US avec un actif net 360 000 000 $ US. Dans le cas du CSP&PP, le 1/3 du capital social représente un montant de 80 000 000 $ US. Pour que l’actif net devienne inférieur à ce tiers, il faudra faire la différence entre 360 000 000 et 80 000 000 $ US. La dépréciation du capital social exigée serait au moins de 280 000 001 $ US pour provoquer une éventuelle dissolution. Dans le cas de l’AUSCGIE, la perte de la ½ du capital social équivaut à 120 000 000 $ US. Pour que de 360 000 000 $ US de capitaux propres on en arrive à moins de 120 000 000 $ US, il faut une dépréciation d’au moins de 240 000 001 $ US pour provoquer une éventuelle dissolution. Plus le montant de la dépréciation des capitaux propres exigé est élevé moins la législation est protectrice du capital social. C’est le cas du CSP&PP qui exige des pertes de 280 000 001 $ US dans le cas d’espèce tandis que l’AUSCGIE en exige 240 000 001 $ US. Le CSP&PP nivelle par le bas les possibilités de survie de la société. Les consultations risquent d’être déclenchées à un stade où la situation financière de l’entreprise expose les droits des créanciers à un péril irrésistible en raison de l’intensité des pertes. Nous en déduisons que l’AUSCGIE offre plus de protection aux droits des créanciers que le CSP&PP. Sur ce point, nous estimons que le CSP&PP devrait imiter son homologue de l’OHADA.

B. La pénalisation des dividendes fictifs

Selon Bensadon et al, « [L]e dividende consiste en un prélèvement sur le résultat annuel de l’exercice, sur les résultats précédemment reportés à nouveau ou sur les réserves distribuables de la société »[26]. Pour ces auteurs, « [L]es dividendes sont considérés comme fictifs lorsqu’ils sont distribués alors que les résultats et les réserves sont insuffisants ou lorsque l’assemblée approuvant les comptes sociaux n’a pas été tenue »[27].

Pour assurer le maintien du capital social dans le portefeuille de la société, les deux législateurs ont édicté la règle de fixité du capital social. Cette dernière pose le principe cardinal de non-remboursement des contributions (des apports) des actionnaires au capital social.

Le contrôle du respect de cette règle se manifeste lors des opérations d’amortissement du capital. Celui-ci est l’opération par laquelle les dirigeants sociaux ou les organes habilités procèdent au remboursement du nominal des actions au moyen des bénéfices engrangés sans toucher au capital. C’est donc le principe d’intangibilité du capital qui n’est ni remboursé aux actionnaires ni partagé tant que la société demeure en exploitation. On voit donc se déployer l’idée selon laquelle la fixité est la contrepartie de la limitation de la responsabilité dans la SA.

Les règles qui président à la détermination du bénéfice distribuable assurent aussi la sauvegarde du capital social pour mieux préserver les intérêts des créanciers de la SA. Le législateur note avec attention que « [T]out Dividende distribué en violation des règles édictées aux articles précédents constitue un Dividende fictif »[28]. Le CSP&PP dans ses dispositions sur le fonctionnement des sociétés punit de tromperie les associées qui, « en l’absence de comptes ou au moyen de comptes frauduleux, auront sciemment opéré entre les Associés la répartition de dividendes fictifs »[29]. Mais tout comme le CSP&PP, la législation communautaire OHADA empêche « la distribution du dividende qui diminuerait le capital social augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer »[30]. L’AUSCGIE prévoit une sanction pénale contre le dirigeant social qui en l’absence d’inventaire ou au moyen d’un inventaire frauduleux a, sciemment, opéré entre les actionnaires ou les associés la répartition des dividendes fictifs[31].

À travers son article 77, le code burundais range parmi les dividendes fictifs « les acomptes à valoir sur des exercices clos ou en cours, versés avant que les Comptes de ces Exercices aient été approuvés sous condition […] »[32]. Il soumet la distribution des dividendes en violation des règles y relatives à la même rigueur de pénalisation sauf si « un rapport de certification émanant d’un Commissaire aux Comptes fasse connaître un bénéfice net supérieur au montant des Acomptes »[33].

Dans la quête de la protection du capital social contre les dividendes fictifs, le code burundais exige la répétition des dividendes aux bénéficiaires qui en ont indument acquis[34]. Il enferme cette action dans un délai de trois ans qui commencent à courir à partir de la date de la mise en distribution[35].Pour engager des poursuites en répétition des dividendes, l’on doit justifier une affectation faite au mépris des dispositions légales et établir que les bénéficiaires étaient au courant du caractère irrégulier de ladite distribution[36].

II. Intérêts des actionnaires

Les premiers à doter la SA de ses moyens d’existence sont les actionnaires. Ceux-ci sont les propriétaires de la société. Leur intérêt consiste dans la continuité de l’exploitation de l’entreprise commune pour générer des profits qui serviront à rémunérer leurs investissements. La réalité sociétale est telle que tous les actionnaires ne participent pas à la gestion quotidienne de la société[37]. Mais, des mécanismes de protection de leurs capitaux existent afin de leur permettre d'avoir l'oeil sur l’entité commune. Le législateur traite la sauvegarde de leurs intérêts à travers la protection des droits attachés aux actions, aux droits sociaux, aux droits financiers et patrimoniaux. Cette protection est d’abord générale avant d’être particulière pour les actionnaires minoritaires.

A. Protection générale

1. Protection des droits attachés aux actions

Les actions sont des titres qui matérialisent la contribution d’un actionnaire au capital social de la société. Le contributeur dispose ainsi des droits pouvant lui permettre de participer à la gestion de la société et de brandir la protection de ses intérêts chaque fois qu’il redoute leur péril. Certains de ces droits ont un caractère social. C’est le cas de la participation à la prise des décisions par le biais des votes dans les assemblées d’occuper les fonctions sociales dans l’entreprise ou le droit d’agir en justice. D’autres droits sont d’ordre financier et concernent essentiellement le droit à la participation au partage des dividendes, du boni de liquidation, du droit de souscription aux augmentations du capital et du droit de négocier ses actions. Sous cette rubrique, l’étude développe la protection du droit de vote, du droit au dividende et du droit préférentiel en raison de leur rôle prépondérant dans le maintien de l’exploitation de la société.

a) Droit de vote

L’actionnaire, quelle que soit la nature de ces titres (nominatif ou au porteur), sa quotité dans le capital, dispose d’un droit de participer à la prise des décisions concernant la gestion de la société. C’est d’ailleurs ce droit qui sous-tend la primauté de l’assemblée générale sur les autres organes de la SA. Les délibérations, c’est-à-dire les décisions prises par l’assemblée générale, s’imposent au conseil d’administration qui supervise leur mise en oeuvre par les instances exécutives de la SA. Tout actionnaire bénéficie donc de l’opportunité de participer à la définition des grandes orientations stratégiques qui doivent guider l’utilisation du capital investi[38]. Cette place dans le concert de ses cotitulaires constitue une tribune d’expression pour l’actionnaire afin de contribuer à la qualité des décisions. Elle lui offre l’opportunité de se liguer avec les autres pour faire échec aux délibérations fantaisistes qui nuiraient à ses intérêts. Le processus décisionnel dans les assemblées générales fait l’objet d’organisation à travers la réglementation du droit de vote dans l’AUSCGIE. Celui-ci prescrit qu’à « [c]haque action, est attaché un droit de vote proportionnel à la quotité du capital qu’elle représente et chaque action donne droit à une voix au moins »[39]. C’est cette même logique qui transcende le CSP&PP. Celui-ci prévoit cette proportionnalité en ces termes : « […] le droit de vote attaché aux actions de capital ou de jouissance est proportionnel à la quotité du capital qu’elles représentent […] »[40].

Comparativement à l’AUSCGIE, le CSP&PP est moins détaillant quant à la détermination du nombre de voix de chaque actionnaire[41]. Le principe directeur de proportionnalité est conventionnellement admis en droit des sociétés. Il serait en effet absurde de nantir des droits de vote à un créancier au-delà de son assise financière dans la société. Un droit pareil équivaudrait à lui conférer un chèque en blanc pour se prononcer sur l’utilisation du capital au-delà de sa quotité dans le capital social. L’importance accordée à cette prépondérance dans le capital social n’a pas échappé à la vigilance du législateur burundais et de son homologue de l’OHADA en dépit des divergences sur le quorum. Le CSP&PP soumet la validité des délibérations d’une assemblée générale ordinaire sur première convocation à la présence ou représentation des actionnaires possédant au moins la moitié du capital social[42]. Dans l’AUSCGIE, le quorum exigé pour la première convocation est la présence ou représentation des actionnaires possédant au moins le quart des actions ayant le droit de vote. Les deux législations sous analyse n’exigent aucun quorum pour la deuxième convocation[43]. Dans les deux textes, l’assemblée statue à la majorité des voix exprimées sans tenir compte des bulletins ou votes blancs que déposent les actionnaires présents ou représentés[44]. En soumettant le quorum à au moins la présence ou la représentation des actionnaires de la ½ du capital social, le CSP&PP assure une plus grande stabilité au capital social que l’AUSCGIE qui n’en requiert que le ¼. Les décisions de l’AGO dans le CSP&PP ont une grande assise d’acceptabilité. En dépit de ce caractère plus représentatif, l’inconvénient traditionnel d’un quorum élevé et qu’il est toujours difficile à atteindre.

Les deux législations à l'étude entrevoient la possibilité pour une action d’avoir plus d’une voix[45]. L’AUSCGIE déclare que « chaque action donne droit à une voix au moins »[46]. Les hypothèses dans lesquelles les deux textes prévoient plus d’une voix pour une action sont celles des « actions nominatives[47] entièrement libérées pour lesquelles il est justifié d’une inscription nominative depuis au moins deux ans au nom d’un même actionnaire » pour l’AUSCGIE[48]. Le texte de l’OHADA attribue aux statuts ou à l’assemblée générale extraordinaire le pouvoir de conférer aux actions nominatives le droit de vote double en tenant compte de leur quotité dans le capital social[49]. Cette prépondérance de positionnement des actions nominatives dans la prise de décision est encouragée pour permettre d’approfondir les relations entre les dirigeants sociaux et les actionnaires. Ces actions permettent aux actionnaires de se connaître et facilitent par conséquent « le contrôle de la mobilité des actionnaires » et partant, la maitrise sur le capital social »[50]. Du reste, elles favorisent le développement des liens tant professionnels que sociétaires indispensables à l’assise financière de la société. Tisser des relations avec la société et s’investir dans sa gestion quotidienne telle est la motivation première des porteurs des titres nominatifs. À l’opposé, les titulaires des actions au porteur sont intéressés plus par l’investissement que par le désir de ce qui se fait pour mieux gérer la société. Celle-ci ne les connaissant pas, leur participation dans l’assemblée générale est conditionnée. Le CSP&PP reste muet à ce sujet ; créant de la sorte des possibilités d’interprétation des autres textes qui augmentent l’imprévisibilité des solutions à retenir.

L’article 753 de l’AUSCGIE ajoute que « Toute action convertie au porteur perd le droit de vote double »[51]. Le CSP&PP est moins explicite à ce sujet. Il renvoie la détermination des actions au droit de vote double à des lois particulières lorsqu’il ne le prévoit pas lui-même[52].

Le texte burundais encadre aussi les mouvements de variations du statut juridique des actions. Ainsi prévoit-il qu’en cas de rachat des actions par la société, elles perdent le droit de vote sans possibilité d’en tenir compte dans le calcul du quorum[53]. En cas de nantissement des actions, le droit de vote reste avec le propriétaire et non le créancier gagiste[54]. En présence d’une action grevée de l’usufruit, le CSP&PP concède le droit de vote au nu-propriétaire, mais affecte les bénéfices à l’usufruitier[55].

b) Droit au dividende

Après un exercice financier marqué par un résultat excédentaire, la collectivité des propriétaires peut décider de distribuer aux actionnaires une partie des bénéfices réalisés afin de rémunérer leurs investissements[56]. C’est cette partie de bénéfice qui revient à chacun que l’on désigne par dividende. L’AUSCGIE pose d’ailleurs ce principe lorsqu’il énonce que les dividendes perçus par les actionnaires sont proportionnels à leur contribution dans le capital social[57]. Telle est aussi la position du CSP&PP en son article 28 (2). Cette règle de proportionnalité constitue un « parechoc » contre le grignotage du capital social. Les principes qui président à la détermination du bénéfice distribuable auquel les actionnaires accèdent proportionnellement constituent des remparts de la protection du capital social.

Nous apprenons du CSP&PP que le « bénéfice distribuable est constitué par le Bénéfice net de l’Exercice, diminué des Pertes antérieures et des réserves constituées, augmenté des Reports bénéficiaires »[58]. Exceptionnellement, la législation burundaise autorise la distribution des dividendes en l’absence des bénéfices lorsqu’il existe des réserves sur lesquelles la société a la libre disposition[59].

L’article 755 ajoute que :

Nonobstant les dispositions de l’Article 754 du présent Acte uniforme, lors de la constitution de la société ou au cours de son existence, il peut être créé des actions de priorité jouissant d’avantages par rapport à toutes les autres actions. Ces avantages peuvent notamment être une part supérieure dans les bénéfices ou le boni de liquidation, un droit de priorité dans les bénéfices, des dividendes cumulatifs[60].

Il faut préciser que

nonobstant toute clause contraire des statuts de la société émettrice, l’ensemble des intérêts, dividendes ou autres produits périodiques revenant aux actions pour un exercice social déterminé devra être payé en une seule fois. La date du paiement unique sera fixée par l’assemblée générale des actionnaires. Cette dernière pourra toutefois charger le conseil d’administration de procéder à cette fixation[61]

Pour le CSP&PP, le bénéfice de l’exercice de la société s’obtient en soustrayant des produits nets de l’exercice, les frais généraux, et autres charges de la Société, y compris tous Amortissements et Provisions[62]. Pour dégager le bénéfice distribuable, on déduit du bénéfice de l’exercice les impôts[63].

c) Droit préférentiel de souscription

Le droit préférentiel de souscription est une prérogative reconnue aux actionnaires existants de souscrire de nouvelles actions en cas d’augmentation du capital social[64]. L’exercice de ce droit est accordé pour la souscription des actions en numéraire émises pour augmenter le capital social dans la société anonyme à l’exclusion d’autres types d’actions[65].

Ce droit revêt une importance capitale dans la mesure où c’est un instrument de préservation de l’importance financière des anciens actionnaires dans le capital social. Dans la philosophie des deux législations, ce droit permet à son titulaire, si celui-ci l’exerce, d’acquérir de nouvelles actions proportionnellement au nombre d’actions qu’il détenait avant d’envisager l’opération d’augmentation[66]. Cette souscription proportionnelle empêche la dilution du pouvoir, du montant de dividende et du droit de vote des actionnaires « historiques ».

Si on ouvrait l’augmentation du capital social sans égard à cette proportionnalité, on assisterait au bouleversement des équilibres dans les structures statutaires dirigeantes. La stabilité des dirigeants sociaux de la SA, et partant des intérêts des divers partenaires, en prendrait un coup.

Les dispositions qui organisent la mise en oeuvre de ce droit prévoient qu’il peut être souscrit à titre irréductible[67]. Dans cette hypothèse, l’auteur exerce son droit en souscrivant en priorité le nombre d’actions nouvelles en fonction du nombre d’actions détenues et nulle personne ne peut le lui en priver ou le réduire au profit d’un tiers. L’autre hypothèse de souscription est celle qui est faite à titre réductible. Dans ce cas, l’actionnaire ancien souscrit à un nombre d’actions nouvelles au-delà de sa quote-part lorsqu’il y a un nombre d’actions nouvelles issues du droit de souscription non exercé. Cette souscription est dite réductible, car « les ordres pourront être réduits en fonction de la demande exprimée par les porteurs de droits »[68]. Toutefois, « un actionnaire existant ne peut souscrire à titre réductible que s’il a préalablement souscrit à titre irréductible »[69].

La caractéristique du droit préférentiel de souscription est que c’est un droit personnel rattaché à l’action qui ne peut être réduit. Cependant, l’assemblée délibérante peut paralyser ce droit en le supprimant « pour la totalité de l’augmentation du capital ou pour une partie seulement en faveur d’un bénéficiaire nommément désigné »[70]. La situation financière peut être d’une ampleur telle que l’admission de nouveaux investisseurs devient la condition de survie de la société. Ou bien, celle-ci veut s’engager dans de nouveaux projets de grande envergure pour lesquels les actionnaires existants n’ont pas la capacité de mobiliser les fonds nécessaires. Donc, si la société en difficulté veut reconstruire son capital, le législateur ne s’oppose pas à la suppression du droit préférentiel.

Les dispositions des deux textes de loi en examen se singularisent par leur caractère libéral au regard de l’exercice du droit préférentiel de souscription. Elles laissent l’option à leur détenteur de l’exercer ou non au profit des bénéficiaires identifiés ou pas[71]. Cette hypothèse se produit lorsque volontairement ou par manque de moyen, le titulaire renonce à l’exercice dudit droit dont la loi enferme l’exercice dans un délai de 20 jours qui courent à partir de l’ouverture de souscription[72]. Les deux textes consacrent la séparabilité entre le droit préférentiel de souscription et les actions auxquelles il est attaché. Il est tout aussi négociable que l’action lui-même lorsqu’il en est détaché[73]. En fait, le régime juridique de négociabilité et de cessibilité du droit préférentiel de souscription suit celui de l’action qui lui donne naissance.

B. Protection particulière pour les actionnaires minoritaires

La législation de l’OHADA et celle du Burundi prévoient des mécanismes destinés à assurer la protection des intérêts des actionnaires minoritaires. D’une part, ces mécanismes concernent la sanction de l’abus de majorité. D’autre part, cette protection particulière se manifeste dans la mise en oeuvre de la procédure d’alerte et enfin sous le mécanisme d’expertise de gestion.

1. L’abus de majorité

L’abus de majorité découle de l’exercice du droit de vote qui aboutit à des décisions contraires à l’intérêt commun ou qui favorisent exclusivement les intérêts des actionnaires majoritaires. Dans les SA, le vote constitue le canal privilégié de prise de décisions dans toutes les délibérations des assemblées et la majorité constitue la clé de voûte de la validité des délibérations[74]. Le concept de majorité désigne alors ceux des actionnaires qui ont voté pour une décision sujette à contestation et par conséquent constitutive d’abus. Le législateur de l’OHADA assigne à la société un but d’intérêt commun. Il sanctionne dès lors un détournement de pouvoir par les majoritaires qui agissent contre cette philosophie fondement[75]. Qu’alors des associés majoritaires soient exposés à l’invalidation d’une décision qu’ils ont massivement propulsée en usant d’un droit de vote que la loi leur confère, ça peut léser le principe démocratique dans la gouvernance de la SA. D’un autre côté, et c’est aussi une situation plausible, les associés majoritaires peuvent basculer dans « la dictature de la majorité » et compromettre les intérêts des actionnaires minoritaires. Ceux-ci sont ceux parmi les actionnaires qui ont voté contre une décision où qui se sont abstenus de voter une décision qu’ils estiment contraire à leurs intérêts ou à l’intérêt social de la société[76]. Dans une pareille opposition des intérêts, le législateur s’est interposé pour préserver la cohabitation des intérêts des actionnaires. Il a posé ce principe d’abus de majorité pour aménager une protection particulière pour les actionnaires minoritaires[77]. L’AUSCGIE considère qu’« il y a abus de majorité lorsque les associés majoritaires ont voté une décision dans leur seul intérêt, contrairement aux intérêts des associés minoritaires, et que cette décision ne puisse être justifiée par l’intérêt de la société »[78]. Les assemblées constituent le terreau naturel de l’abus de majorité, car c’est dans ces instances que la collectivité des associés s’exprime par vote. Autrement dit, une décision caractéristique « d’abus de majorité » est consécutive à une décision votée par des associés majoritaires, pour promouvoir leurs intérêts en faisant fi de l’intérêt de la société. Pour le CSP&PP, « les décisions collectives peuvent être annulées pour abus de majorité et engager la responsabilité des Associés qui les ont votées à l’égard des Associés minoritaires »[79]. Ce texte poursuit en précisant qu’« il y a abus de majorité lorsque les Associés majoritaires ont voté une décision dans leur seul intérêt, contrairement aux intérêts des Associés minoritaires, et que cette décision ne puisse être justifiée par l’intérêt de la Société »[80]. Les deux textes considérés ont une conception et une formulation identique du concept d’abus de majorité. Ils ouvrent la voie à la mise en responsabilité des associés ayant voté les décisions constitutives d’abus de majorité. L’efficacité de cette protection est soumise à une bonne circonscription des contours de la notion « d’intérêt de la société ». Les actionnaires majoritaires peuvent se dédouaner de leur responsabilité s’ils démontrent qu’ils ont agi dans l’intérêt de la société. Celui-ci est un concept que les deux législations ne définissent pas, laissant ainsi libre cours à la controverse, aux interprétations et à une jurisprudence encore embryonnaire dans l’espace OHADA et au Burundi. Si une action en abus de majorité prospère, elle aboutit à l’annulation des résolutions contraires à l’intérêt social et uniquement pris pour favoriser l’intérêt des majoritaires.

2. La procédure d’alerte

L’alerte constitue l’un des signaux utilisés pour attirer l’attention des dirigeants sociaux sur une situation qui risque de compromettre la continuité de l’exploitation. Cette procédure est un outil de prévention des difficultés de la SA qui, une fois non traitées, peuvent conduire à la cessation des paiements.

L’alerte s’analyse aussi comme un dialogue sous encadrement de la loi entre les dirigeants sociaux, les organes d’administration et les actionnaires pour mieux voir à la continuité de l’exploitation et à la sauvegarde des intérêts de la société.

La législation communautaire OHADA confère aux actionnaires minoritaires le droit de déclencher la procédure d’alerte. Aux termes de l’article 158, l’AUSCGIE prévoit que :

dans une société anonyme, tout actionnaire peut deux fois par exercice poser des questions au président du Conseil d’Administration, au président directeur général ou à l’administrateur général, selon le cas, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. La réponse est communiquée au commissaire aux comptes[81].

De son côté, le CSP&PP prévoit en son article 400 « […] tout Associé peut, deux fois par exercice, poser des questions écrites au Directeur général sur tous faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. La réponse est communiquée au Commissaire aux Comptes »[82]. Les deux textes, cadre de notre analyse, sont unanimes quant à la reconnaissance du droit d’alerte. En ne soumettant pas l’exercice de ce droit aux exigences de représentativité en nombre et en capital, les deux textes sous étude reconnaissent que le souci de protection des intérêts est indifférent de leur importance financière. L’expression « tout Associé » offre à l’actionnaire le plus minoritaire une tribune pour agir en protection de ces intérêts. La reconnaissance de ce droit d’alerte constitue une alternative à l’inaction d’un commissaire aux comptes qui n’aurait pas été diligent pour initier la procédure. Le droit burundais limite la communication de la réponse consécutive à la procédure au seul commissaire aux comptes. Si l’alerte révèle des faits caractéristiques de mauvaise gestion et que le commissaire aux comptes a agi en connivence avec les dirigeants sociaux, il peut retarder ou torpiller la suite de la procédure en ne saisissant pas les instances supérieures. L’OHADA minimise les effets de l’inaction, car il confère à l’actionnaire le droit d’adresser la demande aux organes d’administration et aux dirigeants et de réserver une copie de la réponse au commissaire aux comptes. L’associé ne disposant pas du droit de lancer des poursuites judiciaires, l’alerte risque de perdre son effet dissuasif en cas de l’inaction du commissaire aux comptes.

Le déclenchement de la procédure d’alerte s’appuie sur l’existence dans la société de « tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation »[83]. Cette expression est équivoque, car sa généralité complique la limitation des faits pour lesquels on peut initier la procédure. Certes, le législateur a voulu étendre le droit d’exercice de la procédure, mais en même temps, à défaut de doter cette expression d’un contenu précis, il a laissé au juge un pouvoir d’appréciation afin d’éviter la surenchère dans l’interprétation de cette condition.

3. L’expertise de gestion

Selon Pougoué, l’expertise de gestion est « un droit reconnu aux associés détenant une certaine fraction du capital social, de demander l’ouverture d’une enquête sur une ou plusieurs opérations en cause »[84]. En instituant l’expertise de gestion, la volonté du législateur est d’assurer aux actionnaires un droit de contrôle lorsqu’ils soupçonnent la régularité de l’une ou l’autre opération. Cette procédure confère un droit de regard aux actionnaires qui peuvent désormais interroger les pratiques de gestion des dirigeants sociaux. Du reste, l’expertise de gestion permet de pallier un éventuel déficit d’information sur la gestion sociale de l’entité économique[85]. Pour déclencher la procédure de l’expertise de gestion, le législateur a posé des conditions. La première condition est relative à la possession d’une partie du capital social. Aux termes de l’article 159 de l’AUSCGIE, «un ou plusieurs associés représentant au moins 1/10 du capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, demander au président de la juridiction compétente du siège social, la désignation d’un ou de plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion »[86].

La législation burundaise est calquée sur celle de l’OHADA en exigeant aussi la réunion d’un dixième (1/10) du capital social pour mettre en mouvement la procédure d’expertise de gestion[87].

Le rapport de l’expertise est adressé « aux demandeurs, ainsi que, selon le cas, au Conseil d’Administration ou au Directoire et au Conseil de Surveillance. Il doit en outre être annexé à celui établi par le Commissaire aux Comptes en vue de la prochaine Assemblée générale et recevoir la même publicité »[88]. Ces personnalités auxquelles le rapport de gestion est adressé disposent d’un réel pouvoir de décision au sein de la société. Si le rapport révèle des manquements qui compromettent l’intérêt social et/ou celui des actionnaires minoritaires, la révocation des dirigeants sociaux ayant commis des fautes de gestion peut être initiée et leur responsabilité engagée. La procédure d’expertise de gestion conforte donc le pouvoir des actionnaires. L’expertise de gestion permet de pallier l’inaction des dirigeants sociaux et des actionnaires majoritaires, car dans l’OHADA, le commissaire aux comptes peut s’en servir pour lancer la procédure d’alerte[89].

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Au seuil de l’analyse, l’enseignement qui se dégage de cette réflexion est que les deux législations comparées assurent une protection du capital en tenant compte des intérêts des actionnaires et des créanciers de SA. Le législateur de l’OHADA et celui du Burundi ont mis l’accent sur des mécanismes de protection dont l’effet transcende les seuls intérêts des actionnaires et des créanciers pour aussi toucher la préservation de l’intérêt commun. Ce dernier, rappelons-le, est l’un des buts que le législateur assigne à la société anonyme. Celle-ci concentre beaucoup de capitaux en son sein. C’est un véhicule d’investissement pour les uns, une source d’emploi pour les autres et un des meilleurs contribuables du trésor public. Cet intérêt que présente la société anonyme justifie les principes d’encadrement de libération du capital social dont l’objectif est de protéger les intérêts des partenaires créanciers de la société. Les deux législations démontrent un certain réalisme mesuré dans la mise en oeuvre de ce principe. Elles exigent une libération échelonnée pour tenir compte des capacités financières parfois limitées de certains des actionnaires. Mais les deux textes empêchent l’augmentation du capital avant la libération totale des sommes promises à la société par les actionnaires. L’AUSCGIE tout comme le CSP&PP a mis en place des mécanismes de surveillance financière qui s’appuient sur des seuils de capital social en bas desquels la gestion sociale compromet la survie de la société. Au vu de ces seuils, les organes habilités peuvent déclencher des mesures pour relancer l’exploitation ou dissoudre l’entreprise pour limiter les dégâts. Dans la même logique d’assurer la protection du capital qui est l’épicentre des intérêts dans la société anonyme, les deux législations instaurent la pénalisation des dividendes fictifs pour prévenir la diminution du capital social qui est non seulement la garantie de créanciers, mais aussi la source génératrice des intérêts des actionnaires. L’analyse des textes montre le souci des législateurs de protéger les actionnaires de la SA. Certes, ce sont des propriétaires, mais ils ne sont pas dans la plupart des cas des dirigeants sociaux. De plus, parmi les actionnaires il y a des majoritaires et des minoritaires. Les deux législations posent des principes qui assurent concurremment les intérêts des uns et des autres et qui préservent les équilibres entre les sociétaires. Pour les actionnaires majoritaires, l’encadrement de l’exercice du droit au vote, du droit au dividende et du droit préférentiel de souscription permet d’assurer une cohabitation apaisée de leurs intérêts. Mais au regard de l’importance de leur poids financier dans la prise des décisions, l’AUSCGIE et le CSP&PP accordent un pouvoir aux actionnaires minoritaires d’exercer des actions en justice contre l’abus de majorité. Ces textes leur confèrent aussi un pouvoir de contrôle de gestion par l’entremise du déclenchement de la procédure d’expertise de gestion et d’alerte. De l’ensemble de l’analyse, il s’avère que les principes qui protègent les intérêts des actionnaires préservent aussi par ricochet les intérêts des créanciers et vice-versa. Il y a donc une interdépendance entre ces principes qui convergent vers la protection du capital, centre d’intérêt des partenaires de la SA.