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Le président de la quatorzième Assemblée des États parties, tenue du 18 au 26 novembre 2015 au World Forum Convention Center de La Haye, y déclarait : « les priorités sont de réconcilier la Cour [...] avec l’Afrique […] et de travailler à l’universalité »[1]. Il appelait à une extension de la compétence territoriale pour la Cour pénale internationale (ci-après, la CPI ou la Cour). De fait, il affirmait le caractère légitime de la juridiction, car elle est dépendante du bon vouloir des États parties. En effet, les travaux d’instructions et de jugements de la Cour justifient leur existence par la collaboration obligatoire avec les États parties.

La Cour a vu sa légitimité contestée dès l’adoption du Statut de Rome de la Cour pénale internationale[2] (ou Statut de Rome) en 1998 avec sept oppositions et vingt abstentions[3]. Elle n’a pas originellement obtenu l’approbation de son statut par certains États puissants sur la scène internationale. En effet, les États-Unis, la Chine ou encore Israël n’ont pas voté en faveur du Statut de Rome en 1998 même si cent-vingt autres États ont voté en faveur de celui-ci, le 17 juillet 1998, et que cette même conférence diplomatique lui a conféré son appellation actuelle. En date du 1er juillet 2020, le nombre d’États favorables à la Cour a progressé pour atteindre cent-vingt-trois États parties, dont trente-trois sont des États africains. Dès lors, plus de la moitié de l’Afrique est membre de la Cour pénale internationale, ce qui en fait le groupe le mieux représenté au sein de l’institution judiciaire[4].

Le président Kaba a invoqué l’universalité par l’adhésion de toutes les nations au Statut de Rome, durant l’Assemblée des États parties de novembre 2016, à la suite des procédures de retrait[5] de trois pays d’Afrique (Gambie, Afrique du Sud et Burundi), de la Russie et des Philippines. Les États africains souhaitaient manifester leur opposition à l’impunité criminelle dont bénéficieraient, selon eux, les pays occidentaux. Le Burundi et les Philippines se sont effectivement retirés en 2017 et 2019. En 2009, Abdoulaye Wade, le chef d’État sénégalais s’est déjà déclaré favorable au retrait total de l'Afrique de cette institution à la suite du mandat d’arrêt contre le président soudanais. Ainsi, il estimait en 2009,

Au vu de la manière dont elle fonctionne, beaucoup d’Africains ont l’impression que la Cour pénale internationale est un tribunal destiné à poursuivre seulement les Africains[6].

Par ailleurs, lors du vingtième Sommet de l’Union africaine en mai 2013 à Addis-Abeba, l’institution a enjoint les États africains parties au Statut de Rome à s’opposer aux mandats d’arrêt émis par la CPI notamment contre les présidents soudanais et kényan[7]. La présidente de la Commission de l’Union africaine, Dlamini-Zuma a notamment affirmé

qu’il est important de faire la paix au Soudan, surtout au Darfour. Le président El-Béchir doit participer à ça. […] C’est plus important de faire la paix au Soudan que de se précipiter pour l’arrêter [...] Il serait néfaste d’arrêter le président soudanais Omar El-Béchir, poursuivi pour génocide, car il doit être associé au processus de paix dans son pays[8].

C’est-à-dire que l’Union africaine met en avant une volonté de justice restaurative plutôt que rétributive dans l’objectif d’une paix durable, en prenant le risque de commettre un déni de justice.

Ces contestations africaines peuvent s’expliquer par les leçons de l’histoire de la guerre. Il est vrai que la justice des vainqueurs entourant les deux guerres mondiales a fait son oeuvre pour nourrir les craintes des États ayant peu de poids au sein de la communauté internationale. Tel fut le cas lors du procès de Nuremberg au sortir de la Seconde Guerre mondiale, où les Alliés ont jugé l’Allemagne vaincue. Pour autant, cette période amorce les prémices d’une justice internationale. Le 21 juin 1943 est établi un projet de convention portant sur la création d’une cour criminelle internationale luttant contre l’impunité favorisée par des justices nationales peu enclines à condamner leurs nationaux[9]. Ainsi, ce projet comportait dans son article 34 la primauté des décisions de la Cour internationale, et a contrario, au paragraphe 2 était précisé le principe ne bis in idem. C’est un premier pas vers une réflexion concernant la lutte contre l’impunité criminelle et la reconnaissance de l’autorité absolue de la chose jugée pour une juridiction criminelle internationale.

Néanmoins, les trois États africains, formant la tête de proue des contestations contre la légitimité de la CPI, semblent estimer que la justice du XXIᵉ siècle est comparable à la justice postcoloniale. La Cour serait assujettie à la volonté des puissants pays occidentaux[10]. En outre, ils seraient exclus du fonctionnement de la Cour par le procureur et les Nations unies concernant l’opportunité des poursuites. Enfin, il semblerait que la CPI ait pour seule vocation la condamnation des Africains[11] et donc de faire perdurer l’impunité criminelle au sein de l’Occident. Cependant, la structure juridique de la Cour et ses règles de fonctionnement sont autant d’obstacles qui forment une juridiction à vocation universelle.

La CPI obtient déjà des résultats positifs pour la lutte contre l’impunité. Ceci n’est pas du seul fait de la dizaine de condamnations prononcées comme on pourrait le supposer, mais plutôt par les situations qui furent évitées et qui auraient subsidiairement relevé de sa compétence lors de leur commission. L’article 28 du Statut de Rome permet de sanctionner sous couvert du principe de la « baïonnette intelligente ». C’est-à-dire que toute personne est responsable de ses actes, même lorsqu’un supérieur civil ou militaire lui en a donné l’ordre, concept confirmé par le rejet de l’irresponsabilité pour défaut de pertinence de la qualité officielle conformément à l’article 27. Cette disposition ne vise pas à punir les dirigeants, mais plutôt à faire cesser certaines pratiques. Dans ces circonstances, l’enrôlement d’enfants-soldats a pu être en partie évité en République centrafricaine du fait de la menace d’un transfèrement des responsables de la rébellion Séléka par la CPI[12]. Une telle épée de Damoclès a aussi plané au-dessus des forces loyalistes et rebelles en Côte d’Ivoire. En effet, les violences commises ont fortement diminué après que le Conseil de sécurité ait informé de son intention de saisir la Cour au titre de l’article 13, alinéa b, du Statut de Rome[13]. Cette possibilité, pour une institution, de créer un mécanisme de prévention contre la commission de crimes est définie dès le XIVᵉ siècle par le philosophe Ibn Khaldûn par l’image du « jâh ». C’est-à-dire que

Le jâh est la capacité (al-qudra) qui permet aux hommes d’exercer leur volonté sur ceux qui leur sont soumis, en leur imposant des ordres et des interdictions, en les contraignant par la force et la répression;ceci afin de leur faire éviter ce qui est nuisible et réaliser ce qui leur est utile par une juste application [...] des lois[14].

C’est une explication plausible pour affirmer qu’une certaine forme de force ou de répression est nécessaire afin de protéger l’être humain contre tout acte nuisible à leur vie. L’établissement de procédés de contrainte n’est donc pas une idée récente. L’objectif demeure toujours le même : instaurer une paix durable dans les zones où la vie humaine peut être mise à rude épreuve.

Les contraintes issues de l’activité de la CPI sont légitimes du fait de sa dépendance aux États dans l’exercice de sa compétence. Comme le présente Jean-Jacques Rousseau dans le Contrat social, ce rapport est rendu nécessaire, car

les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement [s’]unir […] et former [une] agrégation d’une somme de forces […] qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant[15]?

Cela correspond parfaitement à l’idée selon laquelle la Cour n’est pas libre d’accomplir n’importe quelle action pour défendre l’humanité. En effet, elle est assujettie à la volonté des États parties demeurant souverains et des nations qui reconnaissent sa compétence pour l’exercice de ses procédures au niveau national. Par conséquent, (I) il en émerge des principes directeurs, favorables au continent africain, garantissant l’universalité de la Cour. Ceux-ci sont intrinsèquement liés (II) à une nécessaire coopération des juges avec les acteurs internationaux, dont les Nations africaines en leur qualité d’États parties, motivée par l’exceptionnelle gravité des infractions.

I. Les principes directeurs, favorables au continent africain, garantissant l’universalité de la Cour

La justice, qu’elle soit nationale ou internationale, suscite de la méfiance, car elle détient de grands pouvoirs tels qu’entreprendre des poursuites ou condamner des individus. Les garanties au sein des institutions judiciaires sont essentielles pour asseoir leur légitimité. Outre le traditionnel principe de justice équitable, (A) l’impartialité des juges est un gage de légitimité pour que les États africains acceptent l’autorité de jugement d’une cour pénale internationale. Pour autant, les États africains sembleront souvent présenter leur souveraineté comme un obstacle à une justice internationale. Pour cette raison, (B) la complémentarité est un gage de légitimité, car elle permet de ne pas imposer arbitrairement l'action de la Cour aux États. Cette articulation entre la recherche de la confiance des États et l’acceptation volontaire de la juridiction permet d’instaurer une justice internationale, non par la force mais par la preuve de son utilité.

A. L’impartialité, gage de légitimité

La principale controverse portant sur les juges de la CPI est la récurrente remise en cause de leur impartialité par les inculpés et par certains États n’admettant pas la sélectivité nécessaire des affaires par la Cour. Or, (1) il existe des garanties pour assurer la liberté de la Cour vis-à-vis des États, (2) mais aussi au regard de l’Organisation des Nations unies (ONU). Ces liens sont au coeur des activités de la Cour, car les États et l’ONU sont les principales entités à interagir avec la justice pénale internationale. Les États ont vocation à interagir plus souvent, car ils sont les premiers à être concernés par la répression de la criminalité de grande ampleur commise sur leur territoire. Plus rarement, l’ONU intervient auprès de la Cour par le biais de résolutions. Pourtant, ces interventions font parfois l’objet de contestation du fait de leur potentiel à s’immiscer dans l’impartialité de la magistrature internationale, notamment à cause du caractère supranational des résolutions.

1. Une liberté de la Cour vis-à-vis des États

L’universalité est la vocation du Statut de Rome à s’appliquer à tous les États, l’adhésion étant volontaire. La Résolution ICC-ASP/15/Res.5[16] démontre cet objectif, d’une part en la qualifiant de « Cour unique » ayant vocation à officier dans tous les pays sans distinction. D’autre part, sa compétence universelle pour les crimes particulièrement graves est rétroactive in mitius, en vertu de l’article 11, paragraphe 1, du Statut de Rome, pour affirmer son intention de lutter contre l’impunité criminelle sans limites territoriales. L’Accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale[17] permet l’indépendance matérielle des juges, notamment, par l’octroi de protections pour les personnes en vertu des articles 15 à 17 et pour les biens conformément aux articles 6 et 11[18]. Mais l’argument d’États africains selon lequel la Cour serait sujette à des pressions politiques est pertinent du fait du poids inégal des pays au sein de la communauté internationale. Dans ce contexte, l’article 3 du Statut de Rome permet notamment à la Cour d’être mobile[19] afin d’avoir une capacité de résistance face au possible lobbying des Pays-Bas, lieu de siège actuel. Par ses opportunités de mobilité géographique, la Cour envisage un futur où son universalité sera plus aboutie et donc aura besoin de se déplacer au sein des États afin d’être au plus près des réalités contextuelles d’un conflit. Par déduction, cela implique que la Cour n’est pas matériellement dépendante d’un État et a une capacité à s’adapter pour lutter dans les rapports de force avec les États. Cette indépendance a d’ailleurs été reconnue par des États africains comme lors de l’affaire Procureur c Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé[20]. Ainsi, Alassane Ouatara, président de la Côte d’Ivoire, a déclaré vouloir faire juger les responsables de crimes durant la période postélectorale de 2007-2008 par des instances nationales. Il a tout de même tempéré ses propos concernant Laurent Gbagbo qu’il souhaite faire juger par la CPI[21], qui fut acquitté en 2019, afin de ne pas être accusé de justice victorialiste et partiale, ce qui constituait une reconnaissance de l’impartialité des juges de la Cour et donc une approbation de sa légitimité. Mais cela emporte que les mandats d’arrêts internationaux émis par la Cour ne peuvent plus être exécutés, hors cas de Laurent Gbagbo, car il s'agit d'une juridiction subsidiaire.

Un autre point important, souvent contesté, est le choix des affaires par le procureur de la CPI. Il est vrai que le procureur peut refuser d’ouvrir une enquête au motif que cela ne servirait pas les intérêts de la justice ou des victimes aux égards à la gravité du crime[22]. Néanmoins, le procureur n’est pas libre pour autant de toutes actions. La Chambre préliminaire doit recevoir une notification de sa part lors d’un refus d’ouverture d’enquête[23]. La Chambre a de plus le pouvoir de le contraindre à mener une enquête[24] dans le cas où il fermerait les yeux suite à des pressions politiques pour des crimes commis dans certains pays. La conséquence est que même en présence d’un procureur dont l’impartialité fait défaut, il existe une procédure de contrôle qui protège les victimes contre l’impunité de responsables, ressortissants d’États puissants sur la scène internationale. Cela n’est pas sans faire écho aux actuelles pressions politiques et diplomatiques des États-Unis contre la CPI concernant l’enquête sur de possibles crimes de guerre commis en Afghanistan. En outre, la Chambre préliminaire peut diriger les décisions majeures prises par le procureur au cours d’une enquête. En 2009, cette section représentait bien le continent africain par sa composition. En date du 1er février 2009, elle était composée de deux juges africains et de quatre juges non-africains. La même année, le 14 août, la Chambre préliminaire II a placé en liberté provisoire[25] Jean-Pierre Bemba Gombo contrairement à la volonté du procureur favorable à son maintien en détention, pour être finalement acquitté en appel, en 2018. Ainsi les véritables pouvoirs de sélection sont dans les mains de la Chambre préliminaire.

Au regard de cet argument, certains brandiront rapidement l’impunité existante dans des conflits internationaux tels que la guerre d’Irak en 2003 ou du Liban en 2006. Cependant, les ressortissants de pays participant à ces conflits — les États-Unis, l’Irak, Israël et le Liban — ne peuvent être jugés par la CPI, car ces États ne sont pas des États parties au Statut de Rome. Or, il faut a minima l’implication d’un pays signataire du Statut de Rome pour que le procureur soit compétent afin de se saisir d’une affaire[26].

Enfin, la CPI pourrait faire l’objet de procédés de contraintes, des intimidations de la part de nationaux, d’associations, de syndicats… Mais il a été prévu une éventuelle procédure de destitution du procureur par un vote à la majorité absolue de l’assemblée des États parties[27] ou encore de sa récusation pour une affaire[28]. Dès lors, la CPI ne veut pas intervenir dans les politiques nationales, comme l’a affirmé la procureure Fatou Bensouda le 22 octobre 2012, au risque d’une destitution ou d’une récusation, car dans le cas présent « la CPI ne cherche à juger ni les Kényans ni le gouvernement kényan ni aucune communauté ethnique. Les allégations portent sur la responsabilité pénale individuelle [de 4 individus kényans] »[29]. La Cour s’est d’ailleurs engagée à ne pas intervenir dans la politique kényane n’empêchant pas Uhuru Kenyatta, accusé de crimes relevant de la Cour, d’être élu comme président. Le peuple a aussi voté pour son colistier William Ruto, lui aussi inculpé. Toutefois, la CPI, conformément à sa mission juridique, ne cessa pas les poursuites contre des fugitifs ougandais alors que la demande lui avait été faite par des leaders de la communauté acholie du Nord du 16 au 18 mars 2005 au siège de La Haye[30]. Ainsi, il est clair que les acteurs de la Cour ne peuvent être assujettis à des formes de pressions politiques du fait de mécanismes institutionnels efficaces.

2. Une liberté de la Cour vis-à-vis de l’Organisation des Nations Unies

Un autre point, souvent mis en avant par les États africains, est le rapport entre la CPI et les Nations unies, notamment son Conseil de sécurité. Or, il est important de noter que la Cour n’est pas un organe des Nations unies[31].

Premièrement, au niveau budgétaire, l’impartialité est garantie, car les contributions étatiques sont analogues au budget de l’ONU, ce ne sont pas des sommes arbitraires. Si les États africains arguent une dépendance économique à l’ONU, il n’en est rien, car l’Accord négocié régissant les relations entre la Cour pénale internationale et l'Organisation des Nations Unies[32] du 7 septembre 2004 et la Résolution 58/318[33] du 20 septembre 2004 instaurent un remboursement pour la fourniture de services de l’ONU à la Cour. De fait, la Cour ne dépend pas financièrement de l’ONU, mais plutôt des États ayant ratifié le Statut de Rome.

En second lieu, il est vrai que l’article 13 du Statut de Rome permet la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cette saisine étant strictement encadrée, elle n’est possible « qu’en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression »; ce qui n’est pas évident à établir, car n’entrent pas dans ces champs les conflits armés non-internationaux ou les répressions purement internes menées par un gouvernement contre des membres d’un groupe ethnique ou religieux. En effet, la saisine n’est possible que pour les conflits relevant du droit international.

Considérant spécifiquement le rôle politique du Conseil de sécurité et sa composition particulière avec cinq membres permanents ayant droit de veto, la critique selon laquelle son pouvoir de saisine de la CPI invaliderait la légitimité de cette dernière semblerait justifiée au regard de ce pouvoir qui engendre un déséquilibre des forces au sein des Nations unies. Pourtant, un seul veto d’un membre permanent du Conseil de sécurité serait suffisant contre une résolution destinée à suspendre les poursuites afin de ne pas former d’obstacle onusien à une enquête par le procureur de la Cour[34]. A contrario, le Conseil de sécurité peut être difficilement bloqué à l’unanimité par cet organe des Nations unies, notamment grâce au veto des membres permanents qui empêcherait la suspension des poursuites. Ainsi, le pouvoir du Conseil de sécurité peut permettre de protéger l’impartialité du procureur. En outre, une telle résolution relative au chapitre VII de la Charte des Nations Unies ne sera valide qu’à la condition d’une prise de décision formelle par le Conseil de sécurité[35]. Ainsi, une simple inscription sur l’agenda du Conseil de sécurité demeure insuffisante pour bloquer une enquête ou des poursuites devant la CPI. Cette garantie procédurale supplémentaire d’indépendance du procureur est un élément majeur qui permet de contester les arguments reposant sur l’hégémonie du Conseil de sécurité. Ce dernier ne peut s’opposer au travail de la Cour que pour une durée d’un an renouvelable sous la difficile condition de n’obtenir aucun veto de la part des cinq États permanents. Un point litigieux est la composition du Conseil de sécurité, car parmi les détenteurs du droit de veto, sont présents deux États n’ayant pas ratifié le Statut de Rome. Ainsi les États-Unis et la Russie peuvent influer sur la résolution bloquant une enquête de la CPI. Néanmoins, la mission globale des Nations unies est le maintien de la paix et la prévention des conflits. Dès lors, ces deux États peuvent mettre légitimement leur veto s’ils considèrent qu’une enquête est nécessaire au nom « du maintien de la paix » dans un objectif de protection de l’humanité, en dehors de toute considération souverainiste. Ainsi, la réalité de l’emprise des Nations unies est à relativiser, contrairement aux allégations des pays africains dont des ressortissants font l’objet de poursuites. Le Conseil de sécurité ne peut que dans de très rares cas s’opposer à une enquête de la Cour, et encore pour une durée limitée d’un an, éventuellement renouvelable.

B. La complémentarité, gage de légitimité

La CPI réalise ses missions grâce et pour les États parties au Statut de Rome. Ses objectifs, ses enquêtes, ses procédures : rien ne peut être fait sans le soutien des États concernés par les crimes internationaux et soucieux de mettre fin à l’impunité criminelle. C’est la raison pour laquelle il existe (1) une interdépendance de la Cour et du système légal des États parties en lien avec (2) les procédures complémentaires à caractère subsidiaire qui les lient dans leur lutte contre l’impunité. En effet, la structure des relations entre les divers acteurs de la lutte contre la criminalité internationale permet la mise en place de mécanismes indispensables au fonctionnement de la Cour. C’est une réelle mise en pratique de la complémentarité des travaux de la Cour nécessitant des pouvoirs additionnels.

1. L’interdépendance de la Cour et du système légal des États parties

La complémentarité est mentionnée dès le préambule aux paragraphes 4 et 6 du Statut de Rome. Chaque État peut juger les crimes internationaux et la juridiction internationale complète les actions nationales. Cette idée était déjà présente dans de nombreux projets antérieurs, notamment dans ceux de l’Assemblée internationale de Londres ou dans les travaux du Comité de 1951 et 1953[36].

Ce principe est notamment exposé à l’article premier du Statut de Rome évoquant explicitement que « la Cour Pénale Internationale est complémentaire des juridictions nationales[37] » contrairement à la justice internationale antérieure représentée par les tribunaux ad hoc relatifs aux conflits d’ex-Yougoslavie et du Rwanda gouvernés par le principe de primauté. En effet, les tribunaux ad hoc pouvaient évoquer des crimes jugés par des juridictions nationales. La Cour quant à elle, n’a pas de compétence exclusive, même vis-à-vis des États non-parties selon l’article 12, paragraphe 3[38]. Néanmoins, lors de demandes concurrentes, la Cour est prioritairement compétente si un État requérant veut soustraire un individu à sa responsabilité pénale conformément aux articles 90, paragraphe 2 et 17, paragraphe 2, alinéa a. Elle ne l’est pas en présence d’une personne sous immunité qui est protégée par la procédure de levée de sa protection diplomatique ou consulaire[39]. Il est vrai qu’une personne sous immunité doit voir cette dernière levée par son gouvernement afin d’être jugée devant la CPI — ce qui est une pratique plutôt rare. Cette priorité est également valable lorsqu’un pays n’est plus matériellement capable d’assurer lui-même le procès[40]. Le cas peut se présenter pour un pays au sortir d’un conflit, si les juges nationaux ont été assassinés ou impliqués dans des infractions graves. C’est également possible lorsque les bâtiments publics, dont les tribunaux, sont endommagés et donc impropres à rendre la justice.

Les conditions de recevabilité d’une affaire devant la CPI sont généralement plus strictes que devant les instances nationales. Le droit international pénal impose d’identifier la mens rea, la « participation psychologique », à un crime. Ainsi, des faits de torture peuvent relever de la compétence du tribunal de La Haye lorsque l’accusé avait connaissance d’un dol spécial constitutif du crime de guerre ou du crime contre l’humanité, c’est-à-dire, la volonté de systématiquement attaquer des populations civiles[41]. C’est pourquoi il est excessif de dire que la CPI s’arroge une compétence universelle vis-à-vis de toutes les infractions, les États conservant leur compétence de poursuite si les éléments de définition des crimes sont intégrés dans leur droit interne. Seules les infractions les plus graves relèvent de la Cour, dont les éléments constitutifs sont strictement cumulatifs. Les autres doivent être soumis à des juridictions nationales dès lors que l’infraction ne réunit pas tous les éléments du droit international, mais est définie comme telle en droit interne. Ces définitions des infractions sont favorables à la complémentarité pour faire cesser l’impunité des criminels internationaux conformément au plan d’action[42]. Ceux-ci doivent être les plus importants au nom de la politique de la CPI, les autres étant soumis à une justice nationale. A. Cassese nommait cette répartition de la justice le "Nuremberg Scheme"[43], car le procès de Nuremberg avait permis de juger les hauts responsables nazis, laissant à l’Allemagne le soin de poursuivre les suspects ayant moins de responsabilités dans la machine criminelle[44]. En effet, la Cour se limite aux hauts responsables qui ne pourront pas s’exonérer de leur responsabilité au regard de leur qualité officielle, par défaut de pertinence en vertu de l’article 27 du Statut de Rome. Toutefois, la compétence universelle permet à tout État de juger lui-même des criminels internationaux. Seulement cette compétence doit être prévue par le droit interne.

La souveraineté judiciaire est reconnue pour chaque État partie en vertu de l’article 17 du Statut de Rome. Néanmoins, ce caractère peut être rappelé dans un objectif de prévention des infractions internationales. Ce fut le cas lorsque le Conseil de sécurité a saisi la Cour en 2005 par la Résolution 1593[45] afin de faire cesser des crimes commis au Darfour[46]. Ainsi, la complémentarité intervient dans la prévention par le maintien de la paix et de la sécurité internationale, but ultime de l’ONU.

L’Union africaine propose également de rajouter une juridiction criminelle continentale qui pourrait se substituer à la CPI lorsque les tribunaux nationaux seront inefficaces. Cela instituerait une double subsidiarité pour la Cour[47]. Ainsi, il n’existe pas de consensus africain qui conteste la légitimité de la CPI, mais une opportunité d’autonomie du continent sur sa justice internationale est toujours possible. La Cour n’empiète donc pas sur les prérogatives d’un État et sur sa souveraineté, car elle est seulement une juridiction subsidiaire, agissant à la condition qu’une nation ait une justice non conforme aux standards internationaux.

2. Les procédures complémentaires à caractère subsidiaire de la Cour

La CPI ne peut agir sans le concours des États en raison de la faiblesse de ses moyens pratiques, notamment lors de l’instruction. Elle ne dispose pas d’une police internationale et demeure dépendante de la volonté des États, qui par leur souveraineté, ont seul pouvoir d’exécution de prérogatives publiques. En premier lieu, si le procureur a été saisi par un État partie (articles 13, alinéa a, et 14 du Statut de Rome) ou s’il décide d’agir de sa propre initiative (articles 13, alinéa c, et 15, alinéa a), l’article 18, à l'alinéa a, lui impose de notifier sa décision d’ouvrir une enquête à tous les États parties. L’objectif est de faire respecter la subsidiarité de la procédure internationale, car un État pourrait être prioritairement compétent. Tel est le cas lorsqu’une Nation décide de mettre en oeuvre sa compétence territoriale, personnelle ou universelle[48], sauf si le procureur obtient une autorisation de la Chambre préliminaire de poursuivre l’enquête[49]. Si tous les États s’abstiennent d’ouvrir eux-mêmes une enquête, alors la Cour devient compétente. Néanmoins, pour qu’un État soit compétent, il doit avoir intégré dans son droit interne les crimes relevant de compétence de la CPI. Or, dans « la grande majorité des pays africains, les lois pénales ne prévoient pas le crime contre l’humanité, le crime de guerre ou encore entre autre le génocide »[50]. Ainsi, malgré elle, la Cour perd sa qualité subsidiaire, car l’arsenal répressif africain ne sanctionne pas ces infractions. Dès que le droit interne des États africains comportera des dispositions relatives aux crimes les plus graves et que ceux-ci les jugeront, la compétence de la CPI n’aura plus lieu d’être mise en oeuvre.

L’article 88 du Statut de Rome impose aux États parties d’adapter leurs législations nationales afin qu’ils puissent répondre aux demandes de la Cour pour exécuter ses travaux, notamment pour les instructions. Le travail complémentaire a d’autant plus d’importance que le Règlement de procédure et de preuve de la Cour pénale internationale[51], tout comme le Statut de Rome, est principalement inspiré de la common law[52], ce qui emporte exclusion de tout jugement par défaut. Cette complémentarité n’est que le fruit de la subsidiarité permettant la protection de la souveraineté. L’ordre juridique international a la particularité d’être polycentrique, dont les droits étatiques constituent l’essentiel des supports formels des normes internationales. Les droits se conformant à ces dernières rappellent la citation de Machiavel : « le pouvoir absolu corrompt absolument »[53]. Or, la Cour n’a pas le pouvoir absolu, car les travaux sont complémentaires avec les actions des États, donc son intégrité n’est pas altérée.

L’universalité du Statut de Rome ne permet pas à la Cour de faire obstacle à un jugement interne régulier suivant le principe ne bis in idem (article 20, paragraphe 3). Donc elle n’est pas en mesure de contester un jugement national hors le cas où un État chercherait à organiser un procès illusoire pour soustraire un accusé à la justice (articles 90, paragraphe 2, et 17, paragraphe 2, alinéa a). Ainsi, les procédures nationales et celles de la Cour ont l’obligation d’être complémentaires afin de remplir l’objectif de répression, mais surtout de prévention de la justice internationale. Il est donc dans l’intérêt de tous les États de réprimer eux-mêmes les infractions les plus graves, la Cour venant seulement pallier les vides juridiques internes et les juridictions réticentes à juger.

II. La nécessaire coopération des juges avec les acteurs internationaux, dont les Nations africaines en leur qualité d’États parties

La CPI n’est pas un organe dont les prérogatives permettent de braver les souverainetés et les politiques nationales. L’exercice de la justice internationale intervient avec le concours et le soutien des États. Le caractère universel fixe comme objectif le respect du droit international par l’entièreté des pays. À cette fin, (A) la collaboration entre la Cour et les États est nécessaire pour fournir un gage de légitimité à ses travaux. Pour autant, (B) il faut également une cohésion des États autour de la Cour afin qu’elle puisse remplir ses missions avec efficacité sans se voir opposer la diplomatie ou la politique nationale. Ainsi, les oeuvres de la Cour n’en seront que plus abouties avec la participation volontaire des États.

A. La collaboration, gage de légitimité

La CPI doit sans cesse réaffirmer son autorité dans le domaine de la justice criminelle. Le soutien de la Cour par les États permet une oeuvre collaborative de lutte contre l’impunité. (1) En prenant en compte le respect de la souveraineté des États et (2) l’impact modéré de la collaboration de l’Organisation des Nations unies avec la Cour, il est établi que la justice pénale internationale est le résultat du consentement et du soutien des entités principalement concernées. En effet, une collaboration effective et volontaire entre les différents acteurs de cette justice assure la légitimité de la Cour au niveau national et sur le plan onusien.

1. Le respect de la souveraineté des États

La Cour n’oeuvre pas sans le concours des États notamment lors de l’enquête. La collaboration y est primordiale comme pour l’identification d’individus en vertu de l’article 93, paragraphe 1, alinéa a, ou pour leur remise selon l’article 89, paragraphe 1. En vertu de l’article 86 du Statut de Rome, « les États Parties ont l’obligation de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites ». Dès lors, un État africain ne souhaitant pas collaborer peut manifester son désaccord, demeurant partie au Statut de Rome, par l’abstention. Cette manifestation est permise, car la collaboration n’est qu’une obligation formelle, sans réelle sanction (article 87, paragraphe 7). Le refus de collaborer peut notamment être justifié lors d’une demande de « production de documents ou la divulgation d’éléments de preuve qui touchent à sa sécurité nationale »[54]. La coopération n’est pas une immixtion dans la souveraineté, mais plutôt une volonté d’entraide afin de résoudre des conflits portant atteinte à l’humanité. Par exemple, la République démocratique du Congo a refusé de remettre temporairement un de ses ressortissants à la Cour, Bosco Ntaganda[55], puis s’est finalement résignée à le confier à la CPI pour le début de son procès le 2 septembre 2015. La collaboration est parfois fructueuse grâce à la subsidiarité qui incite les juridictions nationales à poursuivre leurs ressortissants auteurs de crimes de guerre. Le mécanisme a notamment fonctionné par le jugement du caporal anglais Donald Payne[56] poursuivi pour crime de guerre devant les tribunaux militaires britanniques en vertu de la Loi de 2001 qui a incorporé ces infractions dans le droit interne.

L’article 12, paragraphe 2, prévoit que la compétence de la Cour soit subordonnée à l’acceptation du Statut de Rome ou au consentement temporaire de l’État. De plus, l’article 93, paragraphe 10, permet que la coopération ne soit pas à sens unique. Ainsi, un État partie ou non au Statut de Rome est en droit de demander l’assistance de la Cour pour des crimes relevant de sa compétence, invoquant la compétence universelle par représentation[57]. Cette coopération doit être consentie en vertu des articles 86 et 87, paragraphe 5, du Statut de Rome. En effet, la Cour a connu l’ouverture de onze enquêtes et une douzaine d’examens préliminaires, cinq États africains sont venus de leur propre chef, telle une manifestation de confiance envers la Cour où ce groupe régional est le plus représenté dans le Statut de Rome[58].

Le procureur n’a accès à un territoire qu’après consultation de l’État requis suivant l’article 99, paragraphe 4. L’acceptation africaine a connu son point d’orgue avec la Côte d’Ivoire, qui fut le premier État non-partie à l’heure des faits, à reconnaître compétence à la Cour pour intervenir sur des crimes internationaux commis sur son territoire[59]. L’accueil progressif de la légitimité de la justice internationale rappelle la déclaration de Winston Churchill devant la Chambre des communes du Royaume-Uni, le 25 octobre 1941 : « ces exécutions d’innocents, faites de sang-froid ne pourront que retomber sur les sauvages qui les ordonnent et sur les exécutants »[60]. Avec la collaboration africaine, mais aussi du monde entier, il sera à terme possible de réprimer toutes les infractions les plus graves grâce à une collaboration aboutie tant avec la CPI qu’avec une éventuelle cour pénale africaine. En effet, la mission répressive ne peut être exercée de manière autonome par la Cour. Il est vrai qu’elle dispose à La Haye d’une structure pour les détentions provisoires. Mais pour l’exécution des peines, elle a indubitablement besoin de la collaboration des États, car ceux-ci doivent mettre leurs propres prisons à disposition, dans le respect de leur souveraineté.

Cependant, dans la littérature africaine, il est souvent indiqué que la politique et la justice en Afrique sont intrinsèquement liées face aux demandes de la CPI. En effet, il arrive qu’elle soit qualifiée de « Cour Politique Internationale »[61], instrumentalisée par certains États pour se débarrasser d’opposants politiques comme cela paraît être le cas avec Laurent Gbabgo ou Jean-Pierre Bemba Gombo. Pourtant cette justice sélective présente une utilité, elle ne doit pas se substituer ad vitam aeternam aux juridictions nationales. C’est pourquoi le président actuel de la Côte d’Ivoire a souhaité faire juger dans son pays les autres responsables, subalternes, des violences commises afin de ne pas exercer un transfert de souveraineté et de ne pas encombrer la Cour limitée au jugement des plus hauts responsables[62].

Ainsi, elle n’a pas pour objectif de se substituer absolument à la justice interne qui est initialement une prérogative de souveraineté nationale. Mais dans le but de faire disparaître l’impunité criminelle, une collaboration est nécessaire entre la Cour et les États afin de réaliser un travail efficace tout en respectant le droit national.

2. L’impact modéré de la collaboration de l’Organisation des Nations Unies avec la Cour

Il est aussi régulièrement argué que la CPI est sous le contrôle des Nations unies par l’intermédiaire du Conseil de sécurité. Pourtant, dans le rôle du maintien de la paix au niveau mondial, le Conseil et la Cour ont des rôles bien différents. Ils ont respectivement le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire. Les deux ne se réunissent pas en un seul organe, mais interagissent afin de préserver la paix. Il est vrai que le Conseil a le pouvoir de demander la suspension de poursuite ou d’enquête en vertu de l’article 16 du Statut de Rome, mais ne peut imposer sa résolution, car la Chambre préliminaire peut tout de même estimer que la procédure doit suivre son cours. Cette distinction entre pouvoirs judiciaire et politique au sein du Conseil de sécurité avait déjà été faite par la Cour internationale de justice lors de l’affaire États-Unis d’Amérique c Iran le 24 mai 1980[63]. Dès lors, la politique du Conseil de sécurité n’a pas d’emprise sur les affaires de la Cour, ce qui peut contrecarrer les résolutions onusiennes.

Concrètement, le pouvoir au sein de la Cour est réparti à parts égales entre les États parties et le procureur pour pouvoir demander l’engagement de poursuites par exemple. C’est une mise en échec de la justice victorialiste que craignent les États ayant peu de place sur la scène internationale. Ainsi la Cour ne permet que des ingérences politiques du Conseil de sécurité, et non judiciaires, car celui-ci intervient seulement afin de maintenir la paix dans un cadre collaboratif. En réalité, ce sont des compétences déjà attribuées au Conseil de sécurité, et non de nouvelles créations, afin de prévenir les conflits et de maintenir la paix internationale comme lors de la reconnaissance du crime d’agression le 4 décembre 2017[64], entrant de fait dans le champ de compétence de la Cour.

Les Nations unies sont en réalité la manifestation politique de la théorie de la solidarité discursive[65]. Les États sont conscients qu’ils ne partagent pas les mêmes notions de justice, mais qu’un schéma d’association et de coopération est indubitablement nécessaire entre membres d’une communauté afin d’assurer un vivre-ensemble pacifique et durable. La CPI en est la consécration judiciaire contemporaine. Pour certains auteurs tels M. Tousignant[66] et P. Kirsch[67], il constitue un compromis acceptable vers un pluralisme ordonné des pouvoirs limitant l’hégémonie de certains États. C’est notamment l’argument contre l’Union africaine déclarant que la Cour accomplit une justice occidentale et impérialiste en évitant de juger les États-Unis ou encore le Royaume-Uni, des Nations puissantes sur la scène diplomatique. Au sein de la Cour, tous les États ont les mêmes pouvoirs pour la saisir d’une affaire. Finalement, le Conseil de sécurité par ces pratiques de veto permet de s’opposer à l’hégémonie d’États forts qui pourraient être amenés à faire du lobbying auprès de pays en voie de développement, sensibles à certaines négociations afin d’obtenir des votes à la majorité qualifiée. La Cour est donc aussi une institution qui lutte contre les tentations de corruption pour la suspension de poursuite ou d’enquête au sein de sa propre institution. Par voie de conséquence, cela évite les blocages de la justice internationale et donc favorise la lutte contre l’impunité criminelle. La Cour est la conjugaison de l’universalisme et de la globalisation[68] de la justice issue de la collaboration en devenir des États. Enfin, l’influence des Nations unies sur les travaux de la CPI semble être surestimée, les résolutions peuvent certes exister, mais elles ne sont pas légion, car de nombreux obstacles sont possibles, notamment le veto et l’action de la Chambre préliminaire.

B. La cohésion, gage de légitimité

L’harmonie de la justice pénale internationale favorise sa compréhension et assure la stabilité de son fonctionnement. Le rôle de la Cour reçoit un accueil favorable en faisant connaître son activité, notamment par des décisions jurisprudentielles. Cette base solide permet (1) le renforcement de la justice internationale (2) tout en lui conférant un avenir prometteur. Il faut déjà prendre en compte les résultats d’une pratique judiciaire internationale, mais aussi parajudiciaire pour la pérennité de la lutte contre l’impunité criminelle.

1. Le renforcement de la justice internationale

La Cour présente la particularité de se limiter aux crimes les plus graves qui concernent la communauté internationale en vertu de l’article 5 du Statut de Rome. L’objectif est d’assurer une cohésion des États autour de ses travaux. La Cour se concentre sur certaines infractions afin de gagner en efficacité dans la lutte contre l’impunité criminelle. La structure de la juridiction n’en est que renforcée, car l’objectif est clarifié pour les États, sans incertitude dans les compétences. Par ailleurs, le statut de la Cour permet par son article 124 de favoriser l’adhésion progressive des États afin que ceux-ci acceptent peu à peu sa compétence. Dès lors, les États peuvent différer, lors de la signature, pendant 7 ans, la compétence de la Cour pour les crimes de guerre. Par exemple, la France et la Colombie ont usé de ces déclarations le 9 juin 2000 et le 5 août 2002[69]. Ainsi la justice internationale n’est pas imposée de manière brutale. Mais le caractère temporaire de cette suspension se justifie dans la mission de protection des droits fondamentaux de la Cour. Ceux-ci sont régulièrement violés lors de la suspension septennale comme dans la « guerre contre le terrorisme »[70], en l’absence d’institution centralisée. En effet, les États ont un double monopole en créant et en appliquant le droit pénal interne et international. C’est pourquoi la CPI est une institution à visée centralisatrice afin de concentrer la répression au sein d’une entente universelle qui lutte contre l’impunité criminelle. Ainsi, le choix des affaires par le procureur a pour objectif de refléter les grandes préoccupations du droit international. En effet, actuellement la Cour « se concentre sur les enfants soldats car majoritairement ignorés par les cours ad hoc »[71], mais en tant que victimes, et non dans l’objectif de les condamner.

L’intégration de l’Afrique est démontrée par des signes de bonne volonté de la Cour et par la satisfaction des demandes provenant de ce continent. Dès la rédaction du Statut de Rome, la majorité des États africains avaient exprimé la volonté de privilégier le processus de paix au détriment de l’action judiciaire[72]. Les Nations unies sont au coeur de ce processus de paix, contribuant par voie de conséquence au renforcement de la justice internationale par l’intermédiaire de l’article 16 du Statut de Rome. Dès lors, il semble illogique que les mêmes États viennent aujourd’hui contester les incursions du Conseil de sécurité dans le travail de la Cour pour une compétence qu’ils ont approuvé eux-mêmes. Cette dernière vise à protéger des menaces contre la paix et à garantir la sécurité internationale. La Cour fait aussi oeuvre d’intégration de l’Afrique dans ses travaux, en nommant des personnels essentiels, issus de ce continent. En 2020, la procureure, Mme Bensouda, est ressortissante de Gambie et le président M. Chile Eboe-Osuji vient du Nigéria. Ainsi les deux fonctions les plus importantes de la Cour sont dans les mains de ressortissants africains. Ces dernières ne peuvent légitimement être accusées de mener une politique contre leur propre continent.

Ces nominations font écho aux préoccupations de la majorité des États africains qui ne souhaitent pas se retirer de la Cour. Même en cette décennie de troubles, des États du continent noir continuent à saisir la Cour, car ils s’estiment dans l’incapacité d’assurer eux-mêmes la justice relative aux crimes internationaux. Ce fut notamment le cas avec l’Ouganda en janvier 2004, la République démocratique du Congo le 19 avril 2004, la République centrafricaine en décembre 2004 et mai 2014 et enfin le Mali en juillet 2012[73]. D’autres ont confirmé leur volonté d’intégration dans la justice internationale en s’acquittant de leurs obligations relatives au Statut de Rome. Ces États sont le Botswana, le Burkina Faso, le Malawi, l’Afrique du Sud, le Niger, l’Ouganda et la Zambie[74]. Enfin, le Malawi s’est opposé en juin 2012 à l’accueil de l’Union africaine sur son territoire si le président Omar El-Béchir, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, y participait. C’est la marque d’un net soutien à l’exercice de la compétence de la Cour.

La cohésion est renforcée, car la Cour use de normes formant déjà un socle de références pour les États africains. Ces derniers y ont adhéré par des procédures extérieures à la Cour, comme la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir adoptée en 1985 par l’Assemblée générale des Nations unies. En outre, la Cour peut, par l’article 21 du Statut de Rome, appliquer « les droits de l’Homme internationalement reconnus »[75]. Les États d’Afrique ont donc contribué à créer une certaine cohésion dans les normes utilisées par la Cour et par voie de conséquence, un renforcement de la légitimité de la Cour elle-même.

2. Un avenir prometteur pour la Justice internationale

La Cour favorise des rencontres entre États parties et incite à l’intégration des autres pays au Statut de Rome. Ceci pour répondre à l’espoir d’une cour pénale internationale dont la communauté internationale dans son ensemble serait partie[76]. La Résolution ICC-ASP/15/Res.5 fait part de la réunion sur « la relation entre les pays d’Afrique et la Cour » dont l’objectif est la résolution des tensions. Le dialogue a également été initié pour la pérennité de la Cour, par la promotion de l’universalité auprès des États non-parties, préconisé dans le Plan d’Action au paragraphe 4[77]. L’institution organise également des séminaires au Botswana (2015) ou en Roumanie (2016), exposés dans la Résolution ICC-ASP/15/19[78], avec notamment quatre États non-parties. En outre, eu lieu un séminaire en 2015 entre l’Union africaine et la Cour[79], et un autre consacré à l’avenir de la justice pénale internationale en Afrique en 2017[80]. Ces rencontres manifestent la volonté d’une Cour légitimée par l’implication universelle des États africains dans la justice pénale internationale. La cohésion de la Justice internationale n’est pas pour autant réalisée dans la négation des souverainetés nationales.

Dans le respect des droits nationaux, la Cour cherche à faire connaître son utilité par divers partenariats établissant une vulgarisation, donc une accessibilité, de son travail. Le premier semestre 2009, une composante de la CPI, la Section d’information du public de Bangui, a organisé cinquante sessions de sensibilisation sur le rôle de la juridiction[81]. Toujours afin de se rapprocher des citoyens de l’Afrique, le procédé a été étendu aux radios africaines[82] dans la langue locale, et à partir du 31 mars 2010, sur les réseaux sociaux[83]. Par ces moyens, les victimes et les populations peuvent prendre connaissance des différentes affaires et constater que la Cour travaille dans leur intérêt, donc les fédérer autour de sa mission. Les principaux acteurs des crimes de guerres et autres génocides sont également sensibilisés. Ce sont les « hommes en uniforme » regroupant l’armée, la police, les milices, etc., qui sont informés de la nécessité des mandats internationaux de la Cour. Le 26 septembre 2009, à Bunia en République démocratique du Congo, une session d’échanges a eu lieu entre le personnel de la Cour et cinquante officiers de ce pays[84]. La Cour a aussi organisé un séminaire de formation des officiers de cette République du 5 au 9 novembre 2009 à Goma et Bukavu[85]. Tous ces mécanismes mis en oeuvre par la Cour montrent que son objectif n’est pas réellement la répression des ressortissants africains. Sa volonté se trouve plutôt dans la prévention universelle et la prise de conscience de son utilité qui viseraient à compléter la mission de maintien de la paix octroyée aux Nations unies.

De nombreuses bonnes volontés sont mises en oeuvre afin d’assurer la pérennité d’une justice internationale impartiale et indépendante. Afin de ne pas susciter des blocages au sein de la justice internationale, les demandes de coopération doivent être réglées par négociation[86], impliquant le rejet de mesures coercitives contre la souveraineté d’États récalcitrants. Par voie de conséquence, on peut constater une sérieuse évolution de la justice internationale depuis 1474 avec l’affaire Peter Von Hagenbach, premier procès international de l’histoire pour crimes de guerre[87]. Le professeur Éric David estime lui-même que « la Cour Pénale Internationale apparaît plus comme le fruit d’une évolution que d’une révolution »[88]. Il est vrai que l’humanité a atteint une phase de coopération solidariste[89]. La reconnaissance progressive de la responsabilité pénale individuelle en droit international par les États et d’une justice pénale mondialisée manifeste clairement une volonté de s’unir face à l’impunité de la criminalité transfrontalière. À ce jour, la codification des crimes supranationaux et des crimes transnationaux est unie dans une seule structure qu’est la CPI par le résultat d’une évolution de la justice permettant une articulation des droits[90]. Par conséquent, les procédures de retrait amorcées par plusieurs États africains, notamment la deuxième demande de l’Afrique du Sud en 2017, ne semblent être que des soubresauts dans cette évolution de la justice internationale. Celle-ci s’étendra naturellement pour répondre aux besoins de sécurité d’une population toujours croissante, demanderesse de paix durable. « Le droit [n’est rien d’autre que] l’arme des plus faibles et l’ennemi des puissants »[91], donc dans l’intérêt d’États africains ayant peu de poids sur la scène internationale, la justice reste encore le moyen le plus fiable pour se protéger des ingérences, car les conventions sont des accords consentis et non imposés. Au regard de la subsidiarité, les États poursuivant eux-mêmes leurs ressortissants criminels rendraient nuls les travaux de la Cour. Il est peu probable, à l’heure actuelle, qu’une telle perspective soit réalisable. La CPI doit faire perdurer la justice internationale, mais deviendra obsolète quand chaque État jugera impartialement et équitablement les criminels sur son territoire. Ainsi, les États africains pourront contester la légitimité de la Cour et demander sa dissolution lorsque les justices nationales répondront de manière adaptée à la criminalité internationale.